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Dossier : 2008-3655(IT)G

ENTRE :

MARVIN G. MARSHALL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 28 et 29 novembre 2011, à Ottawa, Canada

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me April Tate

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel est accueilli avec dépens, et la cotisation établie à l’égard de l’appelant en sa qualité d’administrateur d’Internorth Ltd., au titre des retenues à la source qui n’ont pas été versées et des pénalités et des intérêts y afférents, qui ont servi de base à la cotisation établie à l’égard d’Internorth Ltd., est annulée.

 

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 20e jour de janvier 2012.

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2012.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

 

Référence : 2012 CCI 21

Date : 20120120

Dossier : 2008-3655(IT)G

ENTRE :

MARVIN G. MARSHALL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Webb

 

[1]              L’appelant a, en sa qualité d’administrateur d’Internorth Limited (« Internorth ») fait l’objet d’une cotisation portant sur les versements qui n’avaient pas été effectués au titre des retenues à la source, plus les pénalités et les intérêts y afférents, relativement aux sommes versées à certains employés en 2003 et en 2004. Par souci de simplicité, j’appellerai « retenues à la source non versées » les retenues à la source qui n’ont pas été versées, plus les pénalités et les intérêts y afférents, étant donné que ces pénalités et intérêts ont pour cause le fait que les retenues à la source n’auraient pas été versées comme elles auraient dû l’être. Il s’agit de décider si Internorth était tenue de verser les retenues à la source dont il est fait état dans sa cotisation. À l’audience, l’appelant a également soulevé la question de savoir s’il pouvait invoquer comme moyen de défense la diligence raisonnable, et l’intimée s’est pas opposée pas à ce que cette question soit soulevée par l’appelant.

 

[2]              Deux questions préliminaires se posent en l’espèce, la première concerne les actes de procédure et la deuxième, l’intention qui a été manifestée de consigner en preuve des parties de l’interrogatoire préalable.

 

Les actes de procédure

 

[3]              En ce qui concerne les actes de procédure, l’intimée a présenté une requête en modification de sa réponse. Lors des interrogatoires préalables qui ont eu lieu le 26 janvier 2011, l’avocate de l’intimée a fait savoir à l’appelant que la réponse contenait un certain nombre d’erreurs qui devraient être corrigées. Le 8 février 2011, une copie de la réponse modifiée proposée a été envoyée à l’appelant. L’appelant n’ayant pas consenti à ce que l’intimée modifie sa réponse, une requête en modification de la réponse a été présentée au début de l’audience. Hormis une modification mineure apportée au paragraphe 19 concernant les moyens invoqués et les conclusions recherchées, la réponse modifiée dont il était fait état dans la requête est la même que la réponse modifiée envoyée à l’appelant le 8 février 2011.

 

[4]              La plupart des modifications ne font que corriger les montants figurant dans la cotisation établie à l’égard d’Internorth, les corrections en question ayant pour effet de réduire ces montants. Ces corrections ne changeaient cependant rien au montant de la cotisation établie à l’égard de l’appelant en sa qualité d’administrateur d’Internorth. Les modifications apportées aux paragraphes 8, 12, et 19 ainsi qu’à l’alinéa 15m), afin de corriger la rubrique sous laquelle étaient rangées les montants figurant dans la cotisation établie à l’égard d’Internorth et de rectifier les montants en question, ont été autorisées. Ces modifications avaient manifestement pour but de corriger la désignation des sommes inscrites dans la cotisation d’Internorth et de les réduire, et l’appelant en a été averti suffisamment à l’avance.

 

[5]              L’intimée a également demandé à modifier le paragraphe 4 de sa réponse. La première phrase de ce paragraphe était à l’origine formulée en ces termes :

 

[traduction]

 

4.       En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’avis d’appel, sous la rubrique « Motifs d’appel », il reconnaît que l’ARC a envoyé à Internorth Ltd. en juin 2004 une demande formelle de paiement et qu’Internorth Ltd. n’existait pas à l’époque où Internorth Construction a omis d’effectuer le versement des retenues à la source. […]

 

[6]              Le changement proposé devait modifier cette partie du paragraphe 4 de façon à ce qu’elle soit formulée de la manière suivante :

 

[traduction]

 

4.       En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’avis d’appel, sous la rubrique « Motifs d’appel », il reconnaît que l’ARC a envoyé à Internorth Ltd. en juin 2004 une demande formelle de paiement. Il nie le fait qu’Internorth Ltd. n’existait pas à l’époque où Internorth Construction a omis d’effectuer le versement des retenues à la source. […]

 

[7]              La question qui est soulevée dans le présent appel concerne la cotisation établie à l’égard de l’appelant en sa qualité d’administrateur d’Internorth, et non pas la cotisation établie à l’égard de l’appelant en sa qualité d’administrateur d’Internorth Construction Company (« ICC »), une entreprise distincte. Il s’agit donc de rechercher si Internorth a omis de verser les retenues à la source, et non si c’est ICC qui a omis d’effectuer le versement des retenues à la source. La double négation employée dans la modification proposée veut dire que, selon l’intimée, Internorth existait à l’époque où ICC a omis d’effectuer les versements. Comme je l’ai signalé, cependant, le fait qu’ICC n’ait pas effectué les versements en question n’est d’aucune pertinence étant donné que c’est en sa qualité d’administrateur d’Internorth que l’appelant a fait l’objet d’une cotisation. L’avocate de l’intimée a fait savoir que, quoi qu’il en soit, cette modification n’avait guère d’importance à ses yeux. La modification en question n’a pas été apportée à la réponse.

 

[8]              Les dernières modifications apportées visaient les hypothèses retenues. Les alinéas 15i) et j) de la réponse étaient initialement formulées en ces termes :

 

[traduction]

 

15.     Pour calculer la dette fiscale de l’appelant au titre du paragraphe 227.1(1), le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

          i)       à partir du 7 juin 2003, Internorth Ltd. a commencé à payer les employés d’Internorth Construction sur deux de ses comptes de paye, 885XXXXXXRP0001 et 885XXXXXXRP002;

 

          j)       à partir du 7 juin 2003, les chèques de paie étaient tirés sur les deux comptes de paye d’Internorth Ltd.;

 

[9]              Selon la modification proposée, l’alinéa 15j) disparaîtrait, et l’alinéa 15i) prendrait la forme suivante :

 

[traduction]

 

15.     Pour calculer la dette fiscale de l’appelant au titre du paragraphe 227.1(1), le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

          (i)      À partir du 7 juin 2003, Internorth Ltd. a commencé à payer les employés d’Internorth Construction au moyen de ses comptes bancaires;

 

[10]         Étant donné que les comptes de paye mentionnés à l’alinéa 15i) (selon le texte initial) étaient des comptes ouverts auprès de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), il ne s’agit pas de comptes bancaires sur lesquels peuvent être tirés des chèques. Ces modifications ne font que rectifier une hypothèse qui était manifestement inexacte. Ces modifications ont elles aussi été autorisées.

 

[11]         Dans son avis d’appel, l’appelant insiste surtout sur les demandes de paiement envoyées par l’ARC, demandes qui font partie de la procédure de recouvrement suivie par l’ARC. Les mesures prises par l’ARC pour assurer le recouvrement des retenues à la source dont le versement n’a pas été effectué ne sont d’aucune pertinence lorsqu’il s’agit de décider si, en sa qualité d’administrateur d’Internorth, l’appelant était responsable des retenues à la source qu’Internorth était tenue de verser.

 

[12]         Dans son avis d’appel, l’appelant affirme, effectivement, qu’Internorth [traduction] « n’a jamais employé qui que ce soit, et agissait simplement à titre d’administrateur », ce qui soulève la question de savoir si la cotisation établie à l’égard d’Internorth était fondée. L’avocate de l’intimée a reconnu que la question avait été soulevée par l’appelant.

 

[13]         Au début de l’audience, l’appelant a semblé également évoquer le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, dont il n’avait pas fait état dans son avis d’appel. L’avocate de l’intimée a accepté que l’appelant soit autorisé, à l’audience, à invoquer comme moyen de défense la diligence raisonnable.

 

La consignation en preuve des interrogatoires préalables

 

[14]         La seconde question préliminaire concerne les interrogatoires préalables que l’intimée demande à consigner en preuve. Après avoir présenté ses arguments, l’avocate de l’intimée a demandé la consignation, à tire d’éléments de preuve, de plusieurs extraits de l’interrogatoire préalable de l’appelant. L’intimée estime purement et simplement que les dispositions du paragraphe 100(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») lui permettent de consigner comme éléments de sa preuve des extraits de l’interrogatoire préalable de l’appelant.

 

[15]         Le paragraphe 100(1) des Règles dispose :

 

100(1) Une partie peut, à l’audience, consigner comme élément de sa preuve, après avoir présenté toute sa preuve principale, un extrait de l’interrogatoire préalable :

 

a) de la partie opposée;

 

b) d’une personne interrogée au préalable au nom, à la place ou en plus de la partie opposée, sauf directive contraire du juge,

 

si la preuve est par ailleurs admissible et indépendamment du fait que cette partie ou que cette personne ait déjà témoigné.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[16]         Les mots « si la preuve est par ailleurs admissible » me semblent apporter une restriction importante à la production, en tant qu’éléments de preuve, d’extraits de l’interrogatoire préalable. L’avocate de l’intimée a fait savoir que si elle souhaite produire en preuve des extraits de cet interrogatoire préalable, c’est parce que les réponses que l’appelant a fournies à l’audience sont en contradiction avec celles qu’il a données lors de l’interrogatoire préalable, ou parce qu’à l’interrogatoire préalable l’appelant a fourni des réponses plus complètes (ce qui semble donner à penser que lors de son témoignage à l’audience l’appelant n’a pas dit toute la vérité).

 

[17]         Comme les extraits de l’interrogatoire préalable, s’ils étaient admis en preuve, serviraient à attaquer la crédibilité du témoin, les questions posées à celui‑ci lors de l’interrogatoire préalable, et les réponses qu’il a fournies doivent être toutes deux portées à l’attention du témoin. Le paragraphe 100(2) des Règles, en effet, dispose :

 

(2) Sous réserve des dispositions de la Loi sur la preuve au Canada, les dépositions recueillies à l’interrogatoire préalable peuvent être utilisées pour attaquer la crédibilité du déposant à titre de témoin de la même façon qu’une déclaration incompatible antérieure de ce témoin.

 

[18]         Selon le paragraphe 10(1) de la Loi sur la preuve au Canada :

 

10(1) Lors de tout procès, un témoin peut être contre-interrogé au sujet des déclarations antérieures qu’il a faites par écrit, qui ont été prises par écrit ou qui ont été enregistrées sur bande audio ou vidéo, ou autrement, relativement au sujet de la cause, sans qu’il lui soit permis d’en prendre connaissance. Cependant, si l’on entend mettre le témoin en contradiction avec lui-même au moyen de cette pièce, l’on doit, avant de pouvoir établir cette preuve contradictoire, appeler son attention sur les parties de celle-ci qui doivent servir à le mettre ainsi en contradiction. Le juge peut toujours, au cours du procès, exiger la production de la pièce dans le but de l’examiner et en faire, dans la poursuite de la cause, l’usage qu’il croit convenable.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]         Par la décision Cholakis v. Cholakis, [2006] 2 W.W.R. 229, la juge Beard, de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, appelée à se pencher sur les dispositions de l’article 31.11 des Règles de la Cour du Banc de la Reine, qui autorise une partie à consigner comme élément de sa preuve une partie de l’interrogatoire préalable, a précisé :

 

[traduction]

7             Lorsqu’on entend utiliser l’interrogatoire préalable à l’instruction pour attaquer la crédibilité du déposant à titre de témoin, les dépositions recueillies à l’interrogatoire préalable peuvent, selon le paragraphe 31.11(2) des Règles, être utilisées de la même façon qu’une déclaration incompatible antérieure de ce témoin. L’utilisation d’une déclaration antérieure contradictoire afin de mettre le témoin en contradiction avec lui-même est codifiée à l’article 20 de la Loi sur la preuve au Manitoba, disposition qui exige que l’attention du témoin soit attirée sur les parties de ses déclarations antérieures qui doivent servir à le mettre en contradiction.

 

[…]

 

11           Si les questions et les réponses faisant partie de l’interrogatoire de Paul sont consignées afin d’attaquer sa crédibilité, et ont été utilisées à cette fin lors du contre‑interrogatoire, elles sont déjà consignées au dossier, et font donc partie des preuves en ce qui concerne la question de sa crédibilité. Il est donc superflu de les consigner à nouveau, car cela n’ajouterait rien aux débats. L’attention de Paul n’ayant pas été attirée sur les questions et réponses livrées lors de son contre-interrogatoire, celles-ci ne peuvent pas maintenant être consignées en tant que preuves, car elles ne répondent pas aux exigences de l’article 20 de la Loi sur la preuve au Manitoba concernant l’emploi de déclarations contradictoires.

 

[20]         Dans la décision International Corona Resources Ltd. v. LAC Minerals Ltd., [1986] O.J. No. 68, le juge Holland a estimé que :

 

[traduction]

 

Vu les dispositions de la Loi sur la preuve, telles qu’elles sont exposées ci-dessus, il me semble que l’avocat de Lac ne peut consigner en preuve que les parties de l’interrogatoire préalable de M. Bell et de Mme Dragovan qui constituent des aveux ou qui ont trait à la question de leur crédibilité, et ce, seulement si, en ce qui concerne ces parties de l’interrogatoire préalable, les dispositions de la Loi sur la preuve ont été respectées alors que les intéressés se trouvaient à la barre des témoins.

 

[21]         Selon The Law of Evidence in Canada, (3e édition) des juges Bryant, Lederman et Fuerst, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, (2009, LexisNexis), à la page 1150 :

 

[traduction]

 

16.153 La transcription de l’interrogatoire préalable constitue une catégorie particulière de déclarations antérieures. Au civil, les règles de la Cour permettent généralement que les questions et les réponses soient consignées par la partie adverse en tant qu’aveux*. Lorsque la transcription est invoquée en tant que déclaration antérieure contradictoire afin d’attaquer la crédibilité d’une partie, il semble bien que les exigences prévues par la Loi doivent être respectées. Par conséquent, si l’une des parties témoigne, la partie adverse est obligée d’attirer l’attention de la partie qui témoigne sur les passages pertinents de l’interrogatoire préalable*.

 

(* Indique un renvoi en bas de page qui se trouvait dans le texte original, mais qui n’a pas été repris ici.)

 

[22]         Or, l’avocate de l’intimée n’a pas attiré l’attention de l’appelant sur les questions et les réponses tirées de l’interrogatoire préalable et qui sont, selon l’intimée, en contradiction avec le témoignage que l’appelant a rendu à l’audience, y compris les réponses que l’appelant a données lors de l’interrogatoire préalable et qui, selon l’avocate de l’intimée, donnaient davantage de détails. L’appelant n’a pas eu l’occasion d’expliquer pourquoi la réponse qu’il avait donnée lors de l’interrogatoire préalable était différente de celle qu’il a donnée à l’audience. L’attention de l’appelant n’ayant pas été attirée sur ces extraits avant qu’il ne soit proposé de les consigner comme éléments de preuve, ces extraits ne peuvent pas être consignés dans le but d’attaquer la crédibilité du témoin. Étant donné que l’intimée n’a invoqué aucun autre moyen pour justifier la consignation en preuve de ces extraits, ceux-ci ne pourront pas être consignés comme éléments de sa preuve.

 

La cotisation visant les retenues à la source qui n’ont pas été versées

 

[23]         En sa qualité d’administrateur de l’entreprise, l’appelant a fait l’objet d’une cotisation pour ce qui est des retenues à la source n’ayant pas été versées. En 2003 et en 2004, le paragraphe 153(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), disposait notamment :

 

153(1) Toute personne qui verse au cours d’une année d’imposition l’un des montants suivants :

 

a) un traitement, un salaire ou autre rémunération, à l’exception des sommes visées au paragraphe 212(5.1);

 

[…]

 

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l’impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l’année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière désignée.

 

[24]         En ce qui concerne la cotisation établie à son égard, au titre des retenues à la source d’Internorth qui n’ont pas été versées, l’appelant fait valoir qu’Internorth n’avait pas d’employés et que la société n’aurait, par conséquent, pas dû faire l’objet d’une cotisation au titre des retenues à la source qui n’auraient pas été versées. Bien que l’intimée ait, dans sa réponse, contredit l’allégation portant qu’Internorth n’ait pas eu d’employés, la cotisation établie à l’égard d’Internorth reposait non pas sur le fait qu’Internorth aurait eu des employés, mais sur le fait qu’Internorth avait payé les employés d’ICC. L’appelant contrôlait à la fois Internorth et ICC.

 

[25]         En l’espèce, il faut d’abord rechercher si c’est à juste titre qu’Internorth a fait l’objet d’une cotisation fondée sur les retenues à la source qui n’auraient pas été versées. L’intimée reconnaît que, selon la décision du juge en chef Rip dans Barry c. La Reine, 2009 CCI 508, 2009 DTC 1339, [2010] 1 C.T.C. 2189, l’appelant peut soulever la question de l’exactitude de la cotisation dont Internorth a fait l’objet pour non-versement des retenues à la source.

 

[26]         Pour se prononcer sur l’exactitude de la cotisation établie à l’égard d’Internorth, faut rechercher si Internorth a effectivement versé des salaires. Dans la décision Mollenhauer Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue), [1992] 2 C.T.C. 121, 92 DTC 6398 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a fait les observations suivantes :

 

Il est fort clair que le paragraphe 153(1) de la Loi ne dit pas si les personnes qui effectuent les paiements sont des employeurs ou non. Je suis convaincu qu’un individu ou une entreprise qui paie « un traitement, un salaire ou autre rémunération » doit déduire ou retenir le montant exigé, conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[27]         Dans l’affaire Marché Lambert et Frères Inc. v. The Queen, 2008 DTC 3815, le juge Paris a examiné plusieurs affaires où la personne payant le salaire des employés n’était pas l’employeur. Voici en quels termes il a exposé ses conclusions :

 

17     Tout d’abord, je conviens avec l’appelante que l’élément du pouvoir décisionnel relatif aux fonds versés aux employés est déterminant quant à l’application du paragraphe 153(1).

 

18     La jurisprudence pertinente de la Cour d’appel fédérale démontre qu’une personne ne sera tenue responsable en vertu de ce paragraphe que si elle avait un pouvoir décisionnel quant au paiement aux employés. Dans le cas où une personne effectue physiquement le paiement, mais n’exerce aucune autorité indépendante sur les fonds qui constituent le paiement, cette personne ne sera pas tenue de faire les remises. En d’autres mots, si la personne qui effectue le paiement le fait en exécution des directives de quelqu’un d’autre et non pas de son propre chef, le paragraphe 153(1) ne s’appliquera pas à elle.

 

[…]

 

33     À mon avis, il découle clairement de cette jurisprudence qu’une personne sera tenue responsable en vertu du paragraphe 153(1) si elle détient un pouvoir décisionnel quant aux paiements de salaire faits aux employés. Elle ne sera pas tenue responsable si elle verse des salaires ou traitements à titre de simple intermédiaire ou comme mandataire d’une autre personne.

 

[28]         Ainsi, pour être considérée comme responsable à l’égard des retenues à la source, la personne qui effectue les paiements aux employés n’a pas elle-même à être l’employeur. Il suffit, pour qu’elle soit responsable du versement des retenues à la source, qu’elle dispose d’un certain pouvoir de décision quant au versement des salaires et qu’elle n’effectue pas simplement ces paiements en tant que mandataire (de l’employeur vraisemblablement). Si, cependant, les personnes qui ont reçu ces salaires étaient des employés d’Internorth, c’est à juste titre qu’Internorth a fait l’objet d’une cotisation pour non-versement des retenues à la source.

 

[29]         L’intimée a contesté l’allégation portant qu’Internorth n’ait elle-même eu aucun employé; pour rechercher si c’est à juste titre qu’une cotisation a été établie à l’égard d’Internorth en raison de retenues à la source qui n’auraient pas été versées, il faut d’abord répondre aux questions suivantes :

 

a)          Internorth avait-elle des employés?

 

b)         Si Internorth n’avait pas d’employés, a-t-elle versé des salaires aux employés d’ICC?

 

c)          Si Internorth n’avait pas d’employés, et qu’elle payait les employés d’ICC, en effectuant ces paiements, agissait-elle à titre de mandataire d’ICC, ou Internorth disposait-elle d’un certain pouvoir de décision quant au versement des salaires en question?

 

Internorth avait-elle des employés?

 

[30]         Si les personnes à qui l’on a versé un salaire étaient les employés d’Internorth, c’est à juste titre qu’Internorth a fait l’objet d’une cotisation relativement aux retenues à la source qui n’ont pas été versées. C’est la première question à examiner.

 

[31]         Les deux sociétés – ICC et Internorth – sont liées. L’appelant possédait la majorité des actions d’ICC, et l’intégralité des actions d’Internorth. ICC était une entreprise de bâtiment qui, en 2002, éprouvait des difficultés financières. Elle n’a pas, comme elle était tenue de le faire, intégralement versé les retenues à la source. L’appelant a, en juin 2002, investi 750 000 $ dans l’entreprise, mais celle-ci a continué à éprouver des difficultés. En raison des difficultés financières qu’éprouvait ICC, Internorth a été constituée en juin 2003. Internorth assurait la gestion de projets de construction. Voici en quels termes, l’appelant a décrit les activités d’Internorth :

 

[traduction]

 

L’entreprise était à l’affût d’occasions en matière de gestion de projet; elle négociait, contre rémunération, un contrat de gestion du projet; puis engageait un chef de projet, ou demandait à Internorth Construction d’affecter au projet un chef de projet, versant en contrepartie à Internorth Construction une somme destinée à couvrir les frais relatifs à la personne en cause plus les frais correspondant à une partie des frais généraux d’Internorth Construction.

 

[32]         Lors de son témoignage, l’appelant a fermement insisté sur le fait qu’Internorth n’avait pas d’employés. Les états financiers dénommés [traduction] « ÉBAUCHE AUX FINS DE DISCUSSION ») d’ICC et d’Internorth ont été produits à l’audience. Les états financiers d’ICC, en date du 31 décembre 2003, et les états financiers d’Internorth, en date du 31 décembre 2003, ont été produits par l’appelant, dans son recueil de documents, ainsi que par l’intimée. L’appelant n’a pas produit les états financiers de l’une ou l’autre de ces sociétés tels qu’ils étaient en date du 31 décembre 2004, mais ces états financiers se trouvent dans le recueil de documents de l’intimée. L’appelant a produit, cependant, en ce qui concerne Internorth, un bilan provisoire en date du 30 avril 2004 et une version provisoire d’état des résultats d’exploitation pour la période allant du 5 juin 2003 au 30 avril 2004.

 

[33]         Les états financiers de clôture des deux sociétés, tels qu’ils ont été produits, sont appuyés par l’assertion voulant qu’Internorth n’ait pas eu d’employés. Voici, selon ces comptes, les sommes dont il est fait état par ICC et Internorth en tant que salaires et avantages sociaux pour les années 2003 et 2004 :

 

 

ICC

Internorth

Montant dont il est fait état au titre des salaires et des avantages sociaux en 2003

1 365 516 $

0

Montant dont il est fait état au titre des salaires et des avantages sociaux en 2004

410 160 $

0

 

[34]         Le recueil de documents de l’appelant comprenait, cependant, une version provisoire d’état des résultats d’exploitation d’Internorth pour la période allant du 5 juin 2003 au 30 avril 2004. On ne saisit pas très bien pourquoi la somme de 339 249 $ y figure au titre de salaires. Ni l’une ni l’autre des parties n’a mentionné ce document, et il me semble que, comme ce document n’est pas compatible avec les états de clôture qui ont été produits, ni avec le témoignage de l’appelant, je n’attribue aucun poids à l’inclusion d’un certain montant au titre de salaires dans cet état des résultats d’exploitation d’Internorth couvrant la période d’environ 11 mois qui va du 5 juin 2003 au 30 avril 2004.

 

[35]         Comme l’observe, dans la décision VanNieuwkerk c. La Reine, 2003 CCI 670, [2004] 1 C.T.C. 2577, le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) :

 

6 […] Cette cour a eu maintes fois l’occasion de dire que les écritures comptables ne créent pas la réalité. Elles ne font que refléter la réalité. Il doit y avoir une réalité sous‑jacente pouvant exister indépendamment des écritures comptables. […]

 

[36]         Il m’apparaît plus vraisemblable que l’état des résultats d’exploitation d’Internorth pour la période allant du 5 juin 2003 au 30 avril 2004 ne reflète pas la réalité. Il est selon moi plus vraisemblable que la réalité est correctement exposée par les états financiers de clôture d’Internorth pour 2003 et 2004 et que, comme l’affirme l’appelant, Internorth n’avait pas d’employés. Comme je l’ai signalé plus haut, bien que l’intimée ait contredit la thèse voulant qu’Internorth n’ait pas eu d’employés, la cotisation dont Internorth a fait l’objet, comme l’indiquent les hypothèses de fait retenues par l’intimée, se fondait non pas sur l’hypothèse selon laquelle Internorth avait des employés ou les employés d’ICC étaient devenus des employés d’Internorth, mais, plutôt que sur celle selon laquelle c’était Internorth qui payait les employés d’ICC. Cela dit, je conclus qu’en 2003 ou en 2004, Internorth n’avait effectivement pas d’employés.

 

Internorth a-t-elle payé les employés d’ICC?

 

[37]         La cotisation dont Internorth a fait l’objet au titre des retenues à la source qui n’avaient pas été versées est fondée sur l’hypothèse selon laquelle les employés d’ICC ont été payés par Internorth. On trouve, notamment, au paragraphe 15 de la réponse modifiée les éléments suivants :

 

[traduction]

 

15.     Pour calculer la dette fiscale de l’appelant au titre du paragraphe 227.1(1), le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

[…]

 

c)       Internorth Ltd. a été constituée le 5 juin 2003;

 

[…]

 

g)      avant le 5 juin 2003, Internorth Construction payait ses employés sur deux de ses comptes de paye;

 

h)      le 5 juin 2003, Internorth Construction a cessé de payer ses employés sur ses propres comptes de paye;

 

          i)       à partir du 7 juin 2003, Internorth Ltd. a commencé à payer les employés d’Internorth Construction sur ses comptes bancaires;

 

          j)       supprimé;

 

k)      Internorth Ltd. n’a pas facturé Internorth Construction pour les salaires versés;

 

l)       Internorth Construction n’a pas remboursé Internorth Ltd. pour les salaires versés aux employés à partir du 5 juin 2003;

 

[38]         Le juge Rothstein (tel était alors son titre) a fait, dans l’arrêt The Queen v. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 DTC 5512, les observations suivantes au nom de la Cour d’appel fédérale :

 

[23] Alléguer l’existence d’hypothèses confère comme avantage important à la Couronne de renverser le fardeau de preuve, de sorte que le contribuable doive réfuter les hypothèses du ministre. Les faits allégués comme hypothèses doivent être précis et exacts afin que le contribuable sache bien clairement ce qu’il lui faudra prouver.

 

[39]         Aucune hypothèse n’a été posée en ce qui concerne la manière dont Internorth aurait financé le paiement des salaires des employés d’ICC. Vu les hypothèses exposées plus haut, on se demande évidemment comment Internorth a fait pour payer les employés d’ICC si celle-ci ne l’a pas remboursée? La conclusion logique, me semble-t-il, compte tenu des deux hypothèses voulant qu’Internorth ait payé les employés d’ICC et qu’ICC n’ait pas remboursé Internorth, est que le ministre a présumé qu’Internorth payait les employés d’ICC avec ses propres fonds[1].

 

[40]         Internorth n’a été constituée en société que le 5 juin 2003. Il ne s’agit pas d’une société en activité depuis plusieurs années et qui aurait donc pu disposer d’importantes réserves de capital lui permettant de rémunérer les personnes qui n’étaient pas ses employés. Au 31 décembre 2003, l’actif d’Internorth (selon son bilan) s’élevait au total à 1 220 125 $ en liquidités et en créances. Il ressort de ce bilan par ailleurs un déficit de 105 554 $ pour Internorth, étant donné que ses dettes s’élevaient à 1 325 678 $ et que son capital social était de 1 $.

 

[41]         Le contre-interrogatoire de l’appelant a donné lieu, entre l’avocate de l’intimée et l’appelant, au dialogue suivant :

 

[traduction]

 

Q.      Reconnaissez-vous que les employés d’Internorth Construction Company ont été payés par Internorth Limited, à partir de – soyons précis – du 7 juin 2003?

 

R.      Je n’ai pas, sur ce point, de connaissances directes. J’aurais – les gestionnaires financiers versaient les salaires et payaient les factures, et je crois pouvoir dire que ces paiements étaient effectués sur les comptes d’Internorth Construction, à ma connaissance. Je ne pense pas qu’un compte de paye ait été ouvert pour Internorth Limited, mais Internorth Construction avait des comptes de paye. C’est, d’après moi, comme cela que ça se passait.

 

Q.      Selon vous, donc, Internorth Limited n’a pas, à partir du 7 juin 2003, payé les employés d’Internorth Construction?

 

R.      Je croyais que c’était bien l’origine des fonds que nous administrions. D’après moi, il était convenu qu’Internorth Limited administrerait les comptes de paye pour Internorth Construction et effectuerait les versements en question, vous savez, en fonction des renseignements qu’ils fournissaient concernant les rémunérations à verser.

 

Q.      C’est dire que, selon vous, les versements étaient effectués par Internorth Limited. Cela veut-il dire que les employés étaient payés sur les comptes bancaires de Limited?

 

R.      Je ne sais pas si c’était le cas. Il s’agissait, d’après moi, d’acquitter les obligations d’Internorth Construction, quelle que soit la manière dont cela se faisait. D’après moi, les versements étaient effectués. Les fonds nécessaires au paiement des salaires étaient dégagés et, pour autant que je sache, selon la documentation, Internorth Limited n’a jamais eu d’employés, et n’a jamais notamment délivré de feuillets T4 à des employés.

 

          Si j’ai bien compris, nous aidions Internorth Construction à gérer les obligations qui lui incombaient en matière de salaires.

 

Q.      Non, je comprends ça, mais à partir du 7 juin 2003, qui payait les employés? Je ne parle pas des sous‑traitants.

 

R.      Il se peut qu’Internorth Limited ait, pour payer les employés d’Internorth Construction, émis des chèques pour le compte de cette dernière. Il se peut que ce soit comme cela que les choses se soient passées.

 

Q.      Disposez-vous d’éléments qui permettent de penser, ou qui démontrent qu’à partir du 7 juin 2003, les employés en question ont en fait été payés par Internorth Construction?

 

R.      Non, c’est justement ce que je cherche à obtenir --

 

[42]         Ce dialogue ne permet pas de savoir comment les employés d’ICC ont été payés. Parmi les documents produits par l’appelant se trouvent deux annexes qui semblent avoir été préparées en vue d’une réunion avec l’Agence des douanes et du revenu du Canada (c’est ainsi que l’ARC s’appelait à l’époque) le 22 juin 2004. Ces annexes indiquent les sommes déposées dans les comptes bancaires d’Internorth et d’ICC entre le 1er janvier 2003 et le 31 mai 2004. Selon l’appelant, toutes les sommes déposées dans les comptes bancaires en question figurent dans ces annexes. Voici les sommes qui auraient ainsi, au cours de la période en cause, été versées sur ces comptes bancaires :

 

Total des sommes déposées dans le compte bancaire d’ICC :  7 379 250 $

                                                                                              + 412 805 $

                                                                                           = 7 792 055 $

 

Total des sommes déposées dans le compte bancaire d’Internorth : 540 547 $

                                                                                           + 2 527 116 $

                                                                                           = 3 067 663 $

 

[43]         Voici quel a été, selon les états financiers d’ICC et d’Internorth, les revenus respectifs de ces deux sociétés en 2003 et en 2004 :

 

 

ICC

Internorth

Revenu déclaré en 2003

22 361 741 $

2 724 625 $

Revenu déclaré en 2004

241 724 $

1 589 776 $

 

[44]         Ces revenus auraient été calculés selon la comptabilité d’exercice. Cela dit, étant donné qu’en 2003 les sociétés ont eu, à elles deux, des revenus de plus de 25 millions de dollars, comment se fait-il que les dépôts bancaires effectués en 2003 et au cours des cinq premiers mois de 2004 correspondent à moins de la moitié de cette somme? Cela soulève effectivement des questions, mais ne démontre pas que les employés d’ICC ont été rémunérés par Internorth. Étant donné que, selon l’hypothèse retenue par le ministre, ICC n’a pas remboursé Internorth pour les salaires que celle-ci aurait versés, il y a lieu de supposer, faute de preuve contraire, que tout revenu d’ICC qui dépasse le montant des dépôts ci-dessus, a été versé soit dans le compte bancaire d’ICC, soit dans le compte bancaire d’Internorth en règlement d’une dépense autre que les salaires. Ajoutons que les dépôts bancaires effectués, selon les renseignements fournis, par Internorth, entre le 1er janvier 2003 et le 31 mai 2004, s’élevaient à 3 067 663 $, alors qu’en 2003 et en 2004 (période certes plus longue), Internorth a eu un revenu total de 4 314 401 $. Il semble raisonnable de penser que les sommes données comme ayant été déposées dans le compte bancaire d’Internorth correspondent au revenu de cette entreprise pour la période allant du 1er janvier 2003 au 31 mai 2004.

 

[45]         Selon les états financiers d’Internorth, en 2003 (c’est-à-dire au cours d’une partie seulement de la période correspondant à l’annexe détaillant les dépôts bancaires), Internorth a eu un revenu total de 2 724 625 $, ses coûts de vente s’élevant à 2 697 125 $. Ainsi, le revenu d’Internorth n’a dépassé que de 27 500 $ les coûts de vente de l’entreprise, et ne lui aurait donc pas permis de payer les employés d’ICC.

 

[46]         Dans l’arrêt House c. La Reine, 2011 CAF 234, le juge Nadon a fait les observations suivantes au nom de la Cour d’appel fédérale :

30     Pour trancher la question dont elle est saisie, il importe que la Cour garde à l’esprit l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 (Hickman), dans lequel la juge L’Heureux-Dubé a énoncé, aux paragraphes 92 à 95 de ses motifs, les principes qui régissent le fardeau de la preuve dans le domaine de la fiscalité :

 

1.      Dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités.

2.            Le contribuable a la charge initiale de « démolir » les présomptions sur lesquelles le ministre se fonde pour établir sa cotisation.

3.            Le contribuable s’acquitte de cette charge initiale lorsqu’il présente une preuve prima facie.

4.            Lorsque le contribuable a établi une preuve prima facie, le fardeau de la preuve passe alors au ministre qui doit réfuter cette preuve en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’exactitude de ses présomptions (en l’espèce, la présomption que Hunt River détenait à la fin de l’année d’imposition 2002 un placement à long terme de 305 000 $ qu’elle a transféré à l’appelant en 2003).

5.            Si le ministre ne présente aucune preuve satisfaisante, le contribuable a gain de cause.

 

[…]

 

57     À mon avis, le juge en chef adjoint a commis deux erreurs de droit. Premièrement, il a confondu la charge initiale qui incombait à l’appelant de « démolir » les hypothèses du ministre avec le fardeau général qui incombait aux parties de présenter leur preuve respective. Deuxièmement, il a commis une erreur en ne tenant pas compte du témoignage de M. Cole. S’il avait tenu compte du témoignage de M. Cole, comme il aurait dû le faire, il aurait nécessairement conclu, à mon avis, que l’appelant avait présenté une preuve prima facie « démolissant » les hypothèses du ministre. Dans l’arrêt Amiante Spec Inc. c. Canada, 2009 CAF 239, 2009 ACF n603 (QL), la Cour a expliqué comme suit, au paragraphe 23, ce qu’était une preuve prima facie :

 

[23] Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

 

[47]         À mon avis, l’appelant a présenté une preuve prima facie qu’Internorth n’a pas payé les employés d’ICC. Le compte bancaire d’Internorth ne contenait pas assez de fonds pour assumer à la fois ses coûts de vente et rémunérer les employés d’ICC. S’il semble effectivement qu’ICC et Internorth aient eu des revenus supérieurs à ce qu’indiquent les annexes récapitulant les dépôts bancaires, il semblerait que les revenus supplémentaires aient constitué un revenu d’ICC; et, comme le ministre a retenu comme hypothèse qu’ICC n’avait pas remboursé Internorth pour les salaires versés par Internorth, j’estime que l’appelant a effectivement présenté une preuve prima facie qu’Internorth n’a pas payé les employés d’ICC étant donné qu’Internorth n’aurait pas eu les ressources nécessaires pour effectuer de tels paiements.

 

[48]         Le seul élément de preuve qu’ait produit le ministre est le rapport rédigé par l’agent de l’ARC qui a décidé qu’il y avait lieu d’établir à l’égard d’Internorth une cotisation au titre des retenues à la source qui auraient dû être versées, à partir du 5 juin 2003. L’auteur de ce rapport n’a pas témoigné à l’audience, car il ne travaille plus pour l’ARC. Selon ce rapport :

 

[traduction]

 

Il fut décidé, après examen des registres et de la comptabilité, que tout ce qui avait trait à la rémunération se faisait par l’intermédiaire d’Internorth Ltd depuis le 7 juin 2003 (RP0001 et RP0002). Internorth Construction Company éprouvait des difficultés financières et plusieurs créanciers avaient engagé contre la société des actions en justice. L’entreprise, qui n’était pas en mesure de payer ses employés sur le compte bancaire d’Internorth Construction Company, a commencé à tirer les chèques de paie sur le compte d’Internorth Ltd.

 

Le 6 juin 2003, les rémunérations ont donc cessé d’être versées par l’Internorth Construction Company, et ont été, à partir du 7 juin 2003, versées par Internorth Ltd. Les cotisations établies au regard des comptes associés de l’Internorth Construction Company seront annulées et établies à l’égard des comptes de paye en question. Les T4 établis pour 2003 à l’égard des comptes associés seront annulés et remplacés par de nouveaux T4 fondés, pour la période allant du mois de janvier au mois de juin 2003, sur les rémunérations et les retenues d’Internorth Construction Company, et, pour la période allant du mois de juin au mois de décembre 2003, sur celles d’Internorth Ltd.

 

[49]         Rien n’indique quels sont les dossiers et les registres comptables qui ont été examinés, et aucun des registres ou dossiers qui auraient été examinés n’a été produit à l’audience. La thèse de l’intimée semble porter que je devrais, sans recueillir le témoignage de la personne qui a pris la décision à cet égard, et sans avoir pu me pencher sur les documents qui ont été examinés et qui ont donné lieu à cette décision, conclure qu’Internorth a payé les employés d’ICC. Or, sans examiner les documents au vu desquels on est parvenu aux conclusions ci-dessus, il m’est impossible de dire si je tirerais la même conclusion. Ajoutons que l’agent qui a rédigé le rapport s’est exprimé en disant que la rémunération avait été effectuée [traduction] « par l’intermédiaire » d’Internorth et a précisé, à la dernière phrase du premier paragraphe, que l’entreprise […] [traduction] « a commencé à tirer les chèques de paie sur le compte d’Internorth […] ». Cela semble donner à penser qu’ICC continuait à payer les employés, mais effectuait simplement ces versements « par l’intermédiaire » d’un compte d’Internorth, ce qui supposerait qu’Internorth effectuait les paiements en cause en tant que mandataire. Même si j’admettais ce qu’avance cet agent, la cotisation établie à l’égard d’Internorth ne serait pas justifiée, il me semble, étant donné qu’Internorth ne serait pas responsable des retenues à la source si, en payant les employés d’ICC, elle n’agissait qu’en tant que mandataire d’ICC (Marché Lambert et Frères Inc., précitée).

 

[50]         L’avocate de l’intimée a précisé qu’il n’y avait aucun document dans le dossier de l’ARC. Étant donné cette absence de documents, l’intimée n’a pu produire aucun élément pour réfuter la preuve prima facie présentée par l’appelant qui soutient qu’Internorth n’a pas payé les employés d’ICC.

 

[51]         Si Internorth a versé les salaires des employés d’ICC, et qu’ICC n’a pas remboursé Internorth, soit Internorth a payé les salaires en question au moyen de ses propres ressources, soit quelqu’un d’autre a financé ces salaires. Il paraît évident qu’Internorth n’avait pas les ressources nécessaires pour verser ces salaires (qui se seraient élevés, en 2004, à 410 160 $), à moins d’avoir reçu des fonds provenant d’ailleurs. Rien n’indique que quelqu’un d’autre ait financé le paiement des salaires des employés d’ICC. Cela dit, soit l’hypothèse voulant qu’Internorth ait payé les employés d’ICC est inexacte, soit c’est l’hypothèse voulant qu’ICC n’ait pas remboursé Internorth qui est inexacte. Étant donné que l’intimée a retenu comme hypothèse qu’ICC n’avait pas remboursé Internorth, l’appelant n’était pas tenu de réfuter cette hypothèse, mais pouvait s’en prévaloir pour contester l’autre hypothèse, c’est-à-dire celle voulant qu’Internorth ait payé les employés d’ICC.

 

[52]         J’estime que l’appelant a présenté une preuve prima facie de l’inexactitude de l’hypothèse voulant qu’Internorth ait payé les employés d’ICC. La charge de la preuve passe donc à l’intimée, à qui il appartient par conséquent de produire des preuves à l’appui de l’hypothèse voulant qu’Internorth ait payé les employés d’ICC. L’intimée n’a produit aucun élément permettant de réfuter cette preuve prima facie.

 

[53]         Par conséquent, doit être retenue la thése de l’appelant en ce qui concerne la question de savoir si Internorth a payé les employés d’ICC, et je conclus en l’espèce qu’Internorth n’a pas payé les employés d’ICC. Cela dit, si Internorth n’a versé aucun salaire, Internorth n’était pas responsable des retenues à la source, et la cotisation établie à l’égard de l’appelant en sa qualité d’administrateur d’Internorth est annulée.

 

[54]         Étant donné qu’Internorth n’a pas payé les employés d’ICC, la troisième question posée ci-dessus est sans pertinence. Ainsi que nous l’avons relevé plus haut, cependant, il semblerait, selon le rapport de l’agent de l’ARC, que même si le compte bancaire d’Internorth avait servi à payer les employés d’ICC, il se peut qu’en versant la rémunération des employés d’ICC, Internorth soit simplement intervenue en tant que mandataire d’ICC. Ainsi que je l’ai mentionné plus haut, la personne qui, en versant la rémunération des employés de tel ou tel employeur, ne fait qu’agir en tant que mandataire de cet employeur n’est pas, en ce qui concerne les sommes versées à ses employés, responsable du non-versement des retenues à la source.

 

[55]         L’appelant ayant réussi à contester la cotisation sous-jacente d’Internorth, la question de savoir s’il a fait preuve de diligence raisonnable est, elle aussi, dénuée de pertinence.

 

[56]         En conséquence, l’appel interjeté par l’appelant est accueilli avec dépens, et la cotisation établie à son égard, en sa qualité d’administrateur d’Internorth, au titre des retenues à la source qui n’ont pas été versées, et des pénalités et des intérêts y afférents, qui ont servi de base à la cotisation établie à l’égard d’Internorth, est annulée.

 

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 20e jour de janvier 2012.

 

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mars 2012.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 21

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3655(IT)G

 

INTITULÉ :                                       MARVIN G. MARSHALL c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 28 et 29 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 20 janvier 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me April Tate

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Selon le Canadian Oxford Dictionary, 2e édition, le terme [traduction] « rembourser » veut dire « rendre (à la personne qui a déboursé les fonds) ». Selon cette définition, si ICC a avancé à Internorth l’argent permettant à celle-ci de verser les salaires et les traitements des employés d’ICC, on pourrait faire valoir qu’ICC n’a pas remboursé Internorth, étant donné qu’Internorth n’a pas financé les paiements, les sommes en cause lui étant rendues par ICC. Mais, étant donné que « les faits allégués comme hypothèses doivent être précis et exacts », si le ministre partait de l’hypothèse qu’ICC avait avancé l’argent à Internorth afin de permettre à celle-ci de verser les salaires et les traitements, il aurait fallu que cette hypothèse soit clairement énoncée. Quoi qu’il en soit, l’intimée n’a produit aucun élément de preuve démontrant comment Internorth aurait pu être en mesure de verser les salaires en question, pas plus qu’elle n’a offert d’explication à ce sujet. Si l’intimée avait allégué qu’ICC avait avancé à Internorth l’argent nécessaire pour que celle-ci puisse verser les salaires et les traitements, la charge de preuve aurait incombé à la Couronne. Ainsi que l’a relevé la juge Sharlow, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt La Reine c. Loewen, 2004 CAF 146 au paragraphe 11, « Si Sa Majesté allègue un fait qui ne fait pas partie des faits présumés par le ministre, la charge de la preuve repose sur elle ».

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