Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Référence : 2012 CCI 15

 

Date : 20120110

 

Dossier : 2009-2782(CPP)

ENTRE :

ANMAR MANAGEMENT INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

TONY PARROTTINO,

intervenant.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Révisés à partir de la transcription des motifs du jugement rendus oralement le 25 février 2010, à Calgary (Alberta))

 

La juge Campbell

 

[1]              Qu’il soit consigné au dossier que je rends oralement les motifs dans l’affaire AnMar Management Inc., que j’ai entendue mardi. Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du Régime de pensions du Canada (que j’appellerai ci-après le « RPC »).

 

[2]              Le ministre a déterminé que pour les années d’imposition 2006 et 2007 de l’appelante, M. Tony Parrottino, appelé ci-après le « travailleur », était employé aux termes d’un contrat de louage de services. Par conséquent, le ministre a évalué un montant payable par l’appelante au titre des cotisations au RPC à l’égard du travailleur pour ces deux années d’imposition.

 

 

[3]              L’appelante est une entreprise qui fournit des services de consultation en gestion. Le travailleur a déclaré que la société appelante signait tous les contrats commerciaux intervenant avec des tiers et que ceux-ci étaient les clients de l’appelante. Le travailleur était l’unique actionnaire, le directeur ainsi que le président de l’appelante. L’appelante avait son établissement dans la résidence du travailleur, quoique la majeure partie des services aient été fournis chez les clients. 

 

[4]              Selon son témoignage, le travailleur avait constitué une société parce qu’un grand nombre des clients voulaient faire affaire avec une personne morale seulement. Depuis la constitution de l’appelante en société, le travailleur  fournit ses services à celle‑ci de manière exclusive.

 

[5]              Les gains du travailleur dépendaient des bénéfices nets réalisés par l’appelante à la fin de l’année. Le travailleur a témoigné que, sur les conseils d’un comptable, il faisait des retraits de bénéfices nets à titre d’actionnaire afin de réduire son fardeau fiscal. Il ne présentait pas de facture à l’appelante, mais effectuait des retraits, au besoin, tout au long de l’année. Il travaillait autant d’heures qu’il était nécessaire afin d’exécuter les contrats de l’appelante selon les besoins des clients. Les tâches du travailleur comprenaient la fourniture de services, l’obtention de contrats, l’administration, le marketing et la tenue de livres. Malgré qu’il n’ait pas consigné ses heures travaillées, le travailleur tenait un grand livre où étaient inscrits, aux fins de la facturation, les heures travaillées et le taux horaire. Il a déclaré que, mis à part la facturation, il ne servait à rien d’enregistrer ces renseignements.

 

[6]              Le travailleur ne s’est jamais fait remplacer puisque, a-t-il dit, personne d’autre ne pouvait faire le travail qu’il faisait. Il était le « visage » de l’entreprise de l’appelante, et il a dit que, sans lui et sans ses connaissances spécialisées, AnMar ne pourrait exister.

 

[7]              Le travailleur fournissait les outils et l’équipement nécessaires pour exécuter les services, y compris le bureau, le matériel de bureau et, en plus, un véhicule automobile. L’appelante payait tous les frais d’exploitation, dont une somme proportionnelle au titre des frais de bureau et d’automobile, et remboursait au travailleur les dépenses d’entreprise qu’il engageait personnellement.

 

[8]              Selon le ministre, le travailleur ne travaillait pas à son propre compte lorsqu’il fournissait ses services à l’appelante. La société appelante soutient, quant à elle, que le travailleur n’est pas son employé, mais plutôt un entrepreneur indépendant et que, par conséquent, elle n’a pas à verser des cotisations au RPP.

 

[9]              En 2005, la première année d’exploitation de l’entreprise, l’Agence du revenu du Canada (« [l’]ARC ») a procédé à une vérification et a exigé que le travailleur reçoive un feuillet  T4 et paie des cotisations au RPP. Compte tenu de la recommandation de l’ARC, l’appelante a remis au travailleur un feuillet T4 pour l’année d’imposition 2005, mais non pour les années d'imposition 2006 et 2007. Cependant, selon le travailleur et Mme Duncan, la comptable, l’appelante a payé en temps voulu les cotisations au RPP et l’impôt qu’elle devait verser pour ces deux années.

 

[10]         En plus de l’évaluation au titre des cotisations au RPC, le ministre a imposé à l’appelante les pénalités prévues au paragraphe 21(7) du Régime de pensions du Canada (correspondant à dix pour cent du montant que le contribuable est tenu de remettre) et au paragraphe 162(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’appelante soutient que ces pénalités, qui représentent environ 5 800 $, sont excessives.

 

[11]         La question soulevée dans cet appel est de savoir si le travailleur était employé par l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services, en d’autres mots, à titre d’employé, ou s'il l'était en vertu d’un contrat d’entreprise à titre d’entrepreneur indépendant. La décision prise sur cette question permettra de déterminer s’il s’agit d’un emploi assurable et, par conséquent, si le montant de cotisations au RPC établi par le ministre doit être versé.  

 

[12]         Pour déterminer si un individu est un employé ou non, les critères ou les facteurs à retenir sont ceux énoncées dans Wiebe Door Services Ltd. c  M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, 87 DTC 5025 (C.A.F.). Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] A.C.S. n61 (QL), la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 46 et 47, a analysé les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, et elle a déclaré que la question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.

 

[13]         L’intimé a cité plusieurs affaires où il a été décidé qu’une personne qui était l’unique actionnaire et administrateur d’une société était un employé et non un entrepreneur indépendant. Dans Meredith c. La Reine, 2002 CAF 258, la Cour d’appel fédérale a passé en revue les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door et traité de la notion de la « levée du voile corporatif » en droit des sociétés. La Cour d’appel fédérale a dit que  les tribunaux ne peuvent pas lever le « voile corporatif » afin de « qualifier autrement les véritables rapports en fonction de ce qu'ils jugent être la réalité économique qui les sous-tend ».

 

 

[14]         L’intimé a aussi cité plusieurs affaires, y compris Desmarais c. Le ministre du Revenu national, 2006 CCI 329, MacMillan Properties Inc. c. Le ministre du Revenu national, 2005 CCI 654 et  Pro‑Style Stucco & Plastering Ltd. c. La Reine, 2004 CCI 32. Dans toutes ces affaires, la cour a décidé que l’unique actionnaire/directeur d’une société en était aussi l’employé. Cependant, l’avocat de l’intimé n’a cité aucune décision à l’appui du point de vue contraire, à savoir que l’unique actionnaire/directeur d’une société peut aussi être un entrepreneur indépendant, ce que je me serais attendue qu’il fasse si, dans les faits, une telle jurisprudence existe, et elle existe certainement.

 

[15]         La juge Miller, dans la décision Kewcorp Financial Inc. c. La Reine, 2008 CCI 598, le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) dans Zupet c. M.R.N., 2005 CCI 89 et la juge Sheridan dans 765750 Alberta Ltd. c. M.R.N., 2007 CCI 149, pour ne nommer que ceux‑là, ont tous conclu que des contribuables étaient des entrepreneurs indépendants même s’ils étaient uniques actionnaires/directeurs.

 

[16]         Il n’existe pas d’entente écrite entre l’appelante et le travailleur concernant leur relation, mais une chose est claire : la relation que le travailleur avait l’intention d’entretenir avec AnMar était celle d’un entrepreneur indépendant. Je crois que la preuve qu’a produite le travailleur établit que, d’une manière générale, il était suffisamment averti en matière d’affaires pour faire la différence entre le statut d’employé et celui d’entrepreneur indépendant.

 

[17]         L’intimé n’a pas évoqué l’intention comme facteur à retenir, mais, au cours des dernières années, l’intention en tant que facteur s’ajoutant à ceux énoncés dans l’arrêt Wiebe Door a pris de l’importance dans la jurisprudence.

 

[18]         La notion de l’actionnaire/directeur qui est aussi l’employé de la société qu’il possède et contrôle présente certes des difficultés, mais l’existence d’un tel état de choses n’est pas impossible. La question est la suivante : qui, en pareilles circonstances, détient le contrôle?

 

[19]         Le juge Bowman le dit succinctement dans l’affaire Zupet, précitée, aux paragraphes 11 et 12, où il déclare :

[11]      Je penserais que même les avocats ayant l'habitude de jongler dans leur tête avec une variété de fictions juridiques qui ne ressemblent en rien à la réalité pourraient avoir quelque difficulté philosophique à accepter l'idée qu'une personne virtuelle dont le seul cerveau est celui d'une personne qui le possède exerce sur cette personne un degré de contrôle suffisant pour établir une relation de maître-serviteur.

[12]      Et pourtant, c'est exactement ce que les tribunaux ont fait.

 

[20]         Le juge Bowman, au paragraphe 13 de l’arrêt Zupet, poursuit en signalant les difficultés inhérentes à cette notion, et je cite :

[13]      […] Cela est un fait reconnu de réalité commerciale (ou, si l'on veut, d'irréalité commerciale). Quelqu'un peut vendre des produits à son entreprise ou en acheter d'elle ou encore louer des biens à son entreprise ou en louer d'elle. Et quelqu'un peut être l'employé de sa propre entreprise. Je comprends qu'il est généralement admis que l'accord des volontés soit un ingrédient essentiel dans un contrat. On pourrait se demander comment il peut y avoir accord des volontés lorsqu'il n'y a qu'une volonté) - en fait, il s'agit d'une identité ou d'une fusion de volontés. Il semble, toutefois, que cela ne préoccupe personne.

 

[21]         En fin de compte, qu’avons-nous dans cet appel? Il faut d’abord déterminer s’il existe ou non, entre les parties, une entente écrite ou verbale. Il n’y a pas d’entente écrite en l’espèce, mais, s’il en existait une, elle ne suffirait peut-être pas à elle seule à déterminer la nature de la relation entre les parties. Ensuite, il y a un certain nombre de questions auxquelles il faut répondre. Encore une fois, le juge Bowman, au paragraphe 17 de la décision Zupet, a déclaré que les autres questions qui se posent sont les suivantes : les relations juridiques énoncées sont-elles authentiques et obligatoires et non un trompe-l'oeil? deuxièmement, qu’ont fait les parties en réalité? avec quel genre de relation leur comportement est‑il le plus compatible? troisièmement et finalement, quel genre de relation les parties avaient-elles l'intention d'établir? Toutes ces questions se confondent les unes avec les l’autres et se chevauchent. Dans la majorité des cas, on doit les examiner toutes ensemble et y répondre en considérant le contexte que représentent tous les faits de l’affaire. Il importe, dans la plupart des cas, de prendre du recul et de regarder la situation dans son ensemble.

 

[22]         En l’espèce, comme il n’y a aucune allégation de trompe-l’œil, il s’agit de déterminer la nature de l’entente, quoique non écrite, existant entre les parties, soit l’appelante AnMar Management et le travailleur.

 

[23]         Je conclus que le contrat en l’espèce était un contrat d’entreprise, c’est-à-dire un contrat entre un entrepreneur indépendant et la société. Le travailleur fournissait tous les outils, le bureau, l’équipement de bureau et le véhicule automobile. Le travailleur avait aussi des chances de réaliser des profits et pouvait essuyer des pertes. Le revenu du travailleur dépendait directement du profit réalisé ou des pertes subies, selon le cas, par la société. En fait, c’est le travailleur qui faisait réaliser des profits ou essuyer des pertes à la société en obtenant des contrats avec des tiers et en les exécutant. Je ne crois pas qu’il soit possible de déterminer la rémunération du travailleur en l’espèce. Il est vrai qu’il y avait une formule selon laquelle le travailleur recevait les bénéfices nets de la société, mais, en l’absence d’un contrat écrit, le travailleur était libre de signer des contrats pour son propre compte et la société pouvait potentiellement alors n'avoir ni profit ni perte dans une année donnée.

 

[24]         En ce qui a trait au contrôle, le travailleur fixait lui‑même ses heures de travail. La seule raison pour laquelle le travailleur tenait un grand livre où étaient inscrits les heures qu’il travaillait et les taux horaires, c’était la facturation. À part cela, a-t-il déclaré, ces inscriptions n’avaient aucune utilité. Il établissait son horaire de travail en fonction des besoins des clients. Il ne recevait pas de salaire, mais  effectuait plutôt des retraits. Même s’il n’a travaillé pour personne d’autre que la société, les faits présentés ne permettent pas de conclure qu’il n’aurait pas pu le faire s’il en avait fait le choix.

 

[25]         L’application des critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door tend davantage à indiquer que le contrat est un contrat d’entreprise, quoique, en l’espèce, il faut reconnaître qu’il existe des chevauchements. Il ne s’agit pas d’un cas clair. On ne saurait trop insister sur l’importance de l’intention des parties en l’espèce, et je cite à cet égard les décisions Poulin c. La Reine, 2010 CCI 313, et Wolf c. La Reine, [2000] A.C.I. n696 (QL). Visiblement, selon la preuve que le travailleur a présentée, son intention dès le départ, tant en sa qualité personnelle qu’en sa qualité d’âme dirigeante d’AnMar Management, était d’être entrepreneur indépendant. Son témoignage est appuyé par celui de Mme Duncan et par le comportement des parties.

 

[26]         L’intimé a également soutenu que les définitions des termes « employé », « emploi » et « fonction » ou « charge » au paragraphe 2(1) du RPC visent le travailleur parce qu’il est un dirigeant d’AnMar et que la définition du terme « employé » comprend un « fonctionnaire ». Comme j’ai déterminé que le travailleur n’est pas un employé, ces définitions ne sont pas applicables. Il est un dirigeant, mais j’ai conclu qu’il n’est pas un employé, et, puisqu'il ne fournit pas des services aux termes d’un contrat de louage de services exprès ou tacite, il n’est pas compris dans le champ d’application de la définition du terme « emploi ». La définition des termes « fonction » ou « charge » vise un poste qu’occupe un particulier et qui lui donne droit à une « rémunération déterminée ou constatable », mais, en me fondant sur les faits de l’espèce, j’ai conclu que telle n'est pas la nature du travail en cause. La définition se termine ainsi : « […] "fonctionnaire" s’entend d’une personne détenant une telle fonction ou charge », ou, en d’autres mots, une telle fonction ou charge qui lui donne droit à une rémunération déterminée ou constatable


 

[27]         Pour ces motifs, l’appel est accueilli et la décision du ministre selon laquelle le travailleur occupait un emploi ouvrant droit à pension est annulée.

 

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 10e jour de janvier  2012.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mars 2012.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 15

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-2782(CPP)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              AnMar Management Inc. c.

                                                          Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 24 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Campbell

 

DATE DU JUGEMENT ORAL :        Le 25 février 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

Mme Mary Duncan

Avocat de l’intimé :

Me Robert Neilson

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :                                       

 

                                         Nom :      

 

                                    Cabinet :       

 

      

Pour l’intimé :                                     Myles J. Kirvan

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.