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Référence : 2011 CCI 569

Date : 20111221

Dossier : 2011-2377(IT)APP

ENTRE :

SONJA MELANSON,

requérante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE SUSPENSION DU JUGEMENT

Le juge Hershfield

[1]             La requérante sollicite une prorogation du délai imparti pour déposer un avis d’opposition à deux cotisations : l’une concernant l’année d’imposition 2005 et l’autre l’année d’imposition 2006. Toutes deux sont datées du 17 mars 2009.

[2]             Par un affidavit qu’un agent des appels de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a signé en septembre 2011 (le « premier affidavit de l’ARC »), l’intimée affirme qu’un avis d’opposition relatif aux deux cotisations n’a pas été signifié au ministre du Revenu national (le « ministre ») avant le 7 janvier 2011. L’avis d’opposition n’était pas présenté sur le formulaire T400A, mais dans une lettre (la « lettre d’opposition de 2011 » de la requérante) adressée au chef des Appels, au bureau approprié de l’ARC, ainsi que l’exige le paragraphe 165(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

[3]             Par une lettre datée du 27 janvier 2011, la requérante a appris qu’on ne pouvait pas accepter sa lettre d’opposition de 2011, car celle-ci n’avait pas été déposée dans le délai que prescrit la Loi, et qu’il était impossible d’obtenir une prorogation de délai, car le délai prescrit pour en faire la demande était expiré lui aussi.

[4]             Le 14 avril 2011, en dépit du fait qu’elle avait été informée de l’expiration des délais de prescription, la requérante a signifié au ministre des demandes de prorogation des délais dans lesquels déposer des avis d’opposition concernant les années en cause. Par une lettre datée du 18 mai 2011, le ministre a informé la requérante qu’on ne pouvait pas accéder à ses demandes, car elles n’avaient pas été déposées dans les délais prévus par la loi.

[5]             Une demande de prorogation de délai a été déposée auprès de la Cour le 30 juin 2011.

[6]             L’intimée soutient que la demande a été déposée auprès de la Cour au-delà du délai de prescription d’un an et de 90 jours qu’impose l’alinéa 166.2(5)a) de la Loi et qu’il est impossible d’accorder une prorogation. Le volet « 90 jours » de ce délai imparti pour déposer une opposition est énoncé au paragraphe 165(1) de la Loi, et le délai additionnel d’un an qui est prévu pour demander à la Cour une prorogation de délai est visé par l’alinéa 166.2(5)a) de la Loi.

[7]             Une abondante jurisprudence étaye l’argument de l’intimée. Néanmoins, la réponse à la demande soutient que les autres exigences auxquelles il est nécessaire de satisfaire aux termes de l’alinéa 166.2(5)b) de la Loi n’ont pas été remplies. Cette question n’a pas été abordée lors de l’audition de la demande.

[8]             Le délai de prescription d’un an et 90 jours qui s’applique aux demandes en cause prend fin le 15 juin 2010. À première vue, il devrait être évident que les demandes présentées en juin 2011 dépassaient très nettement les délais de prescription énoncés à la fois aux paragraphes 166.1(7) (applicable au ministre) et 166.2(5) (applicable à la Cour) de la Loi.

[9]             Par contre, selon la preuve non contredite et digne de foi de la requérante, l’avis d’opposition relatif aux deux cotisations qui a censément été signifié au ministre le 7 janvier 2011 avait été envoyé plus tôt à l’ARC. En fait, la requérante a déposé une copie de sa lettre antérieure (la « première lettre » de la requérante), qui était quasi identique à sa lettre d’opposition de 2011. La différence pertinente entre ces deux documents, soit la première lettre de la requérante et sa lettre d’opposition de 2011 (laquelle, d’après le premier affidavit de l’ARC, a été acceptée en tant qu’avis d’opposition, quoiqu’il s’agisse d’un avis déposé en retard) est que la première lettre, contrairement à la lettre d’opposition de 2011, n’a pas été adressée au chef des Appels, au bureau approprié de l’ARC, ainsi que l’exige le paragraphe 165(2) de la Loi.

[10]        À ce stade, je signale que l’auteur du premier affidavit de l’ARC a signé un second affidavit qui, à ma demande, a été déposé auprès de la Cour après l’audience (le « second affidavit de l’ARC »). Je reviendrai sous peu à cet affidavit mais, pour le moment, il est important de signaler qu’il accuse réception de lettres antérieures de la requérante. Deux de ces lettres sont mentionnées, mais aucune n’est jointe à l’affidavit. Deux réponses y sont jointes et toutes deux donnent des instructions sur la façon de faire opposition d’une manière conforme au paragraphe 165(2) de la Loi. L’ARC a reçu le 17 juin 2009 la dernière de ces deux lettres qui lui avaient été signifiées. La requérante ne se souvenait plus de l’endroit où la première lettre en cause avait été envoyée et il lui serait donc impossible de dire avec certitude que la lettre que l’ARC a reçue le 17 juin 2009 est celle qu’elle a déposée à l’audience comme étant sa première lettre. Mais il y a quand même lieu de se demander s’il est probable que cette lettre, reçue le 17 juin 2009, soit celle que la requérante a déposée à l’audience et qui, dans les présents motifs, est désignée comme étant sa première lettre. Je conclus selon la prépondérance des probabilités que c’est le cas. L’intimée n’a pas produit la lettre du 17 juin 2009, après avoir pourtant obtenu la chance de le faire, et cela ne fait rien pour me dissuader de tirer cette conclusion.

[11]        Avant de passer à une autre question encore que soulève le second affidavit de l’ARC, je signale ici qu’il y a également une autre lettre de la requérante que l’ARC a reçue et qui est mentionnée dans son second affidavit; cette lettre étaye ma conclusion selon laquelle la première lettre de la requérante a été envoyée en juin 2009. Il s’agit d’une lettre datée de mars 2011, dont une copie est jointe à cet affidavit. C’est une troisième lettre mais, là encore, celle-ci est presque identique aux deux autres de la requérante. Un examen des lettres de la requérante me conforte dans l’idée d’admettre la probabilité que sa lettre du 17 juin 2009 soit celle qu’elle a produite en tant que première lettre ou, si ce n’est pas le cas, qu’elle n’ait pas été différente de ses autres lettres qui ont été soumises à la Cour. C’est-à-dire que je suis arrivé à la conclusion que la requérante a écrit trois lettres d’opposition essentiellement identiques. La lettre du 7 mars 2011 est différente, en ce sens que le renfoncement de la directive d’adressage au chef des Appels est différent de celui qui figure dans la lettre d’opposition de 2011 de la requérante, laquelle, à son tour, est différente de sa première lettre, qui n’a pas été adressée à un agent des appels. Cela me donne à penser que la requérante a essentiellement envoyé à plusieurs reprises la même lettre à l’ARC, avec des changements à peine décelables[1]. Cela, selon toute vraisemblance, inclut la lettre du 17 juin 2009.

[12]        Une autre question encore que soulève le second affidavit de l’ARC est celle de savoir pourquoi la réponse à la lettre de la requérante reçue le 17 juin 2009 n’indique pas à cette dernière que toute opposition excéderait le délai de 90 jours. Ce délai était déjà dépassé de deux jours quand cette lettre a été reçue. C’est-à-dire qu’il aurait peut-être été utile d’aviser la requérante, à ce moment-là, qu’il fallait qu’elle présente une demande de prorogation dès que les circonstances le permettraient, mais avant le 15 juin 2010 au plus tard. Une autre mise en garde, à savoir qu’il était nécessaire d’indiquer les raisons de tout retard et que ce dernier pourrait mener au rejet de la demande, aurait peut-être été utile elle aussi. Il y a peu de doutes dans mon esprit que si cette aide avait été offerte et si, grâce à cela, une demande avait été déposée, le ministre aurait fait droit à une prorogation. Ironiquement, dans une observation écrite à la Cour, l’intimée a fait valoir que même si la lettre que l’ARC avait reçue le 17 juin 2009 était celle que la requérante avait déposée à l’audience comme étant sa première lettre, cette lettre avait été déposée en retard et étant donné que le retard (de deux jours) n’était pas expliqué, elle n’aurait pas pu être admise, conformément aux exigences du paragraphe 166.1(2) de la Loi, en tant que demande de prorogation. Selon cette disposition, la demande doit indiquer les raisons pour lesquelles elle n’a pas été présentée dans le délai imparti.

[13]        Cette observation a été déposée en réponse à ma demande que l’intimée aide la Cour à déterminer la date de la première lettre de la requérante. Le raisonnement était le suivant : s’il était possible de confirmer qu’une lettre acceptée plus tard en tant qu’avis d’opposition avait été reçue plus tôt, la date de réception antérieure pourrait peut-être être reconnue comme celle de la réception de l’avis d’opposition et celle d’une demande de prorogation pour l’application des articles 166.1 et 166.2 de la Loi. Selon mon expérience, l’ARC a, dans des circonstances appropriées, souscrit dans le passé à un tel raisonnement. Toutefois, il n’y a pas eu de concession de cette nature en l’espèce, manifestement à cause du problème des deux jours et de la nécessité déclarée de se conformer de manière stricte au paragraphe 166.1(2).

[14]        L’argument de l’intimée selon lequel, dans le cas présent, le ministre n’accepterait pas que la lettre du 17 juin 2009 de la requérante constitue une demande de prorogation comporte deux aspects : premièrement, comme je l’ai signalé, cette lettre ne répondait pas à l’exigence énoncée au paragraphe 166.1(2), à savoir que la demande doit indiquer les raisons pour lesquelles elle n’a pas été présentée dans le délai imparti et, deuxièmement, elle ne répondait pas à l’exigence en matière d’adressage qui est énoncée au paragraphe 166.1(3). Pour ce qui est de cette dernière exigence, je signale que le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’en faire abstraction, comme il est indiqué au paragraphe 166.1(4). Comme je l’ai mentionné plus tôt, il m’apparaît peu probable que le ministre aurait refusé d’accorder une prorogation en l’espèce. La lettre du 17 juin 2009 de la requérante peut être considérée, implicitement, comme une demande de prorogation de délai de deux jours en vue de déposer un avis d’opposition et priant le ministre d’exercer  le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 166.1(4). La lettre en question fait état de difficultés personnelles suffisantes pour expliquer le retard. Il n’est pas nécessaire que les mots [traduction] « Je suis en retard parce que » figurent dans une demande pour répondre aux exigences du paragraphe 166.1(2). Le ministre est certes en droit – sinon tenu – de conclure, à partir des lettres envoyées, à l’existence implicite de raisons qui expliquent de manière probable un tel retard[2].

[15]        Le second volet de l’argument de l’intimée a trait à l’exigence en matière d’adressage que comporte le paragraphe 166.1(3). L’avocate de l’intimée a invoqué la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Pereira c. R., 2008 CAF 264. Le contexte de cette affaire était que, dans une affaire antérieure : Haight v. R., [2000] 4 C.T.C. 2546, le juge Bell, de la Cour canadienne de l’impôt, avait conclu que l’exigence en matière d’adressage que comporte le paragraphe 166.1(3) était de nature directive et non impérative. Dans l’arrêt Pereira, le juge Bowie avait exprimé son désaccord et conclu qu’il s’agissait d’une exigence impérative[3]. La Cour d’appel fédérale s’est rangée à la conclusion du juge Bowie et est allée jusqu’à dire que la décision Haight était erronée. Ceci étant dit avec égards, je ne crois pas que cette décision empêche forcément un agent de l’ARC d’orienter un document vers la section compétente de l’ARC s’il est on ne peut plus évident qu’une telle mesure s’impose pour que ce document ait un effet quelconque. À mon humble avis, ni les dispositions législatives en question ni l’arrêt Pereira ne vont jusqu’à dire à un agent de l’ARC : vous devez renvoyer la demande au requérant, accompagnée d’une instruction disant de la transmettre à l’agent qui se trouve à l’étage supérieur, parce que la loi dit que vous ne pouvez pas monter l’escalier pour la lui apporter vous-même.

[16]        Dans l’arrêt Pereira, le juge Bowie avait conclu qu’il serait difficile, voire impossible, pour l’Agence de tenir des dossiers appropriés et de veiller à ce que l’on traite avec diligence des oppositions, comme le prescrit le paragraphe 166.1(5), si l’exigence en matière d’adressage n’était pas impérative. Bien que, comme le confirme la décision de la Cour d’appel fédérale, on ne puisse rien reprocher à ce raisonnement, il peut y avoir des cas où l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que le personnel de l’ARC aide un demandeur à se conformer au mandat qui est énoncé au paragraphe 166.1(3)[4]. Je ne veux pas dire par là qu’il faut faire abstraction de l’obligation, imposée par des motifs de commodité administrative, d’adresser certains documents aux bonnes sections de l’ARC. On ne peut pas tout simplement remettre un document urgent à n’importe quel agent de l’ARC quand il est exigé de s’assurer que ce document soit envoyé à l’agent qui a pour responsabilité d’en faire le suivi. Cependant, ce n’est pas là une raison pour qu’un agent de l’ARC ne réachemine pas un document en vue d’aider un contribuable quand les circonstances le justifient clairement.

[17]        Pour en revenir aux affidavits de l’ARC, je ne suis pas d’accord avec l’auteur du premier affidavit de l’ARC quand il indique que, [traduction] « après une recherche et un examen minutieux des dossiers », aucun document faisant état du dépôt d’un avis d’opposition avant le 7 janvier 2011 n’a été trouvé. Dans l’esprit de cette personne, il s’agissait peut-être là d’une déclaration véridique, et je ne sous‑entends pas qu’elle a fait preuve de mauvaise foi, mais je suis d’avis qu’un examen minutieux du dossier aurait dû inclure une divulgation meilleure et plus complète, du genre de celle que contenait le second affidavit de l’ARC. On peut espérer que l’avocate de l’intimée aurait considéré l’affaire sous un angle moins défensif si elle avait su au départ que les lettres de l’ARC n’avaient pas avisé la requérante qu’il fallait qu’elle demande une prorogation, et qu’elles avaient plutôt dit à la requérante comment adresser ses oppositions dans la réponse à la lettre du 17 juin 2009[5].

[18]        Compte tenu du fait que la réponse du ministre à la lettre du 17 juin 2009 donnait des directives erronées à la requérante, je suis d’avis qu’il serait dans l’intérêt de la justice que le ministre applique les dispositions de la Loi qui autorisent à proroger le délai imparti pour déposer les oppositions en question. Je dis « le ministre » parce qu’il existe de nombreuses décisions où l’on souligne que les mesures du type « renonciation » qui concernent le ministre, dans des dispositions telles que les paragraphes 165(6), 166.1(4) et 220(2.1) de la Loi, ne s’étendent pas à la Cour[6].

[19]        Il y a deux voies que le ministre pourrait suivre. Premièrement, je suis d’avis qu’il lui est loisible d’accepter que la lettre reçue le 17 juin 2009 est une demande de prorogation déposée en retard, d’admettre que la raison pour laquelle il y a eu deux jours de retard est évidente et de renoncer aux exigences du paragraphe 166.1(3), conformément au paragraphe 166.1(4). Comme il a été indiqué, le ministre dispose de plus de pouvoirs à cet égard que la Cour.

[20]        La seconde voie consiste à examiner le paragraphe 220(2.1) de la Loi :

220(2.1) Renonciation – Le ministre peut renoncer à exiger qu’une personne produise un formulaire prescrit, un reçu ou autre document ou fournisse des renseignements prescrits, aux termes d’une disposition de la présente loi ou de son règlement d’application. La personne est néanmoins tenue de fournir le document ou les renseignements à la demande du ministre.

[21]        Il ressort d’une simple lecture de cette disposition que le ministre a le pouvoir d’accepter que la lettre datée du 17 juin 2009 – celle qui a été envoyée deux jours seulement après l’expiration de la période de 90 jours qui est prévue pour le dépôt d’un avis d’opposition – constitue un avis d’opposition valide de plus d’une façon. Tout d’abord, cette disposition dénote que le ministre pourrait renoncer aux exigences de l’article 166.1, qui requièrent, comme condition préalable à l’octroi de la prorogation, qu’une demande ait été déposée à cet effet. Ensuite, il est possible de considérer – et cela a déjà été fait – que cette disposition autorise le ministre à proroger le délai imparti pour déposer un document, car il peut renoncer à l’exigence relative au dépôt d’un document mais en faire plus tard la demande[7]. Selon l’une ou l’autre ces deux approches, le ministre pourrait accepter que la lettre du 17 juin 2009 était un avis d’opposition.

[22]        Dans la décision Guest v. R., [2010] D.T.C. 1225 (Eng.) (Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle)), un formulaire prescrit n’avait pas été déposé, comme il était exigé, en vue de demander des prestations fiscales pour enfants. La juge Woods a fait droit à l’appel au motif que le ministre n’avait pas pris en compte les dispositions discrétionnaires que comportent les paragraphes 122.62(2) et 220(2.1) de la Loi. Elle a conclu :

[18]            Étant donné l’intention évidente du législateur selon laquelle le ministre peut renoncer à l’exigence en matière d’avis ou proroger le délai, le ministre aurait dû examiner la question avant de décider de refuser d’accorder les prestations dans leur intégralité.

[23]        Cette affaire, comme celle dont il est question en l’espèce, mettait en cause des directives erronées. Le guide applicable ne disait pas que les prestations pouvaient être refusées si l’on produisait en retard le formulaire prescrit. D’aucuns pourraient dire que le fait d’accueillir un appel pour cette raison-là reviendrait peut-être bien à étendre la compétence de la Cour. Je ne dis pas, du moins pas à ce stade, que je suivrais cette voie.

[24]        En revanche, j’hésite à rejeter la présente demande en critiquant simplement la rigidité de la Loi ou la ligne dure qu’applique l’avocate de l’intimée à l’égard des exigences en matière d’adressage. Une critique, de pair avec une certaine agilité de raisonnement, ont amené le juge C. Miller de la Cour, dans la décision Hoffman v. R., 2010 CCI 267, [2010] 5 C.T.C. 2151, une affaire relevant de la procédure générale, à trancher en faveur d’un requérant qui avait adressé un avis d’opposition au mauvais endroit. Dans cette affaire, le juge a fait remarquer :

[traduction
24]       [...] En l’espèce, l’avis d’opposition, que le Dr Hoffman a clairement dit être un avis d’opposition, a été livré au bureau de district de l’impôt à Halifax, bien qu’il n’ait pas été adressé au chef des Appels. Est-il exagéré de s’attendre à ce qu’un bureau de district qui reçoit un avis d’opposition le transmette au bureau des Appels? Cela me ramène à l’idée que j’ai exprimée plus tôt de faire preuve de collaboration afin de veiller à ce que le contribuable puisse trouver l’issue dans ce labyrinthe inextricable que constituent les procédures fiscales. Autrement dit, le contribuable perd-il son droit de faire opposition s’il envoie un document désigné comme étant un avis d’opposition à l’adresse du chef des Appels d’un bureau de district, même si la mention « chef des Appels » ne figure pas sur le document? Le paragraphe 165(6) de la Loi insiste sur le fait que le ministre peut faire preuve d’une certaine souplesse pour accepter un avis d’opposition valide. Cela doit être tellement décourageant pour le Dr Hoffman, dans les circonstances en l’espèce, de voir que le gouvernement du Canada se fonde sur cette question de libellé mineure pour mettre fin à la détermination opiniâtre, mais empreinte de collaboration, dont il a fait preuve en vue de faire aboutir sa demande. Si le ministre refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accepter l’avis d’opposition dont il est question, alors il me faut chercher ailleurs. Je suis réticent à m’écarter des observations formulées par la juge Miller. Pourtant, l’affaire dont elle était saisie concernait un avis d’opposition à une cotisation. En l’espèce, je suis appelé à me prononcer sur une opposition à une détermination. Il est intéressant de souligner la différence de formulation entre le paragraphe 165(1) de la Loi, qui traite de l’opposition à une cotisation et qui énonce que le contribuable « peut signifier au ministre, par écrit, un avis d’opposition », et le paragraphe 165(1.1) de la Loi, qui prévoit simplement que le contribuable peut faire opposition au montant déterminé. Ainsi, le paragraphe 165(2) de la Loi s’applique‑t‑il aussi aux oppositions aux déterminations ou se limite‑t‑il aux avis d’opposition signifiés par écrit, comme le prescrit le paragraphe 165(1) de la Loi? Je n’ai pas l’intention de tirer quelque conclusion rigoureuse que ce soit sur cette question, mais j’aimerais simplement ajouter cette observation aux considérations que j’ai faites plus tôt concernant l’importance à accorder à l’absence de la mention « chef des Appels » dans le présent appel en particulier, et conclure que le Dr Hoffman n’a pas à subir les conséquences désastreuses de cette omission : il a déposé une opposition valide.

 

 

[25]        Dans le paragraphe qui précède, la mention qui est faite de la « juge Miller » fait référence à la juge V. Miller et à la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Fonds Fidelity Potentiel Mondial c. R., [2010] C.C.I. 108 (procédure générale). Dans cette dernière, la juge V. Miller s’est conformée à la démarche stricte qui a été suivie dans l’arrêt Pereira. Dans la décision Hoffman, le juge C. Miller a évité d’exprimer son désaccord avec la démarche stricte suivie dans l’affaire Fonds Fidelity Potentiel Mondial en établissant une distinction entre les deux affaires. On pourrait dire que la Loi n’étaye pas la distinction dont fait état le juge C. Miller dans l’extrait de la décision Hoffman qui précède en tant que raison pour ne pas appliquer la décision Fonds Fidelity Potentiel Mondial, mais cela, selon moi, ferait abstraction de ce que le juge C. Miller disait réellement dans sa décision : dans certaines circonstances, faire dérailler une opposition ne saurait être toléré.

[26]        Hoffman est la plus récente affaire relevant de la procédure générale que la Cour a instruite sur cette question. Elle donne à penser qu’on sera réticent à voir les droits d’un contribuable dérailler en raison d’une formalité quelconque. La décision Guest tend à faire état plus nettement encore de la même réticence si le ministre n’a pas au moins entrepris, dans des affaires comme celles-ci, d’examiner la question et de déterminer le bien-fondé d’exercer un pouvoir discrétionnaire que le législateur lui a conféré.

[27]        Je renvoie l’affaire au ministre pour qu’il examine s’il est opportun d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accordent les diverses dispositions de la Loi qui aident à veiller à ce qu’un contribuable ait raisonnablement accès à un examen juste et équitable de ses oppositions. La présente affaire justifie la tenue d’un tel examen et, comme on le souligne dans la décision Guest, le ministre a la responsabilité, et non le choix, de le faire. La requérante a pris des mesures raisonnables pour se conformer à la loi et a donné suite à des informations écrites inexactes de la part de l’Agence quand on lui a dit de quelle façon déposer une opposition sans la prévenir qu’elle avait déjà dépassé le délai de prescription de 90 jours. Outre le bien-fondé distinct de la présente demande, qui requiert que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire, il s’agit là de critères que le ministre a déjà appliqués pour exercer le pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 220(2.1)[8].

[28]        Ce raisonnement exige que je ne rende pas une décision définitive à ce stade-ci. Je rendrai la décision qui s’impose après avoir été informé de ce que le ministre aura décidé. Je rappelle à ce dernier qu’il sera peut-être nécessaire de le faire avant le 17 mars 2012[9].

[29]        En terminant, je ferai un bref commentaire sur la démarche que j’ai suivie en renvoyant la présente affaire au ministre. Une variante serait peut-être de rendre une ordonnance portant que le ministre doit exécuter la tâche suggérée ici parce qu’il lui incombe de le faire. Cela n’est pas mon intention, car cette variante soulève des questions de compétence. Une autre variante serait peut-être de qualifier les présents motifs de motifs d’un jugement intérimaire, ou de première des deux parties d’un jugement, en reconnaissant qu’il est nécessaire de régler dans un addenda une question soulevée dans la première partie. Je ne prétends pas adopter une démarche reconnue. Pour dire les choses simplement, je ne suis pas persuadé qu’à ce stade-ci, il soit dans le meilleur intérêt de la justice de rendre un jugement en l’espèce[10].

[30]        En conséquence, je suspends mon jugement dans la présente affaire jusqu’à ce que le ministre ait fait part à la Cour de sa décision.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2011.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de mars 2014.

S. Tasset


RÉFÉRENCE :                                 2011 CCI 569

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-2377(IT)APP

 

INTITULÉ :                                      SONJA MELANSON ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 octobre 2011

 

MOTIFS DE SUSPENSION

DU JUGEMENT :                            L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 décembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour la2 requérante :

La requérante elle-même

 

Représentante de l’intimée :

Kristine Squires (étudiante en droit)

 

AVOCATS INSCRITS
AU DOSSIER :

 

       Pour la requérante :

 

                             Nom :

 

                        Cabinet :

 

              Pour l’intimée :                   Myles J. Kirvan
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada



[1] J’ai mentionné que les lettres étaient essentiellement identiques. Hormis quelques différences dans l’adressage, les seules autres différences que je puis déceler sont l’espacement des paragraphes et l’endroit où les pages prennent fin. Ces différences d’espacement, à ce qu’il semble, ne sont attribuables qu’à des différences dans la taille et l’espacement de l’écriture manuscrite de la requérante.

[2] Je n’ai pas mentionné la question fiscale qui se pose en l’espèce. Comme il n’y a pas de réponse pour pouvoir l’énoncer, je ne puis que présumer d’après les lettres mises en preuve qu’il est question du crédit d’impôt pour enfants du Canada et du fait de savoir si la requérante avait un conjoint qui cohabitait avec elle au cours de la période en cause. Les lettres de la requérante demandent de façon continue que l’on reconnaisse qu’elle était aux prises avec un époux toxicomane, et l’affaire semble, à première vue du moins, militer sérieusement en faveur de la tenue d’une audience afin que l’on puisse déterminer ses conditions de vie durant cette période.

[3] [2008] D.T.C. 2462 (C.C.I.).

[4] Je signale que la lettre d’opposition de 2011 de la requérante comporte deux timbres de réception de l’ARC : l’un daté du 10 janvier 2011, du bureau de Winnipeg, et l’autre du 13 janvier 2011, du bureau de Burnaby, ce qui montre que les oppositions peuvent être - et sont effectivement – orientées vers les bureaux appropriés selon les instructions du personnel de l’ARC.

[5] Selon mon expérience, ce problème de divulgation n’est pas fréquent. En général, les agents de l’ARC et leurs représentants juridiques du ministère de la Justice aident les contribuables de toutes les manières raisonnables afin de s’assurer qu’ils ont accès aux tribunaux. Dans une récente affaire dont j’ai été saisi (numéro du greffe : 2011‑2971(IT)APP), et dans le cadre de laquelle on avait refusé une demande de prorogation de délai parce qu’elle avait été déposée après le délai imparti par la loi, l’affidavit de l’agent de l’ARC énumérait les dates de tous les documents reçus du requérant qui contestaient les cotisations en litige. De nombreuses références étaient faites à des examens minutieux des dossiers de l’ARC, et une copie de toutes les lettres échangées était jointe. Dans cette affaire, j’ai été convaincu que l’on avait accordé à un justiciable qui se représentait lui-même toutes les occasions possibles de contester les conclusions de l’ARC quant au moment où la signification avait eu lieu. En l’espèce, où l’on a évoqué une question additionnelle au sujet du fait de savoir si les exigences de l’alinéa 166.2(5)b) ont été remplies, il est plus important encore de disposer d’un dossier contenant toutes les lettres qui ont été échangées antérieurement.

[6] Les exceptions, dans lesquelles il a été conclu qu’un avis d’opposition non déposé d’une manière strictement conforme aux dispositions du paragraphe 165(2) était néanmoins valide, comprennent les suivantes : Wichartz v. R., [1994] 2 C.T.C. 2334 (C.C.I. (procédure informelle)); Lester v. R., [2005] 2 C.T.C. 2161 (C.C.I. (procédure informelle)) et Schneidmiller v. R., (2009) D.T.C. 1221 (C.C.I.).

[7] Dans l’arrêt Greenpipe Industries Ltd. v. M.N.R., [2007] 1 C.T.C. 85 (Cour fédérale), la Cour fédérale a conclu que le paragraphe 220(2.1) confère au ministre le droit de renoncer à l’obligation de déposer certains documents et, également, celui de proroger le délai imparti pour le dépôt de ces derniers. Voir le paragraphe 13.

[8] Voir Dorothea Knitting Mills Ltd. v. M.N.R., [2005] C.T.C. 64 (Cour fédérale), aux paragraphes 19 et 20.

[9] Il est utile de signaler que les périodes normales de nouvelle cotisation, définies au paragraphe 152(3.1), qui s’appliquent aux années d’imposition 2005 et 2006 de Mme Melanson, expireront le 17 mars 2012.

[10] Voici quelques exemples d’ordonnances intérimaires ou de jugements en deux parties qui servent la même fin : Sutcliffe v. R., [2006] 2 C.T.C. 2267 (C.C.I. (procédure générale)), décision définitive : [2007] 1 C.T.C. 2404; Yankson v. R., [2005] 4 C.T.C. 2511 (C.C.I. (procédure informelle)), décision définitive : [2006] 1 C.T.C. 2391; McCoy v. R., [2003] 4 C.T.C. 2607 (C.C.I. (procédure générale)), décision définitive : [2003] 4 C.T.C. 2959.

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