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Dossier : 2010-3831(GST)I

ENTRE :

MURRAY MCKAY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 3 octobre 2011, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me David Skrypichayko

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Robert Neilson

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise pour la période allant du 1er juillet 2003 au 31 mars 2004 – dont l’avis est daté du 17 septembre 2010 et porte le numéro 1158672 – est accueilli, sans dépens, et la cotisation est annulée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de novembre 2011.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de décembre 2011.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 526

Date : 20111123

Dossier : 2010-3831(GST)I

ENTRE :

MURRAY MCKAY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

[1]              L’appelant, Murray McKay, a fait l’objet d’une cotisation au titre d’un montant de taxe sur les produits et services (« TPS ») impayé de la société Buffet World Ltd. (« Buffet World »), à savoir 20 158,29 $, pour la période allant du 1er juillet 2003 au 31 mars 2004 (la « période en cause »). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi la cotisation à l’égard de l’appelant en tenant pour acquis que ce dernier était un administrateur de droit ou de fait de Buffet World durant la période en cause. L’appelant nie avoir été administrateur de droit ou de fait de Buffet World. Subsidiairement, l’appelant soutient que, même si la Cour concluait qu’il était un administrateur, elle devrait conclure qu’il a fait preuve de diligence et qu’il ne doit donc pas être tenu responsable du montant de TPS impayé de Buffet World.

 

I.       QUESTIONS EN LITIGE

 

[2]              Deux questions sont en litige en l’espèce :

 

(1)              Premièrement, l’appelant était‑il un administrateur de droit ou de fait de Buffet World durant la période en cause, c’est‑à‑dire du 1er juillet 2003 au 31 mars 2004?

 

(2)              Deuxièmement, dans l’affirmative, l’appelant peut‑il se soustraire à la responsabilité prévue par le paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») en invoquant la défense fondée sur la diligence raisonnable?

 

II.      FAITS

 

[3]              L’appelant est un professionnel dans le secteur de l’immobilier commercial. Il se spécialise dans la négociation de baux commerciaux. Il est associé dans la société Barclay Street Commercial Real Estate Ltd., mais il exploite aussi une entreprise au moyen d’une société à numéro dont il est propriétaire et détient le contrôle, 789741 Alberta Ltd.

 

[4]              La relation de l’appelant avec Buffet World a commencé en 2001 ou en 2002, lorsqu’on lui a demandé conseil au sujet du bail pour les locaux où Buffet World avait l’intention d’exploiter un restaurant. L’appelant a été engagé par Ed Pastuszek, qui était alors directeur de l’entreprise et qui songeait à l’acheter de son propriétaire, Wade Werenka. L’appelant a donné son avis sur le bail gratuitement, car cela n’avait pas exigé beaucoup de travail.

 

[5]              À partir du 15 octobre 2002, l’appelant et M. Pastuszek ont tous deux été inscrits dans le registre des sociétés de l’Alberta comme administrateurs de Buffet World. Toutefois, l’appelant a témoigné qu’il ne savait pas pourquoi il avait été inclus dans la liste des administrateurs. Il nie avoir consenti à être nommé administrateur de Buffet World.

 

[6]              En mars 2003, Buffet World éprouvait des problèmes financiers et elle a engagé l’appelant, par l’intermédiaire de la société à numéro de ce dernier, pour renégocier le bail afin d’obtenir des modalités plus favorables. L’appelant a réussi à conclure un nouveau contrat et il a envoyé une facture à Buffet World pour ses services. Cette facture, datée du 15 mars 2003, s’élevait à 53 500 $, TPS incluse. Cette facture n’a pas été payée, et, le 9 avril 2003, l’appelant a inscrit un contrat de sûreté à l’égard de l’équipement de restaurant de Buffet World.

 

[7]              Pendant cette période, le rôle de l’appelant auprès de Buffet World se limitait à servir d’intermédiaire entre Buffet World et le locateur. Ce dernier appelait parfois l’appelant lorsque Buffet World ne payait pas son loyer à temps.

 

[8]              Le 15 mars 2004, l’appelant a conclu, au nom de sa société à numéro, deux transactions qui ont modifié considérablement la relation entre cette société et Buffet World. La société à numéro de l’appelant a acheté l’équipement de Buffet World, à titre de paiement de 32 000 $ sur la facture impayée. De plus, le bail de Buffet World a été cédé à la société à numéro de l’appelant. Suivant cette entente, la société de l’appelant a pris le contrôle des locaux loués où Buffet World exploitait son entreprise. M. Pastuszek a pu continuer à gérer l’entreprise de Buffet World. L’appelant s’attendait à ce que Buffet World continue à payer le loyer conformément au bail, à ce que, après quelques mois, elle commence à rembourser la somme de 21 500 $ restante sur la facture, puis à ce qu’elle rachète l’équipement de restaurant.

 

[9]              L’appelant a expliqué que l’équipement de restaurant n’aurait pas eu une grande valeur s’il avait été vendu lors d’une liquidation de l’entreprise, mais qu’il aurait eu beaucoup plus de valeur s’il avait été vendu parmi les actifs d’une entreprise exploitée activement. C’est pourquoi l’appelant a exigé la cession du bail en plus de la propriété de l’équipement de restaurant. Selon lui, le fait de détenir ces deux actifs lui donnait une meilleure chance d’obtenir la pleine valeur de l’équipement, et ce, en trouvant un nouveau locataire qui exploiterait le restaurant des les mêmes locaux.

 

[10]         Après la conclusion des transactions du 15 mars 2004, l’appelant a joué un rôle plus important dans les activités de Buffet World. M. Pastuszek était responsable des relations quotidiennes avec les fournisseurs, mais il demandait parfois à l’appelant d’appeler des fournisseurs avec qui ce dernier avec une relation, afin d’obtenir des conditions plus avantageuses. Si cela n’exigeait pas trop d’efforts, l’appelant acceptait de le faire, car cela rendait plus probable le remboursement de la dette de Buffet World à son égard.

 

[11]         L’appelant a témoigné qu’il avait encouragé M. Pastuszek à rembourser certaines dettes. Quand le locateur l’appelait pour lui dire que le loyer n’avait pas été payé, l’appelant veillait à ce que M. Pastuszek paye le loyer.

 

[12]         En 2004, lorsque Jack Sample, de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a communiqué avec l’appelant au sujet de cotisations à l’assurance‑emploi et au Régime de pensions du Canada qui n’avaient pas été versées, l’appelant a pris des mesures pour que Buffet World verse ces cotisations. L’appelant se souvient d’avoir rencontré M. Sample en 2005 et d’avoir signé plusieurs documents, mais il ne se souvient pas du compte auquel ces documents avaient trait. L’appelant explique que, comme M. Sample lui avait dit que les dettes fiscales de Buffet World avaient été réglées, il a tenu pour acquis que tout était rentré dans l’ordre.

 

[13]         L’appelant soutient que M. Pastuszek a dirigé Buffet World tout au long de la période pertinente et que Buffet World a continué à exploiter l’entreprise de restauration. L’appelant n’a jamais eu accès au registre des procès‑verbaux, aux états financiers ou aux autres dossiers de Buffet World. L’appelant n’était pas signataire autorisé pour les comptes bancaires de Buffet World. Selon l’appelant, Buffet World employait un aide‑comptable qui, avec M. Pastuszek, était responsable des transactions bancaires ainsi que des versements fiscaux et du respect des obligations fiscales.

 

L’appelant était‑il un administrateur de Buffet World durant la période en cause?

 

[14]         Le paragraphe 323(1) de la Loi prévoit que les administrateurs d’une personne morale sont responsables solidairement de la TPS non versée par la personne morale. Cette disposition est ainsi rédigée :

 

323(1) Responsabilité des administrateurs Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

[15]         Pour l’application du paragraphe 323(1), le terme administrateur s’entend autant de l’administrateur de fait que de l’administrateur de droit. L’administrateur de droit est celui qui a été dûment nommé, conformément aux exigences juridiques formelles du droit des sociétés du territoire pertinent. L’administrateur de fait peut appartenir à l’une des deux catégories suivantes, comme l’a expliqué le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) au paragraphe 23 de la décision Mosier v. R., [2001] G.S.T.C. 124 (CCI) :

 

 

[…] les administrateurs de fait peuvent être apparemment élus en bonne et due forme mais ne pas posséder toutes les capacités nécessaires en vertu de la loi sur les sociétés pertinente, et simplement assumer le rôle d'administrateur sans prétendre à aucune capacité juridique.

 

[16]         L’intimée demande à la Cour de conclure que l’appelant était un administrateur de droit ou, subsidiairement, qu’il était un administrateur de fait. Le ministre a fourni des dossiers tirés du registre des sociétés de l’Alberta pour étayer l’argument selon lequel l’appelant avait été dûment nommé administrateur de Buffet World le 15 octobre 2002 et qu’il était devenu le seul administrateur de cette société le 14 avril 2004.

 

[17]         Dans la décision Lau v. R., [2003] G.S.T.C. 1 (CCI), la Cour s’est penchée sur la question de savoir si la preuve de l’inscription d’une personne comme administrateur est déterminante quant au statut d’administrateur de cette personne. Dans l’affaire Lau, l’appelante avait infirmé la thèse du ministre en démontrant qu’elle n’avait jamais consenti à être nommée administratrice et qu’elle ne s’était jamais présentée comme telle. En l’espèce, l’appelant a présenté des arguments semblables. Il a témoigné qu’il n’avait pas signé les documents par lesquels il aurait été nommé administrateur. La preuve documentaire, qui consiste en des résolutions des actionnaires et des administrateurs non signées, corrobore le témoignage de l’appelant à ce sujet. Ces documents avaient été rédigés par l’avocat de Buffet World et envoyés à M. Pastuszek, mais pas à l’appelant. Rien ne permet de conclure que ces documents aient même été signés. Tout compte fait, il semble que l’appelant n’était vraisemblablement pas administrateur de droit de Buffet World.

 

[18]         La deuxième question est de savoir si l’appelant s’est comporté en administrateur de fait durant la période en cause. La Cour doit donc décider si le degré de participation de l’appelant dans les activités de Buffet World dépassait suffisamment celui du créancier intéressé pour atteindre celui de l’administrateur.

 

[19]         L’appelant a témoigné qu’il avait dû se défendre dans une poursuite intentée contre lui et M. Pastuszek par un demandeur qui soutenait avoir été privé frauduleusement de son intérêt dans Buffet World. Cette poursuite a été rejetée. Il est alors devenu évident que la situation financière de Buffet World s’était tellement détériorée que son entreprise n’était plus viable. L’appelant a essayé de trouver un nouveau locataire pour exploiter l’entreprise de restauration, mais il a dû lui donner l’équipement pour le convaincre de prendre le bail.

 

[20]         L’appelant, qui n’était manifestement pas enchanté par la perspective d’avoir à se défendre de poursuites intentées par des fournisseurs ou des créanciers mécontents de Buffet World, a pris des mesures pour mettre Buffet World sous la protection de la loi sur les faillites. Pour ce faire, il a demandé conseil à Meyers Norris Penny Limited (« MNP »), un syndic de faillite. MNP a avisé l’appelant qu’il lui fallait rétablir la personnalité morale de Buffet World, car la société avait été dissoute parce qu’elle n’avait pas produit ses rapports annuels. Après la réinscription de la société en 2006 par l’intervention de l’appelant, ce dernier a fait établir des documents de la société lui donnant le pouvoir d’obliger Buffet World à faire une cession de faillite. Buffet World a bel et bien fait faillite et, par conséquent, ses dettes sont restées impayées. La créance de l’appelant n’a pas été remboursée et, pour aggraver les choses, l’appelant a dû payer des frais juridiques pour se défendre contre une poursuite frivole.

 

[21]         La preuve donne à penser que la participation de l’appelant dans les activités de Buffet World pendant la période en cause était entièrement motivée par sa volonté de recouvrer intégralement sa créance. L’appelant n’a pas agi en tant que fidèle administrateur de Buffet World, mais plutôt en tant que créancier intéressé qui cherchait à recouvrer sa créance. Je prête foi au témoignage de l’appelant selon lequel il avait encouragé M. Pastuszek à payer certaines dettes parce qu’il était préoccupé par la situation financière d’une société qui lui devait de l’argent. Si Buffet World avait manqué à ses engagements, un autre créancier aurait pu déposer une requête de mise en faillite à l’encontre de Buffet World. Pour s’assurer de recouvrer sa créance à plus long terme, l’appelant s’est occupé de la viabilité financière de Buffet World à court terme. Si l’entreprise de Buffet World échouait, l’appelant n’allait pas être payé.

 

[22]         Pendant la période en cause, la relation de l’appelant avec Buffet World était celle d’un créancier et d’un actionnaire, mais pas d’un administrateur. Il est vrai que l’appelant a finalement assumé le rôle d’administrateur de la société lorsqu’il a commencé à se comporter comme tel, c’est‑à‑dire quand il a obligé Buffet World à faire une cession de faillite et s’est engagé comme garant. Cependant, l’appelant est seulement devenu administrateur de Buffet World après la période en cause. Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli et la cotisation est annulée.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de novembre 2011.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de décembre 2011.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2011 CCI 526

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2010-3831(GST)I

 

INTITULÉ :

Murray McKay c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 novembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me David Skrypichayko

 

Avocat de l’intimée :

Me Robert Neilson

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

David Skrypichayko

 

Cabinet :

Skrypichayko LLP

Edmonton (Alberta)

 

Pour l’intimée :

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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