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Dossier : 2002-2769(IT)G

ENTRE :

ELIAS G. ACKAOUI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 14 avril 2005 à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Christopher Mostovac

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Natalie Goulard

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

 

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») à l'égard de l'année d'imposition 1986 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi à l'égard de l’année d'imposition 1983 est accueilli par consentement.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de septembre 2005.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Référence : 2005CCI416

Date : 20050923

Dossier : 2002-2769(IT)G

ENTRE :

ELIAS G. ACKAOUI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Angers

 

[1]     L’appelant interjette appel des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») à l'égard des années d’imposition 1983, 1985 et 1986. Au début de l’audience, l’appelant a informé la Cour qu’il se désistait de son appel à l'égard de son année d’imposition 1985 et l’intimée de son côté consent à jugement en ce qui concerne l’année d’imposition 1983 de l’appelant. Il s’agit donc d’un litige ne portant que sur l’année d’imposition 1986. L’avis de cotisation initial a été établi le 30 septembre 1987. Le 17 novembre 1987, le ministre a dressé un nouvel avis de cotisation pour l’année en litige et un dernier avis de cotisation le 1er décembre 1994. Pour permettre au ministre d'établir cette dernière cotisation, le comptable de l’appelant, M. Michel Bayouk (le « comptable ») a signé le nom de l’appelant au lieu de son propre nom sur une renonciation à l'application de la prescription faite en vertu du sous‑alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[2]     L’appelant s’est opposé à cette dernière cotisation le 1er février 1995 sans soulever la question de savoir si la cotisation du 1er décembre 1994 était prescrite. La cotisation pour l’année d’imposition 1986 a été ratifiée par le ministre le 25 avril 2002 après l’envoi d’un relevé de compte par ce dernier à l’appelant le 14 novembre 2001.

 

[3]     Il s’agit donc de déterminer si la cotisation du 1er décembre 1994 est prescrite au motif que la renonciation du 16 avril 1990 signé par le comptable de l’appelant est invalide du fait qu’il a signé le nom de l’appelant. Il est à noter que le comptable n’a pas tenté d’imiter ou de contrefaire la signature de l’appelant.

 

[4]     L’appelant et le comptable sont amis. Ce dernier s’occupe de préparer les déclarations de revenus de l’appelant depuis 1980. Il prépare aussi les états financiers d’une société appartenant à l'appelant et ceux de la clinique médicale où celui‑ci exerce sa profession. En 1986, son comptable lui propose de se porter acquéreur d’une participation dans une société en commandite du nom d’Alexis Partnership Limited (« Alexis »). Cette société exerce ses activités dans le domaine de la recherche et du développement. L’appelant a donc, dans sa déclaration de revenu de l’année en litige, demandé en sa qualité de commanditaire une déduction au titre de sa participation et un crédit d’impôt à l’investissement.

 

[5]     Selon l’appelant, ce n’est que lorsqu’il a reçu la cotisation datée du 1er décembre 1994 qu’il a appris que Revenu Canada avait refusé les déductions réclamées dans sa déclaration de revenus de 1986. En fait, il a déclaré n'avoir été avant cette date au courant d’aucun problème concernant ses investissements dans Alexis et a reconnu que son comptable s’occupait de tout cela. Il a déclaré que toute correspondance qu'il recevait relativement à ses impôts était envoyée à son comptable. Il a ajouté que, selon lui, la vérification de la société Alexis relevait du bureau de Vancouver et que cela ne le concernait pas.

 

[6]     Plusieurs autres contribuables se seraient retrouvés avec le même problème, de sorte qu’un groupe s’est formé pour contester le tout auprès de Revenu Canada, et le comptable de l'appelant l’aurait invité à se joindre au groupe. L'appelant aurait effectué un paiement au titre d'honoraires et assisté à une seule réunion. Les services d’un avocat ont été retenus et l’avis d’opposition de l’appelant est d’ailleurs signé par cet avocat. Selon l’appelant, il y aurait eu jugement dans des cas types mais il n’en savait rien (voir Drouin c. La Reine, CCI, 14 décembre 1999, 96‑3190(IT)G, 2000 DTC 1740). Le 25 avril 2002, ou vers cette date, l’intimée faisait parvenir à l’appelant un avis de ratification pour les années d’imposition 1983, 1985, 1986, 1988, 1991 et 1993 de l’appelant. Celui‑ci s’est donc rendu au bureau du même avocat et on l’a informé que l’année 1986 était prescrite. L’avocat a cependant dû se raviser lorsque Revenu Canada lui a fait parvenir la renonciation du 16 avril 1990, laquelle fait l’objet du présent litige. L’appelant a témoigné n’avoir jamais vu le document et ne pas connaître son existence. Il a déclaré qu'à cette date il était à Montréal et aurait pu signer la renonciation. Il a cependant reconnu l’écriture de son ami et comptable, qui a signé le nom de l’appelant.

 

[7]     L’appelant a prétendu n’avoir jamais été mis au courant des démarches entreprises par son comptable à cette époque ni n'avoir été informé de la nécessité de fournir à Revenu Canada une renonciation à l'application de la prescription. Il a ajouté qu’aucun représentant de Revenu Canada n’est entré en contact ni n'a eu de discussions avec lui au sujet d’Alexis.

 

[8]     L’appelant a reconnu avoir signé le 27 avril 1990, à la demande du comptable, une autorisation permettant à Revenu Canada de fournir à son comptable ou au représentant de celui‑ci toute information concernant la déclaration de revenus de l'appelant pour l’année 1989 et les années antérieures ou futures ou d'en discuter avec l'un ou l'autre. L’autorisation nommait le représentant du bureau du comptable à titre de mandataire de l’appelant pour toute affaire concernant ces déclarations. Elle était en vigueur jusqu’à révocation par écrit. L'appelant a déclaré que, lorsqu’il a signé l'autorisation, son comptable ne lui a pas dit qu’il y avait des choses qui ne tournaient pas rond. Il aurait simplement mentionné qu’il avait besoin de cette autorisation mais n’a pas discuté de détails concernant Alexis. L’appelant en a d’ailleurs signé une autre du même genre le 28 avril 1992 et évoque la possibilité d’en avoir signé également avant 1990, mais il ne s'en souvient pas. L’appelant reconnaît aussi avoir déjà autorisé son comptable à signer une déclaration de revenu, soit celle de 1993, alors qu’il était à l’extérieur du pays. Somme toute, il voulait que son comptable s’occupe de tout et les détails étaient laissés à ce dernier parce que l'appelant lui faisait confiance.

 

[9]     En plus d’avoir signé le nom de l’appelant sur la renonciation, le comptable a également signé le nom de l’appelant sur une autorisation semblable à celle décrite ci‑dessus mais faite en faveur de Coopers & Lybrand et se rapportant plus particulièrement aux affaires d’Alexis. Cette autorisation de même que la renonciation en litige ont été reçues en même temps par Revenu Canada à son bureau de Vancouver le 1er mai 1990.

 

[10]    De son côté, le comptable reconnaît avoir proposé à l’appelant et à d’autres la société en commandite Alexis. Il trouvait qu’il s’agissait d’un abri fiscal intéressant. Il a toutefois appris en 1988 et en 1989 qu’il existait un problème concernant cette société en commandite et que des vérifications étaient menées par le bureau de Vancouver de Revenu Canada. Son ancien associé l’a informé qu’ils seraient représentés par Coopers & Lybrand auprès de Revenu Canada à Vancouver.

 

[11]    Selon le comptable, il a discuté de la situation avec l’appelant et l’informait généralement de ce qui se passait, lui faisant savoir notamment que les services d'un cabinet d’avocats avaient été retenus pour représenter l’appelant et les autres. Selon le comptable, Revenu Canada communiquait par écrit avec l’appelant et ils discutaient de son dossier. Il ne sait pas si l’appelant était au courant lorsqu’il a signé le nom de celui‑ci sur la renonciation mais a dit que plus tard l’appelant en a été informé.

 

[12]    Le comptable a déclaré avoir signé la renonciation parce que l’appelant était probablement absent et il a avoué qu’il aurait dû signer son propre nom en ajoutant les lettres « p.p. » signifiant « par procuration ». Il a déclaré qu’avant de signer la renonciation, il en aurait probablement parlé à l’appelant. En principe, a‑t‑il déclaré, il aurait informé l’appelant du fait qu’en signant une renonciation, il évitait une cotisation arbitraire de Revenu Canada et surtout il évitait une cotisation de Revenu Québec parce que, si Revenu Canada avait établi une cotisation arbitraire, Revenu Québec l’aurait fait aussi. Il a déclaré que cette suggestion venait du cabinet d’avocats et qu’il en a discuté avec l’appelant.

 

[13]    M. Bayouk avait déjà signé des déclarations de revenu de l’appelant avant la renonciation et, selon lui, il était autorisé à signer celle‑ci. Il pensait avoir mandat pour le faire et qu’il n’y avait pas de problème à signer la renonciation. Il reconnaît qu’il n’aurait pas fait cela si l'appelant et lui n'avaient pas été amis.

 

[14]    Pour ce qui est des autorisations permettant à Revenu Canada de discuter avec le comptable des déclarations de revenu de l'appelant et nommant le comptable comme représentant de l'appelant, le comptable a témoigné que celle du 27 avril 1990 (onglet 10) a été signée en même temps que la déclaration de revenu de 1989 et qu’il pense avoir obtenu une telle autorisation pour chaque année d’imposition. Quant à la présence de l’appelant à Montréal à la date indiquée sur la renonciation, le comptable ne se souvenait pas si l’appelant était à Montréal ce jour‑là. Il a terminé son témoignage en affirmant qu’il avait aussi discuté avec l’appelant de l’autorisation permettant à Revenu Canada de parler de l’année d’imposition 1986 et des années précédentes avec Coopers & Lybrand et que ce cabinet était son mandataire pour ce qui concernait Alexis (onglet 9). Coopers & Lybrand représentait l’ensemble des investisseurs.

 

[15]    M. Mark Toner était agent des appels à Revenu Canada à l’époque. Il a expliqué qu’il y avait près de 90 contribuables qui étaient impliqués, dont 33 dans la région de Montréal. Il a expliqué que des renonciations deviennent nécessaires lorsque la période de prescription tire à sa fin et que, dans l'affaire Alexis, Revenu Canada en a reçu des 33 contribuables de Montréal. Le document accorde au ministre le pouvoir d'établir une cotisation au‑delà de la période normale de cotisation. Dans l'éventualité où un contribuable refuserait de fournir la renonciation, le ministre pourrait établir une cotisation arbitraire. La règle générale veut que la formule soit préparée par Revenu Canada afin que soit précisée la nature de la renonciation et pour que soient indiquées les références aux dispositions pertinentes de la Loi. M. Toner n'a pu préciser si la renonciation en litige a été préparée par un représentant de Revenu Canada; il a dit seulement qu’il s’agit de la formule utilisée à cette fin. Il a fait remarquer que la question de la renonciation n’a pas été soulevée au stade de l’opposition. La renonciation en litige, sur la formule T2029, fait référence à l’année d’imposition 1986 et spécifie qu’il s’agit des pertes de l’appelant relatives à son investissement dans Alexis et du crédit d’impôt à l’investissement se rapportant à cette société en commandite.

 

[16]    Le procureur de l’appelant soutient que son client n’a appris l’existence de la renonciation que le 26 avril 2002 ou vers cette date. Il prétend donc que son comptable n’avait pas de mandat l’autorisant à signer cette renonciation et encore moins à signer du nom de l'appelant un tel document. De ce fait, la renonciation serait invalide, entraînant ainsi la prescription de la cotisation établie par l’intimée à l’égard de l’appelant le 1er décembre 1994 et ratifiée le 25 avril 2002. Le procureur de l’appelant soutient qu’il existe une obligation de la part de l’intimée de prouver que le formulaire de renonciation a été envoyé au contribuable ou à son représentant légal, afin d’établir que des discussions ont eu lieu concernant l’existence et la nécessité de la renonciation. Le procureur soutient en outre qu'il incombe à l'intimée de prouver que la renonciation a bien été reçue soit du contribuable ou de son représentant légal.

 

[17]    De son côté, la procureure de l’intimée fait valoir que l’autorisation écrite du 27 avril 1990 ne fait que constater un mandat implicite qui existait déjà. Elle ajoute que cette autorisation est suffisamment large pour permettre au comptable de signer une renonciation au nom de l’appelant et que l’appelant est lié par les actes de son mandataire. La procureure de l’intimée soutient également que le caractère avantageux de la renonciation favorise sa validité puisqu’en le signant le comptable a mis l’appelant à l’abri d’une cotisation arbitraire à laquelle se serait greffée une cotisation de Revenu Québec. Elle soutient que la renonciation est un document procédural de routine et que sa signature par le comptable ne constituerait pas un acte juridique extraordinaire nécessitant qu'un mandat précis ait été accordé à cet égard. Finalement, la procureure de l'intimée soutient que l’obligation mentionnée par le procureur de l’appelant n’est pas imposée par la Loi et que la réception d’une renonciation qui paraît valable prima facie suffit à suspendre la prescription et permet d'établir une cotisation pour une année qui serait autrement prescrite.

 

[18]    La Loi permet au ministre d’établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable pour l’année seulement dans certains cas. Le sous‑alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi le permet si le contribuable présente une renonciation au ministre. Le texte de ce sous‑alinéa se lit comme suit :

 

Le Ministre peut, à une date quelconque, fixer des impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie, ou donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition, qu’aucun impôt n’est payable pour l’année d’imposition, et peut,

 

a)         à une date quelconque, si le contribuable ou la personne produisant la déclaration

 

            […]

            ii) a adressé au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, dans un délai de 3 ans de la date de mise à la poste d’un avis de première cotisation ou d’une notification portant qu’aucun impôt n’est payable pour une année d'imposition

            […]

 

[19]    Le formulaire prescrit est le formulaire T2029 qui contient le texte suivant :

 

À l’usage d’un contribuable pour renoncer à l’application de la période normale de nouvelle cotisation applicable à une année d’imposition, tel que défini au paragraphe 152(3.1), pendant laquelle le Ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou des cotisations supplémentaires en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu […]

 

La renonciation doit être signée par le contribuable ou son représentant légal, ou s’il s’agit d’une société, par un dirigeant autorisé.

 

[20]    Le juge Joyal de la Cour fédérale dans CAL Investments Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.F. 199, 90 DTC 6556, a très bien résumé la raison d’être des dispositions de la Loi relatives à la renonciation aux délais de prescription prévus à l’article 152 de la Loi (C.F., aux pages 213 et 214) :

 

Une renonciation semblable à celle qui fait l'objet du présent litige pourrait être considérée comme un accommodement entre la Couronne et un contribuable qui permet d'améliorer l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu et de déterminer de façon plus efficace toute dette découlant de l'application de celle-ci. Compte tenu des délais de prescription prévus à l'article 152 de la Loi à l'égard des cotisations, la Couronne demande une renonciation afin de pouvoir continuer son évaluation dans le cadre d'un processus administratif normal sans devoir se préoccuper des délais. Pour sa part, le contribuable sait très bien que, lorsqu'une cotisation est établie, lui seul a le fardeau de prouver qu'elle est erronée. Ce fardeau devient beaucoup plus lourd si la Couronne, qui voit approcher la fin du délai, établit ce qu'on pourrait appeler une cotisation prématurée dans laquelle elle inscrirait, par mesure de prudence, de nombreux éléments divers que le contribuable devrait réfuter un à un. Dans ces circonstances, le contribuable sera porté à considérer la renonciation comme une solution avantageuse tant pour lui que pour la Couronne et se conformera habituellement à la demande de celle-ci.

 

En outre, dans bien des cas, la renonciation peut se limiter à des questions précises, c'est-à-dire les questions relativement auxquelles le travail d'évaluation n'est pas terminé et qui demeurent effectivement les seuls points non réglés à l'égard desquels la Couronne pourrait décider d'établir une cotisation ou une nouvelle cotisation. Ce genre de renonciation a pour effet de rétrécir la portée de la cotisation et comporte des avantages tant pour la Couronne que pour le contribuable.

 

[21]    Le juge Rip de notre Cour s’est exprimé ainsi dans Bailey c. Le ministre du Revenu national, CCI, 4 juillet 1989, 88‑2034(IT)I, 89 DTC 416, à la page 419 :

 

Un contribuable adresse généralement une renonciation au Ministre lorsque la contestation est engagée sur une ou plusieurs questions spécifiques et que le délai de trois ans dans lequel le Ministre peut établir une nouvelle cotisation est sur le point d’expirer. L’envoi d’une renonciation permet d’éviter que le Ministre fixe une nouvelle cotisation à la hâte; elle permet au contribuable d’examiner encore une fois les rajustements que le Ministre entend effectuer et de formuler d’autres observations au soutien de la réclamation.

 

 

[22]    Cela étant dit, il s’agit maintenant de déterminer si, en l’espèce, le comptable de l’appelant avait un mandat faisant de lui le représentant légal de l’appelant et l’habilitant à faire une renonciation à la prescription en vertu des dispositions de la Loi.

 

[23]    Depuis 1980, l’appelant confie à son ami et comptable toutes ses responsabilités en matière de préparation de ses états financiers et déclarations de revenu. En fait, il a témoigné que tout ce qui touchait ses impôts et toute correspondance provenant de Revenu Canada étaient acheminées vers son comptable pour qu’il s’en occupe. Selon son témoignage, il n’aurait été mis au courant du refus de Revenu Canada d’accorder les déductions et le crédit d’impôt réclamés que lorsqu’il a reçu la cotisation datée du 1er décembre 1994 et il n’était au courant d’aucun problème concernant ses investissements dans Alexis. Pourtant, la documentation soumise en preuve contient un avis d’opposition (onglet 6) signé par l’appelant et daté du 18 août 1992, soit deux ans plus tôt. Cet avis d’opposition concerne l’année d’imposition 1985 et soulève le refus de Revenu Canada d'accorder le crédit d'impôt à l'égard de l’investissement qu’a fait l’appelant dans Alexis en 1985.

 

[24]    Selon son comptable, l’appelant était informé, et il croit sincèrement avoir informé l'appelant des démarches entreprises auprès du bureau de Revenu Canada à Vancouver par l’entremise de Coopers & Lybrand.

 

[25]    J’accepte la version du comptable selon laquelle il avait discuté avec l’appelant de l'avis qu'il avait reçu des avocats voulant qu’il soit avantageux de fournir la renonciation pour éviter l'établissement d'une cotisation arbitraire par Revenu Canada et d'une cotisation semblable de Revenu Québec. Ayant mandaté de façon régulière et continue son comptable pour s’occuper de toutes ses affaires comptables et fiscales, l’appelant, à mon avis, ne peut aujourd’hui faire un choix parmi les décisions et les gestes de son mandataire, particulièrement en rejetant ceux qui peuvent lui nuire.

 

[26]    Le fait pour l'appelant de confier à son comptable de façon systématique toute question se rapportant à Revenu Canada en plus de signer des autorisations permettant à Revenu Canada de discuter de ses affaires fiscales avec son mandataire (le comptable) fait de celui‑ci, à mon avis, le représentant légal de l’appelant, dans le cadre de ses rapports avec Revenu Canada, pour toute question concernant ses déclarations de revenu.

 

[27]    Dans ces conditions, il est difficile de conclure que le comptable n'avait pas, en l’espèce, un mandat suffisamment large pour l’habiliter à consentir, au nom de l’appelant, à une renonciation à l'application de la prescription.

 

[28]    D’un autre côté, même si je devais arriver à la conclusion que l’appelant n'a été mis au courant de l’existence de la renonciation que le 26 avril 2002 ou vers cette date, je ne crois pas que son ignorance de la signature de cette renonciation la rende nulle. En l’espèce, l’appelant a choisi de ne pas s’impliquer dans la gestion de ses affaires fiscales et c’est ce désengagement qui constitue le fondement de la relation de mandat qu’il entretenait avec son comptable, de sorte qu’il ne peut aujourd’hui se soustraire aux conséquences, bonnes ou mauvaises, de ce choix qu’il a fait.

 

[29]    Est-ce que la renonciation est invalide du fait que le comptable a signé le nom de l’appelant et non le sien? Il faut préciser qu’en l’espèce il ne s’agit pas d’un cas où on aurait tenté de contrefaire ou d’imiter la signature de l’appelant. Le comptable a lui-même reconnu que, réflexion faite, il aurait dû signer son propre nom en ajoutant les lettres « p.p. » (« par procuration »). À mon avis, le contexte dans son ensemble, et notamment l’existence d’un mandat, ne fait pas en sorte que la renonciation soit nulle du seul fait que le comptable ait signé le nom de l’appelant. Il s’agit là d’une irrégularité ou d'un vice de forme qui ne constitue pas un acte extraordinaire dans la gestion des affaires fiscales de l’appelant en ce sens que la renonciation et les conséquences qui l’accompagnent étaient plutôt de nature favorable à l’appelant.

 

[30]    Le juge Joyal dans CAL Investments Ltd. (supra) devait décider si l’absence du sceau de la société sur le formulaire de renonciation et l’absence de mandat précis pour signer la renonciation la rendait invalide. Dans cette affaire, le vice-président chargé des finances de la demanderesse avait signé une renonciation au nom de celle‑ci mais on ne lui avait pas conféré de mandat explicite pour ce faire et la renonciation ne portait pas le sceau de la société, alors que le formulaire utilisé à l’époque spécifiait que, si le contribuable était une société, le formulaire devait porter le sceau de cette société. Le signataire n'était pas investi du pouvoir d’apposer ce sceau mais avait un mandat général lui confiant la gestion des affaires financières et fiscales de la demanderesse. Voici un extrait de la conclusion, où le juge Joyal expose sa compréhension du caractère particulier d’une renonciation faite en vertu de la Loi (pages 216 à 218) :

 

Après avoir examiné les faits dont j'ai été saisi et les nombreux arrêts que les avocats ont cités, je suis d'avis que l'apposition du sceau corporatif est une exigence directrice seulement. À mon avis, la prescription imposée par le ministre à cet égard lui permet de s'assurer qu'il peut reporter en toute sécurité l'établissement d'une nouvelle cotisation et qu'il peut se fonder sur le fait que la société contribuable est liée par la renonciation. En l'absence de circonstances inhabituelles, telle une imitation de signature, le contribuable ne serait pas en mesure de répudier la renonciation une fois le délai de prescription expiré.

 

À la lumière des faits qui ont été établis devant moi, aucune circonstance inhabituelle de cette nature ne peut être invoquée ici. Je n'ai aucun doute sur le fait que M. Briggs, en qualité de vice-président des finances, avait le pouvoir implicite de consentir à une renonciation. Il était bien conscient du but de la renonciation et, même si on ne lui a pas demandé auparavant de signer une renonciation au nom de son entreprise, il savait en quoi consistait une renonciation, en raison de l'expérience qu'il avait acquise comme comptable agréé. Il l'a signée sans hésitation. Il a présumé (et, à mon avis, il avait raison) que, en l'absence de renonciation, une cotisation serait immédiatement établie. Il n'a pas jugé nécessaire de signaler la question à l'attention des administrateurs. Il a cru que cette tâche faisait partie de ses responsabilités comme vice-président des finances. Effectivement, pendant quelques années, il s'est occupé des aspects fiscaux de la gestion de l'entreprise et il a signé plusieurs déclarations d'impôt au cours des années antérieures. M. Briggs n'avait évidemment aucun pouvoir explicite quant à l'utilisation du sceau, mais je dois conclure, à la lumière de la preuve, que s'il avait le pouvoir implicite de signer les déclarations d'impôt de l'entreprise, il avait aussi celui de signer une renonciation.

 

L’autre aspect important du présent litige est le fait que la prescription imposée par le ministre est, à mon sens, avantageuse pour celui-ci. Pour les raisons déjà mentionnées, c'est une mesure de protection du ministre et celui-ci peut, dans les circonstances appropriées, y renoncer. La position du ministre à cet égard est analogue à celle de toute personne qui a le privilège de renoncer à une condition établie en sa faveur.

 

En outre, cette renonciation, bien que la forme en soit prescrite, ne constitue pas une obligation législative qui est imposée à un contribuable et à l'égard de laquelle des moyens de contestation d'origine législative pourraient être soulevés dans les cas appropriés. Une renonciation semblable à celle qui est prescrite en l'espèce est un accord mutuel par lequel le contribuable et la Couronne acceptent que le délai de l'évaluation soit prolongé pour des raisons avantageuses pour les deux parties, ni plus, ni moins. La preuve indique clairement que M. Briggs a signé volontairement la renonciation avec l'intention de la rendre valide comme renonciation liant l'entreprise. D'après la réalité de la situation que j'ai décrite, la renonciation n'était pas importante aux yeux de M. Briggs.

 

Dans ces circonstances, peut-on dire maintenant qu'en raison du non-respect d'une formalité prescrite par le ministre, comme l'apposition du sceau corporatif sur la formule de renonciation, le document doit être considéré comme nul et non avenu et dénué de toute portée juridique? Si j'en arrivais à cette conclusion, à mon humble avis, j'accepterais par le fait même les arguments allégués par l'avocat de la demanderesse selon lesquels la question doit être examinée à l'intérieur des limites restreintes de la formule prescrite, dans le contexte encore plus restreint des conditions du ministre qui sont imprimées, et qu'il ne faut pas tenir compte du fond et du caractère mutuel de la renonciation. Il faudrait faire une interpolation stricte ou littérale des diverses doctrines d'interprétation proposées par l'avocat de la demanderesse et conférer aux formalités liées à la formule de renonciation un caractère absolu et inviolé, ce qui, à mon avis, n'est pas justifié.

 

Si une déclaration d'impôt non signée peut être jugée valide, comme dans l'arrêt Hart Electronics, ou qu'une renonciation signée par une entreprise peut être considérée comme un document liant une autre entreprise, comme dans l'arrêt Simard-Beaudry, je ne vois pas pourquoi, dans les circonstances particulières qui me sont soumises, un document destiné à lier l'entreprise et signé en son nom par un dirigeant supérieur qui possède, à tout le moins, le pouvoir implicite de le faire pourrait maintenant être répudié pour le motif que l'une des conditions prescrites dans ledit document n'a pas été respectée. On pourra dire que le ministre a pris un risque lorsqu'il a accepté la renonciation de la demanderesse alors que celle-ci ne comportait pas de sceau corporatif. Cependant, il ne s'ensuit pas pour autant que la demanderesse peut répudier la renonciation pour ce motif.

 

Je dois donc en venir à la conclusion que, malgré les arguments ingénieux qu'a invoqués l'avocat de la demanderesse pour dire le contraire, le sceau corporatif constitue une exigence discrétionnaire avantageuse pour le ministre, que la lacune que comporte la renonciation n'entraîne pas la nullité de celle-ci et que la cotisation établie subséquemment est valide à tous égards.

 

[31]    Le procureur de l’appelant s’est appuyé sur les propos qu'a tenus la juge Campbell de cette Cour dans l’affaire Loyens c. Canada, [2003] A.C.I. no 204 (Q.L.), [2003] 3 C.TC. 2381.

 

[32]    Dans cette affaire, la juge Campbell, dans une opinion incidente, a commenté à la fin de ses motifs les arguments des avocats concernant la validité de la renonciation faite dans cette cause. Sur cette question, la juge considérait comme invalide une renonciation signée par le frère d’un contribuable, qui n’était pas le représentant légal de ce contribuable, parce que le formulaire précise qu’il doit être signé par le contribuable ou son représentant légal. Ce cas se distingue de celui qui se présente en l’espèce en ce que, ici, le comptable était le mandataire et le représentant de l’appelant, ce qui n’était pas le cas du frère dans l’affaire Loyens.

 

[33]    On peut toujours, dans un dernier temps, se poser la question de savoir si l’Agence des douanes et du revenu du Canada a une obligation de diligence dont dépend la validité de la renonciation. L’avocat de l’appelant soutient que l’intimée devait être en mesure de prouver que le formulaire de renonciation avait été envoyé au contribuable ou à son représentant pour justifier qu’il y a une transaction impliquant une discussion dont une connaissance de l’existence du document et que la renonciation a bien été reçue soit du contribuable ou de son représentant. En raison de la conclusion à laquelle je suis arrivé, à savoir qu’il existait un mandat conféré par l’appelant au comptable, il importe peu de savoir si le formulaire de renonciation a été envoyé à l’appelant ou à son comptable et s'il a été retourné à l’intimée par l’appelant ou par son comptable.

 

[34]    Cela nous amène aussi à nous demander si, dans le cas où je serais arrivé à la conclusion qu’il n’existait pas de mandat et que l’intimée aurait reçu une renonciation qui à première vue paraissait avoir été signé par le contribuable, aurait‑elle été à ce moment-là dans l’obligation d’aller plus loin peu importe que la renonciation eût été envoyée au contribuable ou à son représentant et retournée par l'un ou par l’autre? En l'espèce, la renonciation porte apparemment la signature du contribuable et, à mon avis, il faudrait des circonstances exceptionnelles pouvant alerter les représentants de l’intimée et les amener à douter de l'authenticité de cette renonciation. Il serait absurde d’imposer à l’intimée une obligation de vérifier l’authenticité des signatures apparaissant sur toutes les renonciations qu’elle reçoit.

 

[35]    Je conclus donc que la renonciation est valide et que, de ce fait, la cotisation du 1er décembre 1994 pour l’année d’imposition 1986 n’est pas prescrite. L’appel relatif à cette année d'imposition est rejeté et l’intimée aura droit à ses dépens. L’appel pour l’année d’imposition 1983 est accueilli par consentement et l’appelant se désiste de son appel pour l’année d’imposition 1985.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de septembre 2005.

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI416

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2002-2769(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Elias G. Ackaoui et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 14 avril 2005

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 16 août 2005

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :   le 23 septembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Christopher Mostovac

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Nathalie Goulard

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                   Nom :                             Me Christopher Mostovac

 

                   Étude :                            Mostovac Starnino

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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