Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2009-2973(IT)I

ENTRE :

KAREN ROSS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu les 3 et 4 mai 2010, à Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

Devant : L’honorable juge Gaston Jorré

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Holly Popenia

 

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté des déterminations effectuées au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années de base 2005, 2006 et 2007 est accueilli, avec dépens de 600 $, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle détermination, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 8e jour de novembre 2011.

 

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de mars 2012.

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

Référence : 2011 CCI 515

Date : 20111108

Dossier : 2009-2973(IT)I

ENTRE :

KAREN ROSS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Jorré

Introduction

[1]              L’appelante, Karen Ross, interjette appel des déterminations du ministre du Revenu national (le « ministre ») et elle soutient qu’elle a droit à la prestation fiscale canadienne pour enfants (la « PFCE ») ainsi qu’au crédit pour taxe sur les produits et services (le « crédit pour TPS ») à l’égard de sa fille et de son fils pour la période de juillet 2006 à juin 2009 inclusivement[1].

[2]              Le présent appel a été entendu sous le régime de la procédure informelle et l’audience a duré presque un jour et demi. La version originale des présents motifs est en anglais.

[3]              Le ministre a autorisé le père, John Ross, à demander à la fois la PFCE et le crédit pour TPS.

[4]              Voici le nœud essentiel de la présente affaire : quel est le parent qui a assumé principalement la responsabilité du soin et de l’éducation de la fille et du fils : Karen Ross ou John Ross?

[5]              Cette exigence est énoncée à l’alinéa b) de la définition du « particulier admissible », à l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »); selon cette définition, « […] à un moment donné, [le] particulier admissible à l’égard d’une personne à charge admissible […] » est :

b) […] la personne – père ou mère de la personne à charge – qui :

(i) assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge […]

[6]              Le critère de « la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation » appelle l’appréciation globale de la situation[2]. On peut parler du « critère du principal fournisseur de soins ».

[7]              À l’alinéa h) de la définition du « particulier admissible », il est précisé que « les critères prévus par règlement serviront à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne ».

[8]              L’article 6302 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement ») énonce les critères dont il faut tenir compte :

6302. Pour l’application de l’alinéa h) de la définition de « particulier admissible » à l’article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne à charge admissible :

a) le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

b) le maintien d’un milieu sécuritaire là où elle réside;

c) l’obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

d) l’organisation pour elle d’activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

e) le fait de subvenir à ses besoins lorsqu’elle est malade ou a besoin de l’assistance d’une autre personne;

f) le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

g) de façon générale, le fait d’être présent auprès d’elle et de la guider;

h) l’existence d’une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

Ces facteurs ne sont pas exhaustifs.

[9]              La détermination requise est essentiellement une question de fait.

[10]         De façon générale, le ministre n’a pas soutenu que l’appelante ne satisfaisait pas aux autres conditions d’admissibilité.

[11]         En particulier, il n’est pas controversé par le ministre n’a pas contesté que, hormis une brève période au cours des étés de 2007 et de 2008, les enfants ont résidé avec l’appelante; en effet, vu les éléments de preuve qui m’ont été produits, je ne peux que conclure que les enfants ont résidé avec les deux parents[3]. J’analyserai plus loin la question de la résidence au cours de cette brève période en cause.

[12]         La présente affaire, à l’instar de nombreuses autres soumises à la Cour, met en cause deux parents attentionnés qui, tous deux, s’occupent de très près de la vie de leurs enfants.

[13]         Récemment, mais après la période en cause, le législateur a modifié la loi afin de permettre le fractionnement de la PFCE dans certaines circonstances où la garde des enfants est partagée.

[14]         Ces modifications ne s’appliquent pas à la période visée en l’espèce et la loi est souvent difficile à appliquer dans une affaire comme celle-ci, parce que la PFCE ne peut pas être fractionnée.

[15]         Cependant, la PFCE est versée mensuellement et la détermination du parent admissible doit être faite pour chaque mois; de la même façon, le crédit pour TPS est versé trimestriellement et la détermination doit être faite pour chaque trimestre.

Les faits

[16]         L’appelante, Janet LeBlancq et John Ross ont témoigné, et de nombreuses pièces ont été déposées.

[17]         Je retiens le témoignage de l’appelante et celui de John Ross; je conclus que tous deux se sont efforcés d’exposer au mieux de leur mémoire. Je conclus également que la perception qu’ils ont des faits est différente, ce qui n’est pas surprenant, étant donné que chacun d’eux a vécu avec les enfants à des moments différents.

[18]         Dans l’ensemble, j’accorde un peu plus de poids au témoignage de l’appelante, qui a été plus détaillé. Cela peut être dû au fait que sa mémoire était meilleure; en ce qui concerne le temps que les enfants ont passé avec elle en 2006 et, dans une moindre mesure, en ce qui concerne 2007, son témoignage a été plus détaillé, parce qu’elle a pris soin à l’époque de noter avec qui les enfants se trouvaient[4].

[19]         La fille de l’appelante est née en octobre 1989 et son fils en septembre 1991.

[20]         Les parents se sont séparés en 1998 et ont divorcé en 2000.

[21]         L’accord de séparation[5] conclu entre l’appelante et John Ross stipulait qu’ils avaient la garde conjointe des enfants et qu’ils se consulteraient pour toutes les questions importantes les concernant.

[22]         L’accord stipulait que les deux parents devaient avoir un accès raisonnable et large aux enfants et qu’ils passeraient leur le temps de ces derniers avec leurs les parents selon un calendrier dont ceux-ci conviendraient.

[23]         L’accord stipulait également que les enfants vivraient principalement avec l’appelante, mais il était prévu qu’ils vivraient avec leur père au moins 40 % du temps.

[24]         L’accord stipulait notamment que l’appelante recevrait [traduction] « tout crédit d’impôt pour enfants »[6].

[25]         Les enfants ont grandi sur l’île Hornby et y ont fréquenté l’école primaire.

[26]         Cependant, après leurs études primaires, les enfants ont dû fréquenter l’école à Courtenay, sur l’île de Vancouver. La fille a commencé à le faire au milieu de l’année 2002, et le fils en mai 2004.

[27]         John Ross a acheté une maison à Courtenay au milieu de l’année 2005.

[28]         Avant cette époque, les enfants passaient habituellement quatre jours par semaine chez leur mère et les trois autres chez leur père. La maison du père et celle de la mère étaient situées l’une en face de l’autre, de chaque côté de la même route.

[29]         Cet arrangement a changé après que John Ross eut acheté la maison à Courtenay.

[30]         Après l’achat de la maison à Courtenay, John Ross a conservé la maison qu’il avait sur l’île Hornby.

[31]         Pour se rendre de l’île Hornby jusqu’à l’école située à Courtenay, il faut prendre le traversier qui relie l’île Hornby à l’île Denman, traverser l’île Denman, prendre le traversier qui relie l’île Denman à l’île de Vancouver et, enfin, parcourir une distance de 20 à 25 km entre la gare du traversier et l’école.

[32]         Pour le retour, vu l’heure de départ du dernier traversier, il était peu pratique pour les enfants de prendre part à certaines activités postscolaires tardives.

[33]         Le vendredi était différent des autres jours de la semaine, car, pour rentrer à la maison, il était possible de prendre un traversier qui partait à une heure plus tardive[7].

[34]         En particulier, certaines activités sportives qui comportaient des séances d’exercice ayant lieu tôt, juste après l’école, finissaient à temps pour que les enfants puissent prendre le [traduction] « dernier » autobus scolaire et ensuite le dernier traversier, mais ce n’était pas le cas d’autres activités sportives lorsque les séances d’exercice se déroulaient plus tard.

[35]         En général, les activités sportives qui comportaient des séances d’exercice ayant lieu tôt étaient destinées aux élèves de la 8e à la 10e années, et celles qui comportaient des séances d’exercice ayant lieu plus tard étaient destinées aux élèves de la 11e et de la 12e années[8].

[36]         À part le fait de rester chez leur père, les activités sportives n’étaient pas la seule raison pour laquelle les enfants voulaient parfois rester tard à Courtenay. Parfois c’était pour fréquenter des amis, et parfois aussi pour passer la nuit chez eux à Courtenay, et ce, avant même que le père y achète une maison.

[37]         La fille a commencé à fréquenter l’université à Victoria en septembre 2007. C’est donc dire qu’à partir de ce moment-là, durant l’année scolaire, elle n’a vécu, la plupart du temps, chez aucun de ses parents.

[38]         Le tableau qui suit résume le niveau où se situait chaque enfant pour chaque année scolaire :

 

Année scolaire

Niveau (fille)

Niveau (fils)

2002-2003

8 C

6 H

2003-2004

9 C

7 H

2004-2005

10 C

8 C

2005-2006

11 C

9 C

2006-2007

12 C

10 C

2007-2008

Université V

11 C

2008-2009

Université V

12 C

Les périodes en cause sont indiquées en italiques et en caractères gras.

C = Courtenay

H = île Hornby

V = Victoria

[39]         L’appelante et John Ross possédaient un centre de villégiature sur l’île Hornby. Les choses ne sont pas tout à fait claires, mais il semble que, par suite de l’accord de séparation, John Ross est devenu l’unique propriétaire de ce centre.

[40]         En 2005, l’année même où il a acheté une maison à Courtenay, John Ross a vendu le centre de villégiature à un groupe communautaire local. Malheureusement, ce groupe a éprouvé de sérieuses difficultés et, de ce fait, il a embauché John Ross pendant quatre mois, au cours de l’été de 2006, pour diriger le centre.

[41]         Les efforts faits pour redresser la situation du centre de villégiature ont pris fin quand le titulaire de l’hypothèque de premier rang a procédé à sa saisie.

[42]         En 2007, John Ross, de concert avec d’autres personnes, a racheté le centre de villégiature, qu’il a ensuite dirigé.

[43]         À partir de 2007, le centre de villégiature a été ouvert sept jours sur sept durant l’été, du jeudi au dimanche entre, environ, la longue fin de semaine du mois de mai et l’Action de grâces, ainsi que deux nuits par semaine au cours de la saison hivernale[9].

[44]         Par conséquent, durant la période en cause, John Ross a passé un certain temps sur l’île Hornby, où il possédait encore une maison, pendant l’été surtout.

[45]         En ce qui concerne les facteurs à prendre en considération qui sont énumérés à l’article 6302 du Règlement, c’est le tableau général suivant qui ressort des éléments de preuve[10] :

a)    Les facteurs 1 et 2 : surveillance des activités et des besoins quotidiens et maintien d’un milieu sécuritaire

Quand les enfants se trouvaient avec l’un ou l’autre des parents, ce parent-là fournissait une maison où les enfants résidaient, ainsi que les repas et les déjeuners à prendre à l’école, et il assurait la surveillance nécessaire. Évidemment, étant donné qu’au cours des années en question les enfants étaient adolescents, la surveillance exercée était moins fréquente et souvent moins stricte que s’il s’agissait de jeunes enfants.

b)    Les facteurs 3 et 5 : prise des dispositions quant aux soins médicaux réguliers et le cas échéant, en cas de maladie ou de toute situation où les enfants ont besoin de l’assistance d’autrui

En général, les enfants étaient en bonne santé, mais, là encore, quand quelque chose survenait inopinément, c’était le parent ayant la garde de l’enfant qui répondait au besoin en question.

C’était l’appelante qui veillait à prendre les rendez-vous chez le médecin et chez le dentiste. L’appelante, semble-t-il, payait la quasi-totalité des rendez-vous chez le dentiste et c’est aussi elle qui obtenait une assurance médicale supplémentaire. Comme les enfants étaient en bonne santé, le temps consacré à leurs besoins sur le plan de la santé n’était pas considérable.

c)    Les facteurs 4 et 6 : organiser des activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables et y prendre part, ainsi qu’être présent auprès des enfants et les guider

Les deux parents jouaient un rôle actif, mais surtout l’appelante, notamment en ce qui concernait les voyages à l’extérieur[11].

d)    Autres éléments ne faisant pas partie des facteurs énumérés

Dans l’ensemble, on peut dire de façon générale que l’appelante semble avoir fait plus d’efforts que le père pour prendre soin de ses enfants quand ils n’étaient pas en sa compagnie.

Au cours de la période en cause, l’appelante a amené les enfants en vacances, mais pas le père, à cause du conflit entre la période scolaire et l’obligation d’être présent au centre de villégiature en haute saison[12].

[46]         Enfin, il est important de tenir compte du temps passé avec chaque parent. D’après les éléments de preuve antérieurs que j’ai exposés, l’on se serait attendu à ce que les enfants passent plus de temps avec le père après que celui-ci eut acheté la maison à Courtenay. On se serait peut-être attendu aussi à ce que, lors des semaines scolaires ordinaires, le programme antérieur de quatre jours chez un parent et trois jours chez l’autre soit inversé et passe de trois jours chez l’un et quatre jours chez l’autre.

[47]         Cependant, le temps réellement passé avec chacun l’eux dépend non seulement de la disponibilité de la maison du père, des activités avec les amis et des activités sportives, mais aussi des longues fins de semaine, des congés scolaires à l’époque de Noël et, au printemps, de la présence du père sur l’île Hornby durant l’été, etc.

[48]         Le père a déclaré qu’une fois qu’il a disposé de la maison à Courtenay, les enfants ont vécu avec lui la plupart du temps. Il a dit aussi qu’il s’inquiétait de la fréquence avec laquelle sa fille séjournait chez des amis à Courtenay avant qu’il y achète une maison.

[49]         Son témoignage a été un peu plus détaillé au sujet de la période estivale. Au cours de l’été de 2006, les enfants ont vécu entre les deux maisons situées sur l’île Hornby, comme cela avait été le cas avant que le père achète une maison à Courtenay.

[50]         Selon le témoignage du père, au cours de l’été de 2007, les enfants ont travaillé au centre de villégiature; la fille est restée avec lui tandis que le fils est resté avec les deux, mais surtout avec lui.

[51]         Selon son témoignage, à l’été de 2008, la fille a fait la navette entre les deux parents au cours des mois de mai et de juin, mais, par la suite, elle est restée principalement avec lui. Avant le mois d’août, le fils a fait la navette entre les deux parents; après le mois d’août, le fils a travaillé comme cuisinier au centre de villégiature et, vu ses longues heures de travail, il est resté avec le père à plein temps jusqu’à la fin de l’été.

[52]         Je relève que l’appelante a occupé sa maison pendant tout l’été de 2006, mais qu’elle l’a louée au cours de l’été de 2007 pour une période d’environ six semaines, depuis le milieu du mois de juillet jusqu’à la fin du mois d’août. Elle a acheté une petite roulotte, qualifiée de fifth wheel (semi-caravane), pour y vivre pendant que la maison était louée. La semi-caravane étant petite, elle avait aussi une tente où les enfants pouvaient loger[13].

[53]         En 2008, l’appelante a loué sa maison pour la totalité du mois de juillet et du mois d’août et, une fois de plus, elle s’est installée dans la semi-caravane.

[54]         Les deux parents ont convenu que leur fille n’était pas friande à l’idée de vivre sous la tente, mais, comme l’appelante l’a déclaré, et je retiens son témoignage, il arrivait parfois que sa fille reste avec elle[14].

[55]         L’appelante s’est également exprimée sur le temps passé par les enfants chez chacun des parents, et elle a produit la pièce A‑34, concernant l’année 2006, ainsi que la pièce A‑35, concernant l’année 2007. Ces deux documents présentent une ventilation mensuelle détaillée du nombre de jours passés chez chacun des parents, ainsi que le nombre de jours passés ailleurs que chez eux.

[56]         La pièce A‑34 est inspirée d’un document que l’appelante tenait à l’époque, tandis qu’en janvier 2007, l’appelante a subi une chirurgie majeure et, de ce fait, n’a pas tenu les mêmes documents que pour 2006. Pour produire la pièce A‑35, il a fallu que l’appelante reconstitue le temps passé en 2007.

[57]         Je relève que l’appelante a déclaré que, certaines des nuits où les enfants ont vécu en sa compagnie étaient des nuits où elle séjournait dans la maison du père à Courtenay, lorsqu’il n’y était pas.

[58]         Vu les éléments de preuve que j’ai exposés en faisant abstraction des pièces A‑34 et A‑35, on peut penser que le temps passé auprès de chaque parent est probablement relativement semblable et que la question de savoir quel parent avait passé le plus de temps avec chaque enfant dans un mois déterminé pouvait facilement varier d’un mois à un autre, suivant les circonstances.

[59]         La répartition du temps qui ressort des pièces A‑34 et A‑35 concorde avec ces éléments de preuve. Je conclus que la pièce A‑34 est correcte; quant à la pièce A‑35, bien qu’elle ne puisse pas être aussi précise, je conclus  qu’elle est, en gros, fiable.

[60]         En ce qui a trait à la période allant de juillet à décembre 2006, il ressort de la pièce A‑34 que le fils a passé plus de temps avec l’appelante qu’avec le père au cours de cinq de ces six mois, tandis que c’est l’inverse pour l’un des six mois. Dans le cas de la fille, il en ressort qu’elle a passé plus de temps avec le père qu’avec l’appelante au cours de quatre des six mois; c’est l’inverse pour les deux autres[15].

[61]         Selon la pièce A‑35, qui porte sur l’année 2007, le fils a passé plus de temps avec le père qu’avec l’appelante durant sept mois de l’année, et cela a été l’inverse durant cinq mois[16].

[62]         Dans le cas de la fille, il ressort de cette pièce qu’avant son entrée à l’université, elle a passé plus de temps avec le père qu’avec l’appelante durant six des huit mois; c’est l’inverse pour les deux autres[17]. Pour trois des quatre mois débutant en septembre, il ressort de cette pièce que la fille a passé plus de temps avec la mère; l’inverse est vrai pour le mois de décembre. Cependant, je signale qu’après le mois d’octobre, la fille est âgée de plus de 18 ans et n’a plus droit à la PFCE.

[63]         Aucun élément de preuve ne comporte autant de détails que les pièces A‑34 et A‑35 pour l’année civile 2008 et les six premiers mois de l’année 2009.

[64]         À une exception près, aucun élément de preuve ne tend à établir que, par rapport à 2007, la situation ait été nettement différente pour 2008 et la première moitié de 2009. Sous cette seule réserve, je conclus que la répartition du temps en 2007 s’est maintenue durant les dix-huit mois suivants.

[65]         La seule différence est que les parents s’échangeaient la garde des enfants à Noël et la semaine qui suivait[18]. En 2007, c’est le père qui a gardé les enfants à Noël, tandis qu’en 2008, cela a été l’appelante. J’en conclus que l’appelante aurait passé plus de temps avec le fils que le père en décembre 2008, contrairement à décembre 2007.

[66]         Il s’ensuit que le fils a passé plus de temps avec le père qu’avec l’appelante durant six mois de l’année 2008; cela a été l’inverse pendant les six autres. Pour les six mois de l’année 2009 qui sont visés par le présent appel, le fils a passé quatre mois principalement en compagnie du père, et deux mois principalement en compagnie de la mère.

Le témoignage de Janet LeBlancq

[67]         Mme LeBlancq est une amie de l’appelante; elle vit sur l’île Hornby et connaît l’appelante et le père des enfants depuis plus de vingt ans; elle connaît aussi les enfants depuis leur naissance.

[68]         Il ressort essentiellement du témoignage de Mme LeBlancq que, à son avis, l’appelante est le parent qui s’est occupé le plus des enfants.

Analyse

La résidence – juillet et août 2007 et 2008

[69]         Comme je l’ai déjà signalé, l’intimée a admis que, pendant la quasi‑totalité de la période en litige, les enfants ont résidé chez les deux parents ou, autrement dit, qu’ils ont eu une double résidence.

[70]         La seule exception a été la période durant laquelle l’appelante a loué sa maison au cours de la haute saison estivale, soit pendant six semaines à compter du milieu du mois de juillet 2007 ainsi qu’en juillet et en août 2008.

[71]         La thèse de l’intimée, si je l’ai bien comprise, est qu’au cours de ces périodes, comme la fille n’aimait pas coucher sous une tente, elle n’a pas vécu avec l’appelante et que, en août 2008, le fils ne l’a pas fait non plus[19].

[72]         Selon l’appelante, sa fille a bel et bien vécu avec elle de temps à autre. Je retiens ce témoignage et je conclus donc que la fille a résidé avec l’appelante pendant toute la période en cause.

[73]         Quant à la situation du fils en août 2008, il importe peu de savoir s’il a vécu ou non avec l’appelante dans la mesure où je conclus, comme on le verra plus loin, qu’en août 2008, c’est le père qui a été le principal fournisseur de soins[20].

[74]         Par conséquent, je conclus que le fils a résidé avec l’appelante pendant toute la période visée par le présent appel.

Le crédit pour TPS

[75]         Dans les cas où un enfant réside chez plus d’un parent, les règles qui régissent l’admissibilité au crédit pour TPS sont quelque peu différentes de celles qui s’appliquent à la PFCE. Dans la décision Fraser c. La Reine[21], la juge Woods expose clairement quelles sont ces différences :

49        Le critère du fournisseur de soins est incorporé dans les dispositions relatives au CTPS au moyen d’une série de règles qui visent à empêcher le versement de crédits multiples à l’égard d’un enfant. La disposition pertinente est le paragraphe 122.5(6), qui prévoit ce qui suit :

(6) La personne qui, en l’absence du présent paragraphe, serait la personne à charge admissible de plusieurs particuliers par rapport à un mois déterminé d’une année d’imposition est réputée être la personne à charge admissible par rapport à ce mois :

a) soit de celui parmi ces particuliers sur lequel ceux‑ci se sont mis d’accord;

b) soit, en l’absence d’accord, du particulier qui, au début de ce mois, est un particulier admissible, au sens de l’article 122.6, à son égard;

c) soit, dans les autres cas, de nul autre que le particulier désigné par le ministre.

50        Le régime législatif qui est envisagé à l’alinéa 122.5(6)a) permet de régler la question de la double résidence au moyen d’un accord conclu entre les parties. Ce n’est qu’en l’absence d’accord que le critère du fournisseur de soins s’applique en vertu de l’alinéa b).

[76]         Dans Fraser, les parties avaient conclu un accord et, en conséquence, cet accord avait été appliqué.

[77]         En l’espèce, les parties avaient convenu par l’accord de séparation que l’appelante recevrait [traduction] « tout crédit d’impôt pour enfants »[22]. Je conclus que les mots « tout crédit d’impôt pour enfants » [non souligné dans l’original] englobent toute fraction du crédit pour TPS accordé à l’égard des enfants.

[78]         Il est donc inutile de déterminer qui est le principal fournisseur de soins aux fins du crédit pour TPS, et l’appelante y a droit pour les deux enfants pendant toute la période en cause[23].

Le principal fournisseur de soins

[79]         La question de savoir qui est le principal fournisseur de soins est, comme je l’ai déjà signalé, essentiellement une question de fait.

[80]         En règle générale, et cela n’est guère surprenant, quand un enfant réside chez les deux parents, mais passe la majeure partie d’un mois auprès d’un parent en particulier, c’est vraisemblablement ce parent-là qui est le principal fournisseur de soins au cours du mois en question. Ce parent est celui qui est présent et qui est directement chargé de répondre aux besoins de l’enfant, qu’il s’agisse de problèmes qui surviennent inopinément ou d’activités courantes comme s’occuper des repas, s’assurer que les enfants partent à temps pour l’école, etc.

[81]         Cependant, plus le temps qu’un enfant passe en compagnie de chaque parent se rapproche d’un temps égal, plus la question devient délicate.

[82]         En l’espèce, il semble, de manière générale, que les deux parents se sont occupés des enfants. Ce temps a pu varier. Par ailleurs, lors d’un procès, il n’est pas toujours facile de reconstituer exactement ce qui est arrivé dans le passé.

[83]         Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve concernant les rôles des parents respectifs et, en particulier, les éléments circonstanciés sur le temps passé par les enfants auprès de chaque parent, je tire les conclusions suivantes.

[84]         L’appelante a été le principal fournisseur des soins relatifs au fils au cours des mois de juillet, août, septembre, octobre et novembre 2006, des mois d’avril, juin, juillet, septembre et octobre 2007, des mois d’avril, juin, juillet, septembre, octobre et décembre 2008, ainsi que des mois d’avril et juin 2009[24].

[85]         L’appelante a été le principal fournisseur des soins relatifs à la fille au cours des mois de septembre et octobre 2006, ainsi que des mois de mars, juin, septembre et octobre 2007.

Conclusion

[86]         Par ces motifs, l’appel sera accueilli, et l’affaire sera renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle détermination, étant entendu que :

a)    l’appelante a droit à la prestation fiscale canadienne pour enfants :

(i)    à l’égard du fils, pour les mois de juillet, août, septembre, octobre et novembre 2006, les mois d’avril, juin, juillet, septembre et octobre 2007, les mois d’avril, juin, juillet, septembre, octobre et décembre 2008, ainsi que les mois d’avril et juin 2009

(ii)   à l’égard de la fille, pour les mois de septembre et octobre 2006, ainsi que les mois de mars, juin, septembre et octobre 2007[25];

b)    l’appelante a droit au crédit pour TPS à l’égard des deux enfants pour toute la période en litige[26].

[87]         L’appelante a engagé certains débours entre le dépôt de l’avis d’appel et la conclusion de l’audience, dont des frais de logement pour deux nuits, des frais de repas et le coût de billets de traversier[27]. Pour couvrir ces débours, l’appelante a droit à des dépens d’un montant forfaitaire de 600 $[28].

[88]         Avant de conclure, je tiens à dire que les deux parents prennent grand soin de leurs enfants et que chacun, à sa propre façon, contribue à leur épanouissement.

[89]         En terminant, je remercie l’appelante et l’avocate de l’intimée, qui ont su bien présenter la cause.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 8e jour de novembre 2011.

 

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de mars 2012.

 

 

 

François Brunet, révieur


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 515

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-2973(IT)I

 

INTITULÉ :                                       KAREN ROSS c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 3 et 4 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Gaston Jorré

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 novembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Holly Popenia

 

AVOCATS INSCRITS
AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                               Nom :                

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)



[1] En raison de l’âge de la fille, octobre 2007 et octobre 2008 sont les derniers mois pour lesquels la PFCE et le crédit pour TPS, respectivement, sont dues à son égard. Le critère est appliqué au début du mois pour la PFCE et au début du mois déterminé pour le crédit pour TPS; voir la division A du paragraphe 122.61(1) de la Loi, ainsi que la définition de la « personne à charge admissible » au paragraphe 122.5(1), respectivement. La période en cause correspond aux années de base 2005, 2006 et 2007.

[2] L’aspect quantitatif est manifestement fort important, mais rien dans la loi n’indique qu’il faut faire abstraction de l’aspect qualitatif et, dans une affaire délicate, les facteurs qualitatifs peuvent compter beaucoup dans l’appréciation globale de la situation.

[3] La « résidence » doit être déterminée en fonction des concepts des règles fiscales générales qui ont trait aux résidents; voir, par exemple, Lapierre c. La Reine, 2005 CCI 720, au paragraphe 13. Selon ces règles générales, il est possible d’avoir plus d’une résidence.

[4] Voir la transcription du 3 mai 2010, de la page 102 à la page 104, ligne 9, où est expliquée l’origine des pièces A‑34 et A‑35.

[5] Pièce I-2.

[6] Je signale qu’il est bien établi que les stipulations d’un accord conclu entre les parties au sujet de celle des deux qui recevra la PFCE ne peuvent avoir préséance sur les dispositions de la Loi; il est nécessaire d’appliquer ces dernières aux faits de l’affaire. Pour ce qui est du crédit pour TPS, ce sont des règles différentes qui s’appliquent; voir ci-après.

[7] La présente affaire n’aurait peut-être jamais eu lieu si les horaires des traversiers avaient été différents et s’il y avait toujours eu un départ à une heure plus tardive. Pour ce qui était de fréquenter l’école, ces horaires ne posaient pas de problèmes.

[8] Voir la transcription du 3 mai 2010, de la page 144, ligne 7, à la page 145, ligne 25.

[9] Si j’ai bien compris les éléments de preuve, cela voulait dire que, l’hiver, il y avait du personnel sur place du vendredi au dimanche et que des invités pouvaient loger au centre de villégiature les vendredis et samedis soirs.

[10] En ce qui concerne les septième et huitième facteurs, veiller à l’hygiène corporelle et l’existence d’une ordonnance, respectivement, ils ne jouent aucun rôle, étant donné que les enfants étaient suffisamment âgés pour veiller à leur hygiène corporelle et il n’y avait aucune ordonnance qui conférait la garde des enfants à l’un ou l’autre des parents. D’ailleurs, l’accord de séparation prévoyait la garde conjointe des enfants, et, bien qu’il ait envisagé que les enfants vivraient principalement avec l’appelante, tous semblent avoir admis que les circonstances avaient changé et que, de ce fait, les conditions de vie avaient évolué.

[11] L’appelante a présenté une bonne quantité d’éléments de preuve à cet égard.

[12] Il lui est toutefois arrivé d’amener les enfants faire du ski.

[13] La semi-caravane avait l’eau courante et l’électricité.

[14] Voir la transcription du 3 mai 2010, à la page 115; comme la fille a dû aussi partager une chambre avec d’autres personnes pendant qu’elle travaillait au centre de villégiature au cours de l’été de 2007, elle a dû, cette année-là comme en 2008, ressentir le besoin de partir à l’occasion et de séjourner chez l’appelante.

[15] Le mois de novembre est égal pour ce qui est du fils, mais, comme je conclus que l’appelante s’est occupée un peu plus des enfants, c’est à elle qu’il convient d’imputer ce temps mensuel fractionné.

[16] En fait, il y a eu un mois à égalité. Pour les mêmes motifs que dans la note qui précède, j’estime qu’il convient de considérer la mère comme le principal fournisseur des soins relatifs au garçon pour ce mois-là.

[17] Là encore, il y a eu un mois à égalité et, une fois de plus, j’ai conclu qu’il convient de considérer la mère comme le principal fournisseur des soins relatifs à la fille pour ce mois-là.

[18] Pièce A‑34, page 2.

[19] Cela s’explique par le fait que, ce mois-là, comme le fils travaillait comme cuisinier au centre de villégiature et que ses heures de travail étaient extrêmement longues, il avait séjourné à la maison du père; contrairement à la maison de la mère, qui se trouvait de l’autre côté de la route, la semi-caravane était située à une plus grande distance du centre de villégiature.

[20] Pour ce qui est du crédit pour TPS, je signale que le mois d’août n’est pas un mois déterminé. Ce mois tombe dans le trimestre pour lequel le mois déterminé est juillet et, aux fins du crédit pour TPS, il importe de savoir si le fils résidait avec le parent particulier au début du mois déterminé; voir la définition de la « personne à charge admissible », au paragraphe 122.5(1). Bien que je ne sois pas appelé à répondre à cette question en l’espèce, je signale que je ne saurais conclure que, dans les circonstances, le fait de ne pas résider avec l’appelante pendant un mois est suffisant pour mettre fin à la résidence du fils avec l’appelante.

[21] 2010 CCI 23.

[22] Pièces A-30 et I-2, page 6.

[23] Bien que je suis pas appelé à répondre à cette question, s’il l’avait fallu, j’aurais conclu que l’appelante a été pour sa fille le principal fournisseur de soins au cours des mois pendant lesquels elle a fréquenté l’université à Victoria.

[24] Les mois déterminés que j’attribue sont principalement fondés sur les pièces A-34 et A-35. Voir aussi les paragraphes 60 à 66 qui précèdent.

[25] Après octobre 2008, la fille était âgée de plus de 18 ans et a cessé d’être admissible à la PFCE.

[26] La fille a eu 19 ans en octobre 2008. La dernière période pour laquelle l’appelante bénéficiera du crédit pour TPS en rapport avec la fille est donc le trimestre pour lequel le mois d’octobre 2008 est le mois déterminé, étant donné que la fille était toujours âgée de 18 ans au début de ce mois-là.

[27] Cela inclut les frais découlant de l’intervention de son témoin.

[28] L’appelante a également fait état de débours engagés avant le dépôt de l’avis d’appel. Cependant, les dépens antérieurs au dépôt de cet avis ne peuvent pas être réclamés.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.