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Dossier : 2017-348(IT)I

ENTRE :

TREVOR KENNY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 5 décembre 2017, à Calgary (Alberta)

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me John Sutherland

Avocat de l’intimée :

Me E. Ian Wiebe

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne l’année d’imposition 2014 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de janvier 2018.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller


Référence : 2018 CCI 2

Date : 20180102

Dossier : 2017-348(IT)I

ENTRE :

TREVOR KENNY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge C. Miller

[1]              M. Kenny interjette appel sous le régime de la procédure informelle de la ratification de la cotisation du ministre du Revenu national (le « ministre ») pour son année d’imposition 2014. Le ministre a invoqué l’article 118.94 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour refuser à M. Kenny, un résident de l’Irlande en 2014, le droit à certains crédits d’impôt non remboursables.

[2]              En 2014, M. Kenny, un ressortissant et un résident irlandais, a travaillé à Fort McMurray, au Canada, pendant quelques semaines, tirant un revenu d’emploi de Kentz Canada TSS Limited de 32 728,52 $. En dehors des quelques semaines qu’il a passées au Canada, M. Kenny a résidé en Irlande et, en raison d’une maladie, il a obtenu les paiements suivants du gouvernement de l’Irlande :

Allocation aux demandeurs d’emploi                      1 597,02

Prestation pour enfant                                            1 560,00 €

Assistance sociale supplémentaire de base              8 077,10 €

Supplément au loyer                                              4 384,50 €

Vêtements et chaussures pour le retour à l’école        100,00

Déduction pour paiement en trop                                  40,00 €

Montant total payé :                                               15 678,80 €

Tous reconnaissaient que ce montant était converti en une somme de 23 002,37 $CAN.

[3]              M. Kenny a indiqué dans son témoignage qu’il n’était pas tenu de produire une déclaration en Irlande pour indiquer ces montants. Il a reconnu que l’ensemble des prestations, à l’exception de l’allocation pour enfant, étaient des paiements d’assistance sociale fondés sur les moyens.

[4]              Lorsqu’il a produit une déclaration canadienne, M. Kenny a déclaré le revenu d’emploi, mais non les paiements d’assistance sociale de l’Irlande. Il a demandé des crédits d’impôt pour les montants suivants :

Montant personnel de base                                            11 138,00 $

Montant pour une personne à charge admissible             11 138,00 $

Montant pour enfants nés en 1997 ou après                     2 255,00 $

Cotisations au RPC ou au RRQ                                      1 446,00 $

Cotisations à l’assurance-emploi                             613,00 $

Montant canadien pour emploi                                        1 127,00 $

Montant pour la condition physique des enfants       500,00 $

Montant pour les activités artistiques des enfants     500,00 $

Total                                                                            28 717,00 $

Je remarque que la personne à charge admissible concernée était le fils de M. Kenny qui est né après 1997.

[5]              Le ministre a établi une cotisation à l’égard de M. Kenny afin de réduire les crédits de 28 717 $ à 2 559 $, au motif que M. Kenny ne pouvait demander les crédits en raison de l’application de l’article 118.94 de la Loi qui est ainsi rédigé :

Les articles 118 à 118.07 et 118.2, les paragraphes 118.3(2) et (3) et les articles 118.8 et 118.9 ne s’appliquent pas aux fins du calcul de l’impôt payable en vertu de la présente partie pour une année d’imposition par un particulier qui ne réside au Canada à aucun moment de l’année, sauf si la totalité ou la presque totalité de son revenu pour l’année est incluse dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour l’année.

[6]              J’aimerais dire clairement au départ que je suis convaincu que la Convention fiscale Canada-Irlande (la « Convention ») n’empêche pas le ministre de rejeter ces crédits puisque le paragraphe 24(3) de la Convention indique ce qui suit :

Aucune disposition du présent article ne peut être interprétée comme obligeant un État contractant à accorder aux résidents de l’autre État contractant les exemptions, déductions, abattements et réductions d’impôt qu’il accorde à ses propres résidents.

[7]              L’avocat de M. Kenny a fait valoir que le paragraphe 24(1) de la Convention empêchait un tel traitement ainsi que l’application d’un impôt excédentaire (même si ce dernier élément n’a pas été soulevé dans l’avis d’appel de M. Kenny). Le paragraphe 24(1) de la Convention est ainsi rédigé :

Non-discrimination

1.         Les nationaux d’un État contractant ne sont soumis dans l’autre État contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est plus lourde que celles auxquelles sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre État qui se trouvent dans la même situation.

[8]              Selon moi, cette disposition s’applique aux ressortissants, non résidents, afin de s’assurer que les citoyens canadiens qui résident Irlande et qui reçoivent les mêmes paiements (emploi du Canada et assistance sociale de l’Irlande) que M. Kenny ne soient pas traités différemment. Je ne crois pas que le paragraphe 24(1) de la Convention est utile à M. Kenny à cet égard.

[9]              Me penchant maintenant sur le fond de la question, je me demande si la totalité ou la presque totalité du revenu de M. Kenny pour l’année est incluse dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour l’année. L’avocat de M. Kenny a fait valoir que, comme ce dernier n’avait pas à déclarer les paiements d’assistance sociale à titre de revenu en Irlande, ces paiements ne devraient pas être considérés comme un revenu pour la création de l’article 118.94 de la Loi. Il n’a pu citer aucune autorité qui appuyait une telle proposition.

[10]         Pour établir si les paiements d’assistance sociale constituent ou non un revenu pour l’application de l’article 118.94 de la Loi, un point de départ est l’article 3 de la Loi qui indique en détail les règles pour établir le revenu d’un contribuable (la définition de contribuables en vertu du paragraphe 248(1) de la Loi comprend toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer l’impôt). L’alinéa 3a) de la Loi est ainsi rédigé :

le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

[11]         J’examine maintenant l’alinéa 56(1)u) qui indique que sont à inclure dans le revenu :

la prestation d’assistance sociale payée après examen des ressources, des besoins et du revenu et reçue au cours de l’année par une des personnes suivantes, sauf dans la mesure où elle est à inclure par ailleurs dans le calcul du revenu de ces personnes pour une année d’imposition :

(i) le contribuable, à l’exclusion d’un contribuable marié ou vivant en union de fait qui habite avec son époux ou conjoint de fait au moment de la réception du paiement et dont le revenu pour l’année est inférieur à celui de son époux ou conjoint de fait pour l’année,

(ii) l’époux ou conjoint de fait du contribuable avec qui celui-ci habite au moment de la réception du paiement, si le revenu de l’époux ou conjoint de fait pour l’année est inférieur à celui du contribuable pour l’année;

[12]         Je conclus que les paiements reçus par le contribuable, M. Kenny, du gouvernement irlandais, en dehors de l’allocation pour enfant, relèvent carrément de cette catégorie à titre de paiement d’assistance sociale. Si M. Kenny avait indiqué les paiements d’assistance sociale dans sa déclaration canadienne, il aurait pu invoquer l’alinéa 110(1)f) de la Loi pour les déduire dans le calcul du revenu imposable. Cette disposition porte sur la détermination du revenu imposable, mais ne soustrait en aucun cas ces paiements du « revenu ». Rien dans la loi ne me permet de conclure que ces paiements étrangers d’assistance sociale ne constituent pas un revenu.

[13]         J’examine donc certaines des décisions invoquées par l’avocat. Dans Fang c R[1], qui portait sur un mécanisme de retraite étranger, j’établis une distinction entre un paiement d’assistance sociale visé par l’alinéa 56(1)u) de la Loi et un mécanisme de retraite étranger en vertu de la division 56.1(i)(c.1) Cette dernière disposition n’a pas été soulevée par M. Kenny, mais je conclus qu’elle ne s’applique pas de toute façon. Les paiements décrits par M. Kenny ne tiennent pas compte d’un mécanisme de retraite étranger, mais plutôt de paiement d’assistance sociale fondé sur les moyens.

[14]         Dans Luscher c R[2], le juge Wyman a abordé l’applicabilité de l’article 118.94 de la Loi comme suit :

6.         À mon avis, ni l’une ni l’autre thèse n’est exacte en ce qui concerne la détermination du revenu de l’appelant pour l’année 2008. La Loi est divisée en plusieurs parties. En l’espèce, la partie I est celle qui est pertinente. Cette partie est divisée en diverses sections, notamment :

Section A – Assujettissement à l’impôt (article 2)

Section B – Calcul du revenu (articles 3 à 108)

Section C – Calcul du revenu imposable (articles 109 à 114.2)

Section D – Revenu imposable gagné au Canada par des non‑résidents (articles 115 et 116)

Section E – Calcul de l’impôt (articles 117 à 127.41)

7.         L’article 118.94 de la Loi exige deux calculs : l’un se rapporte au revenu de la personne pour l’année et le second au revenu imposable de la personne gagné au Canada pour l’année. Une fois que ces deux montants sont connus, il faut déterminer si la totalité ou la presque totalité du revenu de l’appelant pour l’année 2008 a été incluse dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour l’année 2008. Pour ce faire, il faut déterminer les montants qui sont inclus dans le revenu de l’appelant pour l’année 2008 et sont également inclus dans le calcul du revenu imposable de l’appelant gagné au Canada pour l’année 2008.

8.         La première question consiste donc à savoir quel est le revenu de l’appelant pour l’année 2008. Étant donné que la section B de la Loi traite du calcul du revenu, il me semble qu’il s’agit de la section à examiner en vue de déterminer le revenu de l’appelant pour l’année 2008.

[…]

10.       L’article 3 énonce les règles générales de détermination du revenu tiré de diverses sources et, en particulier, les règles générales indiquant le montant à inclure dans le revenu pour les gains en capital imposables et pour les pertes en capital déductibles. Le début de l’article 3 prévoit que le revenu d’une personne, pour l’application de la partie I de la Loi, doit être déterminé selon les calculs prévus dans cette disposition. Étant donné que l’article 118.94 figure dans la partie I de la Loi, les règles de détermination du revenu, telles qu’elles sont énoncées à l’article 3, s’appliquent aux fins de la détermination du revenu pour l’application de l’article 118.94 de la Loi.

[…]

12.       Par conséquent, pour le premier calcul qu’il faut faire pour l’application de l’article 118.94 de la Loi, il faut déterminer le revenu de l’appelant pour l’année 2008, tel qu’il serait déterminé pour l’application de la partie I de la Loi, et ce, peu importe où le revenu a été gagné. Il ressort clairement de l’alinéa 3b) de la Loi qu’en ce qui concerne les dispositions d’immobilisations, le montant à inclure dans le revenu (à l’égard des gains en capital imposables réalisés ou des pertes en capital déductibles subies au moment de la disposition de ces immobilisations) est le montant, le cas échéant, par lequel les gains en capital imposables réalisés par l’appelant au cours de l’année excédaient ses pertes en capital déductibles pour l’année.

[15]         Cela est totalement conforme à la façon dont les paiements d’assistance sociale de l’Irlande de M. Kenny sont imputables au revenu pour l’application de la section B de la Loi.

[16]         Après avoir conclu que les paiements d’assistance sociale de l’Irlande font partie du revenu de M. Kenny (encore une fois, à l’exception de l’allocation pour enfant), je dois maintenant établir si la totalité ou la presque totalité de son revenu a été incluse dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour l’année. Le paragraphe 115(1) de la Loi établit un revenu imposable de non-résident gagné au Canada. Il est ainsi rédigé :

115(1)(i)          que les revenus tirés des fonctions de charges et d’emplois exercées par elle au Canada et, si elle résidait au Canada au moment où elle exerçait les fonctions, à l’étranger,

[17]         De toute évidence, le revenu imposable de M. Kenny gagné au Canada est de 32 728 $, pourtant, son revenu global est ce montant, plus les paiements d’assistance sociale (moins le montant de l’allocation pour enfant). Selon un calcul sommaire, le revenu imposable gagné au Canada représente approximativement 60 % du revenu total de M. Kenny. Du point de vue administratif, l’Agence du revenu du Canada utilise un ratio arbitraire de 90 % pour établir ce qu’elle entend par la presque totalité. Dans Watts c R[3], le juge Bowman a indiqué ce qui suit :

33.       Dans de nombreuses affaires jugées par cette Cour, on a examiné le sens de l’expression « la totalité ou presque ». Ces dernières font constamment état de l’élasticité et de l’ambiguïté de l’expression et de l’inopportunité de recourir à un pourcentage arbitraire, tel que celui fixé à 90 %. Par exemple, le juge Rip dans l’affaire McDonald c. La Reine, 98 DTC 2151, à la page 2154, a affirmé ce qui suit :

[18]         En effet, des décisions ont utilisé des pourcentages aussi bas que 76 % pour indiquer la presque totalité. Dans le cas de M. Kenny, j’étirerais beaucoup trop l’expression « la presque totalité » si je concluais qu’une proportion de 60 % représentait « la presque totalité ». Cette proportion correspond certainement à une majorité, mais ce n’est pas la même chose que la presque totalité.

[19]         Je conclus que M. Kenny est visé par l’application de l’article 118.94 de la Loi et qu’il n’a pas droit à des crédits d’impôt en dehors de ce que le ministre a accordé. L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de janvier 2018.

« Campbell J. Miller »

C. Miller J.


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 2

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-348(IT)I

INTITULÉ :

TREVOR KENNY ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 décembre 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT:

Le 2 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me John Sutherland

Avocat de l’intimée :

Me E. Ian Wiebe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Pour l’appelant :

Nom :

Me John Sutherland

 

Cabinet :

MacLeod Trail Business Services

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           2016 CCI 166.

[2]           2012 CCI 151.

[3]           2004 CCI 535.

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