Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2010-3627(EI)

ENTRE :

NORMAN MURCHESON,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

D & D DELIVERY SERVICE LTD.,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

 

Appel entendu le 29 avril 2011 à Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Rolf Harrison

Avocate de l’intimé :

Me Whitney Dunn

Représentante de l’intervenante :

Mme Dorothy Kavadias

__________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté de la décision rendue en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, visant la période allant du 15 janvier 2009 au 26 février 2010, est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de mai 2011.

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2011

 

Sandra de Azevedo, LL.B


                                                                                     

 

 

Référence : 2011CCI266

Date : 20110518

Dossier : 2010-3627(EI)

ENTRE :

NORMAN MURCHESON,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

D & D DELIVERY SERVICE LTD.,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Sheridan

[1]              L’appelant, Norman Murcheson, interjette appel de la décision du ministre du Revenu national suivant laquelle le travail que l’appelant a effectué pour D & D Delivery Service Ltd. au cours de la période comprise entre le 15 janvier 2009 et le 26 février 2010 (la période) ne constituait pas un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[2]              M. Murcheson a témoigné à l’audience. Le payeur, D & D Delivery Service Ltd., est intervenu dans le présent appel pour adopter la même position que le ministre. D & D Delivery Service Ltd. était représentée par sa mandante, Mme Dorothy Kavadias, qui a également témoigné à l’audience. Les deux témoins étaient crédibles. Toutefois, comme l’avocat de l’appelant l’a souligné avec raison, le litige dans le présent appel ne porte pas tant les faits que sur leur interprétation.

[3]              Pour conclure que l’appelant était un entrepreneur autonome et qu’il n’exerçait donc pas un emploi assurable, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes, articulées au paragraphe 8 de la réponse modifiée à l’avis d’appel :

 

[traduction]

a.       Le payeur exploitait une entreprise de livraison de courrier et de colis à Nanaimo, en Colombie-Britannique;

 

b.      le payeur avait signé avec la Société canadienne des postes un contrat portant sur la livraison de colis commerciaux et sur la cueillette et la livraison de courrier résidentiel ordinaire;

 

c.       l’unique actionnaire du payeur était Mme Dorothy Kavadias;

 

d.      avant la période, l’appelant travaillait comme gérant au sein de l’entreprise du payeur;

 

e.       l’appelant était au service du propriétaire précédent lorsque le payeur a pris à sa charge le contrat signé avec Postes Canada en novembre 2006;

 

f.        avant la période, l’appelant dirigeait les chauffeurs des camions de livraison du payeur, s’occupait des questions d’itinéraires et de livraison et servait de lien entre le payeur et Postes Canada;

 

g.       au cours de la période, le payeur considérait l’appelant comme un propriétaire-exploitant;

 

h.       en tant que propriétaire-exploitant, l’appelant faisait partie du Syndicat des travailleurs et travailleuses canadiens de l’automobile;

 

i.         l’appelant et le payeur ont signé une entente écrite qui précisait les conditions du poste;

 

j.        au cours de la période, les attributions de l’appelant obligeaient celui-ci à se présenter au centre de distribution à 6 h 30, à commencer à charger sa fourgonnette et à être de retour au centre pour 9 h 20 pour cueillir des sacs de courrier en vue de les remettre aux facteurs;

 

k.      Postes Canada établissait les itinéraires et les horaires, et ni le payeur ni l’appelant n’avaient le contrôle sur cet aspect du travail;

 

l.         l’appelant devait fournir une fourgonnette, un téléphone cellulaire, un presse-papiers et des stylos;

 

m.     l’appelant était rémunéré à la pièce, et il touchait une commission calculée au taux de 75 % sur ses livraisons;

 

n.       l’appelant louait sa fourgonnette du payeur;

 

o.      l’appelant payait la prime d’assurance de la fourgonnette;

 

p.      l’appelant devait avoir son propre numéro de la Commission des accidents du travail pour être protégé par ce régime;

 

q.      l’appelant était responsable des frais de carburant ainsi que des frais de réparation et d’entretien de la fourgonnette;

 

r.        le payeur n’a pas effectué de retenues à la source sur la rémunération de l’appelant au cours de la période;

 

s.       l’appelant n’a pas reçu d’avantages sociaux du payeur au cours de la période;

 

t.        les heures de l’appelant n’étaient pas comptabilisées;

 

u.       l’appelant n’était pas supervisé;

 

v.       l’appelant pouvait engager un remplaçant ou un assistant s’il le souhaitait;

 

w.     l’appelant ne recevait aucune indemnité de vacances ou indemnité de congé férié;

 

x.       l’appelant n’a pas produit de déclarations de revenus depuis 2005;

 

y.       aux termes de l’entente écrite, l’appelant devait fournir un chauffeur de relève compétent lorsque le propriétaire-exploitant était absent ou en congé;

 

z.       la relation entre l’appelant et le payeur a pris fin lorsque l’entreprise a été vendue et que le contrat signé avec Postes Canada a été annulé le 26 février 2010.

 

[4]              Concernant les hypothèses susmentionnées, l’appelant a notamment contesté les alinéas g), i), n), o), u) et y), sur lesquels nous reviendrons. Pour contester ces hypothèses, l’appelant soutient essentiellement que bien qu’en principe il aurait pu être un chauffeur propriétaire-exploitant, la nature de son travail et les conditions dans lesquelles il l’exécutait ne différaient pas en fait de celles des autres chauffeurs qui étaient engagés comme employés. Le travail que l’appelant a effectué pour D & D Delivery Service Ltd. au cours de la période devrait donc, suivant l’appelant, être assurable.

Analyse

[5]              Examinons d’abord les hypothèses i) et y). J’accepte l’argument de l’appelant suivant lequel il n’y avait pas de contrat écrit entre D & D Delivery Service Ltd. et lui. Cela ne change toutefois essentiellement rien dans le présent appel étant donné que je suis convaincue qu’après avoir négocié, les parties ont convenu verbalement que l’appelant prendrait à sa charge le circuit CUS6 en tant que propriétaire-exploitant conformément à l’hypothèse énoncée à l’alinéa g).

[6]              En raison du poste de gérant de D & D Delivery Service Ltd. qu’il avait déjà occupé, l’appelant savait, du moins en théorie, que le circuit CUS6 était le plus rentable parce qu’il était situé en plein centre-ville de Nanaimo : les livraisons étaient concentrées dans un secteur limité qui donnait normalement lieu à un plus grand nombre de livraisons, ce qui permettait au chauffeur d’augmenter ses revenus tout en minimisant les frais de livraison liés au véhicule. Après avoir emprunté ce circuit pendant un certain temps, l’appelant avait toutefois conclu qu’il pouvait faire plus d’argent aux conditions offertes aux chauffeurs employés. Même si la commission qu’il recevait en tant que propriétaire-exploitant pour chaque livraison était de 75 % plutôt que de 50 % comme celle des chauffeurs employés, ceux‑ci n’avaient pas de dépenses. L’appelant a constaté que les frais qu’il avait engagés pour le carburant, les réparations, l’entretien, les assurances et les versements de location de la fourgonnette de livraison réduisaient considérablement ses revenus[1], de sorte qu’il se retrouvait dans une situation moins avantageuse que ses homologues employés.

[7]              L’appelant a expliqué que, même s’il avait été embauché comme propriétaire-exploitant, il estimait qu’il n’avait d’autre choix que d’accepter les conditions de D & D Delivery Service Ltd. Je trouve cependant plus vraisemblable la version des faits de Mme Kavadias suivant laquelle, en se fondant sur ce qu’il avait observé en tant que gérant de l’entreprise, l’appelant l’avait approchée au sujet de la possibilité de prendre à sa charge le circuit CUS6 en tant que propriétaire-exploitant, proposition qui cadrait parfaitement avec les attentes que l’entreprise avait au sujet de ce circuit. J’accepte également le témoignage de  Mme Kavadias suivant lequel la commission supplémentaire de 25 % versée aux propriétaires-exploitants visait à tenir compte du fait qu’à la différence des chauffeurs employés, ils devaient assumer leurs propres dépenses et leurs propres obligations fiscales.

[8]              L’obligation de l’appelant de louer la fourgonnette et de payer les primes d’assurance est abordée dans les hypothèses n) et o). Bien qu’il ait admis que D & D Delivery Service Ltd. déduisait un montant chaque mois pour [traduction] « la location de la fourgonnette », l’appelant nie avoir été le locataire de ce véhicule parce que ce dernier était au nom de D & D Delivery Service Ltd. et que l’entreprise se chargeait des paiements. J’accepte toutefois le témoignage de Mme Kavadias suivant lequel, malgré la structure juridique utilisée, l’appelant et D & D Delivery Service Ltd. avaient convenu que l’entreprise sous-louerait la fourgonnette à l’appelant et qu’une fois la location payée, il en deviendrait le propriétaire légal. De plus, je ne mets pas en doute l’affirmation de Mme Kavadias suivant laquelle, s’il l’avait voulu, l’appelant aurait pu toucher son salaire au complet et remettre ensuite un chèque à D & D Delivery Service Ltd. en paiement de la location. À défaut de demande en ce sens, il était logique de tout simplement retenir le montant à la source. Le fait que le contrat de location a finalement été résilié pour des motifs qui ne nous intéressent pas dans le cadre du présent appel ne change rien non plus au fait qu’il agissait en tant que sous‑locataire au cours de cette période. Quant à l’assurance, malgré le fait que la protection était offerte par l’intermédiaire de l’entreprise, l’appelant figurait comme propriétaire-exploitant et il aurait pu obtenir une protection pour les autres travaux qu’il aurait pu accepter en fournissant à l’assureur les renseignements nécessaires pour modifier la police. Cette option n’était pas offerte aux chauffeurs employés, à qui il était interdit de se servir des fourgonnettes de D & D Delivery Service Ltd. pour d’autres besoins que ceux de l’entreprise.

[9]              Je suis d’accord avec l’avocat de l’appelant pour dire que, compte tenu de la nature du travail de l’appelant, le facteur « contrôle » du critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 4 C.T.C. 139 (C.S.C.) est essentiellement neutre. Il était loisible à l’appelant de planifier comment il effectuait les livraisons dès lors qu’il respectait les échéances que le client tiers, Postes Canada, lui imposait et imposait aussi à D & D Delivery Service Ltd. Bien que l’appelant affirme que, contrairement à l’hypothèse u), il avait  été supervisé par une dénommée Teri Smith (citant, à titre d’exemple, le fait que Mme Smith lui avait parlé de certaines livraisons qui avaient été manquées), il me semble que Mme Smith cherchait plutôt en fait à lui faire part d’une plainte formulée par un client plutôt qu’à le réprimander en tant qu’employeur s’adressant à son employé.

[10]         Un autre aspect de l’arrêt Sagaz est la possibilité pour le travailleur de réaliser un profit ou de subir une perte relativement au travail qu’il effectue. En l’espèce, en tant que propriétaire-exploitant du véhicule loué, l’appelant avait le droit d’exécuter des services de livraison pour d’autres clients et d’utiliser la fourgonnette louée à cette fin. Il a d’ailleurs assumé le service de livraison optionnel pour Postes Canada en cueillant au cours de la journée le courrier déposé dans des boîtes aux lettres et en le livrant à l’administration centrale le soir. L’appelant a expliqué qu’il cherchait ainsi à joindre les deux bouts. On ne peut rien lui reprocher à ce sujet et je le félicite pour son éthique de travail. Il ne se trouve cependant pas pour autant sur le même pied que les chauffeurs employés dont les fonctions et la possibilité d’utiliser l’équipement de l’entreprise se limitaient à leur emploi.

[11]         Vu l’ensemble des circonstances, j’estime que l’appelant cherche en réalité à modifier la qualification de la nature du travail initialement convenue parce qu’il a par la suite eu le sentiment qu’il n’avait pas fait une bonne affaire. Bien que je puisse comprendre sa déception lorsqu’il a constaté que le circuit CUS6 était moins rentable que prévu, cela ne nous justifie pas d’intervenir pour modifier la conclusion tirée par le ministre au sujet de sa qualité d’entrepreneur autonome. L’appel doit par conséquent être rejeté.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de mai 2011.

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2011

 

Sandra de Azevedo, LL.B.


RÉFÉRENCE :                                  2011CCI266

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-3627(EI)

 

INTITULÉ :                                       NORMAN MURCHESON et

                                                          M.R.N. et

                                                          D & D DELIVERY SERVICE LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 29 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 mai 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Rolf Harrison

Avocate de l’intimé :

Me Whitney Dunn

Représentante de l’intervenante :

Mme Dorothy Kavadias

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                            Nom :                    Me Rolf Harrison

                            Cabinet :                Rush Crane Guenther

                                                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Pièce A-1, onglet 1.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.