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Dossier : 2010-2722(EI)

ENTRE :

GILLES MOISAN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 13 janvier 2011, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Ilinca Ghibu

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JUGEMENT

L'appel est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national est modifiée de la façon suivante :

 

1. L’appelant occupait un emploi assurable pour les périodes du 30 avril au 23 septembre 2006, du 1er juin au 27 septembre 2008 et du 1er juin au 19 septembre 2009 lorsqu'au service de Vélo-Coudres Inc;

 

2. L’appelant n’occupait pas un emploi assurable pour la période du 14 mai au 31 août 2007.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de février 2011.

 

« B.Paris »

Juge Paris


 

 

 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 76

Date : 20110208

Dossier : 2010-2722(EI)

ENTRE :

GILLES MOISAN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]              L’appelant, Gilles Moisan Jr., interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») selon laquelle il n’exerçait pas un emploi assurable pour l’application de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») lorsqu’il était au service de Vélo-Coudres Inc. (le « payeur ») pendant les périodes du 30 avril au 23 septembre 2006, du 14 mai au 31 août 2007, du 1er juin au 27 septembre 2008 et du 1er juin au 19 septembre 2009. 

 

[2]              Le ministre a décidé que son emploi était un emploi exclu en vertu de l’alinéa 5(2)i) de la Loi qui stipule que « l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance » n’est pas un emploi assurable. Il n’est pas contesté que l’appelant et le payeur avaient un lien de dépendance entre eux. Ceci est acquis, parce que l’appelant, sa mère et son père détenaient à parts égales toutes les actions du payeur.  

 

[3]              Toutefois, en appliquant l’alinéa 5(2)i), le ministre doit tenir compte de l’exception prévue à l’alinéa 5(3)b) de la Loi  qui se lit comme suit :

 

5(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

[. . . ]

l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[4]              En l’espèce, le ministre a décidé, après avoir examiné les circonstances de l’emploi de l’appelant, qu’il n’était pas raisonnable de conclure que l’appelant et le payeur auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

Faits non contestés

 

[5]              Le payeur exploite un centre de location de vélo, de quadricycles et de mobylettes sur l’Île aux Coudres.  Le payeur a aussi un mur d’escalade pour les clients. 

 

[6]              Avant 2006, le père de l’appelant s’occupait des affaires du payeur, mais il est devenu incapable de continuer à cause de sa santé.  La mère de l’appelant aidait avec les affaires du payeur, mais elle est devenue malade à l’automne 2009.

 

[7]              Pendant les périodes en litige, l’appelant s’occupait de la gestion du payeur.  Il gérait le personnel, faisait la comptabilité et les dépôts bancaires, entretenait les installations, réparait et louait les équipements, s’occupait du mur d’escalade et allait chercher les clients dans le minibus du payeur.  Le commerce du payeur est saisonnier de fin mai début juin à fin septembre début octobre.  L’appelant travaillait seul en début et en fin de saison car il suffisait à la tâche. Le payeur engageait quatre employés pendant la saison forte.

 

[8]              L’appelant recevait un salaire hebdomadaire du payeur pour environ 40 heures de travail.  Son salaire était de 696 $ par semaine en 2006, de 728 $ en 2007 et 2008 et de 759 $ en 2009.  Ses heures n’étaient pas comptabilisées par le payeur.

 

Analyse

 

[9]              La seule question que la Cour doit trancher en l’espèce est de savoir si la conclusion du ministre était raisonnable. À cette fin, je dois « vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, […] décider si la conclusion dont le ministre était “convaincu” paraît toujours raisonnable »[1].

 

[10]         Il incombe à l’appelant de réfuter les hypothèses sur lesquelles le ministre a fondé sa décision. Celles qui sont contestées concernent essentiellement la façon dont l’appelant recevait son salaire et la concordance entre les périodes travaillées par l’appelant et les besoins de l’entreprise. Roger Dufresne, l’agent des décisions de l’Agence du revenu du Canada qui était chargé du dossier de l’appelant, a témoigné que les informations qu’il a reçues démontraient que l’appelant différait l’encaissement de ses chèques de paie, et qu’en début et fin de saison, bien que le payeur comptabilisait des revenus, l’appelant n’était pas inscrit au livre de salaires du payeur. Ces facteurs étaient les « éléments déterminants » dans la décision du ministre, selon l’avocate de l’intimé.  J’aborderai ces deux questions sous leur rubrique respective.

 

Encaissement des chèques :

 

[11]         Les hypothèses pertinentes, reproduites ci-dessous, sont exposées au paragraphe 6 de la Réponse à l’avis d’appel :

 

y) en 2006 les délais d’encaissement des chèques de paie de l’appelant varient de 23 à 68 jours, en 2007 de 3 à 56 jours, mais il a été impossible de déterminer les délais pour 2008 et 2009;

 

z) l’appelant considère ces délais comme normaux, puisque le payeur n’avait pas d’argent pour le payer et que sa marge de crédit personnel est moins dispendieuse que celle du payeur;

 

aa) les autres employés du payeur n’ont pas eu de délais d’encaissement de leurs chèques de paie;

 

[12]         L’appelant a admis qu’il a différé l’encaissement de ses chèques de paie tel qu’il était indiqué. Selon lui, c’était sa décision de le faire, et le payeur ne lui a pas demandé d’attendre pour les encaisser. En 2008, il dit qu’il y avait un retard maximal de deux semaines et en 2009 il n’y en avait pas pour l’encaissement. À l’appui de ses dires, il a produit des copies de ses chèques de paie, qui ont bien démontré qu’il n’y avait que peu ou pas de retard pour ces années-là, et son témoignage à cet égard n’a pas été contesté par l’intimé.   

 

[13]         La preuve démontre que l’appelant a choisi lui-même d’attendre avant de toucher certains de ses chèques de paie pour aider le payeur, mais qu’en même temps, le payeur ne manquait pas des fonds nécessaires pour payer l’appelant. Selon le paragraphe 6(z) de la Réponse à l’avis d’appel, le payeur avait une marge de crédit suffisante pour couvrir les paies de l’appelant au cas où il aurait voulu son argent immédiatement.

 

[14]         Il me semble que le ministre ne disposait pas de tous les faits pertinents par rapport à cet aspect de sa décision et, en l’espèce, j’en conclus que le retard dans les paiements à l’appelant ne constituait pas une condition de son travail, mais un choix unilatéral de sa part. Pour cette raison, le ministre n’aurait pas dû en tenir compte en arrivant à sa décision.

 

Périodes travaillées :

 

[15]         Les hypothèses pertinentes, reproduites de la Réponse à l’avis d’appel, sont les suivantes :

 

cc) la comparaison entre le nombre d’heures mensuelles travaillées par l’appelant et les entrées d’argent du payeur, et ce tout au long des périodes en litige, indique qu’en début et fin de saison, bien que le payeur ait enregistré des revenus, l’appelant n’est pas enregistré au livres des salaires du payeur;

 

dd) en 2006, le payeur remettait à l’appelant un relevé d’emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 30 avril 2006 et comme dernier jour de travail le 23 septembre 2006, alors que le payeur enregistrait des revenus en octobre, novembre et décembre et qu’aucun autre employé n’était à l’emploi et qu’aucun salaire n’a été versé;

 

ee) le 10 septembre 2007, le payeur remettait à l’appelant un relevé d’emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 14 mai 2007 et comme dernier jour de travail le 31 août 2007, alors que tous les employés du payeur ont été mis à pied au plus tard le 31 août et que des revenus de 10 235 $, 8 234 $ et 383 $ ont été enregistrés pour les mois de septembre, octobre et novembre respectivement;

 

ff) le 6 octobre 2008, le payeur remettait à l’appelant un relevé d’emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 1er juin 2008 et comme dernier jour de travail le 27 septembre 2008, alors que des revenus de 1 804 $, 3 265, 52 $ et 2 399 $ ont été enregistrés pour les mois de mai, octobre, novembre et décembre respectivement sans qu’aucun employé ne soit inscrit aux livres des salaires;

 

gg) le 21 septembre 2009, le payeur remettait à l’appelant un relevé d’emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 1er juin 2009 et comme dernier jour de travail le 19 septembre 2009, alors que des revenus de 2 050 $ en mai 2009, 1 996 $ en octobre 2009 et 1 269 $ en décembre 2009 ont été enregistrés;

 

hh) le livre des salaires du payeur pour 2009 indique qu’aucun employé n’est inscrit en mai et décembre, que l’appelant a été mis à pied le 19 septembre 2009 alors qu’un autre employé a continué jusqu’au 26 septembre 2009 et un autre jusqu’au 17 octobre 2009;

 

ii) les relevés d’emploi de l’appelant ne sont pas conformes à la réalité quant aux activités du payeur;

 

[16]         Le payeur commence à louer les vélos et les autres équipements entre la mi-mai et la fin mai et termine ses activités entre le début et le milieu d’octobre, selon le temps qu’il fait.  Selon l’appelant, en 2006, 2007 et 2008, sa mère s’occupait bénévolement des locations au début et à la fin de la saison, parce qu’il n’y en avait pas trop.  En 2009 elle a entamé la saison seule, mais elle n’allait pas assez bien pour travailler en octobre de cette année-là ou au début ou à la fin de la saison 2010. 

 

[17]         L’appelant a expliqué qu’en 2006 il a commencé le 30 avril à faire des réparations aux vélos du payeur.  Les routes de l’Île étaient en mauvais état l’été précédent, ce qui a occasionné des dégâts importants aux vélos.  En 2007 il a commencé le 14 mai afin de construire le mur d’escalade.  En 2008 il est entré en service le 1er juin et en 2009 il a commencé le 31 mai,  lorsque les locations devenaient plus nombreuses.

 

[18]         Il a témoigné qu’après la fête du travail, les locations diminuaient de façon significative, et à ce moment-là il commençait à ranger vélos, mobylettes et quadricycles et à tout préparer pour la saison suivante. Une fois la période de travail de l’appelant terminée, la mère de l’appelant s’occupait des quelques clients qui arrivaient, comme elle faisait au début de la saison.

 

[19]         Il dit avoir terminé son emploi le 23 septembre en 2006, le 22 septembre en 2007, le 27 septembre en 2008 et le 17 octobre en 2009.

 

[20]         Pourtant, selon les paragraphes ee) et gg) de la Réponse (reproduits ci-dessus), les relevés d’emploi fournis par le payeur indiquaient que le dernier jour de travail de l’appelant en 2007 était le 31 août, et en 2009 le 19 septembre. L’agent des appels a noté que pour les trois semaines se terminant le 22 septembre 2007 l’appelant a reçu 145,60 $ pour 8 heures de travail par semaine.  En 2009, après la fin de son emploi le 19 septembre, l’appelant aurait reçu 113,88 $ du payeur pour la semaine du 11 au 17 octobre.

 

[21]         L’appelant a admis que le payeur avait reçu des revenus pendant les périodes où il n’était pas à l’emploi du payeur, mais il nie avoir travaillé pour le payeur sans rémunération en dehors des périodes d’emploi. Le travail pendant ces périodes a été accompli par sa mère.

 

[22]         Quant aux revenus en novembre et décembre des années en question, l’appelant a expliqué que l’entreprise du payeur était fermée ces mois là, mais après la fin de la saison  certains revenus provenaient des hôtels dans la région pour des services rendus pendant la saison.  Ces hôtels donnaient à leurs clients les coupons prépayés pour des locations de vélos ou d’autres services du payeur et devaient payer le payeur selon le nombre de bons utilisés. L’appelant a dit que parfois les hôtels retardaient ces paiements jusqu’en novembre ou décembre.  Il a produit des bordereaux de dépôt montrant des dépôts de certains de ces paiements en octobre 2007 (3 068 $), novembre 2007 (136 $), décembre 2009 (1 242 $) et décembre 2010 (1 790 $). 

 

[23]         À mon avis, l’explication fournie par l’appelant concernant les revenus en novembre et décembre est crédible. De toute façon, je ne vois pas comment on pourrait présumer que le payeur continuait ses opérations au-delà du mois d’octobre, étant donné le climat de l’endroit.  

 

[24]         Pour 2006, les revenus en octobre, lorsque l’appelant n’a pas travaillé, étaient seulement de 703 $. J’accepte que madame Moisan a pu faire le travail nécessaire pour le payeur pendant cette période. 

 

[25]         Pour 2007, par contre, le payeur a reçu des revenus importants en septembre et octobre de 10 235 $ et 8 234 $ respectivement après la prétendu fin d’emploi de l’appelant.  Il est très difficile de croire que madame Moisan aurait pu s’occuper des affaires du payeur toute seule, surtout que l’appelant a dit que la fin de semaine de la fête de travail était la fin de semaine la plus chargée de la saison pour le payeur.  En 2007, la fête de travail est tombée le 3 septembre. Il est évident que le payeur avait besoin des services de l’appelant pour plus que les 8 heures par semaine qui ont été inscrites au livre des salaires jusqu’au 22 septembre sans parler des semaines suivantes ou l’appelant n’a supposément pas travaillé du tout. De plus, les revenus pour chacun des deux mois étaient comparables aux revenus gagnés en juin de chaque année entre 2006 et 2009, lorsque l’appelant a travaillé à temps plein. À mon avis, il est fort probable que l’appelant a continué à travailler sans rémunération pendant cette période. De toute façon, il n’a pas réussi à montrer que le ministre s’était trompé sur le fait, qu’en 2007, la période qu’il a travaillée pour le payeur ne correspondait pas aux besoins réels de celui-ci.

 

[26]         Les revenus pour les mois de mai et d’octobre 2008 et de mai 2009, lorsque l’appelant n’était pas à l’emploi du payeur, ont varié entre 1 804 $ et 3 265 $. Ces montants ne me semblent pas exclure la possibilité que madame Moisan aurait pu être seule à travailler pour le payeur à ces moments.  Cette explication n’a pas été contestée par l’intimé. Par ailleurs, il semble que madame Moisan était en bonne santé et très active jusqu’à l’automne 2009.  Pour le mois d’octobre 2009, la preuve révèle qu’un autre employé est resté au travail jusqu’au 17 octobre, et donc le payeur n’aurait pas nécessairement eu besoin des services de l’appelant après la fin de son emploi le 19 septembre 2009. 

 

[27]         Alors, je suis convaincu que le ministre ne disposait pas de tous les faits pertinents par rapport au travail fait par madame Moisan en début et en fin de saison en 2006 et 2008 et en début de saison en 2009 et que le ministre n’a pas tenu compte du fait que le payeur avait un autre employé que l’appelant en fin de saison en 2009.  À la lumière de ces faits et du fait que l’appelant choisissait lui-même de différer l’encaissement de ses chèques de paie, la décision du ministre en litige ne me paraît pas raisonnable pour les périodes d’emploi en 2006, 2008 et 2009.  En examinant les faits entourant l’emploi de l’appelant par le payeur pour ces périodes,  je suis convaincu que l’appelant et le payeur auraient conclu un contrat à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance. L’appelant ne m’a pourtant pas persuadé que la période de son emploi en 2007 correspondait aux besoins du payeur, et par ce fait, la décision du ministre pour cette période était raisonnable.

 

[28]         L’appel sera accueilli pour les périodes d’emploi du 30 avril au 23 septembre 2006, du 1er juin au 27 septembre 2008 et du 1er juin au 19 septembre 2009.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de février 2011.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 76

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-2722(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              GILLES MOISAN ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 13 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 8 février 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Ilinca Ghibu

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            N/A

 

                 Cabinet :                           N/A

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Selon le juge Marceau de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 (Q.L.), paragraphe 4.

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