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Dossier : 2007-4187(IT)G

ENTRE :

ANIGER CONSULTING INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Sael Inspection Ltd. (2007-4188(IT)G) et de Barry Singleton (2007-4189(IT)G)

les 19 et 20 mai 2010, à Calgary (Alberta)

 

Devant : L’honorable juge L. M. Little

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Patrick Lindsay

Me Colena Der

Avocate de l’intimée :

Me Cynthia Isenor

 

 

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2001 et 2002 sont accueillis sans dépens, et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 15e jour de décembre 2010.

 

 

 

« L. M. Little »

Juge Little

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 637

Date : 20101215

Dossier : 2007-4187(IT)G

ENTRE :

ANIGER CONSULTING INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Little

A.    LES FAITS

 

[1]              L’appelante a été constituée en personne morale en vertu des lois de la province d’Alberta le 27 novembre 1996.

 

[2]              Regina Gajecki (« Regina ») a acheté 100 % des actions de l’appelante le 1er février 2000.

 

[3]              Regina est l’unique actionnaire et administratrice de l’appelante.

 

[4]              Durant les années visées par l’appel, Regina a travaillé à temps plein comme commis C auprès d’Atco Gas Ltd.

 

[5]              Durant les années visées par l’appel, Regina était la conjointe de fait de Barry Singleton (« Barry »). Regina est maintenant l’épouse de Barry.

 

[6]              SAEL Inspection Ltd. (« SAEL ») a été constituée en personne morale en vertu des lois de la province d’Alberta le 29 mars 1982.

 

[7]              Barry était l’unique actionnaire et le président de SAEL durant les années visées par l’appel.

 

[8]              En 1999, Barry, son frère Bryan Singleton (« Bryan ») et leurs sociétés respectives ont conclu une entente de prestation des services d’ingénierie requis aux fins de la réalisation du projet d’Alliance Pipeline (le « projet »).

 

[9]              Le projet en question était un projet de pipeline destiné à transporter du gaz naturel de Fort St. John, en Colombie-Britannique, à Chicago, dans l’Illinois. Il était prévu que le pipeline traverserait une partie de la province de la Colombie‑Britannique, la province d’Alberta et une partie de la province de la Saskatchewan, puis franchirait la frontière canado-américaine près d’Estevan, en Saskatchewan.

 

[10]         Le coût du projet était estimé à 5 milliards de dollars. La partie canadienne du projet était estimée à 1,8 milliard de dollars.

 

[11]         Le projet a été réalisé à un coût inférieur au coût prévu au budget.

 

[12]         L’appelante a conclu une entente de consultation avec SAEL (l’« entente ») le 20 mars 2000.

 

[13]         L’entente prévoyait que l’appelante fournirait divers services à SAEL.

 

[14]         Regina était la seule employée de l’appelante.

 

[15]         Regina soutient qu’elle a fourni tous les services à SAEL pour le compte de l’appelante.

 

[16]         Le ministre du Revenu national (le « ministre ») soutient que l’appelante et SAEL ne sont pas des sociétés associées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[17]         Regina a gagné un revenu d’emploi de 47 690,70 $ d’Atco Gas Ltd. en 2001, et elle a gagné un revenu d’emploi de 30 000 $ de l’appelante en 2001.

 

[18]         Cent pour cent des revenus de l’appelante au cours des années visées par l’appel ont été tirés des services de consultation que l’appelante a fournis à SAEL.

 

[19]         L’appelante a facturé comme suit les services de consultation à SAEL :

 

Période

Montant

TPS

Total

1er déc. 1999 – 30 nov. 2000

260 000 $

18 200 $

278 200 $

1er avril 2000 – 31 mars 2001

275 000 $

19 250 $

294 250 $

1er avril 2001 – 31 mars 2002

280 000 $

19 600 $

299 600 $

 

[20]         SAEL a payé les services de consultation à l’appelante.

 

[21]         SAEL a aussi payé à l’appelante des primes de 95 000 $ en 2001 et de 100 000 $ en 2002.

 

[22]         En vertu de l’entente, SAEL devait payer 15 000 $ par mois à l’appelante.

 

[23]         SAEL a payé l’appelante annuellement.

 

[24]         L’appelante n’a eu aucun autre client au cours des années visées par l’appel.

 

[25]         L’appelante ne possédait aucune immobilisation, comme un ordinateur, ni aucun équipement de bureau qu’elle utilisait pour réaliser les travaux exécutés pour SAEL.

 

[26]         Lorsqu’il a examiné la situation fiscale de l’appelante, le ministre a conclu que, si ce n’avait été de l’existence de l’appelante, Regina aurait été considérée comme étant une employée de SAEL.

 

[27]         Le ministre a également conclu que les services de consultation que l’appelante avait fournis à SAEL étaient les services personnels de Regina.

 

[28]         Le ministre soutient que l’appelante n’avait pas le droit de demander la déduction accordée aux petites entreprises pour les années visées par l’appel.

 

[29]         Au cours des années d’imposition 2001 et 2002, l’appelante a demandé la déduction de plusieurs dépenses d’entreprise.

 

[30]         Le ministre a refusé d’accorder la déduction des dépenses d’entreprise demandée par l’appelante.

 

B.      QUESTIONS EN LITIGE

 

[31]         Voici les questions en litige :

 

a)       L’appelante exploitait-elle une entreprise de prestation de services personnels au cours des années d’imposition 2001 et 2002?

 

b)      Le ministre a-t-il refusé à juste titre à l’appelante la déduction accordée aux petites entreprises pour les années d’imposition 2001 et 2002?

 

c)       Le ministre a-t-il refusé à juste titre la déduction de dépenses de 6000 $ pour l’année d’imposition 2001 et de 10 516 $ pour l’année d’imposition 2002?

 

C.      ANALYSE

 

[32]         À l’audience, les points suivants ont également été établis :

 

1.       La prime de 2002 que SAEL a versée à l’appelante a été comptabilisée en entier dans les livres de SAEL en date du 29 mars 2002. En raison de cet arrangement, l’appelante a été payée huit mois avant la fin de la durée de l’entente.

 

2.       Selon les calculs du vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), le salaire horaire moyen que SAEL a payé à l’appelante (salaire mensuel et primes annuelles compris) était de 167 $ l’heure pour l’année d’imposition 2001 et de 179 $ l’heure pour l’année d’imposition 2002.

 

3.       Cent pour cent des revenus de l’appelante au cours des années visées par l’appel ont été tirés des services de consultation que l’appelante a fournis à SAEL.

 

4.       Le salaire horaire moyen que gagnait Regina dans le cadre de son emploi à temps plein chez Atco Gas Ltd. en 2002 était de 25 $ l’heure.

 

5.       SAEL a engagé divers individus pour fournir des services de rédaction et d’autres services professionnels dans le cadre du projet.

 

6.       Les autres parties auxquelles SAEL a eu recours dans le cadre du projet ont été payées entre 20 $ et 35 $ l’heure pour les services qu’elles ont fournis.

 

7.       Les autres parties auxquelles SAEL a eu recours dans le cadre du projet étaient tenues de produire des factures mensuelles indiquant notamment les heures travaillées chaque jour et des détails relatifs aux services qui avaient été fournis.

 

8.       Les factures que l’appelante a fournies à SAEL l’ont été une fois par année, et elles comportaient peu de détails, sinon aucun, quant aux heures travaillées ou quant aux services fournis à SAEL aux fins du projet.

 

[33]         Dans la réponse à l’avis d’appel, au paragraphe 18, le ministre affirme :

 

[TRADUCTION]

18gg)    Aniger n’a pas fourni les services de consultation à SAEL comme il est allégué, puisque SAEL a eu recours aux services d’autres personnes pour accomplir ce travail.

 

[34]         Dans la réponse à l’avis d’appel déposée par le ministre relativement à SAEL, au paragraphe 18, le ministre a dit :

 

[TRADUCTION]

18hh)   Subsidiairement, si Aniger a bel et bien fourni les services de consultation à SAEL comme il est allégué, alors les montants payés à Aniger ont été nettement gonflés, étant donné ses qualifications, le type de services fournis et les montants payés à d’autres entrepreneurs qui ont fourni des services de plus haut niveau dans le cadre du projet.

 

CONCLUSION

 

[35]         Après avoir examiné les différents points exposés brièvement ci-dessus, j’en suis arrivé aux conclusions suivantes :

 

1.       L’appelante exploitait une entreprise de prestation de services personnels au cours des années d’imposition 2001 et 2002. Il s’ensuit donc que l’appelante n’a pas le droit de demander la déduction accordée aux petites entreprises pour ces années;

 

2.       Le critère à appliquer pour déterminer si une société est une entreprise de prestation de services personnels est énoncé au paragraphe 125(7) de la Loi. Pour l’application de cette disposition, il faut se demander :

 

 […] [s’il serait] raisonnable de considérer l’employé[e] constitué[e] en société [Regina] comme étant un cadre ou un[e] employé[e] de [SAEL] […], si ce n’était de l’existence de la société [c’est-à-dire l’appelante] […]

[36]         Pour conclure que l’entreprise de l’appelante était une entreprise de prestation de services personnels, j’ai noté les faits suivants :

 

a)       Le lien étroit entre Barry et Regina, c’est-à-dire qu’elle était une conjointe de fait pendant les années visées par l’appel et qu’elle est maintenant mariée à Barry. (À noter : Barry détenait 100 % des actions de SAEL et Regina détenait 100 % des actions de l’appelante);

 

b)      Le fait que Regina travaillait à temps plein chez Atco Gas Ltd. durant la journée et qu’elle soutient qu’elle travaillait pour l’appelante le soir et le week-end. Cela soulève une question de crédibilité;

 

c)       Le fait que Regina recevait 25 $ l’heure chez Atco Gas et 167 $ l’heure d’Aniger. Autrement dit, est-il raisonnable de penser qu’une personne puisse travailler assez d’heures dans ses temps libres et recevoir en contrepartie du travail qu’elle accomplit dans ses temps libres un montant qui correspond à cinq fois le montant qu’elle reçoit dans le cadre de son emploi régulier à temps plein? Cela soulève une question de crédibilité;

 

d)      J’ai également noté que d’autres personnes qui effectuaient le même genre de travail que celui que Regina allègue avoir effectué pour Aniger dans le cadre du projet étaient payées de 25 $ à 30 $ l’heure;

 

e)       L’appelante facturait SAEL annuellement. L’appelante n’était pas tenue de fournir une facture en temps opportun;

 

f)       L’appelante n’avait besoin d’aucune immobilisation et n’était tenue de se conformer à aucune exigence financière afin de fournir les services à SAEL;

 

g)       L’appelante n’employait pas plus de cinq employés à temps plein. Regina était la seule employée de l’appelante.

 

[37]         J’ai examiné différents précédents qui traitent des entreprises de prestation de services personnels. À mon avis, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Dynamic Industries Ltd. v. The Queen, 2005 D.T.C. 5293, est applicable en l’espèce. Au paragraphe 41, la Cour a dit :

 

[…] que l’interposition d’une société entre le récipiendaire d’un service et la personne qui fournit personnellement ce service risquait de donner lieu à des avantages fiscaux déraisonnables, en partie à cause du taux d’impôt sur le revenu beaucoup plus bas pour les entreprises que pour les particuliers, et en partie à cause des possibilités de fractionnement du revenu. […]

 

[38]         Le libellé du paragraphe 125(7) de la Loi oblige essentiellement la Cour à ne pas tenir compte de la relation réelle entre les parties et à déterminer ce que les parties auraient fait si elles avaient établi une relation différente. J’ai donc conclu qu’il serait raisonnable de considérer Regina comme étant une employée de SAEL.

 

[39]         Je cite également les jugements suivants de la Cour au soutien de ma conclusion selon laquelle l’entreprise de l’appelante était une entreprise de prestation de services personnels :

 

          a)       609309 Alberta Ltd. v. The Queen, 2010 D.T.C. 1136;

          b)      1166787 Ontario Ltd. v. The Queen, 2008 D.T.C. 2722.

 

[40]         Dans la réponse, le ministre a soutenu que l’appelante n’avait pas fourni les services de consultation à SAEL (voir le paragraphe [33] qui précède). Je ne suis pas d’accord. J’ai conclu que l’appelante avait bel et bien effectué du travail pour SAEL conformément à ce que prévoyait l’entente.

 


Dépenses

 

[41]         Les dépenses suivantes sont en cause :

 

 

2001

2002

Frais comptables et juridiques

2 049 $

2 682 $

Frais d’automobile

3 600 $

3 600 $

Coûts de locaux

2 400 $

2 400 $

Frais de gestion de portefeuille

-

1 834 $

 

[42]         Dans l’arrêt Dynamic, la Cour d’appel a noté que des dépenses d’entreprises par ailleurs déductibles ne peuvent pas être déduites par une société en raison des restrictions énoncées à l’alinéa 18(1)p) de la Loi.

 

[43]         Compte tenu du libellé de l’alinéa 18(1)p) de la Loi, j’ai conclu que l’appelante n’a pas le droit de déduire les dépenses décrites brièvement au paragraphe [41] qui précède.

 

[44]         Il convient de noter que, lorsque le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Barry pour l’année d’imposition 2002, il a inclus à titre d’avantage le montant que SAEL avait payé à l’appelante au titre de services de consultation fournis par l’appelante. (À noter : Le ministre a également inclus ce montant dans le revenu de l’appelante.)

 

[45]         Cependant, à l’audience, l’avocate de l’intimée a mentionné que la nouvelle cotisation à l’égard de Barry serait réduite de manière à éliminer l’imposition des avantages visés au paragraphe 56(2) de la Loi dans le revenu de Barry. L’avocate de l’intimée a présenté à la Cour une lettre datée du 11 mai 2010, qui énonce notamment :

 

[TRADUCTION]

[…] L’intimée concède officiellement l’imposition des avantages visés au paragraphe 56(2) entre les mains de M. Singleton eu égard à la portion déraisonnable des honoraires payés à Aniger.

 

Dépens

 

[46]         Les avocats de l’appelante ont soutenu que des dépens procureur‑client devraient être accordés dans la présente situation.

 

[47]         Dans l’arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a affirmé :

 

Les dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties[…]

 

[48]         Un grand nombre de jugements de la Cour comportent des commentaires similaires. À mon avis, il n’y a pas lieu d’accorder des dépens procureur‑client en l’espèce.

 

[49]         En ce qui concerne les dépens entre parties, j’ai conclu que, puisque les deux parties ont partiellement obtenu gain de cause, aucuns dépens ne doivent être adjugés.

 

[50]         L’appel est accueilli sans dépens, et le ministre devra procéder aux rajustements décrits brièvement plus haut.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 15e jour de décembre 2010.

 

 

 

« L. M. Little »

Juge Little

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 637

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-4187(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ANIGER CONSULTING INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 19 et 20 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge L. M. Little

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 décembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Patrick Lindsay / Me Colena Der

Avocate de l’intimée :

Me Cynthia Isenor

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Me Patrick Lindsay / Me Colena Der

 

                          Cabinet :                  Osler, Hoskin & Harcourt s.r.l.

                                                          Calgary (Alberta)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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