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Dossier : 2010-1708(IT)I

 

ENTRE :

JULIA PANTELIDIS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus à Vancouver (Colombie‑Britannique),

le 10 décembre 2010

 

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me R.S. Whittaker

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’égard des nouvelles déterminations du 20 janvier 2010 et du 5 janvier 2010 établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu au titre de la prestation fiscale canadienne pour enfants et du crédit pour taxe sur les produits et services relativement à l’année de base 2008 est rejeté sans dépens.

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de décembre 2010.

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de février 2011.

 

Marie-Christine Gervais


 

 

 

Référence : 2010 CCI 639

Date : 20101215

Dossier : 2010-1708(IT)I

ENTRE :

 

JULIA PANTELIDIS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pizzitelli

 

[1]              Dans le présent appel, il s’agit uniquement de trancher la question de savoir si l’appelante est le particulier admissible qui a le droit de recevoir la prestation fiscale canadienne pour enfants (la « PFCE ») et le crédit pour taxe sur les produits et services (le « CTPS ») pour la période du 1er janvier au 30 juin 2010 (la « période visée ») relativement à ses deux filles. Plus précisément, la Cour doit se demander si l’appelante était le parent qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants pendant la période visée.

 

[2]              Par des avis datés du 20 janvier 2010 et du 5 janvier 2010 respectivement, lesquels ont été confirmés le 8 avril 2010, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a informé l’appelante que son droit aux avantages au titre de la PFCE et du CTPS avait fait l’objet d’une nouvelle détermination selon laquelle son ancien conjoint était le particulier admissible qui avait le droit de recevoir ces avantages pour la période visée tandis qu’elle serait le particulier admissible qui avait le droit de recevoir les avantages pour la période du 1er juillet au 31 décembre de la même année, et qu’elle et son ex‑époux continueraient de partager cette admissibilité en alternance à tous les six mois. Le ministre précisait que cette mesure était justifiée parce que l’appelante et son ex‑époux assument tous deux à parts égales la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants et qu’ils ont donc en réalité le droit de partager également les avantages, conformément à la politique en la matière suivie par le ministre.

 

[3]              À titre de contexte, il convient de mentionner que l’appelante et son ex‑époux, E.C.[1], ont deux filles, Ga. et Ge., qui sont maintenant âgées de 11 ans et de 7 ans, respectivement, et qui sont incontestablement des personnes à charge admissibles à la fois aux fins de la PFCE et du CTPS sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). L’appelante et son ex‑époux se sont séparés en 2005. Depuis cette séparation, l’appelante a reçu les deux avantages. Le 5 octobre 2009, E.C. a présenté une demande visant à obtenir ces avantages pour l’année de base 2008, lesquels lui ont évidemment été accordés pour la période du 1er janvier au 30 juin 2010, comme il est énoncé plus haut.

 

[4]              Par une ordonnance sur consentement rendue le 16 septembre 2008, la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique a accordé aux deux parents, au paragraphe 1, la garde conjointe de leurs deux filles. Les deux autres paragraphes importants de cette ordonnance sont les paragraphes 2 et 3, qui sont rédigés comme suit :

 

[traduction]

 

2.         La résidence principale des enfants est celle de la demanderesse, Julia Pantelidis;

 

3.         L’intimé, E.C., a accès aux enfants la semaine un du dimanche, à 8 h 30, au mercredi, à 19 h, et la semaine deux, du samedi, à 8 h 30, au mercredi, à 19 h, la semaine deux débutant le 20 septembre 2008.

 

[5]              Il ne fait aucun doute que, selon cette ordonnance, les deux parents ont obtenu la garde partagée de leurs deux enfants, lesquels doivent passer un temps égal avec chacun des parents.

 

[6]              Le 26 mai 2010, la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique a prononcé une seconde ordonnance sur consentement. Selon le paragraphe 8 de cette ordonnance, les parents doivent partager les versements au titre de la PFCE de la même manière que celle fixée par le ministre, à savoir :

 

[traduction]

 

8.         Le père reçoit la prestation fiscale pour enfants de janvier à juin, inclusivement, et la mère reçoit cette prestation de juillet à décembre, inclusivement, pour les deux enfants.

 

[7]              L’appelante a informé la Cour qu’elle n’a jamais signé la seconde ordonnance susmentionnée, laquelle prévoit expressément qu’il s’agit d’une ordonnance sur consentement, ni consenti à celle‑ci.

 

[8]              L’appelante soutient qu’elle a droit aux avantages en cause pour la période visée de même que, du reste, pour toutes les périodes suivantes. Elle invoque deux moyens à l’appui de sa prétention : premièrement, elle n’a pas d’emploi et elle compte sur ces avantages pour subvenir aux besoins de ses enfants et, deuxièmement, malgré l’ordonnance de garde conjointe et le fait que les enfants vivent pendant un temps égal chez chacun de leurs parents conformément à cette ordonnance, qu’elle ne conteste pas, c’est néanmoins elle qui, en réalité, consacre beaucoup plus de son temps que son ex‑époux à élever les enfants et à s’occuper d’eux. Elle affirme donc être le parent qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants et qui, par conséquent, être le seul particulier admissible qui a droit aux avantages.

 

[9]              L’intimée soutient quant à elle la thèse suivante : la détermination n’a pas à être modifiée puisque les deux parents assument à parts égales la responsabilité pour le soin et l’éducation de leurs enfants pendant le temps, équivalent, où ils en ont la garde et que, comme la Loi ne fixe pas expressément la façon d’attribuer les mois pendant la période visée dans ce cas, la politique du ministre consistant à autoriser les deux parents à se partager les avantages également est donc justifiée et il n’y a pas lieu d’intervenir. Les hypothèses pertinentes du ministre se trouvent au paragraphe 13 de la réponse à l’avis d’appel qui, à l’alinéa c), renvoie à l’ordonnance du tribunal datée du 16 septembre 2008 et englobe les autres hypothèses pertinentes suivantes :

 

[traduction]

 

e)         les enfants résident pendant un temps égal chez chacun de leurs parents à la résidence respective de ces derniers;

 

f)          l’appelante et E.C. veillent d’une manière égale au soin et à l’éducation des enfants lorsque ceux‑ci résident avec chacun d’eux;

 

[10]         Avant de procéder à l’analyse des thèses respectives des parties à la lumière de la preuve présentée devant la Cour, je vais résumer les règles de droit applicables aux questions en litige en l’espèce.

 

[11]         Le droit de recevoir les avantages au titre de la PFCE et du CTPS est prévu aux articles 122.6 et 122.5 de la Loi, respectivement.

 

[12]         En ce qui concerne le CTPS, le paragraphe 122.5(6) porte qu’en l’absence d’un accord sur le droit à cet avantage entre les particuliers ayant les mêmes personnes à charge admissibles, le particulier admissible qui a le droit de recevoir la PFCE selon l’article 122.6 est celui qui recevra le CTPS.

 

[13]         Quant à la PFCE, l’article 122.6 dispose qu’un particulier admissible est la personne qui répond aux conditions suivantes :

 

a)         elle réside avec la personne à charge;

 

b)         elle est la personne – père ou mère de la personne à charge – qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de cette dernière.

 

Les autres exigences fixées par cette disposition ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

[14]         Comme je l’ai déjà mentionné, il n’est pas contesté que les deux enfants sont des personnes à charge admissibles et qu’ils doivent résider avec leurs deux parents pendant des périodes égales conformément à l’ordonnance sur consentement du 16 septembre 2008 rendue par la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique. Il convient d’ajouter ici que l’intimée a signalé que le paragraphe 2 de cette ordonnance sur consentement, selon lequel l’adresse de l’appelante est la [traduction] « résidence principale », ne doit pas être interprété comme s’il signifiait que l’adresse de l’appelante est la seule résidence des enfants. Dans la décision Carnochan c. R., 2006 CCI 13, 2006 DTC 2225, la juge Sheridan était saisie d’une ordonnance de garde comportant un paragraphe identique et elle a affirmé sans équivoque que l’alinéa a) de la définition de l’expression « particulier admissible » donnée à l’article 122.6 de la Loi exigeait uniquement que le particulier admissible « réside » avec la personne à charge admissible et qu’il n’imposait pas que cette résidence soit la « résidence principale ». Dans cette décision, la juge Sheridan a conclu que la question de savoir si l’appelante réside avec ses enfants est une question de fait et que, dans la situation où les enfants passent environ la moitié de leur temps à la résidence de chacun de leurs parents dans le cadre d’une garde partagée, l’exigence voulant que les enfants résident avec le parent est remplie. Il s’agit en réalité d’une situation identique à celle dont je suis saisi. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai mentionné plus haut, l’appelante reconnaît que les enfants résident avec son ex‑époux tout aussi longtemps qu’avec elle, conformément à l’ordonnance de la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique. Je souscris toutefois à la thèse de l’intimée selon laquelle l’emploi des termes « résidence principale » dans cette ordonnance ne signifie pas que l’ex‑époux de l’appelante ne réside pas avec les enfants. De toute évidence, les deux parents satisfont à l’exigence prévue à l’alinéa a) de la définition de « particulier admissible » à l’article 122.6 de la Loi voulant que le parent réside avec les personnes à charge admissibles pendant la période visée.

 

[15]         En ce qui concerne la question de savoir si l’appelante répondait à l’exigence fixée dans la définition de « particulier admissible », à l’alinéa 122.6b) reproduit plus haut, il importe de signaler que, même si l’alinéa f) de cette définition établit une présomption suivant laquelle la mère est le particulier admissible lorsque la personne à charge réside avec elle, l’alinéa g) de la même définition dispose expressément que cette présomption ne s’applique pas dans les circonstances prévues par règlement. Or, l’alinéa 6301(1)d) du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement ») précise clairement que la présomption en faveur de la mère ne s’applique pas dans le cas suivant :

 

d)         plus d’une personne présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l’égard de la même personne à charge admissible qui réside avec chacune d’elles à des endroits différents.

 

[16]         Manifestement, l’ex‑époux de l’appelante a présenté une demande afin d’obtenir les avantages suivant cette disposition, tout comme l’a fait l’appelante, et ils vivent tous deux dans des endroits différents. En conséquence, ils tombent clairement sous le coup de l’exception prévue à l’alinéa 6302(1)d) reproduit ci‑dessus et la présomption en faveur de l’appelante à titre de mère ne joue donc pas en l’espèce. Il est inutile pour l’intimée de réfuter la présomption puisque les conditions d’exclusion énoncées à l’alinéa 122.6g) susmentionné de la Loi et à l’alinéa 6301(1)d) du Règlement font en sorte que la présomption ne s’applique pas dans la présente situation, comme l’a également précisé le juge Bowman, tel était alors son titre, dans la décision Pollak v. R., [1999] 2 C.T.C. 2225.

 

[17]         Afin de décider quel parent assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des deux enfants pendant la période visée suivant les dispositions de l’alinéa 122.6b) susmentionné de la Loi, la Cour doit examiner la preuve à la lumière des facteurs énoncés à l’article 6302 du Règlement, lequel est ainsi rédigé :

 

6302    Pour l’application de l’alinéa h) de la définition de « particulier admissible » à l’article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne à charge admissible :

 

a)         le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

 

b)         le maintien d’un milieu sécuritaire là où elle réside;

 

c)         l’obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

 

d)         l’organisation pour elle d’activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

 

e)         le fait de subvenir à ses besoins lorsqu’elle est malade ou a besoin de l’assistance d’une autre personne;

 

f)          le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

 

g)         de façon générale, le fait d’être présent auprès d’elle et de la guider;

 

h)         l’existence d’une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

 

[18]         J’arrive à la conclusion que la preuve est suffisante pour étayer la thèse du ministre voulant que les deux parents aient établi qu’ils participent activement et également au soin et à l’éducation de leurs enfants. Les deux enfants vivent dans des domiciles fournis par chacun des parents et rien dans la preuve ne permet de penser que ces demeures ne conviennent pas à l’un ou à l’autre des enfants ou qu’elles ne constituent pas des milieux sécuritaires pour eux. La preuve révèle que les deux parents fournissent de la nourriture et des vêtements aux enfants lorsque ces derniers se trouvent à leur domicile respectif, ou en ont alors besoin, et la preuve ne donne nullement à penser que l’un ou l’autre des parents ne veille pas à l’hygiène corporelle des enfants. De fait, la preuve montre que les deux parents se chargent des coupes de cheveux des enfants, même s’ils ne s’entendent pas toujours sur la coupe ou le coiffeur choisi.

 

[19]         Il ressort en outre sans équivoque de la preuve que l’appelante joue un rôle plus important en ce qui concerne les dispositions prises pour conduire les enfants à leurs rendez‑vous médicaux à intervalles réguliers. Selon la preuve, c’est l’appelante qui se rendait le plus souvent aux rendez‑vous médicaux et qui allait chercher les enfants à l’école à cette fin, même les jours où le père en avait la garde. Elle accompagnait les enfants à la fois pour les visites chez le médecin, le dentiste et l’optométriste de même que, en ce qui concerne l’aînée, pour les consultations axées sur l’amélioration du comportement et, en ce qui concerne la benjamine, pour les consultations psychiatriques et autres relatives à certains troubles présumés. Le père a témoigné qu’il accompagnait lui aussi les enfants aux cliniques lorsqu’ils tombaient malades pendant sa période de garde, mais qu’il travaillait le jour, moment où l’appelante fixait la plupart des rendez‑vous, et que cette dernière ne l’avisait pas suffisamment à l’avance des dates des rendez‑vous pour qu’il puisse se libérer. Il laissait ainsi entendre que l’appelante tentait sciemment de le laisser dans l’ignorance ou de l’empêcher de participer aux visites et qu’il finissait souvent par être informé d’un rendez‑vous la veille au soir, lorsque les enfants lui disaient que leur mère allait passer les prendre à l’école le lendemain pour les y conduire. Il ne fait aucun doute que l’acrimonie entre les deux parents en l’espèce est grande et qu’il serait difficile pour l’ex‑époux de l’appelante de conduire les enfants à leurs rendez‑vous médicaux dans à court préavis pendant qu’il travaille. Mais, franchement, cela ne change rien au fait que l’appelante est celle qui prenait l’initiative en fixant elle‑même les rendez‑vous et qui a déployé des efforts considérables en prenant l’autobus pour rejoindre les enfants avant qu’elle n’achète une automobile en mars cette année, alors que la preuve a révélé que le père possédait déjà une voiture. Malgré ses récriminations, il paraît satisfait d’avoir laissé l’appelante jouer un rôle plus important à ce chapitre. En toute équité, il convient toutefois de mentionner que les parents ne s’entendent pas du tout sur la question de savoir si leur benjamine est atteinte du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (« THADA ») parce que le bulletin scolaire donne à penser qu’elle est normale tandis qu’un rapport psychiatrique laisse croire à l’existence d’un tel trouble chez elle et que le rapport du 10 septembre 2010 de la clinique du THADA énonce qu’il est encore impossible de poser un diagnostic à ce stade, mais ajoute que l’enfant est victime de trouble de stress post‑traumatique par suite de l’incessant conflit opposant les parents. La Cour provinciale de la Colombie‑Britannique doit d’ailleurs toujours examiner ces questions dans le cadre de son suivi. Je fais état de cette situation car l’appelante a laissé entendre que le père refusait de participer aux examens et aux rencontres, en particulier en ce qui concerne le psychiatre, soit parce qu’il ne s’en souciait pas, soit parce qu’il s’en remettait entièrement à elle pour régler la question. Or, dans son témoignage, le père a affirmé qu’il avait reçu le rapport du psychiatre par la poste seulement, qu’on ne lui avait pas demandé à l’avance de participer à la consultation et qu’un suivi effectué auprès du psychiatre l’avait convaincu qu’il avait besoin d’un troisième avis puisque ni lui ni l’école ne pensait que la benjamine avait un quelconque problème. Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique est toujours saisie de l’affaire et les deux parents s’en occupent, chacun selon ses propres opinions, lesquelles diffèrent. On ne peut en déduire que le père est insouciant ou réticent à prendre part au processus et, en réalité, il semble y participer activement et être préoccupé par la question, mais il voit les choses différemment.

 

[20]         En revanche, il est clair que le père vit sur la même rue que celle où se trouve l’école française que fréquentent les enfants avec l’approbation de l’appelante. Comme il parle le français, contrairement à l’appelante, c’est lui qui, principalement, aidait les enfants à faire leurs devoirs, les inscrivait à l’école chaque année, payait leurs fournitures scolaires, participait à toutes les excursions scolaires et se présentait aux réunions parents‑enseignants, même si l’appelante a témoigné qu’elle s’était présentée à l’occasion, qu’elle participait aux activités de l’association des parents‑enseignants et que le groupe avait reconnu cette participation. L’appelante vivait relativement loin de l’école et, lorsque les enfants étaient avec elle, ils devaient faire de longs trajets en autobus pour aller à l’école, bien que l’appelante se soit toujours assurée qu’ils se rendaient bien à l’arrêt d’autobus. À cet égard, la preuve établit sans équivoque que le père – avec, comme je l’ai mentionné, l’approbation tacite de l’appelante – joue un rôle prédominant lorsqu’il s’agit de veiller à ce que les besoins en matière d’éducation des enfants soient remplis.

 

[21]         Quant aux activités récréatives des enfants, il est manifeste que les deux parents étaient en faveur de celles‑ci, qu’ils prenaient des mesures pour que les enfants participent à diverses activités et qu’ils s’occupaient d’y conduire les enfants. L’appelante a demandé au Burnaby City Recreation Department, et obtenu, des crédits subventionnés grâce auxquels elle et les enfants pouvaient utiliser les installations récréatives et les enfants pouvaient s’inscrire à des cours de natation. C’est toutefois le père qui conduisait les enfants à ces cours puisqu’ils avaient lieu le dimanche, journée où les enfants résidaient avec lui, ou, s’il n’y avait pas de cours, qui allait à l’église avec eux. Par ailleurs, l’appelante emmenait sa fille aînée suivre des cours de Tae Kwon Do le mercredi et le vendredi puisqu’elle avait alors la garde de l’enfant, mais c’était le père qui payait les cours. Ce dernier emmène également la benjamine à des cours de karaté les samedis où il en a la garde, tandis que c’est l’appelante qui s’en charge les autres samedis. Le père paye pour les cours et les uniformes. À mon avis, les deux parents se chargent à parts égales des activités sportives et récréatives et du transport à cette fin.

 

[22]         Autre facteur à prendre en compte : l’existence d’une ordonnance rendue à l’égard de la personne à charge admissible par un tribunal qui est valide dans la province où elle réside. Manifestement, les ordonnances mentionnées plus haut visent à prévoir des arrangements partagés relatifs à la garde, lesquels, comme je l’ai précisé, ne sont pas contestés. La deuxième ordonnance du tribunal rendue dans le cadre d’une audience tenue le 26 mai 2010 – et prononcée, à première vue, sur consentement – énonce clairement que l’appelante et son ex‑époux doivent se partager la PFCE de la même façon que le prévoit la détermination du ministre. L’appelante affirme que sa signature ne figure pas sur l’ordonnance et qu’elle n’a pas consenti à celle‑ci. La preuve révèle que l’appelante a été représentée par avocat à l’audience et que, lorsque le juge président a demandé si elle était d’accord, elle a répondu par l’affirmative. Malgré l’absence de sa signature sur le document, j’éprouve quelques difficultés avec l’argument de l’appelante voulant qu’elle n’ait pas consenti à cette ordonnance. À vrai dire, la signature du père n’y figure pas non plus et il n’est pas nécessaire que l’ordonnance soit signée si le tribunal estime que les parties y ont dans les faits consenti pendant l’audience. Quoi qu’il en soit, je crois que l’ordonnance a été rendue et que l’appelante y a consenti. Il convient donc d’en tenir compte à titre de facteur pertinent pour décider qui était le particulier admissible pendant la période visée. Cependant, j’ajouterais que je serais arrivé à la même conclusion sur ce point malgré l’absence d’une ordonnance d’un tribunal comportant cette disposition.

 

[23]         Dans la présente affaire, je conclus qu’aucun des parents ne peut être considéré comme celui qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants pendant la période visée puisqu’ils sont tous deux responsables à parts égales de leur soin et de leur éducation. Malheureusement, comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt R. v. Marshall, 96 DTC 6292 (C.A.F.), l’article 122.6 de la Loi :

 

2.         […] la Loi prévoit qu’un seul des deux parents est un « particulier admissible » aux fins d’admissibilité aux avantages. L’article ne prévoit aucun partage proportionnel entre deux parents qui prétendent être des parents admissibles. Seul, le Parlement peut prévoir le partage proportionnel.

 

[24]         De plus, comme l’a confirmé le même tribunal dans l’arrêt Matte c. R, 2003 CAF 19, 2003 DTC 5075, selon cette disposition, la question de savoir qui est le particulier admissible doit être tranchée relativement à une période minimale d’un mois, compte tenu de la formule applicable au calcul du montant des prestations qui se trouve à l’article 122.61, lequel exige effectivement qu’un parent réside avec la personne à charge admissible le premier jour du mois. Le juge Strayer a fait les observations suivantes au paragraphe 9 de cet arrêt :

 

9                    Selon nous, cela veut dire que la période minimale, aux fins du paiement de prestations, est d’un mois et qu’un mois de prestations doit être versé à quiconque était le particulier admissible au début du mois : […]

 

 

[25]         En d’autres termes, comme l’a déclaré le juge Hershfield dans la décision Connolly c. R., 2010 CCI 231, 2010 DTC 3357, au paragraphe 19 :

 

19        La définition de « particulier admissible » s’attache à la personne qui assume la responsabilité de responsabilité de l’enfant à un moment précis, à savoir le premier jour du mois, et la personne qui assume cette responsabilité à ce moment reçoit l’intégralité de la prestation pour le mois. […]

 

 

[26]         La Cour doit donc maintenant se demander ce qu’il advient si aucun des parents ne peut être considéré comme un particulier admissible au début d’un mois donné parce que la personne à charge admissible réside avec les deux parents au début du mois et qu’aucun d’entre eux n’assume « principalement » la responsabilité pour le soin et l’éducation à ce moment précis.

 

[27]         Avant de poursuivre, je dois préciser ce qui suit. À mon avis, le fait que la preuve montre que l’appelante avait physiquement la garde des personnes à charge admissibles en l’espèce le premier jour du mois pendant trois des mois de la période visée tandis que le père en avait la garde le premier jour du mois pendant les autres trois mois ne signifie pas que les enfants « résidaient » avec ce parent lors de ce premier jour. Je souscris à l’analyse du sens du terme « résidence » qu’a effectuée le juge Webb dans la décision Campbell c. R., 2010 CCI 67, [2010] 3 C.T.C. 2114, où il s’exprime en ces termes simples au paragraphe 15 :

 

15        […] Il ne suffit pas de savoir dans quelle résidence l’enfant se trouvait au début de chaque mois. Il faut se demander si elle avait une résidence établie et habituelle chez l’appelante ou […]

 

[28]         Dans une affaire analogue, le juge Webb a conclu ce qui suit au paragraphe 17 :

 

17        Il me semble évident que cette alternance régulière de la garde de l’enfant entre la résidence de l’appelante et celle de Timothy Campbell [le père] s’est poursuivie tout au long de la période visée par l’appel et que l’enfant a résidé avec son père et sa mère tout au long de la période. L’enfant avait une résidence établie et habituelle chez ses deux parents. […]

 

[29]         J’arrive aussi à la conclusion que les deux enfants de l’appelante et de son ex‑époux avaient une résidence établie et habituelle chez leurs deux parents pendant toute la période visée, y compris au début de chaque mois et chaque jour par la suite.

 

[30]         J’estime donc que chacun des deux parents est, dans les circonstances en l’espèce, le parent dont on peut dire qu’il assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants alors qu’il avait la garde de ces derniers pendant exactement la moitié de chaque mois. En conséquence, comme seulement un parent peut être principalement responsable du soin et de l’éducation des enfants pendant une période minimale d’un mois, comme il a été confirmé dans l’arrêt Marshall susmentionné, je dois conclure que ni l’un ni l’autre des parents n’était celui qui assumait principalement la responsabilité pendant un quelconque mois entier au cours de la période visée ou pendant l’ensemble de la période visée. Dans les faits, ils assumaient cette responsabilité à parts égales. Comme dans l’affaire Campbell susmentionnée, où la Cour a conclu qu’elle ne pouvait décider lequel des parents assumait « principalement la responsabilité » pendant une période donnée, je me trouve devant la même impasse que celle à laquelle le juge Webb était confronté. Voici ce que ce dernier a déclaré aux paragraphes 35 et 36 :

 

35        […] Cependant, en ce qui a trait à la PFCE, la Loi ne prévoit pas ce qui se produira si les deux parents assument à parts égales la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge admissible […]

 

36        D’après moi, en pareilles circonstances, où l’appelante et Timothy Campbell assument à parts égales la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant, il ne semble pas approprié que le résultat soit qu’aucun des deux parents n’ait droit à la PFCE parce que ni un ni l’autre n’est en mesure de satisfaire à l’exigence selon laquelle il doit être la personne – père ou mère – qui assume principalement cette responsabilité. […]

 

[31]         Dans cette décision, le juge Webb a conclu que les parents devaient recevoir les avantages en alternance sur une base mensuelle pendant la période visée. En l’espèce, le ministre a décidé d’alterner entre l’appelante et son ex‑époux d’une période de six mois à l’autre conformément à sa politique relative au partage des avantages. Il aurait pu faire alterner le droit aux avantages sur une base mensuelle et je pense que, si les parties préfèrent cette façon de faire, le ministre acquiescerait probablement à leur demande. Cependant, il semble que le ministre a décidé de respecter l’ordonnance sur consentement qu’a rendue la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique et dans laquelle les parties ont convenu d’un partage aux six mois, parce qu’il s’agit d’un facteur à prendre en compte selon l’article 6302 du Règlement susmentionné.

 

[32]         Je suis bien au fait des critiques que la Cour a formulées dans le passé au sujet de la politique du ministre relative au partage des avantages, mais je suis enclin à penser que ces critiques visaient plus la façon dont cette politique a été utilisée et les situations dans lesquelles on l’a appliquée que son esprit même. Dans la décision Heubach c. R., 2010 CCI 409, 2010 DTC 4072, le juge Boyle a reproché à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») d’avoir envoyé à l’appelant une lettre dans laquelle elle laissait entendre qu’elle avait le pouvoir d’ordonner unilatéralement le partage de la PFCE, mais sans préciser que, si l’une des parties ne consentait pas par écrit à cette mesure, elle devait alors déterminer qui était le particulier admissible. L’épouse de l’appelant a contesté cette attribution et l’ARC, après avoir déterminé que l’épouse était le particulier admissible, a donc demandé le remboursement des paiements effectués alors que l’appelant, bien entendu, avait cru que l’ARC jouissait d’un tel pouvoir unilatéral. Dans cette affaire, l’ordonnance du tribunal accordant la garde des enfants désignait expressément l’épouse de l’appelant comme le parent qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants et l’ARC paraît n’avoir pas tenu compte de ce facteur, au détriment de l’appelant puisque ce dernier a dû rembourser les fonds. En l’espèce, l’ordonnance du tribunal – laquelle, à première vue, a été rendue sur consentement – a en réalité été respectée par l’ARC puisque celle‑ci a attribué les avantages conformément aux dispositions y étant prévues.

 

[33]         Quant au pouvoir de l’ARC de décider qu’il y a partage des avantages, il me semble que l’ARC est manifestement investie de ce pouvoir si elle prend sa décision dans le cadre d’une détermination fondée sur l’existence d’un accord à cet effet entre les parties, que cet accord soit constaté dans une ordonnance d’un tribunal ou dans un consentement écrit obtenu directement des parties et figurant dans une demande de partage des avantages. J’estime aussi qu’en l’absence d’un consentement obtenu directement des parties ou constaté dans une ordonnance sur consentement rendue par un tribunal, lorsque l’un des parents cesse d’être le parent qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge admissible par suite d’une convention de partage de la garde des enfants donnant lieu à une situation de partage du rôle parental, il est évident que ni l’un ni l’autre des parents ne peut assumer principalement cette responsabilité au sens de l’article 122.6 de la Loi. La seule mesure raisonnable que peut alors prendre l’ARC me paraît être d’imposer un partage des avantages conformément à sa politique en la matière. Continuer de verser des prestations à un particulier antérieurement admissible lorsque cette personne cesse de l’être contrevient tout autant à la législation applicable. Le fait est que la Loi est muette sur ce qui arrive dans de telles circonstances et la présente cour a déjà condamné les actes de l’ARC à cet égard, à la fois dans la décision Campbell et en l’espèce.

 

[34]         Avant de conclure la présente décision, je voudrais faire quelques observations sur la demande de l’appelante voulant que la Cour se prononce en sa faveur compte tenu de sa situation financière. J’éprouve de la sympathie pour l’appelante, qui s’efforce d’obtenir toute l’aide possible pour subvenir aux besoins de ses enfants, y compris en présentant des demandes d’aide au logement, de paiement d’assistance, de crédits pour les activités récréatives et d’autres formes d’aide gouvernementale, en faisant ses courses dans des magasins à prix réduits ou dans des banques d’alimentation, etc., ainsi qu’en demandant et en utilisant une carte de crédit pour la nourriture et d’autres dépenses, dont une grande partie ne lui est même pas destinée, afin de remplacer les sommes perdues parce qu’elle ne reçoit plus les avantages en cause. Je signale en outre que l’ex‑époux de l’appelante travaille seulement à temps partiel, à titre d’agent de sécurité, jusqu’à concurrence de 20 heures par semaine, comme il l’a mentionné dans son témoignage. Par ailleurs, je conviens avec l’avocat de l’intimée que l’octroi d’une réparation uniquement pour cause d’injustice ne saurait être approprié – comme l’a décidé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chaya c. Canada, 2004 CAF 327, 2004 DTC 6676 –, que la présente cour n’est pas un tribunal d’equity et qu’en conséquence, comme l’a déclaré le juge Rothstein au paragraphe 4 de ses motifs :

 

4          […] La Cour doit appliquer la loi telle qu’elle est. Elle ne peut pas déroger aux dispositions législatives pour des raisons liées à l’équité. […]

 

[35]         Ni la Loi ni ses règlements d’application ne prévoient que la situation financière respective des parents constitue un facteur dont il faut directement tenir compte pour déterminer quel parent assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants.

 

[36]         En conclusion, l’appelante ne s’est pas acquittée de son obligation de réfuter les hypothèses formulées par le ministre. Elle ne s’est pas acquittée non plus de son fardeau de prouver qu’elle était le parent qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des personnes à charge admissibles, à savoir ses deux filles, pendant la période visée. Par conséquent, les nouvelles déterminations du ministre doivent être confirmées et le présent appel est rejeté sans dépens.

 

        Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de décembre 2010.

 

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de février 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 639

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-1708(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Julia Pantelidis c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 10 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge F.J. Pizzitelli

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 décembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me R.S. Whittaker

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      s.o.

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           L’ex-époux et les enfants mineurs sont désignés au moyen d’initiales ou d’abréviations plutôt que par leur nom.

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