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Dossier : 2010-763(IT)I

ENTRE :

ADEL ZAKI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de 1465076 Ontario Inc. (2010-764(IT)I), le 26 août 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

M. Rafat Alam

 

 

Avocates de l’intimée :

Me Jasmeen Mann

Me Samantha Hurst

 

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie en vertu des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 est accueilli, l’affaire étant renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.

 

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu des dispositions de Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejeté.

 

          Compte tenu du succès partiel, il n’y aura pas d’adjudication des dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2010.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de janvier 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

 

Dossier : 2010-764(IT)I

ENTRE :

 

1465076 ONTARIO INC.,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune l’appel d’Adel Zaki (2010‑763(IT)I), le 26 août 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

M. Rafat Alam

 

 

Avocates de l’intimée :

Me Jasmeen Mann

Me Samantha Hurst

 

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002 et 2003 est accueilli, sans adjudication des dépens, l’affaire étant renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2010.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de janvier 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

Référence : 2010 CCI 606

Date : 20101129

Dossier : 2010-763(IT)I

ENTRE :

 

ADEL ZAKI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

ET

 

Dossier : 2010-764(IT)I

ENTRE :

 

1465076 ONTARIO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Hogan

 

[1]              Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a augmenté l’obligation fiscale de 1465076 Ontario Inc. (la « société ») et d’Adel Zaki (« M. Zaki »), l’unique actionnaire de la société, de la manière suivante :

 

 

 

2002

2003

La société

Revenu non déclaré

54 766 $

16 071 $

Pénalités pour faute lourde

2 642 $

1 224 $

 

 

 

 

Adel Zaki

Revenu non déclaré

41 122 $

2 285 $

Pénalités pour faute lourde

6 051 $

Néant

 

[2]              La vérification des appelants a été entamée par Antonio Cudini, vérificateur à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). M. Cudini a cessé de travailler pour l’ARC vers la fin de la vérification en question. M. Walker a repris la vérification des appelants et s’est fondé, pour établir les nouvelles cotisations, sur les documents de travail et les calculs de la valeur nette de M. Cudini.

 

[3]              Selon M. Zaki, les cotisations fondées sur la valeur nette établies par le ministre sont erronées, car le ministre n’a pas pris en compte l’investissement considérable que M. Zaki a fait dans la société. Selon M. Zaki, l’avance consentie à titre d’actionnaire provenait des actifs que M. Zaki possédait au cours de l’année d’imposition 2000, soit l’année de base ou le point de départ retenu par le ministre aux fins de son analyse de la valeur nette. Les appels ont été entendus sur preuve commune.

 

[4]              Les questions à trancher sont en l’espèce les suivantes :

 

1.           Les contribuables sont-ils tenus d’acquitter l’impôt sur le revenu supplémentaire calculé par le ministre sur la base des cotisations fondées sur la valeur nette?

 

2.           Les contribuables sont-ils, en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « LIR »), passibles de pénalités pour les années d’imposition 2002 et 2003?

 

[5]              Seul M. Zaki a témoigné au nom des contribuables. Il affirme avoir créé la société au début de l’année 2001 en vue de l’exploitation d’un dépanneur faisant affaire sous le nom commercial « J & M Convenience & Dollar Store ».

 

[6]              Ce magasin vendait des produits alimentaires et diverses autres sortes de marchandises. Selon le témoin, la société a, au mois de février 2001, loué les locaux où il exploiterait le dépanneur. M. Zaki affirme avoir, du mois de février au mois de mai 2001, effectué des travaux de rénovation et installé des étagères destinées aux marchandises. Le magasin a ouvert fin mai ou début juin 2001.

 

[7]              M. Cudini n’a pas été en mesure de témoigner à l’instruction. M. Walker, qui avait repris la vérification entamée par M. Cudini, a expliqué que celui-ci avait, pour calculer le montant du revenu non déclaré de l’appelant, utilisé la méthode de la valeur nette consolidée. Selon M. Walker, M. Cudini aurait employé cette méthode, car il se fondait sur l’hypothèse que la société n’avait pas intégralement déclaré les ventes effectuées au comptant et que M. Zaki s’était approprié le revenu non déclaré de la société. Selon ces calculs, pour chacune des années en cause, le montant du revenu brut non déclaré est égal à l’augmentation de la valeur nette consolidée des deux contribuables au cours de la période en cause, à quoi il convient d’ajouter les frais de subsistance de la famille de M. Zaki et de soustraire le revenu déclaré par M. Zaki et son épouse.

 

[8]              Les appelants estiment que M. Cudini a surévalué le montant de leur revenu brut étant donné qu’il n’a pas pris en compte les actifs que M. Zaki possédait en 2000, soit l’année de base pour calculer l’augmentation de la valeur nette du contribuable au cours des années d’imposition 2002 et 2003. Or, ces actifs ont été pris en compte dans le relevé de la valeur nette consolidée établi pour les deux années suivantes, ce qui a eu pour effet de gonfler artificiellement la valeur nette du contribuable pour l’année d’imposition 2002.

 

[9]              M. Zaki affirme avoir, en 2001, transféré à la société des actifs d’une valeur de 45 000 $ pour financer les opérations, dont le coût des rénovations et la constitution d’un fonds de roulement. Les preuves documentaires produites à l’audience par M. Zaki confirment son témoignage. Le relevé bancaire de la société indique pour le 20 mars 2001, des dépôts d’un total de 30 000 $. Selon M. Zaki, sur cette somme, 10 000 $ provenaient de sa ligne de crédit personnelle, 10 000 $ de l’encaissement d’un certificat de placement garanti (« CPG ») et 10 000 $ de membres de la famille de M. Zaki vivant à l’étranger.

 

[10]         M. Zaki a également démontré qu’il avait, afin de compléter l’avance consentie à titre d’actionnaire, transféré à la société un véhicule automobile qui avait, en 2000, été acheté pour 10 000 $, mais qui n’a pas été compté comme élément d’actif dans le calcul relatif à l’année de base.

 

[11]         Les éléments de preuve versés au dossier démontrent que M. Cudini pensait que la voiture avait été achetée par M. Zaki en 2002 et qu’il ne l’avait donc pas pris en compte dans ses calculs relatifs à l’année de base 2000.

 

[12]         Il ressort également de la preuve que M. Cudini ne savait pas que M. Zaki avait, en 2000, des fonds investis dans un CPG, que ce CPG avait été encaissé et que le produit de cette opération avait été investi dans la société en 2002.

 

[13]         Michael Walker est le seul témoin à avoir témoigné pour le compte de l’ARC. Il a reconnu que le montant non déclaré des revenus de M. Zaki et de la société pour l’année d’imposition 2002 avait été surévalué à hauteur de 20 000 $, car M. Cudini n’avait pas, dans le cadre du bilan combiné qu’il avait préparé pour l’année de base 2000, tenu compte du véhicule automobile et du CPG. Voici en quoi a consisté son témoignage à l’égard de ces deux éléments :

 

[traduction]

 

            LE JUGE HOGAN : J’essaie d’obtenir des précisions au sujet des sommes investies dans la société. Vous avez entendu le témoignage concernant ce véhicule qui, selon les preuves documentaires versées au dossier, aurait été, semble‑t‑il, acheté en 2000. Ce véhicule figure-t-il parmi les éléments d’actif? J’imagine qu’il fait partie des investissements dans la société, mais il n’en est pas fait état dans le calcul initial de la valeur nette.

 

            LE TÉMOIN : C’est exact, monsieur le juge. Il figure parmi les éléments d’actif de la société. Mais, au moment où a eu lieu la vérification, nous n’en connaissions pas l’existence.

 

            LE JUGE HOGAN : Maintenant que vous en connaissez l’existence, estimez-vous qu’il y a lieu d’effectuer des rajustements?

 

            LE TÉMOIN : Je pense, monsieur le juge, qu’il y aurait lieu de le faire figurer parmi les éléments d’actif de l’appelant pour l’année de base.

 

            LE JUGE HOGAN : Cela veut dire qu’il y a effectivement eu surévaluation. Et si je comprends bien vos calculs, cette surévaluation est de 10 000 $ en raison du véhicule.

 

            LE TÉMOIN : C’est exact, monsieur le juge. À moins que le véhicule soit considéré comme faisant partie de ce qui a été investi dans la société.

 

            LE JUGE HOGAN : Autrement dit, on ne peut pas le prendre en compte pour une certaine période, s’il a été acheté avant celle‑ci. Il faut que tout cela soit cohérent.

 

            LE TÉMOIN : C’est bien cela.

 

            LE JUGE HOGAN : Je tenais simplement à obtenir une précision à cet égard. Madame l’avocate, continuez, je vous prie.

 

            ME MANN : Merci, monsieur le juge.

 

            Q.        Je remarque que dans la colonne du 28 février 2001, vous avez fait figurer au titre de l’année de base, les comptes bancaires de la société, mais aucune somme n’y est inscrite. Comment cela se fait-il?

 

            R.         C’est que je ne disposais pas des documents ou des relevés bancaires contenant les renseignements nécessaires. Lorsque Tony Cudini a préparé le tableau, il a initialement retenu comme année de base le 31 décembre 2001, et n’a donc inscrit aucun chiffre antérieur à cette date.

 

            LE JUGE HOGAN : Monsieur, je vais vous demander une petite précision. Nous passons maintenant aux relevés bancaires. Si un individu détient, en 2000, un certificat de placement garanti de 10 000 $, cette somme ne devrait-elle pas être portée à son crédit?

 

            LE TÉMOIN : Oui, monsieur le juge, effectivement.

 

            LE JUGE HOGAN : Cela devrait donc faire l’objet d’un second rajustement.

 

            LE TÉMOIN : Mais encore faut-il qu’il nous en fasse part.

 

            LE JUGE HOGAN : Ce n’est pas une critique, mais vous avez, depuis, pu en prendre connaissance, non?

 

            LE TÉMOIN : Oui, j’en ai maintenant connaissance.

 

            LE JUGE HOGAN : Je tenais simplement à ce que ce soit précisé. Madame l’avocate, je vous en prie.

 

            ME MANN :

 

            Q.        Uniquement en ce qui concerne le CPG, avez-vous trouvé, dans les notes d’Antonio, quelque indication au sujet de ce CPG?

 

            R.         Non[1].

 

[14]         D’après le mode de calcul indiqué au paragraphe 10 de la réponse de l’intimée à l’avis d’appel que lui a transmis la société, pour l’année d’imposition 2002, le revenu net de la société, serait donc, après un rajustement au titre des deux éléments décrits ci-dessus :

 

                                                                      2002

 

Nouvelle cotisation en date du 26 février 2008                  64 771 $

Nouvelle cotisation en date du 14 décembre 2009              (10 005 $)

Nouveau rajustement                                                        (20 000 $)

Perte nette déclarée                                                                    (24 497 $)

 

Montant du revenu net non déclaré après révision             10 269 $

 

[15]         Après révision, le revenu net non déclaré de M. Zaki pour l’année d’imposition 2002 s’élève à 21 222,15 $ compte tenu des rajustements accordés.

 

[16]         Selon le paragraphe 163(2) de la LIR, une pénalité peut être imposée à ceux qui font « sciemment ou dans des circonstances équivalentes à une faute lourde », un « faux énoncé ou une omission » dans leurs déclarations de revenus, ou y ont participé. Le mot « sciemment » tel qu’utilisé dans le contexte du paragraphe 163(2), est généralement interprété comme voulant dire que le contribuable savait ou aurait dû savoir que le montant de l’impôt indiqué dans sa déclaration de revenus est inférieur au montant dû. Les termes « faute lourde » employés dans le même contexte englobent des faits qui, selon la prépondérance des probabilités, démontrent que le contribuable a fait preuve d’un grave manque de diligence ou d’une grossière négligence dans la préparation ou la remise des renseignements servant à l’établissement de sa déclaration de revenus. En l’occurrence, c’est au ministre qu’il incombe de démontrer les faits justifiant l’imposition de pénalités.

 

[17]         En ce qui concerne les éléments de preuve directe susceptibles de justifier en l’espèce l’imposition de pénalités, l’intimée n’a guère pu produire d’éléments de preuve directe de la conduite des appelants. Lors de son témoignage, M. Walker s’est essentiellement fondé sur la documentation préparée par M. Cudini, le vérificateur chargé de ce dossier avant lui, et celui qui a en fait effectué la vérification de valeur nette qui a donné lieu aux nouvelles cotisations. Les documents établis par M. Cudini n’ont pas été versés au dossier à titre de preuve directe.

 

[18]         À l’audience, j’ai fait remarquer à l’avocate de l’intimée que le témoignage de M. Walker quant au contenu du dossier de vérification ne constituait qu’une preuve par ouï-dire et demandé à l’intimée de présenter par écrit ses arguments concernant l’admissibilité du témoignage de M. Walker, lequel était fondé sur les notes de vérification établies par M. Cudini avant que M. Walker se voie confier la vérification des appelants. Dans ses observations écrites, l’intimée soutient que le témoignage de M. Walker est admissible selon la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5 (la LPC), en vertu des règles et principes applicables aux appels interjetés sous le régime d’une procédure informelle ou en vertu de la common law.

 

[19]         Le premier argument avancé par l’intimée se fonde sur l’exception visant les documents d’entreprise, prévue au paragraphe 30(1) de la LPC, qui dispose :

 

(1) Lorsqu’une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.

 

[20]         Les définitions des termes « pièce » et « affaires » qui se trouvent au paragraphe 30(12) de la LPC ont une acception assez large :

 

(12) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« affaires » Tout commerce ou métier ou toute affaire, profession, industrie ou entreprise de quelque nature que ce soit exploités ou exercés au Canada ou à l’étranger, soit en vue d’un profit, soit à d’autres fins, y compris toute activité exercée ou opération effectuée, au Canada ou à l’étranger, par un gouvernement, par un ministère, une direction, un conseil, une commission ou un organisme d’un gouvernement, par un tribunal ou par un autre organisme ou une autre autorité exerçant une fonction gouvernementale.

 

[…]

 

« pièce » Sont assimilés à une pièce l’ensemble ou tout fragment d’un livre, d’un document, d’un écrit, d’une fiche, d’une carte, d’un ruban ou d’une autre chose sur ou dans lesquels des renseignements sont écrits, enregistrés, conservés ou reproduits, et, sauf pour l’application des paragraphes (3) et (4), toute copie ou transcription admise en preuve en vertu du présent article en conformité avec le paragraphe (3) ou (4).

 

[21]         Malgré le sens très large accordé au mot « affaires », dans la décision Walia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[2], le juge Heneghan a estimé que les notes prises par un agent des visas ne pouvaient pas être considérées comme « une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires » :

 

9          Je rejette l’argument du défendeur selon lequel les notes inscrites dans le CAIPS sont admissibles en preuve à titre de pièce commerciale, conformément à l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, dans sa forme modifiée. À mon avis, les notes prises par l’agent des visas au cours d’une entrevue ne constituent pas « une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires » au sens du paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada susmentionnée.

 

10        L’agent des visas peut avoir à agir à titre de décideur. Ce rôle exige l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, dans sa forme modifiée. L’exercice de cette fonction décisionnelle ne constitue pas une « affaire » au sens du paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada susmentionnée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]         Selon les règles établies par l’article 30 de la LPC, à moins que le tribunal n’en décide autrement, la partie qui entend produire en preuve une pièce commerciale doit en aviser les autres parties et mettre celle‑ci à leur disposition aux fins d’examen. Ces formalités ayant été respectées, une partie peut alors produire en preuve la pièce commerciale en question, mais ne peut pas se fonder uniquement sur le témoignage d’un témoin qui a eu l’occasion d’examiner la pièce. Dans R. c. Garofoli (C.A. Ont.), le juge Martin s’est, à cet égard exprimé en ces termes[3] :

 

[traduction]

 

[…] même si M. McGarry a pu personnellement examiner les registres douaniers, son témoignage ne semble constituer, à proprement parler, qu’une preuve par ouï‑dire. Dans R. v. Patel (1981), 73 Cr. App. R. 117 (C.A.), où il s’agissait de décider si une certaine personne était effectivement un immigrant clandestin, la Cour a vu, dans le témoignage d’un agent d’immigration qui affirmait avoir examiné les registres du Home Office démontrant que la personne en question n’avait pas droit à un certificat d’enregistrement au Royaume-Uni et qu’elle était par conséquent un immigrant clandestin, une preuve par ouï-dire. Je suis porté à croire que la manière correcte de prouver qu’au cours de la période en cause l’appelant ne s’est pas livré à l’importation de véhicules automobiles est de produire, au titre de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, les documents douaniers permettant de conclure, en vertu du paragraphe 30(2) de la Loi, qu’il n’y a pas en fait eu d’importation étant donné qu’il n’en est pas fait état dans les registres douaniers.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]         En l’espèce, l’intimée entend se fonder sur le témoignage de M. Walker, faisant valoir que ce dernier a pu examiner les notes de vérification établies par M. Cudini. Même si l’on suppose, aux fins de la discussion, que les notes de M. Cudini sont effectivement admissibles en preuve en vertu du paragraphe 30(1) de la LPC, il aurait convenu, aux termes du paragraphe 30(7), d’aviser l’autre partie de l’intention de produire cette pièce, et de verser au dossier les notes elles-mêmes.

 

[24]         Je relève, enfin, que le paragraphe 30(6) de la LPC permet au juge du fond de se pencher sur les circonstances dans lesquelles ont été consignés les renseignements en question et de tirer toute inférence raisonnable à cet égard, que ce soit pour déterminer s’il convient d’admettre les renseignements en preuve ou pour déterminer leur valeur probante :

 

Aux fins de déterminer si l’une des dispositions du présent article s’applique, ou aux fins de déterminer la valeur probante, le cas échéant, qui doit être accordée aux renseignements contenus dans une pièce admise en preuve en vertu du présent article, le tribunal peut, sur production d’une pièce, examiner celle-ci, admettre toute preuve à son sujet fournie de vive voix ou par affidavit, y compris la preuve des circonstances dans lesquelles les renseignements contenus dans la pièce ont été écrits, consignés, conservés ou reproduits et tirer toute conclusion raisonnable de la forme ou du contenu de la pièce.

 

[25]         En outre, aux termes du sous-alinéa 30(10)a)(i), les pièces établies au cours d’une enquête ou d’une investigation ne peuvent être admises au titre de l’exception que la LPC prévoit à l’égard des pièces commerciales :

 

Le présent article n’a pas pour effet de rendre admissibles en preuve dans une procédure judiciaire :

 

a)      un fragment de pièce, lorsqu’il a été prouvé que le fragment est, selon le cas :

 

(i)      une pièce établie au cours d’une investigation ou d’une enquête

 

 

[26]         C’est dans la grande majorité des cas en matière pénale que la justice est appelée à préciser l’interprétation qu’il convient de donner à cette disposition rendant inadmissibles les pièces établies au cours d’une enquête et, dans ce genre d’affaires, il ne fait aucun doute qu’il y a effectivement eu enquête. Ainsi, par exemple, dans R. v. Laverty, la Cour d’appel de l’Ontario a estimé que les notes prises par un enquêteur du service des incendies relevaient du sous-alinéa 30(10)a)(i)[4]. Les registres tenus par des agents de police chargés de surveiller les communications interceptées ne sont pas, eux non plus, admissibles en preuve[5].

 

[27]         Dans l’arrêt Société de droits d’Exécution du Canada Ltée c. Lion d’or (1989) Ltée[6], la Cour d’appel fédérale a jugé que le membre de phrase « investigation ou […] enquête » englobait l’enquête menée par une entreprise sur une éventuelle violation du droit d’auteur. Dans cette affaire, l’enquête en question consistait en trois visites effectuées dans un cabaret par un employé de l’entreprise. À ces trois occasions, l’employé a enregistré une ou deux heures de musique, puis envoyé les enregistrements au siège social de la demanderesse, à Toronto, pour qu’ils soient analysés afin de relever d’éventuelles atteintes au droit d’auteur. Les pièces que la demanderesse entendait produire en preuve à l’audience, et que le juge Strayer a déclarées inadmissibles en vertu de l’alinéa 30(10)a), étaient la liste des chansons figurant sur ces enregistrements.

 

[28]         Dans R. v. Moman, un contribuable a été déclaré coupable d’un chef d’accusation d’évasion fiscale et un chef d’accusation de non-versement de la TPS[7]. Le juge a permis à la partie poursuivante de produire les dossiers que l’ARC avait saisis chez le contribuable, ainsi que les calculs effectués par un employé de l’ARC qui n’a pas été appelé à témoigner. En appel, la Cour du banc de la Reine du Manitoba a jugé que le fait d’admettre en preuve les calculs en question en tant que pièces commerciales constituait une erreur de droit, car, aux termes de l’alinéa 30(10)a), les pièces établies au cours d’une enquête ne peuvent pas être admises en preuve en tant que pièces commerciales.

 

[29]         La Couronne a cité deux précédents, R. c. Jarvis[8] et R. c. Ling[9], concernant la distinction à faire entre une vérification et une enquête. Dans ces deux affaires, cependant, cette distinction a été opérée afin de pouvoir dire à quel moment interviennent les garanties offertes par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») contre l’auto-incrimination et les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Ces deux arrêts ne concernent pas la portée de l’exclusion des pièces commerciales en tant que preuve aux termes de la LPC et ne sauraient donc être utilement invoqués en l’espèce.

 

[30]         Pour décider dans quelle mesure les garanties offertes par la Charte sont applicables dans le cadre d’une vérification / enquête menée par l’ARC, la Cour suprême a dû rechercher l’équilibre entre les pouvoirs qui sont nécessaires à l’ARC pour qu’elle puisse exercer sa surveillance à l’égard d’un système fiscal basé sur l’autodéclaration et l’autocotisation, et les garanties contre l’auto-incrimination et les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives dont bénéficie tout accusé dans le cadre d’une procédure pénale. Cela étant, je ne vois aucune raison de penser que cette même distinction doive être opérée afin d’admettre ou d’exclure les preuves par ouï‑dire aux termes de l’article 30 de la LPC, qui s’applique non seulement en matière pénale, mais également dans les affaires civiles qui relèvent de la compétence fédérale.

 

[31]         Voici en quels termes le juge Strayer, dans l’arrêt Lion d’or, explique la raison d’être des exclusions prévues au paragraphe 30(10) de la LPC :

 

[…] Comme je comprends le principe du paragraphe 30(10) de la Loi sur la preuve au Canada, cette disposition veut exclure les pièces dont le seul but est la préparation d’une poursuite tendant à obtenir l’exécution d’un droit, et cela, à cause du danger que de telles pièces puissent être plus ou moins altérées aux fins du litige et, par conséquent, peu sûres. En d’autres termes, les pièces établies dans le cours ordinaire des affaires sont admises parce qu’aucun litige ni aucune procédure judiciaire n’est envisagés et qu’il est présumé qu’il n’existe normalement aucune raison pour que ces pièces ne soient pas exactes.

[Non souligné dans l’original.]

 

[32]         Selon moi, l’état d’esprit d’un vérificateur est plus proche de celui d’un agent de police, d’un enquêter du service des incendies ou d’un enquêteur engagé par une entreprise, qu’il ne l’est de celui d’un commerçant ou d’un fonctionnaire qui conserve les documents nécessaires à ses activités quotidiennes. Il n’est pas déraisonnable de penser que les notes consignées par un vérificateur peuvent être influencées par les attitudes que dicte sa fonction et qu’il peut exister, entre l’ARC et le contribuable, un certain rapport d’opposition. Cela étant, les notes du vérificateur servent à documenter les motifs sur lesquels repose la nouvelle cotisation.

 

[33]         L’avocate de l’intimée nous rappelle qu’il est loisible de ne pas appliquer, dans le cadre d’une procédure informelle telle que celle-ci, les règles de forme et les règles juridiques relatives à la présentation de la preuve. Or, M. Zaki a livré un témoignage tout à fait contraire à celui de M. Walker au sujet des constatations que M. Cudini aurait rapportées dans ses notes de vérification. Je n’ai pas eu l’occasion de prendre connaissance de ces notes et M. Zaki a été privé du droit de réfuter les déclarations que M. Cudini aurait consignées dans ses notes.

 

[34]         Pour ces motifs, je ne peux pas accorder de poids à ce que M. Walker a déclaré au sujet des moyens invoqués à l’appui de l’imposition de pénalités en l’espèce. M. Walker a par ailleurs reconnu qu’il n’aurait peut-être pas recommandé l’imposition de pénalités en l’occurrence si, lorsqu’il a préparé son rapport à ce sujet, il avait été au courant des circonstances qui ont abouti aux rajustements dont il est fait état ci-dessus. Je ne suis donc pas convaincu qu’il soit justifié d’imposer des pénalités aux appelants pour l’ensemble des années d’imposition en cause.

 

 

 

 

 

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2010.

 

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de janvier 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 606

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :          2010-763(IT)I, 2010-764(IT)I

 

INTITULÉ :                                       ADEL ZAKI et 1465076 ONTARIO INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 26 août 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 29 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant des appelants :

M. Rafat Alam

 

 

Avocates de l’intimée :

Me Jasmeen Mann

Me Samantha Hurst

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                          Nom :                     

                                                         

                          Cabinet :                 

                                                         

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Transcription, page 174, ligne 2, jusqu’à la page 176, ligne 16.

[2] [2000] A.C.F. no 1761 (QL).

[3] [1988] O.J. No. 365 (QL), inf. pour d’autres motifs : R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, [1990] A.C.S. no 115 (QL).

[4]  [1979] O.J. No. 442 (QL), paragraphe 10.

[5] Regina c. Biasi et al. (No. 2) (1981), 66 C.C.C. (2d) 563 (C.S.C.-B.).

[6] [1987] A.C.F. no 934 (QL).

[7] [2010] M.J. No. 242 (QL).

[8] 2002 CSC 73.

[9] 2002 CSC 74.

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