Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2009-3343(IT)I

ENTRE :

HUI PING QIAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Hui Ping Qian, (2009-3344(GST)I),

le 7 juin 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Richard Buchan

Avocat de l’intimée :

Me Khashayar Haghgouyan

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

Conformément aux motifs de jugement ci‑joints, les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003 et 2004 de l’appelante sont rejetés. L’appel de la nouvelle cotisation relative à l’année d’imposition 2005 est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelante a effectué une dépense d’entreprise de 4 391 $ en 2005.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’octobre 2010.

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de décembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

Dossier : 2009-3344(GST)I

ENTRE :

HUI PING QIAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]  

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Hui Ping Qian, (2009-3343(IT)I),

le 7 juin 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Richard Buchan

Avocat de l’intimée :

Me Khashayar Haghgouyan

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

Conformément aux motifs de jugement ci‑joints, l’appel relatif à la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise pour la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005 est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de décembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 537

Date : 20101021

Dossiers : 2009-3343(IT)I

2009-3344(GST)I

ENTRE :

HUI PING QIAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]              L’appelante, Hui Ping Qian, interjette appel d’une cotisation de valeur nette concernant ses années d’imposition 2003, 2004 et 2005, laquelle a été établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), ainsi que d’une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA ») à l’égard de la taxe nette et des pénalités et intérêts y afférents, pour la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005.

 

[2]              En vertu de la Loi, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a ajouté au revenu d’emploi et au revenu de location déclarés de l’appelante, pour les années 2003, 2004 et 2005, un revenu d’entreprise brut de 11 319 $, de 47 832 $ et de 50 004 $, respectivement. Des pénalités pour faute lourde ont été établies en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi pour le motif que l’appelante avait « [...] sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission [...] ou y avait participé, y avait consenti ou y avait acquiescé » dans les déclarations de revenus produites pour ces années d’imposition, de sorte que l’impôt à payer était inférieur à ce qu’il aurait dû être.

 

[3]              Le ministre a la charge de prouver la conduite justifiant l’imposition de telles pénalités pour les années 2003, 2004 et 2005. Étant donné que les années d’imposition 2003 et 2004 ont fait l’objet de nouvelles cotisations après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, le ministre a en outre la charge de prouver, conformément au paragraphe 152(4) de la Loi, qu’en produisant ses déclarations, l’appelante a « [...] fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement [...] » sous le régime de la Loi.

 

[4]              Les nouvelles cotisations établies par le ministre en vertu de la Loi étant fondées sur l’hypothèse selon laquelle l’appelante exploitait une entreprise au cours des années d’imposition en question, le ministre a en outre établi une cotisation de 6 848 $ à l’égard de la taxe nette ainsi que des pénalités et des intérêts y afférents en vertu de la LTA par suite de l’omission de l’appelante de déclarer et de verser la TPS à l’égard de cette entreprise. En établissant ainsi les cotisations, le ministre a pris la position selon laquelle, en omettant de tenir des registres comme l’exige l’article 286 de la LTA, l’appelante n’avait pas fait preuve d’une diligence raisonnable.

 

[5]              Les appels de ces cotisations ont été entendus sur preuve commune.

 

[6]              En déterminant la dette fiscale de l’appelante en vertu de la Loi pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005, le ministre a émis les hypothèses de fait énoncées au paragraphe 9 de la réponse à l’avis d’appel :

 

          [traduction]

 

a) pendant la période pertinente, l’appelante était séparée et avait un enfant; 

b) pendant la période pertinente, l’appelante exploitait un studio de santé sous le nom de Sandlewood Health Spa (le « studio de santé ») et tirait un revenu de cette entreprise;

c) l’appelante n’a pas engagé de dépenses en vue de tirer un revenu du studio de santé au cours des années en litige;

d) l’appelante n’a pas déclaré, dans ses déclarations de revenus personnelles concernant les années en litige, le revenu d’entreprise qu’elle tirait du studio de santé au cours de ces années;

e) les montants déposés par l’appelante dans ses comptes bancaires pour les années en litige étaient très différents du revenu déclaré dans ses déclarations de revenus personnelles pour les années visées par les appels;

f) l’écart entre le montant déposé dans les comptes bancaires de l’appelante et le revenu déclaré par celle‑ci dans ses déclarations de revenus personnelles était principalement attribuable au revenu d’entreprise non déclaré que l’appelante tirait du studio de santé;

g) les montants suivants qui ont été déposés se rapportaient à des cadeaux reçus par l’appelante au cours des années en question :

 

CADEAUX

2003

2004

2005

 

 

 

 

Cadeaux en argent de M. Luukkonen

1 800 $

2 190 $

3 920 $

Cadeaux reçus par chèque

 

600 $

500 $

Total

1 800 $

2 790 $

4 420 $

 

h) l’appelante n’a pas reçu de cadeaux de sa mère de 7 000 $ et de 38 000 $;

i) aucun versement hypothécaire sur la seconde hypothèque n’a été effectué par l’appelante en faveur de M. Luukkonen au cours de l’année d’imposition 2004;

j) l’appelante n’a pas reçu une avance de fonds de 9 000 $ de Li Chen, son ex‑époux, à titre d’avance consentie à la famille;

k) les montants restants que l’appelante a déposés dans ses comptes représentaient le revenu d’entreprise de l’appelante;

1) le revenu global de l’appelante pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005 excédait le revenu que celle‑ci avait déclaré d’un montant de 11 319 $, de 47 832 $ et de 50 004 $ respectivement.

 

 

[7]              En établissant la taxe nette en vertu de la LTA, le ministre a émis les hypothèses de fait énoncées au paragraphe 7 de la réponse à l’avis d’appel :

 

            [traduction]

 

a) l’appelante était l’unique propriétaire exploitant un studio de santé sous le nom de « Sandlewood Health Spa » pendant toute la période;

b) l’appelante n’a pas produit de déclarations relatives à la TPS pour l’application de la LTA;

c) les activités commerciales de l’appelante consistaient à exploiter un studio de santé;

d) l’appelante ne tenait pas de livres et de registres adéquats;

e) le revenu de l’appelante pour les années d’imposition 2004 et 2005 provient de fournitures taxables pour l’application de la LTA et est taxable à 7 p. 100;

f) l’appelante a tiré un revenu de ses activités commerciales au cours des années d’imposition 2004 et 2005;

g) le revenu déclaré par l’appelante pour la période n’était pas suffisant pour subvenir à ses besoins;

h) les montants suivants qui ont été déposés se rapportaient à des cadeaux reçus par l’appelante au cours des années en question:

 

CADEAUX

2004

2005

 

 

 

Cadeaux en argent de M. Luukkonen

2 190 $

3 920 $

Cadeaux reçus par chèque

600 $

500 $

Total

2 790 $

4 420 $

 

i) l’appelante n’a pas reçu de cadeaux de sa mère de 7 000 $ et de 38 000 $;

j) aucun versement hypothécaire sur la seconde hypothèque n’a été effectué par l’appelante en faveur de M. Luukkonen au cours de l’année d’imposition 2004;

k) l’appelante n’a pas reçu une avance de fonds de 9 000 $ de Li Chen, son ex‑époux, à titre d’avance consentie à la famille;

1) les montants restants que l’appelante a déposés dans ses comptes représentaient le revenu d’entreprise de l’appelante;

m) l’appelante n’a pas fourni de documents adéquats comme elle était tenue de le faire à l’égard des activités commerciales exercées au cours de la période.

 

[8]              L’appelante était représentée par Richard Buchan, un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada à la retraite, comptant environ 32 années d’expérience. L’appelante a témoigné et elle a également appelé comme témoin son ami, Victor Luukkonen.

 

[9]              La langue maternelle de l’appelante est le mandarin; étant donné qu’elle avait de la difficulté à s’exprimer en anglais, un interprète a été mis à la disposition de l’appelante à l’audience. J’ai trouvé que l’appelante était un témoin récalcitrant. Plus d’une fois, je suis intervenue pour inviter l’appelante à donner des réponses plus précises qui m’aideraient à comprendre la position qu’elle prenait, mais l’appelante a rarement fourni des explications supplémentaires. Elle a avoué sincèrement qu’elle ne tenait pas de registres à l’égard de ses activités commerciales et, de fait, à un moment donné au cours de son témoignage, elle s’est demandé à haute voix qui le ferait. Même s’il est tenu compte des obstacles imposés par l’interprétation et par la nature du travail de l’appelante, j’ai trouvé dans l’ensemble son témoignage fort peu convaincant.

 

[10]         L’unique témoin de la Couronne était Susan Duke, la vérificatrice ayant établi la cotisation de valeur nette. Mme Duke a donné des réponses claires et détaillées à l’audience étant donné qu’au cours de la vérification, elle avait méticuleusement préparé l’analyse[1] des dépôts effectués par l’appelante. Je suis convaincue qu’elle a amplement donné à l’appelante et à M. Luukkonen l’occasion de donner des renseignements pour expliquer l’écart entre le revenu déclaré de l’appelante et ses documents financiers. M. Buchan a soutenu que l’appelante avait fait l’objet d’une cotisation plus rigoureuse que celle dont elle aurait par ailleurs pu faire l’objet parce que la vérification effectuée par l’Agence du revenu du Canada avait été déclenchée à la suite d’un indice reçu de ses agents d’enquête spéciale à la suite des mesures de répression dont les salons de massage avaient fait l’objet[2]. À mon avis, la preuve révèle une version différente des faits : il suffit de tenir compte du soin avec lequel Mme Duke a procédé à son analyse et du fait que Mme Duke a laissé le bénéfice du doute à l’appelante au sujet des divers cadeaux que M. Luukkonen avait faits à celle‑ci. Rien ne donne à penser que Mme Duke a porté un jugement moral quelconque sur l’appelante en tirant ses conclusions.

 

[11]         La contestation par l’appelante des cotisations établies par le ministre peut être résumée comme suit : l’appelante nie avoir exploité sa propre entreprise. De 2003 à 2005, ses seules sources de revenu étaient tirées d’un emploi et de la location de chambres, sources qui ont toutes deux été déclarées comme il se doit d’une façon exacte et en temps opportun dans ses déclarations de revenus des années 2003, 2004 et 2005. L’appelante a également mentionné avoir reçu des pourboires de clients. M. Buchan, pour le compte de l’appelante, a soutenu que le ministre n’avait pas pris en compte le fait que certains montants découverts au cours de la vérification étaient des cadeaux que l’appelante avait reçus de M. Luukkonen, de sa mère et de son ex‑époux et qu’en outre, le ministre n’avait effectué aucun rajustement pour tenir compte du fait qu’après le mois d’août 2003, l’appelante avait cessé d’effectuer des versements sur une hypothèque de 20 000 $ détenue par M. Luukkonen.

 

Analyse

 

1.            Les cadeaux et l’hypothèque consentie par M. Luukkonen

 

[12]         Avant d’examiner chacun des divers montants susmentionnés que l’appelante a expressément identifiés, il importe de répéter que, comme c’est le cas pour toute cotisation, il incombe au contribuable de prouver que les hypothèses sur lesquelles le ministre s’est fondé pour établir sa cotisation sont erronées. Comme l’avocat de l’intimée l’a fait remarquer dans son examen approfondi de la jurisprudence, lorsqu’une cotisation de valeur nette est contestée, la crédibilité du contribuable et les documents produits à l’appui sont cruciaux[3]. Or, en l’espèce, le contribuable n’est pas crédible et il n’y a pas vraiment de document justificatif.

 

[13]         Les allégations de l’appelante, en ce qui concerne les cadeaux et la seconde hypothèque, ont été faites en réponse aux hypothèses de fait émises par le ministre aux alinéas 9g), h), i) et j) de la réponse, dans l’appel interjeté en vertu de la Loi[4]. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, les arguments de M. Buchan, lorsqu’il affirme que des rajustements devraient être apportés aux calculs effectués par le ministre, ne me convainquent pas.

 

[14]         Avances de fonds consenties par M. Luukkonen – Comme le montre l’alinéa 9g) de la réponse, le ministre a reconnu qu’en 2003, en 2004 et en 2005, l’appelante avait reçu en cadeau de M. Luukkonen de l’argent et des chèques s’élevant en tout à 1 800 $, à 2 790 $ et à 4 420 $ respectivement. Des montants additionnels ont été rejetés au stade de la vérification parce qu’aucun lien ne pouvait être établi d’une façon définitive avec les comptes de l’appelante. Il en a été de même lors de l’audience. J’ai trouvé M. Luukkonen généralement crédible, mais il n’était aucunement en mesure de confirmer que les montants retirés de ses comptes avaient en fait été donnés à l’appelante. Eu égard aux circonstances de l’affaire, une telle corroboration était essentielle.

 

[15]         Avances de fonds consenties à la famille par Li Huang Chen – À l’alinéa 9j), le ministre a supposé que [traduction] « l’appelante n’a[vait] pas reçu une avance de fonds de 9 000 $ de Li Chen, son ex‑époux, à titre d’avance consentie à la famille. » L’appelante a cherché à réfuter cette hypothèse en produisant en preuve une lettre apparemment rédigée par son ex-époux, confirmant ce paiement. Même en vertu des règles de procédure informelle, qui sont plus souples, cette lettre non authentifiée (que l’appelante ne pouvait pas lire, comme elle l’a elle-même admis, puisque la lettre était rédigée en anglais) ne pouvait pas prouver que l’appelante avait reçu un tel montant de la personne qui avait censément rédigé la lettre.

 

[16]         Argent donné par la mère de l’appelante, Xue Mei Qian – À l’alinéa 9h), le ministre a supposé que [traduction] « l’appelante n’a[vait] pas reçu de cadeaux de sa mère de 7 000 $ et de 38 000 $ ». L’appelante a raconté une histoire compliquée au sujet des circonstances dans lesquelles elle avait a un moment donné remis à sa mère un chèque de 8 000 $ pour la remercier de tout ce que celle‑ci avait fait pour elle au fil des ans. La mère de l’appelante avait déposé le chèque, mais par la suite, après y avoir réfléchi, elle avait retourné les 8 000 $ et donné à l’appelante un montant additionnel de 6 000 $. Le carnet de banque de la mère a été produit en preuve, mais il prouvait uniquement que certains dépôts et retraits avaient été effectués; il n’y avait rien dans ce document qui permette d’établir l’existence d’un lien avec l’appelante ou un paiement de 14 150 $ que l’appelante avait effectué sur son hypothèque. Malheureusement, la mère de l’appelante est depuis lors décédée, de sorte que le témoignage de l’appelante n’était pas corroboré. De même, bien que les documents financiers de l’appelante indiquent divers montants déposés dans ses comptes ou retirés de ses comptes, l’appelante n’a conservé aucun document expliquant ces opérations.

 

[17]         Non-paiement de la seconde hypothèque consentie par M. Luukkonen – Cela se rapporte à l’hypothèse que le ministre a émise a l’alinéa 9i), à savoir [traduction] qu’« aucun versement hypothécaire sur la seconde hypothèque n’a été effectué par l’appelante en faveur de M. Luukkonen au cours de l’année d’imposition 2004 ». Comme le montre la pièce R‑1, onglet 18, intitulée : [traduction] « Seconde hypothèque consentie à Hui Ping Qian par V.K. Luukkonen », l’appelante a effectué des versements hypothécaires de 395,08 $ en faveur de M. Luukkonen du 1er juin 2002 au 1er août 2003 inclusivement. M. Buchan a soutenu que le ministre n’avait pas tenu compte de ce fait dans la cotisation de valeur nette, mais l’état de la valeur nette indique le même solde impayé à la fin des années 2003 et 2004. Je note en outre que le solde impayé a été rajusté à la baisse lorsque l’appelante a effectué un paiement forfaitaire de 5 000 $ sur l’hypothèque, en 2005.

 

2.  L’appelante exploitait‑elle une entreprise?

 

[18]         Quant à la question de savoir si l’appelante exploitait une entreprise au cours des années d’imposition, M. Buchan a tenté de discréditer l’analyse effectuée par Mme Duke en soutenant que le ministre n’avait pas prouvé que l’appelante exploitait une entreprise en 2003 et en 2004. Cet argument est défectueux en ce sens qu’il ne tient pas compte du fait qu’il incombe à l’appelante d’expliquer les écarts entre le revenu déclaré et les montants découverts dans une vérification ultérieure. Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans l’arrêt Hsu v. R. [5] :

 

30        Les évaluations de la valeur nette sont une solution de dernier recours communément employée dans les cas où le contribuable refuse de produire une déclaration de revenus, qu’il a produit une déclaration fort inexacte ou qu’il refuse de fournir des documents qui permettraient à Revenu Canada de vérifier le rendement (V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax Law, 5e éd. (Toronto : Carswell, (1995) à la page 1089). La méthode de la valeur nette est fondée sur l’hypothèse selon laquelle une augmentation de la richesse d’un contribuable au cours d’une certaine période peut être imputée au revenu pour cette période à moins que le contribuable ne démontre le contraire (Bigayan, précité, à la page 1619). Cette méthode vise à libérer le ministre de l’obligation ordinaire qui lui incombe de prouver l’existence d’une source imposable de revenu. Le ministre est uniquement tenu de démontrer que la valeur nette du contribuable a augmenté entre deux dates. En d’autres termes, une évaluation de la valeur nette ne se rapporte pas à la détermination de la source ou de la nature de l’augmentation de la richesse du contribuable. Une fois qu’il est démontré qu’il y a eu augmentation, il incombe entièrement au contribuable de séparer son revenu imposable des gains provenant de sources non imposables (Gentile c. La Reine, [1988] 1 C.T.C. 253, à la page 256 (C.F. 1re inst.)).

 

31        Par sa nature, une évaluation de la valeur nette est une estimation arbitraire et imprécise du revenu du contribuable. Toute iniquité perçue se rapportant à ce genre d’évaluation est réglée en reconnaissant que le contribuable est celui qui est le mieux placé pour connaître son revenu imposable. Lorsque le fondement factuel de l’estimation du ministre est inexact, il devrait être simple pour le contribuable de corriger à la satisfaction de la Cour l’erreur que le ministre a commise.[6]

 

[19]         L’appelante a témoigné qu’au cours de toutes les années en question, elle était une employée; pourtant, elle ne pouvait pas se rappeler dans combien de studios elle avait travaillé et elle n’a pas pu fournir le nom des studios ou leur adresse, ni expliquer, ne serait‑ce que d’une façon générale, quelles étaient ses tâches. J’ai trouvé que de telles imprécisions allaient à l’encontre de la façon dont l’appelante menait ses affaires financières au cours de la même période : elle a produit des déclarations de revenus pour son revenu d’emploi; elle a loué des chambres et elle a déclaré le revenu gagné; elle avait deux comptes de chèques; elle a acquis au même moment trois cartes de crédit, dont le plafond de crédit s’élevait en tout à 13 500 $; elle a établi deux lignes de crédit (le plafond s’élevant à 50 000 $ pour la plus récente); elle a pris des mesures pour obtenir un financement de 20 000 $ pour l’achat d’une nouvelle voiture; elle a acheté une maison qui était grevée d’une hypothèque d’environ 160 000 $; elle a obtenu une seconde hypothèque de 20 000 $ de son ami, M. Luukkonen[7]. Les documents que le ministre a obtenus des diverses institutions financières en cause[8] indiquaient de nombreux et fréquents dépôts et retraits d’argent ainsi que des virements d’un compte à l’autre. Une personne peu avertie ne se conduirait pas ainsi. Il me semble que le fait que l’appelante avait l’habitude de ne pas tenir de registres visait à masquer la nature véritable de ses activités génératrices de revenu; cela n’indiquait pas un manque de compréhension de l’importance de tenir des registres. Eu égard aux circonstances dans leur ensemble, l’appelante n’a pas réussi à réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle, en 2003, en 2004 et en 2005, elle exploitait sa propre entreprise.

 

[20]         Le témoignage de l’appelante, lorsqu’elle déclare qu’elle était une employée, est également incompatible avec d’autres réponses qu’elle a données au cours de l’interrogatoire principal. L’appelante a témoigné qu’en 2005, elle et une certaine Yin Hua Jin avaient participé, à titre d’associées à parts égales, à l’exploitation d’un « studio ». Toutefois, dans la demande qu’elle avait faite au mois d’octobre 2005 en vue d’obtenir une carte de crédit Visa, l’appelante avait également désigné Mme Jin comme son [traduction] « employeuse »[9]. Quoi qu’il en soit, l’appelante a témoigné qu’elle avait consenti des avances à Mme Jin afin de lui permettre de payer du matériel qu’elle avait acheté; ces achats étaient tous effectués en espèces et l’appelante n’avait à sa disposition aucun reçu à leur égard. Certaines avances avaient été remboursées par Mme Jin, mais l’appelante a également dit qu’elle avait remboursé les montants provenant de sa ligne de crédit à l’aide de l’argent qu’elle avait gagné en exploitant l’entreprise avec Mme Jin. L’appelante avait également utilisé sa carte de crédit afin de payer les frais de publicité dans certains journaux.

 

[21]         Selon l’appelante, Mme Jin était chargée de tenir les livres comptables. Mme Jin payait également tous les impôts, mais sur ce dernier point, l’appelante a également dit qu’elle ne savait pas si Mme Jin avait payé la TPS pour laquelle elle avait fait l’objet d’une cotisation. Quoi qu’il en soit, au mois de novembre 2005, les deux collègues s’étaient querellées et Mme Jin avait vendu l’entreprise. L’appelante a d’abord affirmé ne rien avoir reçu sur le produit de la vente, mais elle a par la suite dit que Mme Jin lui avait remis [traduction] « un certain » montant. À la date de l’audience, l’appelante ne savait absolument pas où était Mme Jin.

 

[22]         Au cas je conclurais qu’en 2005, l’appelante exploitait une entreprise, M. Buchan a soutenu que l’appelante devrait se voir accorder une dépense d’entreprise de 4 391 $[10] pour la publicité. Malgré toutes les incohérences relevées dans la version de l’appelante, il me semble qu’il s’agit d’une demande légitime. Étant donné que les 4 391 $ ont été versés au Toronto Sun et à certains journaux publiés en chinois, le ministre a inscrit le montant, dans la feuille de travail type relative à la valeur nette, sous la rubrique [traduction] « matériel de lecture ». Lorsqu’on a demandé à l’appelante quelles avaient été ses dépenses pour le [traduction] « matériel de lecture », elle a semblé perplexe et elle a répondu qu’elle prenait uniquement [traduction] « des journaux gratuits publiés en chinois », soit une réponse qui est compatible avec les montants relativement minimes indiqués pour le [traduction] « matériel de lecture » au cours d’années antérieures. D’autre part, l’appelante a par la suite dit, lors de l’interrogatoire principal, qu’elle avait payé la publicité à l’aide de sa carte de crédit, soit l’une des quelques réponses franches données au cours de son témoignage et une réponse qui est étayée par la documentation[11]. Je retiens également le témoignage de l’appelante lorsqu’elle déclare ne pas avoir récupéré toutes les avances qu’elle avait consenties. Eu égard aux circonstances dans leur ensemble, y compris l’hypothèse du ministre selon laquelle l’appelante exploitait une entreprise en 2005, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante a payé, cette année‑là, des frais de publicité de 4 391 $ à l’égard de son entreprise.

 

3.  Cotisation établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation; imposition de pénalités

 

[23]         Bien qu’il lui ait été difficile de s’exprimer en anglais, l’appelante a démontré un certain degré de connaissances en matière financière et un manque délibéré de volonté de tenir les registres appropriés à l’égard de son revenu de toutes sources. Son témoignage était plein d’incohérences et de contradictions. Les écarts entre le revenu déclaré et les montants identifiés au cours de la vérification sont importants et l’appelante ne les a pas expliqués d’une façon convaincante. D’autre part, Mme Duke a effectué une analyse détaillée convaincante. Les pénalités pour faute lourde ne devraient pas être imposées à la légère[12], mais je suis convaincue que le ministre s’est acquitté de l’obligation plus lourde qui lui incombait sur le plan de la preuve pour justifier leur imposition en vertu du paragraphe 163(2) et qu’il a eu raison d’établir des cotisations pour les années d’imposition 2003 et 2004 après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation en vertu du paragraphe l52(4) de la Loi. Ce même comportement constitue un manque de diligence raisonnable pour l’application de la LTA.

 

[24]         Pour les motifs susmentionnés, les appels interjetés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003 et 3004 et en vertu de la Loi sur la taxe d’accise pour la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005 sont rejetés. L’appel interjeté en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2005 est accueilli, et l’affaire est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelante a effectué une dépense d’entreprise de 4 391 $.

 

 

 

  Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’octobre 2010.

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de décembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                       2010 CCI 537

 

NOS  DES DOSSIERS DE LA COUR :    2009-3343(IT)I;

                                                              2009-3344(GST)I

 

INTITULÉ :                                            HUI PING QIAN

                                                              c.

                                                              SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                      Le 7 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                    L’honorable G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                        Le 21 octobre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Richard Buchan

Avocat de l’intimée :

Me Khashayar Haghgouyan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                                 Myles J. Kirvan

                                                              Sous-procureur général du Canada

                                                              Ottawa, Canada

 



[1] Pièce R-1.

 

[2] Pièce R-1, onglet 1.

[3] Bigayan v. R. [2000] 1 C.T.C. 2229 (C.C.I.); Martin v. R. [2000] 1 C.T.C. 2302. (C.C.I.); Sturzer c. R. 2009 CCI 1. (C.C.I.).

 

[4] Alinéas 7h), i), j) et k) de la réponse à l'avis d'appel dans d'appel concernant la TPS.

[5] [2001] 4 C.T.C. 1. (C.A.F.).

 

[6] Paragraphes 30 et 31.

[7] Voir les documents pertinents dans chaque cas, pièce R‑1.

 

[8] Pièce R‑1.

 

[9] Pièce R-1, onglet 6.

[10] Pièce R-1, onglet 12, année ayant pris fin le 31 décembre 2005, pages 3-4/7.

 

[11] Pièce R‑1, onglet 8.

[12] Venne v. R. [1984] C.T.C. 223 (C.F. 1re inst.); Njenga v. R. [1997] 2 C.T.C. 8 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.