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Dossier : 2009-895(IT)I

ENTRE :

LISA MORELAND,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 juin 2010 à Hamilton (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

 

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Darren Prevost

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2007 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Montréal (Québec), ce 4e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2010.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 483

Date : 20101004

Dossier : 2009-895(IT)I

ENTRE :

LISA MORELAND,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              Le présent appel, interjeté sous le régime de la procédure informelle, a été entendu à Hamilton, en Ontario, le 3 juin 2010. L’appelante était l’unique témoin à l’audience.

 

Le contexte

 

[2]              L’appelante est une employée de la Gendarmerie royale du Canada (l’« employeur ») depuis 2005. Avant février 2007, l’appelante exerçait ses fonctions au 255, rue Attwell à Etobicoke, en Ontario (le « lieu de travail »). Au mois de février 2007, on a attribué de nouvelles fonctions à l’appelante, lesquelles fonctions elle a continué à exercer au lieu de travail, mais dans un endroit différent à l’intérieur de ce lieu de travail. Ainsi, pendant toute la période pertinente au cours de l’année d’imposition 2007, l’appelante a exercé ses fonctions au lieu de travail. Le 27 juin 2007, l’appelante a déménagé du 68 Baintree Way à Cambridge, en Ontario (l’« ancienne résidence ») au 209, rue Fleming à Milton, en Ontario (la « nouvelle résidence »). Je tiens à souligner d’ores et déjà que l’intimée a reconnu, au début de l’audience, que le déménagement de l’ancienne résidence à la nouvelle résidence a permis à l’appelante de rapprocher son lieu de résidence d’au moins 40 kilomètres de son lieu de travail. Il ressort clairement de la preuve aussi que l’appelante a déménagé dans le seul but de se rapprocher du lieu de travail, et, par conséquent, de diminuer son temps de déplacement.

 

[3]              L’appelante a reçu de l’employeur un salaire brut de 56 763,78 $ dans l’année d’imposition 2007. Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2007, l’appelante a demandé une déduction de 26 087,90 $ au titre des frais de déménagement. Par avis de nouvelle cotisation daté du 25 août 2008, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction des frais de déménagement. L’appelante s’est opposée à la nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition 2007 au moyen d’un avis d’opposition daté du 10 septembre 2008 et portant le cachet de la poste du 15 septembre 2008. Le ministre a ratifié la nouvelle cotisation par avis de ratification daté du 10 février 2009. Au mois de mars 2009, l’appelante a interjeté appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie à son égard.

 

La question en litige

 

[4]              La seule question sur laquelle je suis appelé à me prononcer est de savoir si le déménagement de l’appelante de son ancienne résidence à sa nouvelle résidence visait à lui permettre d’occuper un emploi à un endroit au Canada.

 

La position de l’intimée

 

[5]              L’intimée soutient que l’appelante n’avait pas un « nouveau lieu de travail », au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pendant l’année d’imposition 2007, et que l’appelante n’a donc pas déménagé de son ancienne résidence à sa nouvelle résidence pour pouvoir occuper un emploi à son « nouveau lieu de travail ». Par conséquent, le déménagement de l’appelante à sa nouvelle résidence ne constitue pas une « réinstallation admissible » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi, et aucune partie de la déduction demandée de 26 087,90 $ relativement aux frais de déménagement ne peut être accordée au titre du paragraphe 62(1) de la Loi dans le calcul du revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 2007.

 

La position de l’appelante

 

[6]              L’appelante soutient que le déménagement de son ancienne résidence à sa nouvelle résidence visait à lui permettre d’occuper un emploi à un « nouveau lieu de travail », étant donné qu’elle avait [traduction] « changé de lieu de travail matériel (bureau) pour commencer un nouvel emploi dans le même grand ensemble de bureaux situé au 255, rue Attwell à Etobicoke ».

 

Les dispositions législatives

 

[7]              Les paragraphes 62(1) et (3) de la Loi prévoient ce qui suit :

 

(1) Frais de déménagement Un contribuable peut déduire dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition les sommes qu’il a payées au titre des frais de déménagement engagés relativement à une réinstallation admissible dans la mesure où, à la fois :

 

a) elles n’ont pas été payées en son nom relativement à sa charge ou à son emploi ou dans le cadre ou en raison de sa charge ou de son emploi;

 

b) elles n’étaient pas déductibles par l’effet du présent article dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition précédente;

 

c) leur total ne dépasse pas le montant applicable suivant :

 

(i) dans le cas visé au sous-alinéa a)(i) de la définition de « réinstallation admissible » au paragraphe 248(1), le total des sommes représentant chacune une somme incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année tiré de son emploi au nouveau lieu de travail ou de l’exploitation de l’entreprise au nouveau lieu de travail ou une somme incluse dans le calcul de son revenu pour l’année par l’effet du sous-alinéa 56(1)r)(v) relativement à son emploi au nouveau lieu de travail,

 

(ii) dans le cas visé au sous-alinéa a)(ii) de cette définition, le total des montants inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année par l’effet des alinéas 56(1)n) et o);

 

d) les remboursements et allocations qu’il a reçus relativement à ces frais sont inclus dans le calcul de son revenu.

 

[…]

 

(3) Frais de déménagement Pour l’application du paragraphe (1), sont comprises dans les frais de déménagement toutes dépenses engagées au titre :

 

a) des frais de déplacement (y compris les dépenses raisonnables pour repas et logement) engagés pour le déménagement du contribuable et des membres de sa maisonnée qui se transportent de l’ancienne résidence à la nouvelle résidence;

 

b) des frais de transport et d’entreposage des meubles du contribuable qui doivent être transportés de son ancienne résidence à sa nouvelle résidence,

 

c) des frais de repas et de logement, près de l’ancienne résidence ou de la nouvelle résidence, engagés par le contribuable et les membres de sa maisonnée pendant une période maximale de 15 jours;

 

d) des frais de résiliation du bail en vertu duquel il était le locataire de son ancienne résidence;

 

e) des frais relatifs à la vente de son ancienne résidence;

 

f) lorsque le contribuable ou son époux ou conjoint de fait vend l’ancienne résidence par suite du déménagement, des frais, pour le contribuable, à l’égard des services juridiques relatifs à l’achat de la nouvelle résidence et des impôts, frais, droits et taxes (sauf toute taxe sur les produits et services ou taxe à la valeur ajoutée) applicables au transfert ou à l’enregistrement du droit de propriété de cette résidence;

 

g) des intérêts, impôts fonciers, primes d’assurance et coûts du chauffage et des services publics relativement à l’ancienne résidence, jusqu’à concurrence de 5 000 $ ou, s’il est moins élevé, du total des dépenses de cette nature engagées par le contribuable pour la période, à la fois :

 

(i) tout au long de laquelle l’ancienne résidence n’est ni ordinairement occupée par le contribuable ou par une autre personne qui y résidait habituellement avec lui immédiatement avant le déménagement, ni louée par le contribuable à une autre personne,

 

(ii) au cours de laquelle des efforts sérieux sont faits en vue de vendre l’ancienne résidence;

 

h) du coût de la révision de documents juridiques pour tenir compte de l’adresse de la nouvelle résidence du contribuable, du remplacement des permis de conduire et des certificats d’immatriculation de véhicules non commerciaux (à l’exclusion du coût de l’assurance-véhicule) et des connexion et déconnexion des services publics;

 

il est toutefois entendu que le terme ne vise pas les frais (autres que les frais visés à l’alinéa f)) engagés par le contribuable pour l’acquisition de sa nouvelle résidence.

 

 

[8]              Le paragraphe 248(1) de la Loi définit l’expression « réinstallation admissible » de la manière suivante :

 

« réinstallation admissible » Réinstallation d’un contribuable relativement à laquelle les conditions suivantes sont réunies :

 

a) elle est effectuée afin de permettre au contribuable :

 

(i) soit d’exploiter une entreprise ou d’occuper un emploi à un endroit au Canada (appelé « nouveau lieu de travail » à l’article 62 et au présent paragraphe),

 

(ii) soit de fréquenter, comme étudiant à temps plein inscrit à un programme de niveau postsecondaire, un établissement d’une université, d’un collège ou d’un autre établissement d’enseignement (appelé « nouveau lieu de travail » à l’article 62 et au présent paragraphe);

 

b) la résidence que le contribuable habitait ordinairement avant la réinstallation (appelée « ancienne résidence » à l’article 62 et au présent paragraphe) et celle qu’il habitait ordinairement après la réinstallation (appelée « nouvelle résidence » à l’article 62 et au présent paragraphe) sont toutes deux situées au Canada,

 

c) la distance entre l’ancienne résidence et le nouveau lieu de travail est supérieure d’au moins 40 kilomètres à la distance entre la nouvelle résidence et le nouveau lieu de travail.

 

Toutefois pour l’application des paragraphes 6(19) à (23) et de l’article 62 à la réinstallation d’un contribuable qui est absent du Canada mais y réside, il n’est pas tenu compte des mots « au Canada » au sous-alinéa a)(i) de la présente définition ni de son alinéa b).

 

Analyse et conclusion

 

[9]              Dans Bracken v. Minister of National Revenue, 84 DTC 1813 (C.C.I.), le juge en chef Christie (tel était alors son titre) a énoncé quatre conditions qu’un contribuable doit remplir pour avoir droit à une déduction des frais de déménagement au titre du paragraphe 62(1) de la Loi. À la page 1819, le juge en chef Christie s’était ainsi exprimé :

 

[traduction]

 

À mon sens, le législateur envisage au paragraphe 62(1) l’existence de quatre éléments distincts : l’ancien lieu de travail, le nouveau lieu de travail, l’ancienne résidence, la nouvelle résidence, ainsi que la comparaison entre deux distances, soit d’une part la distance entre l’ancienne résidence et le nouveau lieu de travail, et d’autre part la distance entre la nouvelle résidence et le nouveau lieu de travail, celle‑là devant être supérieure à celle‑ci de 40 kilomètres ou plus pour que les frais de déménagement puissent être déduits. […]

 

[10]         La jurisprudence postérieure à Bracken n’est pas unanime quant à la validité de l’interprétation du juge en chef Christie : certaines décisions ont contredit Bracken (voir, par exemple, Templeton c. Canada, [1997] A.C.F. N396 (C.F. 1re inst.) (QL) et Gelinas v. The Queen, 2009 DTC 479), et certaines ont été prononcées en faveur de la démarche adoptée dans Bracken (voir, par exemple, Grill c. Canada, 2009 CCI 5 (procédure informelle) et Jaggers c. Canada, [1997] A.C.I. N477 (QL)).

 

[11]         Giannakopoulos c. M.R.N., [1995] 3 C.F. 294 (C.A.F.), est la seule affaire dans laquelle la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la déduction des frais de déménagement au titre du paragraphe 62(1). À la page 297, le juge Marceau a déclaré ce qui suit :

 

En vertu du paragraphe 62(1), le contribuable peut déduire ses frais de déménagement lorsqu’il se rapproche de son nouveau lieu de travail. L’employé doit résider à une distance raisonnable de son travail. Lorsqu’il accepte un nouvel emploi, il peut se voir forcé de déménager afin de demeurer à une distance pratique de son travail. Au paragraphe 62(1), on reconnaît que la réinstallation constitue une dépense légitimement liée au travail. Pour fermer la porte aux tentatives d’un contribuable d’invoquer la disposition lorsqu’il désire simplement changer de résidence, la disposition requiert que le déménagement rapproche le contribuable de son travail d’au moins 40 kilomètres. [. . .]

 

Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a rejeté la démarche de la « ligne droite » ou du « vol d’oiseau ». J’ajouterais qu’en décidant ainsi, la Cour d’appel fédérale n’a soulevé aucun doute quant à la validité de la démarche adoptée dans Bracken.

 

[12]         Je partage l’opinion du juge en chef Christie quant à l’interprétation qu’il a faite du paragraphe 62(1) de la Loi. Il ressort clairement du sous‑alinéa 62(1)c)(i) qu’un contribuable ne peut déduire les frais de déménagement de son revenu tiré d’un emploi ou de l’exploitation d’une entreprise que s’il s’est réinstallé dans un « nouveau lieu de travail ». La définition de l’expression « réinstallation admissible » au paragraphe 248(1) de la Loi exige que la réinstallation ait été effectuée « afin de permettre au contribuable […] d’exploiter une entreprise ou d’occuper un emploi à un endroit au Canada (appelé « nouveau lieu de travail » à l’article 62 et au […] paragraphe [248(1)]) ». Par conséquent, les termes de la Loi prévoient clairement, ou exigent, l’existence d’un « nouveau lieu de travail » afin que le contribuable puisse avoir droit à la déduction des frais de déménagement.

 

[13]         En l’espèce, l’appelante a changé de lieu de travail matériel (bureau) pour exercer de nouvelles fonctions (attribuées par le même employeur) dans le même grand ensemble de bureaux situé au 255, rue Attwell à Etobicoke, en Ontario. Dès lors, il faut répondre à la question suivante : ce changement de lieu de travail matériel constitue‑t‑il un déménagement à un « nouveau lieu de travail »? À mon avis, l’expression « nouveau lieu de travail » a le sens de lieu réel de l’entreprise, qui est le lieu géographique réel, l’édifice ou l’emplacement où le contribuable travaille. Même si l’expression « nouveau lieu de travail » ne doit pas être interprétée de manière rigide, je ne pense pas que l’intention du législateur était de permettre à un contribuable qui travaille au septième étage d’un édifice et qui passe au sixième étage du même édifice pour occuper un nouvel emploi (auprès du même employeur) de déduire ses frais de déménagement. En l’espèce, l’appelante n’a pas rempli le critère du « nouveau lieu de travail », par conséquent, aucuns frais de déménagement n’étaient déductibles au titre du paragraphe 62(1) de la Loi relativement au montant de 26 087,90 $ dont l’appelante avait demandé la déduction dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2007.

 

[14]         Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 4jour d’octobre 2010.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2010.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 483

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2009-895(IT)I

 

INTITULÉ :                                       LISA MORELAND

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Hamilton (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 3 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 4 octobre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

 

L’appellante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Darren Prevost

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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