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Référence : 2010 CCI 424

Date : 20100818

Dossier : 2010-467(GST)I

ENTRE :

WAYNE BOWDEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Pour l’appelant : L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée : Me Darren Prevost

__________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience à

Toronto (Ontario), le 15 juillet 2010.)

 

Le juge Bowie

 

[1]     J’ai rejeté les appels à l’audience, le 15 juillet 2010, et j’ai alors motivé oralement mon jugement. L’appelant a demandé que le jugement soit motivé par écrit, et, suivant l’article 18.23 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, j’ai estimé opportun de le faire. Voici les motifs que j’ai rendus à l’audience, légèrement révisés au regard de la syntaxe et des erreurs mineures dans la transcription.

 

[2]     Les appels sur lesquels je dois me prononcer visent les crédits de taxe sur les intrants demandés par l’appelant pour la période allant du 1er juillet 2007 à septembre 2009, inclusivement. L’appelant soutient que, pendant cette période, il a exploité trois entreprises. Il est incontesté que l’une d’elles était une entreprise de services financiers, dont les produits n’étaient pas assujettis à la TPS, et dont les dépenses ne généraient pas des crédits de taxe sur les intrants.

 

[3]     La demande de crédits de taxe sur les intrants se rapporte aux autres activités de l’appelant, qui sont exercées, selon lui, premièrement dans le cadre d’une entreprise de consultation informatique et deuxièmement dans le cadre d’une entreprise de rénovation résidentielle et de mise en valeur résidentielle. L’appelant soutient qu’il a le droit de demander, comme il l’a fait, et de recevoir des crédits de taxe sur les intrants pour les sommes dépensées relativement à ces deux entreprises.

 

[4]     Il y a une question préliminaire à trancher concernant le droit d’appel relativement aux périodes trimestrielles allant du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2009. L’intimée demande l’annulation de l’appel relativement à ces périodes, au motif que l’appelant n’a pas déposé d’avis d’opposition en réponse à l’avis de nouvelle cotisation visant les périodes en question.

 

[5]     L’intimée a produit l’affidavit de Teresa D'Sa, qui déclare avoir examiné les dossiers pertinents, à la recherche d’un avis d’opposition à l’encontre des nouvelles cotisations établies pour les périodes allant du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2009, périodes pour lesquelles un avis de nouvelle cotisation a été établi en date du 21 janvier 2010. Elle n’a pas été en mesure de trouver un tel avis d’opposition.

           

[6]     L’appelant a produit la copie d’un avis d’opposition relativement à ces périodes, daté du 5 février 2010. Il a témoigné l’avoir envoyé par courrier le même jour ou un jour ou deux après, et avoir donc déposé un avis d’opposition valide.

 

[7]     Toutefois, il est également reconnu qu’à ce jour cet avis d’opposition n’a pas donné lieu à un avis de confirmation ni à un avis de nouvelle cotisation. Vu que le délai de cent quatre-vingts jours suivant le dépôt n’est pas encore expiré, la condition préalable à un appel relativement aux périodes de l’année 2009 n’est pas remplie. L’appel y afférent sera donc annulé.

 

[8]     Bien sûr, l’appelant aura un jour le droit d’interjeter appel relativement à l’année 2009, soit du fait de l’expiration du délai soit du fait de l’établissement par le ministre d’une nouvelle cotisation ou de la confirmation de la cotisation initiale. Aux fins de l’espèce, l’appel valide se limite aux périodes des années civiles 2007 et 2008.

 

[9]     Le ministre soutient, relativement aux années susmentionnées, que l’appelant n’exerçait pas des activités commerciales dans le cadre de l’entreprise de consultation informatique ou de l’entreprise de rénovation résidentielle et de mise en valeur résidentielle. La mise en valeur résidentielle, pour le bénéfice des non‑initiés, vise à améliorer, si l’on veut, l’apparence d’une résidence mise en vente sur le marché immobilier pour attirer davantage l’attention des acheteurs potentiels.

 

[10]    Au départ, j’ai été préoccupé par la question de savoir si la réponse du ministre révélait adéquatement sa position à cet égard, et si l’appelant avait été suffisamment informé de ce qu’il fallait démontrer. Toutefois, au vu de la preuve, j’ai été convaincu que l’appelant avait effectivement compris, dès le départ, les questions soulevées et qu’il n’a été aucunement pris par surprise. En fait, il a préparé des feuilles de calcul précisément pour démontrer la portée de ses activités commerciales dans le cadre de ses entreprises de consultation informatique, de rénovation résidentielle et de mise en valeur résidentielle.

         

[11]    S’agissant d’un appel interjeté selon la procédure informelle, où l’appelant n’a pas été pris par surprise, je n’hésite pas à examiner l’affaire selon les questions soulevées au cours de l’audience.

         

[12]    Sans entrer dans les détails concernant le régime établi par les dispositions relatives à la taxe sur les produits et services énoncées à la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise[1], il suffit de dire que les gens d’affaires qui perçoivent et versent la taxe sur les produits et services ont droit à une compensation à cet égard sous forme de crédits de taxe sur les intrants, soit la taxe sur les produits et services payée à l’égard des dépenses engagées pour générer le flux de recettes pour leur entreprise. Il existe évidemment de nombreuses exceptions. Le secteur des services financiers échappe essentiellement à ce régime, en ce sens que la taxe sur les produits et services ne s’applique pas aux services financiers. Les fournisseurs de services financiers n’ont pas droit aux crédits de taxe sur les intrants à l’égard des dépenses qui constituent des intrants afférents à leur entreprise.

         

[13]    L’examen des questions dont je suis saisi en l’espèce porte uniquement sur les activités de l’appelant autres que les services financiers, activités exercées dans le cadre de l’entreprise de consultation informatique et de l’entreprise de rénovation résidentielle et de mise en valeur résidentielle.

 

[14]    Pour avoir droit aux crédits de taxe sur les intrants, il faut avoir engagé les dépenses afférentes dans le cadre d’une activité commerciale. L’expression « activité commerciale » est définie dans la Loi sur la taxe d’accise, au paragraphe 123(1). La définition comporte trois parties. La première partie est ainsi libellée :

 

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées. […]

 

[15]    Le législateur a prévu expressément que le particulier qui exploite une entreprise sans expectative raisonnable de profit n’exerce pas une activité commerciale, de sorte qu’il ne peut recouvrer les crédits de taxe sur les intrants. Il n’est pas nécessaire que j’examine les considérations de politique générale sous‑jacentes à cette disposition législative, mais, en règle générale, il est assez bien établi que les taxes à la valeur ajoutée sont susceptibles d’entraîner des abus criants. L’un d’eux a trait aux crédits de taxe sur les intrants. Cette disposition vise à combattre les abus potentiels.

 

[16]    La principale question dont je suis saisi, et en fait le sujet principal de la preuve présentée à l’audience, est de savoir si l’appelant, qui exploite toutes ces entreprises individuelles, avait une expectative raisonnable de profit à l’égard des activités exercées dans le cadre de ces entreprises.

         

[17]    À la pièce A-2, l’appelant a préparé un tableau pour indiquer les montants de taxe sur les produits et services qu’il avait perçus et versés pendant la période allant de janvier 2003 à la fin du troisième trimestre de 2009, ainsi que les déclarations de TPS pour les trimestres de cette période et les demandes de crédits de taxe sur les intrants.

         

[18]    De 2006 à septembre 2009, le total de la TPS perçue s’élevait à 15 $, dont aucun montant, je précise, ne visait la période faisant l’objet du présent appel, soit 10 $ pour le deuxième trimestre de 2009 et 5 $ pour le troisième trimestre de 2009. Il n’y avait, semble‑t‑il, pas de vente dans le cadre des entreprises (le mot « entreprises » sert uniquement à désigner les activités que l’appelant qualifie d’activités commerciales donnant lieu à des CTI) au cours des années 2006, 2007 et 2008. Il y avait une transaction pour le deuxième trimestre de 2009 qui avait apparemment généré des revenus de 200 $, montant que l’appelant a facturé à un client pour avoir fixé un support mural pour téléviseur et, pour le troisième trimestre de 2009, une autre transaction relative à la suppression d’un virus informatique pour laquelle l’appelant a facturé un montant de 100 $, donnant lieu à une TPS de 5 $ pour cette période.

         

[19]    Il s’agit là du total généré par les activités commerciales, au moins du point de vue des recettes générées pour une période d’un peu plus de trois ans.

         

[20]    L’appelant possède certaines compétences en informatique à la suite d’études poursuivies dans un collège communautaire. Son expertise en rénovation et mise en valeur résidentielle semble d’origine autodidacte, à partir, selon ses dires, de l’âge de 14 lorsqu’il a commencé à rénover des maisons. Il n’avait aucun plan d’affaires pour l’une ou l’autre de ces entreprises. Il n’avait fait, semble‑t‑il, aucune prévision des ventes probables. Il ne semble pas avoir tenu compte, selon la preuve, des recettes nécessaires pour réaliser des profits, mais autrement dit, il a simplement accroché une enseigne et a cherché du travail.

         

[21]    L’entreprise de consultation informatique a, selon l’appelant, commencé ses opérations en 1987 et l’entreprise de rénovation résidentielle et de mise en valeur résidentielle vers 2006. L’appelant a expliqué, quant à l’absence de recettes pour la période en cause en l’espèce, qu’il avait consacré tellement de temps aux vérificateurs de Revenu Canada qu’il ne lui en restait plus guère pour ses activités commerciales. Il a ajouté que son sens de l’éthique lui commandait de dévoiler aux clients potentiels qu’il avait des désaccords, si l’on peut dire, avec Revenu Canada, que ses entreprises faisaient l’objet d’une vérification. Cela, dit‑il, dissuadait les clients de faire affaires avec lui.

         

[22]    J’estime que ces deux propositions sont absurdes.

         

[23]    À mon avis, au vu des facteurs mentionnés par le juge Dickson, plus tard juge en chef, dans l’arrêt Moldowan c. La Reine[2], et que la Cour suprême a considérés comme des indices de probabilité de profit et donc de l’existence d’une entreprise, rien ne semble vraiment indiquer qu’il s’agit d’une ou de deux entreprises ayant eu une attente de profit en 2007 et 2008. Je ne mentionnerai pas l’année 2009 parce que cette période pourrait ultérieurement faire l’objet d’une autre instance. Il va sans dire qu’au cours de la période en cause en l’espèce rien ne semble vraiment indiquer que toute anticipation de profit à l’égard de ces entreprises serait raisonnable.

         

[24]    En fait, même si l’on ne tient pas compte pour le moment du critère plus rigoureux applicable selon la définition de l’activité commerciale énoncée dans la Loi sur la taxe d’accise, et qu’on applique plutôt le critère plus récent énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stewart c. La Reine[3] quant à l’existence d’une entreprise, il serait difficile de dire qu’il s’agissait d’entreprises, puisque rien ne permet d’affirmer que ces entreprises étaient exploitées d’une manière propre au milieu des affaires.

         

[25]    L’appelant dit bien entendu qu’il s’attendait à réaliser un profit, mais les attentes ne constituent pas nécessairement des expectatives raisonnables. Ce qui importe en l’espèce, c’est l’expectative raisonnable et non les attentes subjectives de l’appelant. J’estime qu’en l’espèce il ne s’agit pas d’une expectative raisonnable de profit.

 

[26]    Par conséquent, les appels relatifs à la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2009 seront annulés. Les appels relatifs à la période du 1er juillet 2007 au 31 décembre 2008 seront rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’août 2010.

 

« E.A. Bowie »

Le juge Bowie

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour d’août 2011-08-10.

 

Semra Denise Omer, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 424

 

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2010-467(GST)I

 

 

INTITULÉ :                                       WAYNE BOWDEN et

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 15 juillet 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge E.A. Bowie

 

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Darren Prevost

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      S/O

 

                            Cabinet :                S/O

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]     L.R.C. 1995, ch. E-15.

 

[2]          77 D.T.C. 5213.

 

[3]          2002 CSC 46.

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