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Dossier : 2008-1402(IT)G

ENTRE :

IVAN DENISOV,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Appels entendus les 1er, 2 et 3 février 2010, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Aaron Rodgers

Avocat de l’intimée :

Me Benoit Mandeville

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JUGEMENT

 

L’appel visant la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année d’imposition 2001 est accueilli en partie et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Les appels visant les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement aux années d’imposition 2002 et 2003 sont rejetés avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Québec (Québec), ce 16e jour d’août 2010.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

 

Traduction certifiée

ce 26e jour de novembre 2010.

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

Référence : 2010 CCI 101

Date : 20100816

Dossier : 2008-1402(IT)G

ENTRE :

IVAN DENISOV,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Le présent appel est interjeté à l’encontre des cotisations relatives aux années d’imposition 2001, 2002 et 2003 de l’appelant. Les cotisations ont été établies sur le fondement de l’hypothèse avancée par l’intimée voulant que l’appelant, aux fins de l’impôt sur le revenu, ait résidé au Canada pendant les trois années en cause et qu’il ait gagné pendant ces années un revenu imposable de 326 233 $, de 190 771 $ et de 431 619 $ respectivement. Ces montants de revenu imposable ont été calculés au moyen d’une cotisation fondée sur l’avoir net qui a été établie en 2004 par un certain Mario Côté, vérificateur à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

 

[2]              Il s’agit de savoir si l’appelant résidait au Canada pendant les trois années en cause et, dans l’affirmative, de savoir si le ministre du Revenu national était justifié d’inclure les sommes susmentionnées dans le revenu de l’appelant puis d’imposer des pénalités pour l’omission, par ce dernier, de produire des déclarations de revenu relativement aux trois années en cause et de déclarer son revenu.

 

[3]              L’examen des opérations bancaires effectuées par l’appelant dans les trois comptes qu’il détenait au Canada à la Banque Royale du Canada et à la Banque Toronto‑Dominion a permis de déterminer son revenu non déclaré pour les trois années en cause. Ses frais personnels ont été calculés sur le fondement de l’utilisation qu’il faisait de ses cartes de crédit (quatre en tout) ainsi que des retraits effectués dans les comptes bancaires. Dans certains cas, il était possible de savoir à quoi avaient servi les retraits (frais bancaires, intérêt) mais, dans d’autres, les retraits étaient inexpliqués. À cet égard, les chiffres figurent aux annexes V et VI des calculs de l’avoir net, lesquelles sont jointes aux présents motifs.

 

[4]              Le vérificateur a rencontré l’appelant pour la première fois le 19 juillet 2004. À ce moment, l’appelant l’a informé qu’il était citoyen canadien et qu’il résidait ou vivait au Canada. L’appelant a en outre affirmé qu’il ne gagnait aucun revenu de source canadienne ou autre et qu’il voyageait beaucoup, mais uniquement pour le plaisir. Il n’a mentionné aucun voyage en Russie ni le fait qu’il ait pu être étudiant. Il importe de préciser à ce stade‑ci que l’appelant est un citoyen russe qui est venu au Canada en 1995 à titre d’étudiant. Il est devenu citoyen canadien en février 1999 et il n’a jamais déclaré aucun revenu au Canada de 1995 jusqu’à maintenant.

 

[5]              L’expert‑comptable de l’appelant a ultérieurement communiqué avec le vérificateur pour l’informer que le frère de l’appelant envoyait de l’argent à ce dernier. Il a fourni des documents montrant la déclaration fiscale du frère de l’appelant ainsi qu’une déclaration de celui‑ci voulant qu’il ait effectivement transféré des fonds à l’appelant. Le vérificateur a écrit aux autorités russes, lesquelles lui ont fourni des renseignements montrant que le frère de l’appelant avait déclaré des revenus de 15 à 20 fois inférieurs à la somme qu’il affirmait avoir remise à l’appelant. La somme alléguée qui aurait été transférée par le frère de l’appelant était insuffisante pour justifier le montant du revenu non déclaré déterminé au moyen de la cotisation fondée sur l’avoir net. De plus, certains des transferts de fonds allégués effectués par le frère de l’appelant n’ont pas eu lieu pendant les années d’imposition en cause. Le vérificateur a écarté l’explication fondée sur le transfert de fonds.

 

[6]              En octobre 2004, le vérificateur a présenté sa cotisation proposée au représentant de l’appelant. Onze mois se sont écoulés et aucune autre observation ou précision n’a été formulée par quiconque au sujet de la cotisation fondée sur l’avoir net. Le représentant de l’appelant a toutefois informé le vérificateur à un certain moment au cours de la vérification que l’appelant ne résidait pas au Canada pendant les trois années d’imposition visées par l’appel.

 

[7]              Durant les années d’imposition en cause, l’appelant avait au Canada un téléphone cellulaire de Rogers Wireless Inc. Au cours des années d’imposition 2001 et 2002, il détenait au Canada une carte de crédit émise par la Banque Royale du Canada et, au cours de l’année d’imposition 2003, des cartes de crédit émises par la Banque Royale du Canada, la CIBC, la Banque Toronto‑Dominion et la Banque Amex du Canada. L’appelant était également titulaire, au cours des années d’imposition pertinente, d’un passeport et d’une carte d’assurance sociale délivrés par le gouvernement canadien.

 

[8]              Le vérificateur a entrepris un examen approfondi des factures relatives au téléphone cellulaire de l’appelant, de ses achats portés sur une carte de crédit, de son passeport estampillé et de sa documentation douanière afin de déterminer le nombre de jours pendant lesquels l’appelant était présent au Canada. Selon le vérificateur, l’appelant a passé 234 jours au Canada en 2001, 103 en 2002 et 196 en 2003.

 

[9]              Pendant le contre‑interrogatoire, le vérificateur a reconnu que l’utilisation du téléphone cellulaire par l’appelant en juillet 2001 devait être réduite de 31 à six jours, ce qui faisait passer le nombre de jours pour 2001 de 234 à 209. Il a également reconnu que cinq jours devraient être soustraits pour 2003 quant à l’utilisation du téléphone cellulaire par l’appelant au Canada.

 

[10]         À son arrivée au Canada au début de 1995, l’appelant et deux de ses amis ont constitué une société fédérale, comme en fait foi le registre des sociétés du Québec. Ce dernier montre en outre que la société a été immatriculée le 10 juin 1997 et a perdu la personnalité juridique en mai 1999. En 1998, l’appelant a investi des fonds dans la société – laquelle exploitait une boîte de nuit –, mais il cessé d’y participer lorsque des fonds supplémentaires se sont révélés nécessaires pour la maintenir à flot.

 

[11]         L’appelant a également constitué, en 1999, une autre société, appelée D.I.A. Trading Inc. – Commerce D.I.A. Inc., en vue d’importer et d’exporter des textiles. Selon ses déclarations de revenus et ses états financiers, cette société n’était pas très active et n’a jamais réalisé de bénéfices. Elle a été radiée du registre en décembre 2008.

 

[12]         À l’été 2000, l’appelant est retourné à Moscou avec sa petite amie canadienne. Ils ont emménagé dans un appartement dont l’appelant était propriétaire et qui avait été acheté à son intention par son père. Même si son amie est retournée au Canada à l’automne, l’appelant allègue qu’il est demeuré à Moscou parce qu’il se souvient d’avoir participé aux célébrations du jour de l’An. L’appelant affirme qu’il est resté à Moscou, sauf pour un bref séjour en Finlande le 11 juillet 2001, où il s’est rendu en train et dont il est revenu en automobile (pièce R‑3, onglet 52). Selon son passeport, il a ensuite fait un voyage au Canada, le 25 juillet 2001, où il est demeuré environ un mois.

 

[13]         Pour la période de janvier 2001 à juillet 2001, les factures de téléphone cellulaire de l’appelant au Canada font état de nombreux appels faits ici. C’est sur le fondement de ces factures que le vérificateur de l’ARC a conclu que l’appelant était présent au Canada du mois de mars 2001 jusqu’au 18 septembre 2001. Les factures ne font état d’aucun appel du 18 septembre au 29 octobre 2001 ni du 4 décembre 2001 au 20 janvier 2002, ce qui laisse le mois de novembre 2001, au cours duquel des appels ont été faits avec le téléphone cellulaire canadien.

 

[14]         L’appelant a en outre produit les factures relatives à son téléphone cellulaire en Russie (pièce A‑7) de 2001 à 2003 inclusivement, lesquelles montrent les appels faits dans ce pays. D’après l’appelant, il avait laissé son téléphone cellulaire canadien à sa petite amie canadienne et cette dernière s’en était servi au cours du printemps et de l’été 2001. Il a lui‑même utilisé le téléphone cellulaire canadien en août, alors qu’il était ici, et il a laissé l’appareil à un ami lorsqu’il a quitté le Canada au début du mois de septembre. Ni cet ami, ni la petite amie n’ont été appelés à témoigner.

 

[15]         L’appelant est allé vivre avec sa petite amie russe, Ksenia Denisova, à Moscou, en septembre 2001. Il s’est présenté à des examens d’entrée écrits en juin 2001 et il a été admis à l’Université de Moscou (MESI) pour septembre. Il a fait un court séjour à Berlin et en Finlande en octobre et il est ultérieurement venu au Canada le 29 octobre 2001. Après avoir demandé l’avis d’agents immobiliers, et comme les valeurs immobilières avaient diminué, il a décidé d’acquérir un appartement condominial (« condo ») à Verdun. Comme il venait au Canada pour y passer des vacances, il estimait qu’il serait moins dispendieux d’utiliser le condo que de rester à l’hôtel.

 

[16]         L’acte de vente du condo est daté du 29 novembre 2001. Selon cet acte, l’appelant est un homme d’affaires qui réside sur l’avenue Kensington, à Westmount, où se trouvait l’appartement qu’il occupait avec son ancienne petite amie. L’appelant n’a pas déménagé dans le condo puisqu’il l’a loué au vendeur jusqu’en août 2002.

 

[17]         Le prix d’achat du condo s’élevait à 109 000 $. L’appelant a emprunté 59 000 $ à L’Industrielle‑Alliance, Compagnie d’assurance sur la vie, et il a payé le solde de 50 000 $ au moyen d’un retrait en espèces de son compte bancaire, ce qui explique le retrait figurant sous la rubrique intitulée [traduction] « retraits inexpliqués » de la cotisation fondée sur l’avoir net.

 

[18]         Selon le relevé d’utilisation de son téléphone cellulaire et son propre témoignage, l’appelant est retourné en Russie au cours des premiers jours de décembre 2001. Il a passé le jour de l’An 2002 à Moscou et il a fait un voyage d’un jour en Finlande en janvier 2002. Le 21 janvier 2002, il est allé au Canada pour un séjour d’environ deux semaines afin de venir chercher les documents relatifs à l’acquisition du condo. Il est demeuré à l’appartement de l’avenue Kensington. Cette visite est confirmée par la pièce R‑3, onglet 53, et la pièce A‑3, laquelle ne fait état d’aucun appel effectué avec le téléphone cellulaire canadien avant le 20 janvier 2002 et après le 3 février 2002. En fait, il n’y a pas eu d’autres appels avec ce téléphone jusqu’au 25 juillet 2002, lorsqu’il est revenu au Canada pour une période de trois semaines. Il a récupéré tous les effets personnels qu’il avait laissés à l’appartement de l’avenue Kensington et les a transportés au condo à Verdun. Il est retourné en Russie au milieu du mois d’août afin de poursuivre ses études à l’université de Moscou et de préparer son mariage avec Ksenia Denisova, et parce qu’il travaillait en outre pour une société d’ameublement à Moscou. Une feuille de travail établie par cette société montre que l’appelant a travaillé pour cette entreprise du 2 février 2001 au 31 mars 2004. Son salaire pour cette période, soit 90 385,14 roubles, a été assujetti à l’impôt sur le revenu.

 

[19]         L’appelant a épousé Ksenia Denisova le 5 octobre 2002 et, trois semaines plus tard, ils sont venus au Canada pour leur voyage de noces. À ce moment, l’épouse de l’appelante était enceinte et ses médecins lui avaient déconseillé de voyager. L’appelant a affirmé qu’il était retourné en Russie vers le 15 novembre 2002 pour poursuivre ses études et travailler. Le téléphone cellulaire canadien est demeuré avec son épouse au Canada, ce qui explique son utilisation d’octobre 2002 à juin 2003, comme il ressort de la pièce A‑3.

 

[20]         D’après l’appelant, il est revenu au Canada le 27 décembre 2002 pour passer la période des Fêtes avec son épouse. Il est retourné en Russie à la fin janvier et il est revenu avec sa mère pour la naissance de son enfant, laquelle a eu lieu le 18 mars 2003. Deux mois plus tard, son épouse et sa fille sont retournées à Moscou et il les a suivis le 6 juin, après avoir rempli tous les documents relatifs à la naissance de son enfant au Canada.

 

[21]         Son passeport montre qu’en juin et juillet, il a fait de courts voyages en Finlande, mais qu’il est venu au Canada le 12 août 2003 pour environ un mois. C’est au cours de cette visite que l’appelant a présenté diverses demandes de crédit. Il était endetté envers des amis et d’autres personnes, auxquels il avait emprunté de l’argent afin de payer les soins médicaux donnés à son épouse lorsqu’elle se trouvait au Canada. Il a rencontré quelqu’un par l’intermédiaire d’une annonce et cette personne l’a aidé à obtenir du crédit. Même si l’appelant affirme avoir présenté des demandes partout, la preuve documentaire ne fait état que de ses demandes auprès d’ING Direct et de la Banque de Nouvelle‑Écosse, auxquelles étaient joints des avis de cotisation de l’ARC. L’appelant a bien signé la demande faite à ING Direct, mais il allègue qu’il n’était pas au courant des avis de cotisation joints à cette demande et qu’il ne les a jamais vus. Il appert que ces avis de cotisation étaient des documents falsifiés. En effet, aucun avis de cette nature n’a jamais été établi à l’égard de l’appelant. Selon ces avis, l’appelant gagnait un revenu annuel de plus de 100 000 $ par année. Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il n’avait aucune connaissance de ces avis de cotisation falsifiés et qu’il s’était simplement fié à la personne mentionnée plus haut pour obtenir du crédit.

 

[22]         L’appelant est retourné en Russie le 11 septembre 2003. Il est revenu au Canada quelques jours plus tard, pour ensuite repartir en Russie le 20 septembre, où il demeuré pour le reste de l’année et jusqu’en avril 2004.

 

[23]         La preuve documentaire confirme que l’appelant est copropriétaire d’un appartement à Moscou depuis 1993 et qu’il a payé les frais liés aux services publics pour ce logement du 1er janvier 2000 au 31 mars 2009. Il est titulaire d’un passeport russe valide pour les voyages tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Russie.

 

[24]         Le 10 juillet 1991, on a remis à l’appelant un relevé d’emploi montrant qu’il a commencé à travailler comme directeur du marketing le 2 février 2001, qu’il a quitté cet emploi le 31 mars 2004 pour des raisons personnelles, et qu’il est devenu le directeur administratif d’une société le 2 juin 2004. L’appelant est également titulaire d’une carte d’assurance médicale délivrée par le gouvernement de Russie. Quant à sa couverture médicale au Québec, sa carte a été révoquée le 1er janvier 2002. L’appelant est titulaire d’un permis de conduire russe depuis 1995. Ce permis a été renouvelé le 30 avril 2002 et il expire le 30 avril 2012. Il est également titulaire d’un permis de conduire québécois, qu’il a conservé parce qu’il lui donne le droit de conduire des motocyclettes.

 

[25]         Je suis en outre saisi d’une confirmation écrite de l’université de Moscou voulant que l’appelant ait été étudiant à cet établissement depuis 2001 et qu’il ait été, en date de ce certificat, un étudiant de quatrième année. Il a obtenu son diplôme le 21 décembre 2007.

 

[26]         L’épouse de l’appelant, Ksenia Denisova, est résidente de la Russie. Elle a rencontré l’appelant à l’été 2001 en Russie. Elle se souvient qu’il a quitté la Russie pour le Canada à la mi‑juillet 2001 et qu’il est revenu à la mi‑septembre. Il effectuait ce voyage pour mettre fin à sa relation avec sa petite amie canadienne. Le témoin et l’appelant étaient tous deux étudiants et ils ont emménagé ensemble dans l’appartement de l’appelant en septembre 2001. À cette époque, l’appelant travaillait dans le domaine de l’ameublement, mais elle ne pouvait être plus précise. À la fin d’octobre 2001, l’appelant, selon elle, a effectué un autre voyage au Canada, mais il était de retour avec elle en Russie pour célébrer le Nouvel An.

 

[27]         D’après Mme Denisova, l’appelant a fait deux voyages au Canada entre janvier et octobre 2002. Pendant le contre‑interrogatoire, elle a mentionné qu’elle ne savait pas pourquoi l’appelant était allé au Canada et elle a ajouté qu’elle ne lui avait pas posé la question. Après leur mariage en octobre 2002, elle est venue au Canada avec l’appelant le 25 octobre pour ce qu’elle a qualifié de voyage de noces, mais son intention était de vivre au Canada. Elle était titulaire d’un visa de visiteur valide pour six mois. Comme nous le savons, Mme Denisova était enceinte à ce moment‑là. Elle a déclaré que l’appelant était retourné en Russie à la fin octobre pour passer des examens et pour travailler. Il est revenu au Canada en mars 2003, juste avant la naissance de leur enfant. Mme Denisova a quitté le Canada lorsque son visa a expiré en avril 2003, et l’appelant est demeuré ici jusqu’en juin 2003. D’après Mme Denisova, plus tard en 2003, l’appelant a fait deux autres voyages au Canada, d’une durée respective de 10 et de 15 jours. En avril 2004, Mme Denisova est devenue résidente permanente et elle a déménagé au Canada. En juillet 2004, ils étaient tous deux de retour au Canada, mais elle ne se souvenait pas combien de temps l’appelant était resté. Ils se sont finalement séparés en décembre 2004.

 

[28]         La première fois qu’elle est venue au Canada, l’appelant lui a remis de l’argent, une carte de crédit et un téléphone cellulaire. Il a également acheté une automobile à son intention.

 

[29]         La première question qu’il convient de trancher est celle de savoir si l’appelant résidait au Canada pendant les trois années d’imposition en cause, soit 2001, 2002 et 2003. Il importe à cet égard de prendre en compte certaines des décisions portant sur ce point, en particulier l’arrêt souvent cité Thomson v. Minister of National Revenue; [1946] R.C.S. 209, [1946] C.T.C 51, de la Cour suprême du Canada, dans lequel le juge Rand a conclu ce qui suit aux pages 224 et 225 (R.C.S.) et aux pages 63 et 64 (C.T.C.) :

 

[traduction]

La progression par degrés en ce qui concerne le temps, l’objet, l’intention, la continuité et les autres circonstances pertinentes, montre que, dans le langage ordinaire, le terme « résidant » ne correspond pas à des éléments invariables qui doivent tous être présents dans chaque cas donné. Il est tout à fait impossible d’en donner une définition précise et applicable à tous les cas. Ce terme est très souple, et ses nuances nombreuses varient non seulement suivant le contexte de différentes matières, mais aussi suivant les différents aspects d’une même matière. Dans un cas donné, on y retrouve certains éléments, dans d’autres, on en trouve d’autres dont certains sont fréquents et certains autres nouveaux.

 

L’expression « résidence habituelle » a un sens restrictif et, alors qu’à première vue elle implique une prépondérance dans le temps, les décisions rendues en vertu de la loi anglaise ont rejeté ce point de vue. On a jugé qu’il s’agit de résidence au cours du mode habituel de vie de la personne en question, par opposition à une résidence spéciale, occasionnelle ou fortuite. Pour appliquer le critère de la résidence habituelle, il faut donc examiner le mode général de vie.

 

Aux fins de la législation de l’impôt sur le revenu, il est nécessaire de considérer que chaque personne a, en tout temps, une résidence. Il n’est pas nécessaire à cet effet qu’elle ait une maison ni un endroit particulier où elle demeure, ni même un abri. Elle peut dormir en plein air. Ce qui importe seul, c’est de déterminer dans l’espace les limites dans lesquelles elle passe sa vie ou auxquelles se rattache ce mode de vie ordonné ou coutumier. La meilleure façon d’apprécier la résidence habituelle est d’en examiner l’antithèse, la résidence occasionnelle, temporaire ou extraordinaire. Cette dernière semble nettement être non pas seulement temporaire et exceptionnelle quant à ses circonstances, mais s’accompagne également d’une notion de provisoire et de retour.

 

Mais dans les différentes situations de prétendues « résidences permanentes », « résidences temporaires », « résidences habituelles », « résidences principales » et ainsi de suite, les adjectifs n’influent pas sur le fait qu’il y a dans tous les cas résidence; cette qualité dépend essentiellement du point jusqu’auquel une personne s’établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lieu en question. Il se peut qu’elle soit limitée en durée dès le début ou qu’elle soit indéterminée, ou bien, dans la mesure envisagée, illimitée. Sur le plan inférieur, les expressions comportant le terme résidence doivent être distinguées, comme elles le sont je crois dans le langage ordinaire, du concept de « séjour » ou de « visite ».

 

[30]         Le paragraphe 2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») prévoit que les personnes résidant au Canada à un moment donné au cours de l’année doivent payer un impôt sur leur revenu imposable. Selon le paragraphe 250(3) de la Loi, ces personnes visent aussi celles qui, au moment considéré, résidaient habituellement au Canada. Le particulier qui réside habituellement au Canada est considéré, dans les faits, résider au Canada. Comme il est mentionné plus haut, le juge Rand, dans l’arrêt Thomson, a tenu les propos suivants :

 

[traduction]

Aux fins de la législation de l’impôt sur le revenu, il est nécessaire de considérer que chaque personne a, en tout temps, une résidence. Il n’est pas nécessaire à cet effet qu’elle ait une maison ni un endroit particulier où elle demeure, ni même un abri. Elle peut dormir en plein air. Ce qui importe seul, c’est de déterminer dans l’espace les limites dans lesquelles elle passe sa vie ou auxquelles se rattache ce mode de vie ordonné ou coutumier.

 

[31]         La Cour doit donc tenir compte de certains facteurs pour trancher la question. Dans la décision Gaudreau c. Canada, [2004] A.C.I. no 637 (QL), aux paragraphes 24 et 25, la juge Lamarre de la présente cour a résumé de la manière suivante certains des facteurs à prendre en considération :

 

Par conséquent, comme l’a laissé entendre l’avocat de l’appelant, la question consiste à déterminer où, durant la période en cause, l’appelant habitait, dans sa vie de tous les jours, d’une manière régulière, normale ou habituelle. Il faut examiner le point jusqu’auquel l’appelant s’est établi en pensée et en fait ou a conservé ou centralisé son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lieu en question.

 

Cette question relève principalement des faits. Dans la décision The Queen v. Reeder, 75 DTC 5160 (C.F., 1ère inst.), invoquée par l'appelant, la Cour fédérale a énuméré certains facteurs jugés importants pour trancher la question de la résidence en matière fiscale, à la page 5163 :

 

Ces éléments sont notamment :

 

a. le genre de vie passé ou présent;

b. la régularité et la durée des séjours dans le ressort de la juridiction de la résidence;

c. les liens dans le ressort de cette juridiction;

d. les liens en d’autres lieux;

e. le caractère permanent ou autre des séjours à l’étranger.

 

La question des liens dans le ressort de la juridiction de résidence et en d’autres lieux englobe toute la gamme des rapports et des engagements d’une personne : biens et placements, emploi, famille, affaires, liens culturels et mondains en sont des exemples. Tous les éléments ne seront pas retenus dans chaque cas. Ils doivent être considérés à la lumière du postulat que chacun doit avoir une résidence fiscale et qu’un individu peut avoir simultanément plus d’une résidence du point de vue fiscal.

 

[32]         En dernier lieu, je reproduis les propos tenus par le juge Rip de la présente cour, tel était alors son titre, dans la décision Snow v. The Queen, 2004 DTC 2784, au paragraphe 18, où il s’exprime en ces termes sur la question de la résidence :

 

Une personne peut être résidente de plus d’un pays à des fins fiscales. La nature de la vie d’une personne et la fréquence à laquelle elle vient au Canada sont des facteurs importants à prendre en compte pour décider du lieu de sa résidence. Les termes « résidait habituellement » employés au paragraphe 250(3) renvoient au lieu où, dans sa vie de tous les jours, la personne habite d’une manière normale ou habituelle. L’intention d’un contribuable, même si elle est manifestement pertinente pour déterminer quelle est sa « vie de tous les jours », ne permet pas à elle seule de trancher l’affaire. L’absence temporaire d’une personne du Canada n’entraîne pas nécessairement la perte de la résidence canadienne si le ménage familial demeure au Canada ou même, éventuellement, si des liens personnels ou commerciaux étroits sont maintenus au Canada.

 

[33]         Dans la présente affaire, l’appelant reconnaît qu’il a résidé au Canada pendant les quelques années précédant immédiatement les trois années d’imposition en cause. Par conséquent, les faits en l’espèce font‑ils en sorte que l’appelant a cessé de résider au Canada pendant les trois années subséquentes? L’appelant, à la suite de son départ du Canada en 2000, a‑t‑il maintenu avec le Canada des liens importants de la nature de ceux d’un résident tandis qu’il se trouvait à l’étranger?

 

[34]         Au cours des trois années d’imposition en cause, l’appelant avait un logement ou un lieu d’habitation qu’il pouvait utiliser au Canada, à savoir l’appartement qu’il gardait sur l’avenue Kensington à Westmount et, à partir de 2001, le condo qu’il avait acheté à Verdun. De plus, il conservait des biens et des effets personnels au Canada. Pendant les années d’imposition pertinentes, l’appelant était titulaire d’un permis de conduire et d’une carte d’assurance maladie délivrés par la Province de Québec. La carte d’assurance maladie a ultérieurement été révoquée, selon l’appelant. Il détenait aussi un passeport canadien, une carte d’assurance sociale du Canada, des comptes bancaires canadiens, des cartes de crédit émises par des banques canadiennes, un téléphone cellulaire canadien et, évidemment, une adresse postale au Canada.

 

[35]         À tous les moments pertinents, l’appelant était en outre l’unique actionnaire de DIA Trading Inc., entreprise qu’il a constituée en société le 14 octobre 1999 et dans laquelle il a investi 28 650 $. Cette société était propriétaire d’un véhicule à moteur, que l’appelant utilisait.

 

[36]         Dans l’acte de vente du condo qu’il a acheté en novembre 2001, l’appelant a déclaré qu’il résidait sur l’avenue Kensington, à Westmount (Québec). Il a déclaré la même chose dans le contrat de prêt et d’hypothèque (pièce R‑3, onglet 37) et il a ajouté qu’il était homme d’affaires. Lorsqu’il a vendu le condo en septembre 2004, il a déclaré qu’il résidait à Verdun (Québec). Sur une demande de prêt faite à la Banque de Nouvelle‑Écosse en août 2003 (pièce R‑3, onglet 49), il a donné une adresse à Verdun (Québec) et précisé que son employeur était DIA Trading (sa société); cette demande était accompagnée de faux avis de cotisation (pièce R‑3, onglet 50).

 

[37]         De surcroît, pendant la période en cause, l’appelant est plusieurs fois retourné au Canada et il ne s’agissait pas simplement de visites occasionnelles. Durant son séjour en octobre et en novembre 2001, il a acheté le condo à Verdun. En juillet 2002, il est venu au Canada afin de vider son appartement à Westmount et de déménager ses effets personnels dans le condo. En octobre 2002, il est revenu avec son épouse, et ils ont vécu dans le condo. Son épouse est demeurée au Canada jusqu’en avril 2003 pour donner naissance à leur enfant, et l’appelant a passé un temps considérable au Canada après la naissance de son enfant. En outre, l’épouse de l’appelant a mentionné dans son témoignage que son intention était de venir vivre au Canada. Lors de sa visite en août 2003, l’appelant a présenté des demandes de crédit à certaines institutions financières. Il ressort sans équivoque de ces faits que, pendant la période en cause, l’appelant, au lieu de rompre ses liens de résidence avec le Canada, en a créé de nouveaux.

 

[38]         Lorsqu’il a rencontré le vérificateur en juillet 2004 et qu’on lui a posé des questions relativement à sa nationalité et à son lieu de résidence, l’appelant a spontanément répondu qu’il était citoyen canadien et qu’il résidait au Canada. Cette affirmation n’a pas été faite pendant la période en cause, mais elle exprime néanmoins l’état d’esprit de l’appelant à l’époque.

 

[39]         La question sous‑jacente dans toute cette affaire est réellement de savoir pourquoi l’appelant aurait nécessité qu’autant d’argent lui soit transféré au Canada pendant les trois années pertinentes s’il ne résidait pas au Canada. Sur le plan des liens économiques, il devient très difficile de justifier l’existence de ce besoin financier ici au Canada si l’on accepte l’argument selon lequel l’appelant ne résidait plus au Canada. Le montant total du revenu non déclaré déterminé au moyen de la cotisation fondée sur l’avoir net s’élève à 948 623 $ pour les trois années en cause, au cours desquelles l’appelant affirme qu’il ne résidait pas au Canada. Le fait que l’appelant ait pu passer de nombreux jours en Russie durant les années pertinentes, qu’il était propriétaire d’un appartement à Moscou, qu’il était propriétaire d’un véhicule à moteur en Russie, qu’il était titulaire d’un passeport russe, qu’il avait un téléphone cellulaire en Russie, qu’il s’y soit marié, etc., n’est pas suffisant pour permettre de conclure qu’il n’avait plus de liens économiques ni de relations personnelles au Canada pendant les trois années en cause. À mon avis, l’appelant n’a jamais rompu ses liens de résidence avec le Canada au moment de son départ en 2000. Il a continué de résider au Canada et donc d’être une personne qui résidait habituellement au Canada et qui était assujettie à l’impôt sur le revenu au Canada relativement à l’ensemble de son revenu de toutes provenances pour les trois années en cause. À la lumière de cette conclusion, il est donc inutile que je décide si l’appelant a passé un nombre suffisant de jours au Canada pour donner lieu à l’application de la disposition déterminative du paragraphe 250(1) de la Loi.

 

[40]         L’avocat de l’appelant a fait valoir que, si ce dernier est considéré comme ayant résidé au Canada pendant les années d’imposition en cause, il doit être considéré comme ayant aussi résidé en Russie pendant la même période. Si l’appelant résidait dans ces deux pays, il conviendra d’appliquer la règle décisive énoncée à l’article 4 de l’accord fiscal intervenu entre le Canada et la Russie pour décider dans lequel de ces deux pays l’appelant résidait aux fins de l’impôt sur le revenu. Si, par suite de l’application de l’article 4 de l’accord fiscal, l’appelant est considéré comme ayant résidé en Russie, il sera réputé ne pas avoir résidé au Canada pour l’application de la Loi.

 

[41]         L’avocat de l’intimée a soutenu que les dispositions de l’article 4 de l’accord fiscal ne peuvent s’appliquer puisqu’aucun élément de preuve relatif au droit russe n’a été présenté pour aider la Cour à décider si l’appelant résidait en Russie pendant les années d’imposition pertinentes et s’il était assujetti à l’impôt russe. L’avocat de l’intimée a laissé entendre que le droit étranger doit être établi avec l’aide d’un expert. Il a invoqué l’arrêt The Queen v. Crown Forest Industries Limited, 95 DTC 5389 (C.S.C.), à l’appui de sa thèse voulant que le droit russe en matière de résidence et de fiscalité doive être établi.

 

[42]         Je ne pense pas que l’arrêt Crown Forest permette d’affirmer qu’une preuve d’expert est requise pour établir les exigences du droit fiscal russe en matière de résidence. Dans cet arrêt, les faits étaient très différents de ceux dont je suis saisi. En effet, les tribunaux devaient dans cette affaire se pencher sur la question de la résidence aux États‑Unis et au Canada d’une tierce société immatriculée aux Bahamas, et le tribunal de première instance s’était fondé sur une preuve d’expert pour établir les exigences relatives à la résidence. En l’espèce, il s’agit de la résidence d’une personne physique. Dans l’arrêt Crown Forest, au paragraphe 40, la Cour suprême a écrit que « […] les critères applicables pour déterminer le lieu de résidence à l’article IV, paragraphe 1 impliquent plus que le simple fait d’être redevable d’un impôt à l’égard d’une part de revenu (assujettissement fondé sur la source), ils comportent l’assujettissement fiscal le plus complet qu’un État puisse imposer ». Selon la méthode suivie dans l’arrêt Crown Forest, l’appelant doit établir qu’il faisait l’objet, en raison de son domicile, de sa résidence ou de tout autre critère de nature analogue, de l’assujettissement fiscal russe le plus complet que la Russie impose en vertu de sa législation interne.

 

[43]         L’article 4 de l’accord fiscal Canada‑Russie est ainsi rédigé :

 

Au sens du présent Accord, l’expression « résident d’un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l’impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue.

 

[44]         Alors qu’il se prononçait sur une question similaire, le défunt juge en chef Garon de la présente cour a tenu les propos suivants dans la décision McFadyen c. Canada, [2000] A.C.I. no 589 (QL), aux paragraphes 134 à 138, au sujet de l’arrêt Crown Forest et du critère applicable :

 

La question suivante est de savoir si l’appelant était résident du Japon dans les circonstances de l’espèce en vertu de l’article 4 de la Loi de 1986 sur la Convention Canada‑Japon en matière d’impôts sur le revenu, L.C. 1986, ch. 48, partie II, annexe III, qui dit :

 

1.      Au sens de la présente Convention, l’expression « résident d’un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État contractant, est assujettie à l’impôt dans cet État contractant, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège social ou de son siège du principal établissement, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue.

 

Concernant l’interprétation d’un traité, la Cour suprême du Canada a énoncé des principes généraux dans l’affaire Crown Forest, précitée, en examinant le paragraphe 1 de l’article IV de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique. La dernière partie de l’article IV de cette convention est identique au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention Canada‑Japon en matière d’impôts sur le revenu. Au nom de la Cour suprême du Canada, le juge Iacobucci a formulé les observations suivantes aux paragraphes 22 et 40 :

 

22. L’interprétation d’un traité vise d’abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l’intention des parties.

 

[…]

 

40. […] les critères applicables pour déterminer le lieu de résidence à l’article IV, paragraphe 1 impliquent plus que le simple fait d’être redevable d’un impôt à l’égard d’une part de revenu (assujettissement fondé sur la source), ils comportent l’assujettissement fiscal le plus complet qu’un État puisse imposer. Aux États‑Unis et au Canada, cette imposition complète vise les revenus mondiaux.

 

Les faits de l’affaire Crown Forest ne sont pas semblables à ceux de la présente espèce. Qu’il suffise de dire que, dans l’affaire Crown Forest, la Cour traitait du paragraphe 1 de l’article IV de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique, et ce, dans le contexte du statut résidentiel d’une tierce partie – une société des Bahamas – dont le Canada et, comme intervenant, le gouvernement des États‑Unis d’Amérique ont fait valoir avec succès qu’elle n’était pas résidente des États‑Unis parce qu’elle ne faisait pas l’objet d’un assujettissement fiscal complet aux États‑Unis.

 

Il ressort donc de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Crown Forest que le critère aux fins de la Convention Canada‑Japon en matière d’impôts sur le revenu n’est pas la résidence au sens de la common law canadienne, mais plutôt, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de ladite convention, la question de savoir si l’appelant est imposable au Japon en vertu de la législation interne du Japon « en raison de son domicile, de sa résidence […] ou de tout autre critère de nature analogue ». (Dans la partie de l’article 4 que je viens de citer, j’ai omis les termes applicables à une personne morale ou autre entité). Si l’appelant est assujetti à l’impôt en vertu de l’article 4 de la Convention Canada‑Japon en matière d’impôts sur le revenu, il est résident du Japon.

 

Sur la foi de l’interprétation donnée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Crown Forest, l’assujettissement à l’impôt mentionné au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention Canada‑Japon en matière d’impôts sur le revenu signifie « l’assujettissement fiscal le plus complet [que le Japon] puisse imposer ».

 

[45]         Le libellé de l’article 4, paragraphe 1, de l’accord fiscal Canada‑Russie est presque identique à celui de l’article 4, paragraphe 1, de la convention Canada‑Japon (voir la décision précitée).

 

[46]         Un examen de la preuve produite par l’appelant, en particulier la pièce A‑5, laquelle a été présentée pour établir les liens de résidence de l’appelant avec la Russie, ne montre pas, à mon sens, que l’appelant faisait l’objet d’un assujettissement fiscal complet imposé par la Russie. Les seuls documents faisant état du service de l’impôt fédéral de la Russie sont les suivants : un document à l’onglet 5 de la pièce A‑5 énonçant que l’appelant a été inscrit par un organisme fiscal le 29 décembre 2007 conformément aux dispositions du code fiscal de la Russie et un autre document à l’onglet 12 consistant en un certificat délivré par l’employeur de l’appelant pour confirmer que de l’impôt sur le revenu avait été retenu sur le salaire versé à ce dernier puis transféré au budget pendant sa période d’emploi de 2001 à 2004. Le certificat révèle en outre que le salaire de l’appelant se chiffrait à 90 385,14 roubles et que l’impôt retenu totalisait 11 750 roubles. En dollars canadiens, son salaire aurait été inférieur à 10 000 $ pour la période. Cela donne à penser qu’il s’agissait d’une très faible quantité de travail pour une aussi longue période.

 

[47]         Les onglets 9 et 10 de la pièce A‑5 consistent en des lettres que l’appelant a envoyées aux autorités russes pour leur demander une confirmation de sa situation de résident de la Russie pour les besoins de l’impôt pour les trois années en cause, mais aucune attestation à cet effet n’a été obtenue ou produite en preuve. La preuve ne permet pas de savoir si l’appelant a produit quelconques déclarations de revenus en Russie pour les trois années pertinentes. Le droit fiscal russe et son application à l’appelant n’ont pas, selon moi, été établis.

 

[48]         À mon avis, et pour les raisons susmentionnées, l’appelant n’a pas réussi à établir, pour l’application de l’article 4 de l’accord fiscal Canada‑Russie, qu’il faisait l’objet d’un assujettissement fiscal complet imposé par la Russie. J’arrive donc à la conclusion que, pendant les trois années d’imposition en cause, il ne résidait pas en Russie pour l’application de l’accord fiscal Canada‑Russie.

 

[49]         Comme j’ai conclu que l’appelant résidait au Canada et ne résidait pas en Russie pour l’application de l’accord fiscal, je vais maintenant me pencher sur la cotisation fondée sur l’avoir net et les pénalités imposées à l’appelant pour les trois années d’imposition pertinentes.

 

[50]         Je vais d’abord examiner le retrait en espèces de 50 239 $ que l’appelant a effectué le 28 novembre 2001 pour faire un versement comptant en vue de l’acquisition du bien condominial en 2001. Le vérificateur a d’emblée reconnu que l’année d’imposition 2001 devait faire l’objet d’un rajustement – et l’intimée y a consenti – étant donné que la somme visée avait en premier lieu été considérée comme un retrait inexpliqué. Or, l’objet de ce retrait a été déterminé, comme il est précisé plus haut.

 

[51]         De toute évidence, la somme de 50 239 $ a été comptabilisée deux fois et les deux parties reconnaissent qu’un rajustement est nécessaire en l’occurrence.

 

[52]         Quant aux autres chiffres relatifs à l’avoir net, ils consistaient en des frais personnels de 122 940 $, de 65 658 $ et de 133 266 $ et en des retraits inexpliqués d’environ 95 000 $, 123 145 $ et 297 433 $ pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003 respectivement. La preuve entendue n’a fourni aucune précision sur les retraits ni révélé comment l’appelant arrivait à régler ses frais personnels. En fait, c’est l’appelant qui a présenté le seul élément de preuve relatif à la source de fonds lorsqu’il a mentionné que tout l’argent provenait de transferts faits par sa famille. Il a été déterminé que des dépôts effectués par l’intermédiaire de comptes bancaires provenaient, dans certains cas, de la mère de l’appelant en Russie et, dans d’autres, de sociétés dans lesquelles son frère participait, également en Russie. Ni sa mère ni son frère n’ont été appelés à témoigner afin de corroborer le témoignage de l’appelant, de reconnaître les transferts, d’expliquer la raison de ceux‑ci et d’identifier les sociétés russes.

 

[53]         Selon l’explication offerte par l’appelant, les fonds transférés visaient à couvrir ses frais de subsistance. L’examen des achats faits à l’aide des cartes de crédit permet, dans une certaine mesure, d’étayer cette explication quant à ses frais personnels, mais la question des retraits inexpliqués n’est pas pour autant clarifiée. Étant donné son allégation voulant qu’il ait passé bien peu de temps au Canada au cours de la période de trois ans pertinente, ses séjours ici ont, je dois le dire, coûté très cher. Compte tenu du montant d’argent que l’appelant affirme avoir reçu de sa famille et du peu de temps qu’il dit avoir passé au Canada pendant les trois années d’imposition en cause, il est difficile de comprendre comment ces sommes ont pu être insuffisantes pour satisfaire ses besoins et pourquoi il lui était en plus nécessaire de faire des demandes d’emprunt. De nombreuses zones d’ombre subsistent quant aux raisons pour lesquelles on a transféré d’aussi importantes sommes d’argent, et la présente affaire ne laisse place à aucune explication logique.

 

[54]         La seule preuve, outre le témoignage de l’appelant, tient à une déclaration (pièce R‑3, onglet 45) de son frère datée du 15 novembre 2004 qui a été envoyée au vérificateur. Le frère de l’appelant a certifié qu’il avait transféré à son frère, au Canada, pendant la période de 1999 à 2003, 400 000 $ en dollars américains comme aide à titre gratuit de la famille. Le frère de l’appelant n’a pas témoigné et les renseignements reçus par le vérificateur donnent à penser qu’il est possible que le frère en question n’ait pas eu un revenu suffisant pour pouvoir effectuer les transferts. Quoi qu’il en soit, la déclaration n’a pas été faite sous serment et elle n’a que peu de poids.

 

[55]         Certains éléments de preuve concernent les moyens financiers de la famille de l’appelant, mais aucun ne permet de déterminer des sommes précises. Le fait qu’aucun membre de sa famille n’a été appelé à témoigner et à corroborer sa capacité financière d’effectuer les transferts de même qu’à expliquer pourquoi l’appelant avait besoin d’autant d’argent pendant les trois années en cause m’incite à tirer l’inférence selon laquelle leur témoignage n’aurait pas joué en faveur de l’appelant.

 

[56]         Les précisions données par l’appelant quant à la provenance de tout cet argent sont insuffisantes pour lui permettre de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe. Les retraits inexpliqués demeurent toujours inexpliqués puisqu’aucune preuve crédible n’a été produite sur ce point. Tout ce qui a été présenté tenait à des éléments de preuve non corroborés relatifs aux sommes transférées par des membres de la famille afin de couvrir les frais de subsistance de l’appelant au Canada et il m’est impossible de déterminer ces sommes avec une quelconque exactitude.

 

[57]         En ce qui touche les pénalités imposées à l’appelant, je conclus que le ministre les a imposées à juste titre pour les trois années d’imposition en cause. Lorsqu’un appelant n’est pas en mesure de prouver la source du revenu visé par une cotisation fondée sur l’avoir net et que la situation demeure inexpliquée ou l’écart demeure inexplicable selon la prépondérance des probabilités, le ministre s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait (voir l’arrêt Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241).

 

[58]         L’appel visant l’année d’imposition 2001 est accueilli en partie et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux présents motifs. Les appels visant les années d’imposition 2002 et 2003 sont rejetés avec dépens.

 

 

Signé à Québec (Québec), ce 16e jour d’août 2010.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


Annexe V

 

 

     Contribuable : DENISOV, Ivan

Dernière année vérifiée : 31 décembre 2003

 

RELEVÉ DES DÉPENSES PERSONNELLES

 

                    Au 31 décembre

       2001

 

       2002

 

        2003

 

 

Relevés mensuels de VISA RBC

         Paiements

 

 

96 714

 

 

51 109

 

 

89 975

Relevés mensuels de VISA CIBC

         Paiements

 

 

        –

 

 

         –

 

 

14 980

Relevés mensuels d’AMEX

         Paiements

 

 

        –

 

 

         –

 

 

11 185

Relevés mensuels de VISA TD

         Paiements

 

 

        –

 

 

         –

 

 

3 392

Compte RBC no 501070

         Frais bancaires

         Divers

         Rogers Sans Fil

         Loyer

 

184

9 697

440

3 600

 

 

325

6 120

48

4 500

 

 

409

9 299

         –

         –

Compte RBC no 4505780 $US

(convertis en $CAN)

         Frais bancaires

         Divers

         Intérêt

         VISA TD $US

 

 

 

87

 

 

11 511

 

 

 

          –

 

 

          –

 

 

 

45

 

 

         –

Compte TD no 3227447

         Frais bancaires

         Intérêt

         Divers

 

 

 

 

11

71

361

 

 

27

134

293

 

 

33

249

742

Intérêt hypothécaire (selon annexe)

 

 

265

 

3 103

 

2 958

Autres dépenses

         Hypothèse : incluses dans les retraits inexpliqués

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DÉPENSES PERSONNELLES TOTALES :

 

122 940 $

 

 

65 658 $

 

 

133 266 $

 


Annexe VI

 

 

     Contribuable : DENISOV, Ivan

Dernière année vérifiée : 31 décembre 2003

 

 

             Pour l’exercice se terminant

              le 31 décembre

 

       2001

 

 

       2002

 

 

        2003

 

    Retraits inexpliqués

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Compte RBC no 5010707

         Retraits inexpliqués

         Paiement bancaire en ligne

         Transfert – débit

         Chèques inexpliqués

 

 

96 208

9 646

         –

5 573

 

 

17 172

7 631

         –

3 827

 

 

72 176

138

550

4 266

Compte RBC no 4505780 $US

(convertis en $CAN)

         Débit Antonina Denisov

         Retraits inexpliqués

         Chèques inexpliqués

 

 

 

10 725

12 616

18

 

 

 

 

70 710

10 993

1

 

 

 

 

140 150

38 131

         –

Compte TD no 3227447

         Retraits inexpliqués

         Chèques inexpliqués

 

 

 

5 544

5 200

 

 

 

12 811

         –

 

 

5 016

37 007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

145 530 $

 

 

123 145 $

 

 

297 433 $

 


 

RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 101

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2008-1402(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Ivan Denisov c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 1er, 2 et 3 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 août 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Aaron Rodgers

Avocat de l’intimée :

Me Benoit Mandeville

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Aaron Rodgers

 

                          Cabinet :                  Spiegel Sohmer Inc.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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