Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2010-316(EI)

ENTRE :

JOLAYNE ANVIK,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

 

Appel entendu le 5 juillet 2010 à Calgary (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge François Angers.

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimé :

Me Robert Neilson

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Québec (Québec), ce 16e jour d’août 2010.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de septembre 2010

 

 

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 404

Date : 20100816

Dossier : 2010-316(EI)

ENTRE :

JOLAYNE ANVIK,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision que le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rendue le 13 novembre 2009 et dans laquelle il a conclu que l’emploi exercé par l’appelante auprès de Balancing Act Bookkeeping Services Ltd. (le « payeur ») du 1er janvier 2007 au 31 mars 2009 était exclu des emplois assurables. Cette période a effectivement été divisée en deux parties, une raison différente ayant été invoquée à l’égard de chacune d’elles aux fins de l’exclusion de l’emploi en question des emplois assurables.

 

[2]              Au cours de la période allant du 1er janvier 2007 au 5 avril 2008, l’appelante a contrôlé plus de 40 p. 100 des actions avec droit de vote du payeur et son emploi était donc exclu des emplois assurables en application de l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). De plus, du 6 avril 2008 au 31 mars 2009, le payeur et l’appelante ont eu entre eux un lien de dépendance et le ministre n’était pas convaincu qu’ils auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance, d’où l’exclusion de l’emploi de l’appelante des emplois assurables en application de l’alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi.

 

[3]              L’appelante ne nie pas que, en ce qui concerne la première période, elle contrôlait plus de 40 p. 100 des actions avec droit de vote du payeur et que, au cours de cette même période, son emploi était de ce fait exclu des emplois assurables en application de l’alinéa 5(2)b) de la Loi. Il n’est pas contesté non plus que l’appelante et le payeur sont des personnes liées au sens du paragraphe 251(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, étant donné que l’appelante est l’épouse de la personne qui contrôle le payeur. Ce qui est contesté, c’est la décision du ministre selon laquelle il n’était pas convaincu que, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, il était raisonnable de conclure que l’appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[4]              Avant d’examiner la preuve présentée en l’espèce, il semble opportun de rappeler le rôle de la Cour canadienne de l’impôt en ce qui a trait à l’application des dispositions d’exclusion énoncées aux paragraphes 5(2) et 5(3) de la Loi. Dans Denis c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CAF 26, la Cour d’appel fédérale est arrivée à la conclusion suivante :

 

Le rôle du juge de la Cour canadienne de l’impôt dans un appel d’une détermination du ministre sur les dispositions d’exclusion contenues aux paragraphes 5(2) et (3) de la Loi est de s’enquérir de tous les faits auprès des parties et les témoins appelés pour la première fois à s’expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre paraît toujours raisonnable. Toutefois, le juge ne doit pas substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus (voir Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.F. no 310, 10 mars 2000).

 

[5]              Pour en arriver à la décision qu’il a rendue en l’espèce, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

[traduction]

a)                  le payeur fournissait des services de tenue de livres; (admise)

b)                  l’entreprise du payeur a été créée pour l’appelante; (niée)

c)                  le payeur a débuté ses activités en 2005; (admise)

d)                  l’entreprise du payeur était exploitée tout au long de l’année; (admise)

e)                  avant le 6 avril 2008, la répartition des actions du payeur était la suivante : (admise)

 

l’appelante

50 p. 100

Arvid

50 p. 100

 

f)                    après le 5 avril 2008, la répartition des actions du payeur était la suivante : (admise)

 

l’appelante

35 p. 100

Arvid

65 p. 100

 

g)                  l’appelante était l’épouse d’Arvid; (admise)

h)                  les fonctions de l’appelante comprenaient la direction de l’entreprise, la recherche de clients et la tenue de livres; (admise)

i)                    le 10 avril 2008, l’appelante et le payeur ont conclu une entente écrite qui prévoyait notamment ce qui suit : (admise)

 

(i)                  la nomination de l’appelante à titre de teneuse principale de livres,

(ii)                le fait que l’appelante relevait d’Arvid,

(iii)               la date d’entrée en vigueur de l’entente, soit le 16 avril 2008,

(iv)              le paiement à l’appelante d’un salaire annuel de 42 000 $, versé deux fois par mois,

(v)                l’obligation pour l’appelante de travailler au moins 35 heures par semaine,

(vi)              le droit de l’appelante à trois semaines de vacances;

 

j)                    le payeur exploitait son entreprise depuis la résidence personnelle de l’appelante; (admise)

k)                  l’appelante a commencé à travailler pour le payeur lorsque celui-ci a débuté ses activités; (admise)

l)                    l’appelante a travaillé à temps plein pour le payeur du 1er janvier 2007 au 31 mars 2009; (admise)

m)                l’appelante a cessé de travailler pour le payeur lorsqu’elle s’est absentée pour un congé de maternité; (niée)

n)                  avant le 6 avril 2008, l’appelante touchait un salaire fixe de 750 $ par mois; (niée)

o)                  après le 5 avril 2008, l’appelante touchait un salaire annuel fixe de 42 000 $; (admise)

p)                  après le 5 avril 2008, le payeur payait l’appelante deux fois par mois; (admise)

q)                  avant le 6 avril 2008, l’appelante a touché un salaire artificiellement bas afin que sa rémunération demeure inférieure aux seuils d’imposition; (niée)

r)                   le salaire de l’appelante a été rajusté d’une façon très avantageuse pour celle‑ci; (niée)

s)                   l’appelante pouvait manipuler sa rémunération; (admise)

t)                    du 1er janvier 2007 au 31 mars 2009, la rémunération que l’appelante a touchée n’était pas raisonnable; (niée)

u)                  le payeur n’offrait aucun régime d’avantages sociaux; (admise

v)                  l’appelante a touché la rémunération suivante : (admise

 

Date

Montant

Date

Montant

Date

Montant

1/1/2007

750 $

1/3/2008

750 $

2/1/2009

1 750 $

2/2/2007

750 $

4/2/2008

750 $

16/1/2009

1 750 $

1/3/2007

750 $

1/3/2008

750 $

2/2/2009

1 750 $

3/4/2007

750 $

1/4/2008

820 $

16/2/2009

1 750 $

1/5/2007

750 $

1/5/2008

1 634,85 $

2/3/2009

1 750 $

6/6/2007

750 $

16/5/2008

1 513,69 $

16/3/2009

1 750 $

3/7/2007

750 $

1/6/2008

1 191,08 $

1/4/2009

1 750 $

1/8/2007

750 $

16/6/2008

1 727,85 $

 

 

14/9/2007

750 $

1/7/2008

1 750 $

 

 

2/10/2007

750 $

16/7/2008

1 750 $

 

 

1/11/2007

750 $

1/8/2008

1 750 $

 

 

4/12/2007

750 $

15/8/2008

1 685,62 $

 

 

31/12/2007

1 600 $

(prime)

31/8/2008

146,15 $

 

 

 

 

16/9/2008

1 528 $

 

 

 

 

1/10/2008

1 512,54 $

 

 

 

 

16/10/2008

1 750 $

 

 

 

 

1/11/2008

1 750 $

 

 

 

 

16/11/2008

1 750 $

 

 

 

 

1/12/2008

1 750 $

 

 

 

 

16/12/2008

1 709,85 $

 

 

 

w)                l’appelante travaillait normalement de 8 h à 16 h 30, du lundi au vendredi; (admise)

x)                  l’appelante travaillait normalement environ 35 heures par semaine; (admise)

y)                  l’horaire de travail de l’appelante était relativement souple; (admise)

z)                   les jours et les heures de travail de l’appelante ont toujours été à peu près les mêmes avant et après le 5 avril 2008; (admise)

aa)               l’appelante tenait un registre de ses heures travaillées; (admise)

bb)              si l’appelante travaillait plus de 35 heures au cours d’une semaine donnée, elle pouvait accumuler les heures ou être rémunérée au taux de surtemps; (admise)

cc)               l’appelante était expérimentée et avait reçu une formation complète dans les domaines de la comptabilité et de la tenue de livres; (admise)

dd)              avant la création de l’entreprise du payeur, l’appelante a travaillé pour un cabinet comptable qui n’avait aucun lien de dépendance avec elle; (admise)

ee)               l’appelante représentait le coeur de l’entreprise du payeur; (admise)

ff)                  l’appelante dirigeait l’entreprise du payeur; (admise)

gg)               Arvid n’avait aucune formation précise en tenue de livres; (niée)

hh)               Arvid a obtenu un diplôme en ingénierie en juin 2009; (niée)

ii)                   tant Arvid que l’appelante géraient les aspects financiers de l’entreprise du payeur; (niée)

jj)                  l’appelante était signataire autorisée relativement au compte bancaire du payeur; (admise)

kk)              la gestion du payeur a toujours été à peu près la même; (niée)

ll)                   le payeur a établi des feuillets T4 faisant état du revenu suivant : (admise)

 

 

Appelante

Arvid

2006

9 286 $

9 286 $

2007

10 600 $

 

2008

27 969 $

 

2009

14 198 $

 

 

mm)           le payeur a payé les dividendes suivants : (admise)

 

 

Appelante

Arvid

2006

539 $

539 $

2007

28 277 $

11 784 $

2008

 

1 762 $

 

nn)               l’appelante et le payeur désiraient tous les deux la création d’une relation d’emploi; (admise)

oo)              l’appelante a travaillé pour le payeur conformément à un contrat de louage de services; (admise)

pp)              avant le 6 avril 2008, l’appelante contrôlait plus de 40 p. 100 des actions avec droit de vote du payeur; (admise)

qq)              le changement apporté le 6 avril 2008 à la répartition des actions visait à permettre à l’appelante d’être admissible à des prestations de maternité; (admise)

rr)                 le payeur a laissé tomber tous ses clients lors du départ de l’appelante en congé de maternité; (niée)

ss)                les décisions commerciales du payeur ont été prises en fonction de ce qui était le plus avantageux pour l’appelante; (niée)

tt)                  les décisions commerciales du payeur n’ont pas été prises d’une manière indiquant l’absence de lien de dépendance; (admise)

uu)               les décisions commerciales du payeur n’étaient pas raisonnables; (niée)

vv)               l’appelante a affirmé que ses conditions d’emploi ont changé après le 5 avril 2008, car Arvid a commencé à participer davantage à la gestion de l’entreprise, le salaire qu’elle devait toucher a été fixé en fonction des normes de l’industrie et elle a cessé de signer les chèques de paie; (admise)

ww)           le ministre a tenu compte de tous les faits pertinents qui ont été portés à sa connaissance. (admise)

 

[6]              L’appelante ne conteste pas les faits énoncés sous les rubriques [traduction] « durée » et [traduction] « modalités d’emploi » du résumé que l’agente des appels a fait des circonstances de l’emploi de l’appelante dans le rapport sur un appel. Effectivement, l’agente des appels conclut dans ce rapport que la durée de l’emploi de l’appelante et les modalités de celui‑ci étaient semblables à celles que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à trouver dans une entente conclue entre des parties n’ayant pas de lien de dépendance. De l’avis de l’appelante, ce sont les conclusions que l’agente des appels a tirées au sujet de la nature et de l’importance du travail ainsi qu’au sujet de la rétribution qui étaient déraisonnables dans les circonstances.

 

[7]              L’appelante a été très franche tout au long de son témoignage. Son époux et elle ont constitué le payeur lorsqu’ils se sont mariés en juillet 2005; ils étaient alors actionnaires à parts égales et tous les deux administrateurs du payeur. Le but de cet arrangement était de faciliter le partage du revenu, car l’époux de l’appelante était étudiant à temps plein. L’appelante exécutait tous les services fournis par le payeur. Elle était la seule employée, faisait tout le travail et prenait toutes les décisions. Elle recevait une rémunération qui était versée en partie sous forme de salaire et en partie sous forme de dividendes et qui n’était nullement fondée sur le nombre d’heures qu’elle consacrait à son travail. La nature de l’entreprise du payeur correspondait à l’expertise de l’appelante.

 

[8]              À la fin de 2007 et au début de 2008, l’appelante et son époux ont décidé d’avoir des enfants. Afin d’être admissible à des prestations de maternité au titre du programme d’assurance-emploi, l’appelante a vendu une partie de ses actions avec droit de vote à son époux et n’a conservé que 35 p. 100 de l’ensemble des actions avec droit de vote du payeur, évitant de ce fait l’exclusion prévue à l’alinéa 5(2)b) de la Loi. De plus, le 16 avril 2008, elle a démissionné comme administratrice du payeur (voir la pièce A-3). Elle admet volontiers qu’elle voulait être admissible aux prestations d’assurance-emploi.

 

[9]              Le 10 avril 2008, tel qu’il est mentionné à l’alinéa (6)i) de la réponse à l’avis d’appel, l’appelante et le payeur ont conclu un accord écrit. Le 16 avril 2008, l’appelante a été engagée à titre de teneuse principale de livres; elle devait relever de son époux et travailler 35 heures par semaine et avait droit à trois semaines de vacances. L’appelante a déclaré que son nouveau salaire était fondé sur la valeur d’un poste équivalent sur le marché et n’avait pas été rajusté arbitrairement dans son intérêt, comme l’a soutenu l’agente des appels. Pour fixer son salaire, l’appelante et le payeur ont utilisé la détermination de la valeur marchande fondée sur le Guide salarial 2008 de Robert Half. Le salaire annuel d’une personne exerçant toutes les fonctions d’un teneur de livres et travaillant 35 heures par semaine, variait de 39 716 $ à 53 500 $. L’agente des appels a jugé que le salaire lui-même était raisonnable, car le taux de rémunération de l’appelante allait de pair avec les taux du marché. Elle a également conclu que l’appelante touchait régulièrement son salaire, lequel correspondait aux heures réellement travaillées par celle-ci.

 

[10]         L’exploitation quotidienne de l’entreprise du payeur est demeurée la même après le 10 avril 2008, sauf en ce qui a trait à l’aspect que l’appelante appelle la haute direction. Le rôle de son époux a sensiblement augmenté. Arvid prenait désormais les décisions au sujet des nouveaux clients et signait tous les chèques du payeur. Il décidait si des dividendes devaient être payés, passait en revue les feuilles de temps, écrivait des lettres aux clients au sujet des nouveaux barèmes d’honoraires et prenait toute décision importante concernant l’entreprise du payeur. Il a également changé la méthode de facturation et il était consulté pour les questions de facturation. L’appelante admet qu’elle était la personne ayant l’expertise voulue pour diriger l’entreprise, mais elle ajoute que son époux a obtenu le contrôle exclusif de celle-ci après la vente des actions.

 

[11]         Le 15 janvier 2009, l’appelante a fait parvenir au payeur une lettre au sujet de la date à laquelle son congé de maternité devait débuter, laquelle date a d’abord été fixée au 13 mars 2009, puis reportée au 31 mars d’un commun accord. L’appelante a été payée pour la dernière fois le 31 mars 2009.

 

[12]         Avant le départ de l’appelante, le payeur avait de 30 à 40 clients, qu’il a laissé tomber jusqu’en juillet 2009, lorsqu’il a repris quatre ou cinq clients qui avaient attendu le retour de l’appelante. L’appelante a recommencé à travailler pour le payeur en juillet 2009, mais selon un horaire de travail allégé.

 

[13]         Au cours de son témoignage, l’époux de l’appelante, Arvid Anvik, a déclaré que son épouse et lui avaient constitué le payeur afin d’avoir une source de revenu familial pendant qu’il poursuivait ses études en ingénierie. Il admet qu’avant d’acheter les actions de son épouse en avril 2008, il exerçait un contrôle minime sur l’entreprise. Cependant, cette situation a changé considérablement après l’achat des actions. À compter de ce moment, il s’est assuré qu’il y avait suffisamment de liquidités pour payer les factures, il a révisé et augmenté les taux exigés, même si sa coactionnaire n’était pas d’accord, il a passé en revue les factures et il a pris toutes les décisions importantes. Il n’a pas remplacé l’appelante lors du départ de celle-ci en congé de maternité, parce qu’il avait alors terminé ses études et entrait sur le marché du travail. Cependant, en mars 2010, il a embauché un teneur de livres à temps partiel (qui devait travailler de 10 à 15 heures par mois), afin de permettre au payeur de rattraper le retard qui avait été accumulé relativement aux dossiers de certains clients.

 

[14]         En ce qui concerne sa formation en tenue de livres, M. Anvik a suivi un cours de comptabilité à l’école secondaire et a fait de la tenue de livres pour un organisme à but non lucratif pendant ses études secondaires. Lorsqu’il s’est fait demander qui exerçait le contrôle sur l’entreprise du payeur, il a répondu que c’était lui.

 

[15]         L’agente des appels qui a présenté les recommandations au ministre au sujet de l’appelante a également témoigné. Elle a expliqué les raisons pour lesquelles elle avait conclu que, pour la période allant du 6 avril 2008 au 31 mars 2009, l’appelante et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance, de sorte que l’emploi de l’appelante était exclu des emplois assurables.

 

[16]         En ce qui a trait à la question de la rétribution, l’agente des appels ne nie pas que le taux de rémunération de l’appelante pour la période en question allait de pair avec les taux du marché. Elle soutient cependant que le salaire de l’appelante a été rajusté arbitrairement dans son intérêt à elle. Avant avril 2008, l’appelante touchait un salaire de 750 $ par mois et recevait le reste de sa rémunération sous forme de dividendes, tandis qu’en avril 2008, elle a cessé de recevoir des dividendes et son salaire a été augmenté de façon à correspondre au taux du marché. Ce changement n’était pas fondé sur les forces du marché, mais a été apporté de façon à permettre à l’appelante d’être admissible à des prestations d’assurance-emploi, ce qui devait donc l’avantager. Dans son rapport, l’agente des appels s’est exprimée comme suit : [traduction] « Dans une entente conclue en l’absence de lien de dépendance, où le payeur et le travailleur négocient en cherchant à favoriser leurs propres intérêts économiques, il serait normal que le travailleur s’efforce d’obtenir le meilleur taux de rémunération possible et que le payeur tente de trouver le travailleur le plus compétent qui soit au taux que l’entreprise peut s’offrir ». L’agente des appels a poursuivi en ces termes :

 

[traduction]

Examinons la situation sous un autre angle et supposons que la travailleuse aurait toujours été propriétaire de 35 p. 100 des actions (plutôt que de voir sa part des actions diminuée). Avant le 6 avril, la travailleuse touchait un salaire artificiellement bas, afin que sa rémunération demeure inférieure au seuil d’exemption de l’impôt sur le revenu personnel, et recevait le reste de sa rémunération sous forme de dividendes. Après cette date, la travailleuse s’est préparée à toucher des prestations d’assurance‑emploi et son salaire a été majoré au « taux du marché », ce qui représentait le quintuple de la rémunération qu’elle recevait auparavant. Si l’ensemble de la période avait été examinée sous l’angle du lien de dépendance, cet accord n’aurait pas été jugé raisonnable et aurait été considéré comme une entente conclue entre des personnes ayant un lien de dépendance, en raison de la capacité de manipuler la rémunération en fonction de préoccupations autres que les forces normales du marché.

 

[17]         Quant à la nature et à l’importance du travail, l’agente des appels a formulé les commentaires suivants :

 

[traduction]

Lorsque la travailleuse travaillait à temps plein pour l’entreprise, celle-ci comptait de 30 à 40 clients. À l’heure actuelle, l’entreprise n’a que quatre clients, soit dix fois moins qu’auparavant. Les clients sont des personnes dont les besoins sont très simples, de sorte qu’une seule entrée de données est nécessaire, ou des personnes pour lesquelles il est possible de répondre aux besoins en l’espace des quatre heures par semaine que la travailleuse a décidé de consacrer à son travail et qui lui permet de demeurer admissible à des prestations.

 

La travailleuse a fait valoir que l’entreprise demeurait viable et qu’elle avait versé des dividendes aux actionnaires. Cependant, l’entreprise a payé à la travailleuse un salaire artificiellement bas afin que la rémunération de celle-ci demeure en deçà du seuil d’exemption de l’impôt sur le revenu, ce qui a également permis à l’entreprise d’augmenter sensiblement ses profits. Affirmer dans ces circonstances que l’entreprise est viable relève d’un raisonnement obtus. C’est la travailleuse elle‑même qui a affirmé que le payeur et elle géraient les finances de l’entreprise « comme des associés en fonction de nos décisions personnelles », ce que montre clairement l’examen de l’emploi de la travailleuse. Ce genre d’arrangement crée une situation où l’entreprise cesse d’être dirigée selon les mêmes principes qui guident une entreprise sur le marché libre et devient plutôt exploitée en fonction des intérêts de la famille; en d’autres termes, l’arrangement crée une relation caractérisée par un lien de dépendance. Il n’est pas raisonnable de conclure qu’une entreprise indépendante, exploitée en fonction d’intérêts économiques distincts, se contenterait de demeurer « viable » tout en permettant que sa clientèle soit réduite à peu près à néant. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une entreprise diminue sa clientèle de façon à ce que la charge de travail soit équivalente aux quatre heures de travail par semaine que la travailleuse est prête à consacrer à l’entreprise tout en demeurant admissible à des prestations d’assurance-emploi.

 

De plus, il est admis de part et d’autre que la travailleuse représentait et représente encore « le coeur de l’entreprise ». Elle avait les connaissances, la formation et l’expérience voulues pour former une entreprise offrant des services de tenue de livres spécialisés. Même si elle était actionnaire à parts égales avec son époux, c’était elle qui dirigeait l’entreprise. Lorsque la travailleuse a vendu une partie de ses actions à son époux, des efforts ont été faits pour qu’il participe davantage aux décisions opérationnelles et pour « le tenir au courant ». Cependant, Arvid n’avait pas de compétences spécialisées en comptabilité et il devait s’en remettre en bonne partie à la compétence de la travailleuse. Bien que cela se produise souvent lorsqu’un travailleur est engagé en raison de sa compétence, dans la présente affaire, la travailleuse représentait toujours le coeur de l’entreprise. Même si la travailleuse a souligné qu’Arvid était le patron et qu’il prenait les décisions, notamment en ce qui a trait aux prêts, à la facturation, et à l’approbation des chèques de paie et des remboursements et au paiement des dividendes, l’explication sonne faux lorsqu’elle est examinée plus à fond. La travailleuse a admis qu’aucun prêt n’avait été envisagé, n’avait fait l’objet de discussions ou n’avait été obtenu, les clients étaient généralement facturés tous les mois et, les fois où il y avait lieu de faire une exception, Arvid prenait la décision parce que la travailleuse « le tenait au courant ». Il est vrai qu’Arvid approuvait la liste de paie; cependant, il appert des registres de paie que la travailleuse touchait un salaire fixe versé deux fois par mois. De plus, même si Arvid décidait à quel moment payer les dividendes, Jolayne et Arvid prenaient toutes les décisions financières ensemble et géraient les finances de l’entreprise comme des associés en fonction de décisions personnelles. Il est donc raisonnable de conclure que les changements apportés étaient mineurs et qu’il s’agissait simplement de mesures de camouflage visant à créer une distance artificielle entre la travailleuse et le payeur; tout changement touchant la direction de l’entreprise était davantage apparent que réel.

 

En raison de la nature et de l’importance du travail en question, ces caractéristiques ne se retrouveraient pas normalement dans un accord conclu entre des parties n’ayant pas de lien de dépendance.

 

[18]         J’examinerai d’abord la question de la rétribution. Il n’est pas contesté en l’espèce que le taux de rémunération que l’appelante a touché après avoir réduit sa participation à moins de 40 p. 100 correspondait aux taux du marché et était raisonnable. Ce nouveau taux de rémunération était bien différent de celui que l’appelante touchait avant la réduction de sa participation, et à juste titre. L’emploi que l’appelante exerçait auprès du payeur avant la réduction de sa participation était exclu des emplois assurables en raison du nombre d’actions avec droit de vote qu’elle détenait. À l’époque, elle était actionnaire à parts égales avec son époux et tous les deux pouvaient décider que l’entreprise verse la rémunération de l’appelante sous forme de salaire et de dividendes, pourvu que la loi soit respectée. L’appelante a vendu une partie de ses actions afin de réduire sa participation et a démissionné comme administratrice du payeur parce qu’elle voulait devenir admissible à des prestations d’assurance-emploi; cependant, elle-même et le payeur, à laquelle elle était liée, devaient satisfaire aux exigences de la Loi, c’est-à-dire que le contrat de travail devait être à peu près semblable à celui qu’auraient conclu des parties sans lien de dépendance.

 

[19]         À cette fin, l’appelante a vendu une partie de ses actions, démissionné comme administratrice et abandonné le contrôle qu’elle exerçait sur le payeur, de façon que son époux puisse assumer les responsabilités d’actionnaire majoritaire et d’unique administrateur dudit payeur. Il se peut qu’en apparence, le rajustement salarial ait profité à l’appelante, parce qu’il lui a permis de toucher des prestations d’assurance‑emploi plus élevées, mais ce changement avait un prix, tel qu’il est décrit plus haut.

 

[20]         La loi n’interdit nullement à des personnes liées de conclure des contrats de travail entre elles et, si le contrat de travail en question est à peu près semblable à celui qu’auraient conclu entre elles des parties sans lien de dépendance, l’employé sera peut-être admissible à des prestations d’assurance-emploi. L’appelante ne nie pas que les mesures que le payeur et elle ont prises visaient à lui permettre de toucher des prestations d’assurance-emploi pendant son congé de maternité. Les parties ont donc réorganisé leurs affaires et leur relation pour obtenir ce résultat.

 

[21]         La première mesure importante à prendre consistait à déterminer un taux de rémunération qui irait de pair avec les taux du marché et traduirait le type et la quantité de travail accompli. L’appelante a consulté, notamment, le Guide salarial 2008 de Robert Half et a fixé un salaire annuel de 42 000 $, payable deux fois par mois pour une semaine de 35 heures; de plus, l’appelante devait avoir trois semaines de vacances, conformément à l’accord écrit conclu le 10 avril 2008. Personne ne nie que l’appelante a fourni des services au payeur selon ce qui avait été convenu. Je ne souscris pas à l’avis du ministre selon lequel le taux de rémunération de l’appelante a été rajusté arbitrairement de la façon la plus avantageuse qui soit pour celle-ci.

 

[22]         Je conviens avec le ministre que, si toute la période était examinée sous l’angle de la question du lien de dépendance, la rémunération ne serait pas jugée raisonnable, parce qu’elle était fondée sur des préoccupations autres que les forces du marché et indiquerait l’existence d’un lien de dépendance, mais ce n’est pas ainsi que la situation doit être analysée. Même si la présente affaire couvre en partie la période qui a précédé la réduction de la participation de l’appelante, il m’apparaît inapproprié de ne pas séparer cette dernière période, car les raisons d’exclure l’emploi en cause des emplois assurables sont totalement différentes pour cette période. J’en arrive donc à la conclusion que la décision du ministre au sujet de la rétribution n’est pas raisonnable.

 

[23]         Quant à la question de la nature et de l’importance du travail, le ministre semble accorder beaucoup d’importance au fait qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une entreprise comme celle du payeur diminue sa clientèle de façon à ce que la charge de travail soit équivalente aux quatre heures de travail par semaine que l’appelante pouvait consacrer à l’entreprise tout en demeurant admissible à des prestations d’assurance-emploi. À mon avis, il n’y a pas lieu de tenir compte des événements qui se sont passés en dehors de la période visée par l’appel ou du nouvel arrangement convenu entre le payeur et l’appelante pour déterminer la nature et l’importance du travail accompli pendant la période en question. Au cours de celle-ci, l’appelante a travaillé pendant le nombre total d’heures convenu par semaine et accompli les tâches nécessaires pour répondre aux besoins des 30 à 40 clients du payeur.

 

[24]         La décision du payeur d’interrompre les activités de l’entreprise pendant un certain temps et de ne pas engager qui que ce soit pour remplacer l’appelante était, à mon avis, une décision qu’il avait le droit de prendre. Au cours de son témoignage, l’époux de l’appelante a expliqué que cette décision avait été prise parce qu’il avait terminé ses études et s’apprêtait à entrer sur le marché du travail. Ce nouveau fait rend plus acceptable la décision du payeur de diminuer sa clientèle et de ne pas remplacer l’appelante.

 

[25]         L’appelante représentait sans doute le coeur de l’entreprise, mais les services que le payeur fournissait à ses clients auraient pu être exécutés par une personne ayant des compétences semblables à celles de l’appelante. La décision de ne pas engager de personne ayant ces compétences appartenait au payeur, mais elle ne diminue en rien l’importance du travail que l’appelante a accompli au cours de la période pertinente.


 

[26]         Même si, de prime abord, le changement apporté à la détention des actions n’a nullement touché la façon dont l’entreprise du payeur était dirigée, il n’en demeure pas moins que, du point de vue juridique, ce changement a créé une situation différente qui ne peut être ignorée et qui est bien réelle.

 

[27]         Pour les motifs exposés ci-dessus, l’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

 

 

Signé à Québec (Québec), ce 16e jour d’août 2010.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de septembre 2010.

 

 

 

Marie-Christine Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 404

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-316(EI)

 

INTITULÉ :                                       Jolayne Anvik et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 5 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 août 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimé :

Me Robert Neilson

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.