Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2008-2992(GST)I

ENTRE :

RICHARD ALEXANDER ARSIC,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 7 juin 2010 à Hamilton (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Clarke L. Melville

Me Shannon Cole

Avocate de l’intimée :

Me Rita Araujo

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 23 juillet 2007 et porte le numéro A114368, est accueilli avec dépens et la cotisation est annulée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), ce 11e jour d’août 2010.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de septembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 423

Date : 11 août 2010

Dossier : 2008-2992(GST)I

ENTRE :

RICHARD ALEXANDER ARSIC,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Campbell

 

[1]              L’appelant était administrateur de la société Industrial Electrical Group Inc. (« IEG »), qui a fait l’objet d’une cotisation le 10 mai 2000 en raison de l’omission de verser la taxe nette pour les périodes ayant pris fin le 31 août 1998, le 30 novembre 1998 et le 28 février 1999. Le 23 juillet 2007, l’appelant a fait l’objet d’une cotisation en application de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») relativement à l’obligation au titre de la taxe nette, des pénalités et des intérêts. Le paragraphe 323(1) rend les administrateurs comme l’appelant responsables en cas de défaut par la personne morale de verser la taxe nette comme l’exige le paragraphe 228(2) de la Loi. Le paragraphe 323(1) qui s’appliquait aux périodes en cause était ainsi libellé :

 

323(1) Responsabilité des administrateursLes administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3) sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

 

 

[2]              La principale question est de savoir si l’appelant a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement d’IEG quant au versement de la taxe nette que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. Il s’agit du critère habituellement appelé la défense de la diligence raisonnable et, si l’appelant est en mesure de prouver qu’il a exercé le degré de diligence exigé, il pourra invoquer la défense prévue au paragraphe 323(3), dont le texte est le suivant :

 

323(3) Diligence – L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[3]              L’appelant a également soulevé dans l’avis d’appel les questions suivantes liées à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), soit celles de savoir si le droit à la sécurité de la personne que lui reconnaît l’article 7 de la Charte et si le droit d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives qui est prévu à l’article 8 de la Charte ont été violés. Je devrai répondre à ces questions liées à la Charte uniquement si j’en arrive à la conclusion que l’appelant ne peut invoquer la défense de la diligence raisonnable en vertu du paragraphe 323(3) de la Loi.

 

[4]              Après avoir obtenu un diplôme de technicien en électronique en 1982 du St. Clair College, l’appelant a suivi un cours de quatre ans en électricité. Pendant de nombreuses années, l’appelant a travaillé pour différentes entreprises dans le domaine du contrôle de l’automatisation. En 1990, il a lancé sa propre entreprise spécialisée dans la conception de systèmes de contrôle électrique pour l’équipement automatisé comme l’équipement d’embouteillage de boissons. En 1992, il a constitué la société Sevran Automation Group Inc. (« Sevran »), dont il était l’unique administrateur et actionnaire. Cependant, Sevran n’a jamais exercé d’activités parce qu’elle avait été créée pour exécuter des travaux pour un client précis, mais le contrat ne s’est pas concrétisé. L’appelant a déclaré au cours de son témoignage que, lorsqu’il exploitait sa propre entreprise, il savait qu’il devait, en qualité d’administrateur, percevoir et verser la taxe sur les produits et services (la « TPS »); cependant, comme il n’avait aucune formation ou expérience dans le domaine de la tenue de livres, il s’en remettait toujours à d’autres personnes, notamment à son comptable, Peter Williams, pour s’occuper de tous les aspects financiers et comptables de son entreprise, y compris le versement de la TPS.

 

[5]              À la fin de 1996 ou au début de 1997, l’appelant a rencontré Edward Galick, qui exploitait une entreprise appelée EDJ Packaging and Conveyors Inc. (« EDJ »). EDJ achetait, remettait à neuf et revendait du matériel d’emballage d’occasion. Étant donné que l’appelant et M. Galick avaient des compétences complémentaires dans le domaine de la fabrication, de l’automatisation et de la fourniture d’équipement d’emballage automatisé, ils ont créé une coentreprise. Dans le cadre de cet arrangement, EDJ continuait à remettre à neuf du matériel d’emballage d’occasion pour le revendre, tandis que l’appelant travaillait sur le terrain, c’est-à-dire qu’il s’occupait de l’installation et du câblage des commandes électriques connexes. M. Galick et l’appelant se sont servis de la société inactive de celui-ci, Sevran, pour cette entreprise, à laquelle ils ont donné le nom d’IEG le 28 août 1997.

 

[6]              IEG exerçait ses activités dans les locaux commerciaux d’EDJ et, comme convenu, avait recours à la commis-comptable de celle-ci, Trudy McClaskin. L’appelant a mentionné au cours de son témoignage qu’il avait demandé à Mme McClaskin de modifier et de produire les documents d’IEG de façon à y préciser que lui-même et M. Galick étaient administrateurs et actionnaires à parts égales; cependant, seul le nom de la société a été modifié et l’appelant est demeuré le seul actionnaire et administrateur d’IEG. Lorsque l’appelant a constaté plus tard que le nom de M. Galick n’avait pas été ajouté comme administrateur, tous les deux ont ordonné à Mme McClaskin de produire les documents nécessaires. L’appelant n’a pas vérifié par la suite si Mme McClaskin avait fait ce qu’il fallait, présumant qu’elle se conformerait aux directives qu’elle avait reçues. En juin 2000, il a constaté qu’il était le seul administrateur inscrit dans les registres de la société, après avoir été mis au courant des problèmes de versement. Selon son témoignage, il croit que M. Galick a ordonné à la commis-comptable de ne pas modifier le nom des administrateurs d’IEG apparaissant dans les registres.

 

[7]              L’appelant a expliqué que M. Galick et lui-même devaient tous les deux détenir une participation de 50 p. 100 dans IEG, que M. Galick devait être le président tandis que lui‑même serait le vice-président, que M. Galick devait surveiller l’exploitation quotidienne d’IEG depuis les locaux de celle-ci et gérer le personnel, y compris la commis-comptable, que l’appelant devait travailler sur le terrain et que les signatures de l’un et de l’autre devaient être apposées sur tous les chèques. Le comptable, M. Williams, a attesté qu’au cours d’une réunion tenue avec l’appelant et M. Galick le 25 février 1998, les arrangements susmentionnés avaient été confirmés dans le cadre des discussions ayant eu lieu à ce sujet en sa présence. Essentiellement, M. Galick avait convenu de superviser les activités quotidiennes d’IEG dans les locaux d’EDJ, notamment de fournir des débouchés commerciaux, tandis que l’appelant s’était engagé à fournir son expertise en électricité aux différents lieux de travail.

 

[8]              En plus du témoignage de l’appelant, corroboré par celui de M. Williams, les documents bancaires d’IEG donnent à penser que M. Galick était administrateur de droit, même si son nom n’apparaît pas dans les registres de l’entreprise. Même si le nom de M. Galick figure à titre de vice-président et non de président sur la résolution bancaire, l’ensemble des documents laissent croire que M. Galick devait être dirigeant et président d’IEG et être titulaire d’un pouvoir de signature.

 

[9]              Les formulaires de versement des retenues à la source et de la TPS exigibles d’IEG ont été remplis par Mme McClaskin, la commis-comptable d’IEG et d’EDJ. Mme McClaskin a déclaré au cours de son témoignage qu’elle préparait les rapports financiers pour IEG et que M. Galick les révisait, mais elle ne se rappelait pas les avoir montrés à l’appelant. Même si celui-ci se rendait la plupart du temps dans les locaux d’IEG pour signer des chèques, Mme McClaskin allait parfois aux endroits où l’appelant travaillait pour lui faire signer des chèques. L’appelant a expliqué qu’il allait dans les locaux d’IEG de deux à quatre fois par mois pour passer en revue un dossier des comptes créditeurs préparé par Mme McClaskin et pour signer les chèques accompagnant les factures et les formulaires de versement. Mme McClaskin a confirmé cet arrangement au cours de son témoignage.

 

[10]         L’appelant a déclaré qu’il n’avait jamais donné d’ordre à la commis‑comptable, sauf en ce qui a trait au versement de la TPS. Pour sa part, Mme McClaskin a mentionné que c’était M. Galick qui la dirigeait sur une base quotidienne et qui lui donnait des directives quant à l’envoi des factures. M. Galick lui ordonnait également de faire des virements entre les comptes d’IEG et d’EDJ. Mme McClaskin a ajouté que M. Galick lui donnait parfois l’ordre de ne pas envoyer les chèques que l’appelant avait déjà signés.

 

[11]         M. Williams, qui a commencé à travailler pour l’appelant en 1993, a dit qu’il s’était toujours occupé de tous les aspects comptables des activités commerciales de l’appelant. Il a commencé à la fin de 1997 à aider Mme McClaskin en ce qui a trait à la tenue de livres chez EDJ et, suivant les instructions reçues de M. Galick, il a également apporté son aide à celle-ci relativement aux livres d’IEG. Il a préparé les déclarations de société d’IEG, en plus d’aider à l’occasion Mme McClaskin à préparer les rapports de TPS. Il a préparé la déclaration de société d’IEG pour 1999, après que celle-ci eut mis fin à ses activités, ainsi que les formulaires de versement de TPS pour cette même année.

 

[12]         À la fin de 1998 ou en janvier 1999, IEG avait cessé ses activités. L’appelant croyait que l’entreprise allait bien, parce qu’il exécutait des travaux pour des clients de celle-ci et que l’argent rentrait. Cependant, IEG a manqué de liquidités pendant sa courte existence, parce que les fonds étaient détournés de son compte pour être transférés dans celui d’EDJ. L’appelant a constaté plus tard que M. Galick avait pris des mesures ayant eu de graves répercussions sur la situation financière de la société. L’appelant a également fait valoir qu’à son insu, M. Galick avait détourné d’IEG, pour lui-même ou pour son entreprise, EDJ, des fonds qui devaient servir notamment à payer la TPS. Des factures envoyées aux clients d’IEG ont également été annulées et remplacées par des factures provenant d’EDJ, même si l’appelant avait dans les faits accompli le travail. Lorsque la facture était annulée, tout paiement destiné à IEG était arrêté et les fonds en question étaient réacheminés vers EDJ.

 

[13]         L’appelant a affirmé qu’il croyait que les versements de TPS et de retenues à la source étaient effectués régulièrement, parce qu’il examinait les formulaires et signait les chèques. Tous les registres commerciaux et comptables d’IEG sont restés en tout temps en la possession de M. Galick, dans les locaux d’EDJ. Lorsque la société IEG a cessé ses activités, l’appelant a demandé à maintes reprises à M. Galick de lui remettre les registres comptables, mais il s’est fait dire que les documents ainsi qu’un ordinateur dans lequel se trouvaient les registres d’IEG avaient disparu par suite d’un cambriolage qui aurait eu lieu. L’appelant a demandé l’aide de M. Williams, qui a pu remplir les derniers formulaires de versement de la TPS à partir de documents archivés qu’il avait conservés dans un ordinateur situé à l’extérieur des lieux. Le 18 mars 1999, l’Agence de Revenu du Canada (l’« ARC ») a envoyé au bureau d’IEG un avis de rappel à l’égard des déclarations de TPS non produites. L’appelant a affirmé qu’il n’avait vu cette lettre que plus tard et qu’il avait été mis au courant pour la première fois des problèmes de versement lorsqu’il avait reçu de la correspondance de l’ARC chez lui quelque temps après en 1999. En contre‑interrogatoire, il a dit que la première lettre officielle qu’il avait reçue de l’ARC au sujet de la TPS portait la date du 25 février 2000, mais qu’il avait eu des discussions avant cette date, probablement avec Bill Haire, de l’ARC.

 

[14]         L’appelant et M. Galick ont rencontré M. Haire le 30 juillet 1999 afin de discuter des versements qu’IEG avait omis d’effectuer et ont convenu tous les deux de payer le montant en souffrance au moyen de chèques postdatés. Après que le premier chèque fut encaissé, l’appelant a constaté qu’il n’y avait pas suffisamment d’argent dans le compte; il a donc communiqué avec M. Haire et lui a demandé de ne pas encaisser les autres chèques. Par la suite, il a eu d’autres discussions avec M. Galick et tous les deux ont convenu d’envoyer des chèques à l’ARC en divisant également entre eux le montant dû. L’appelant a payé sa part conformément à cet arrangement, mais il semble que M. Galick ne l’a pas fait.

 

[15]         L’appelant a souligné que, étant donné que l’ARC n’avait jamais communiqué avec lui entre le 22 octobre 2002 et octobre 2006, il n’avait jamais pensé qu’il était personnellement responsable des autres montants impayés et il croyait que l’ARC avait pris des mesures à l’égard d’EDJ et de M. Galick. Au cours d’une rencontre tenue avec des représentants de l’ARC en 2007, l’appelant a appris que M. Galick avait fait faillite en 2006.

 

[16]         Dans Soper c. La Reine, [1997] A.C.F. no 881, 97 D.T.C. 5407, la Cour d’appel fédérale a examiné la norme de prudence à appliquer pour savoir si un administrateur avait fait montre de la diligence raisonnable nécessaire pour se dégager de sa responsabilité en cas de défaut de versement de la part de la personne morale. Même si la Cour d’appel fédérale examinait dans Soper la portée du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le texte de cette disposition est presque identique à celui du paragraphe 323(3) de la Loi. Décrivant la norme de prudence comme une norme objective subjective, le juge Robertson a formulé les commentaires suivants aux paragraphes 40 et 41 :

 

[40]      À titre d’exemple, dans certains cas, la question pertinente sera de savoir si une personne était, dans les faits ou en droit, un administrateur à l’époque pertinente aux fins d’imposer une responsabilité personnelle ou si cette personne avait cessé d’exercer ses fonctions au moyen d’une démission valide. Dans d’autres cas, comme ceux qui concernent une faillite et une mise sous séquestre, la question centrale sera un contrôle de droit. Dans d’autres cas encore, notamment les situations dans lesquelles un administrateur dominant est en mesure de limiter l’influence exercée par les autres sur les affaires de la société, il s’agira d’un contrôle de fait. J’entends m’attarder à la catégorie de décisions relative à la distinction entre les administrateurs internes et les administrateurs externes puisqu’il s’agit de la jurisprudence qui est la plus pertinente dans le cadre du présent appel.

 

[41]      Je tiens tout d’abord à souligner qu’en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu’une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c’est-à-dire ceux qui s’occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l’entreprise, elles n’avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l’emporter sur la présomption qu’elles étaient au courant des exigences de versement et d’un problème à cet égard, ou auraient dû l’être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l’élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l’aspect objectif de la norme.

 

Comme l’a souligné le juge Bowie dans Stafford c. La Reine, 2009 CCI 247, [2009] A.C.J. no 180, au paragraphe 14 :

 

 [14]     […] Cette jurisprudence [Soper] a été suivie depuis par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Canada c. McKinnon et Hartrell v. The Queen. La norme de prudence à laquelle sont tenus les administrateurs n’est pas aussi exigeante que celle à laquelle sont tenus les fiduciaires. Manifestement, l’appelant était un administrateur interne, mais cela ne veut pas dire qu’il était garant de la société. Au paragraphe 22 de l’arrêt Soper, le juge Robertson a dit que la norme de prudence qui s’applique à l’administrateur est celle de la conduite dont on pourrait s’attendre d’« une personne ayant ses connaissances et son expérience »[…]

 

[17]         La Cour d’appel fédérale a examiné à nouveau la norme de prudence imposée aux administrateurs en vertu du paragraphe 323(1) dans Smith c. La Reine, [2001] A.C.F. no 448, 2001 D.T.C. 5226. Aux paragraphes 12 à 14, la juge Sharlow a commenté les incidences découlant du fait d’être un « administrateur interne » plutôt qu’un « administrateur externe » :

 

[12]  La souplesse inhérente à la défense de diligence raisonnable peut créer des situations où une norme de prudence plus élevée s’impose à certains administrateurs d’une société par rapport à d’autres. Par exemple, il peut être approprié d’imposer une norme plus élevée à un « administrateur interne » (par exemple, un directeur ayant l’habitude de la gestion au jour le jour) qu’à un « administrateur externe » (comme un directeur qui connaît assez peu les affaires de la société et n’est impliqué que de façon superficielle).

 

[13Ceci s’applique plus particulièrement s’il est démontré que l’administrateur externe a donné foi de façon raisonnable aux assurances données par les administrateurs internes que les remises d’impôts correspondant aux obligations de la société étaient effectivement versées. Voir notamment Cadrin c. Canada (1998), 240 N.R. 354, [1999] 3 C.T.C. 366, 99 DTC 5079 (C.A.F.).

 

[14]  Dans certaines circonstances, le fait qu’une société soit en difficultés financières et donc à risque plus élevé que d’autres sociétés de ne pas verser ses remises d’impôts peut être un facteur qui milite pour une norme de prudence plus élevée. Par exemple, un administrateur qui connaît les difficultés financières de la société et qui décide sciemment de financer les opérations de la société avec les sommes prélevées à la source et non produites pourrait ne pas pouvoir invoquer la défense de diligence raisonnable (Ruffo c. Canada, 2000 DTC 6317 (C.A.F.)). Toutefois, il est important de se rappeler que dans tous les cas la norme est celle du raisonnable et non celle de la perfection.

 

Ces commentaires sont particulièrement pertinents dans le présent appel.

 

[18]         Contrairement à ce que l’intimée soutient, je ne crois pas que l’appelant était un administrateur interne. Il ne participait nullement à la gestion quotidienne d’IEG. Il travaillait sur le terrain et se rendait aux établissements d’IEG uniquement lorsque des chèques devaient être signés. Il se fondait sur les compétences de M. Galick et sur celle de sa commis-comptable, Mme McClaskin, pour superviser l’administration et la gestion d’IEG. Même si l’appelant était dirigeant et administrateur d’IEG et figurait comme seul administrateur dans les registres de l’entreprise, la version donnée par tous les témoins appuie le témoignage de l’appelant selon lequel M. Galick devait être administrateur et propriétaire d’IEG à parts égales avec lui. En fait, le témoignage de Mme McClaskin donne clairement à penser que M. Galick exerçait un contrôle presque absolu sur les activités d’IEG. Mme McClaskin exécutait les ordres de M. Galick et non ceux de l’appelant et c’est sur les ordres de M. Galick qu’elle a réacheminé les factures et les fonds vers la société de celui-ci, EDJ. Conformément aux directives qu’elle avait reçues de M. Galick, elle n’a pas envoyé les chèques que l’appelant avait signés et dont il présumait qu’ils avaient été postés ou remis. Selon le témoignage de l’appelant, Mme McClaskin n’obéissait pas aux directives qu’il lui donnait, à moins que M. Galick ne les ait d’abord approuvées.

 

[19]         Étant donné que l’appelant était un administrateur externe d’IEG, la norme à appliquer est moins stricte dans ces circonstances. L’appelant connaissait ses limites en ce qui a trait à son manque de connaissance, de formation et d’expérience relativement aux aspects financiers et administratifs des activités de l’entreprise. Il avait l’habitude de se fier à l’expertise d’autres personnes pour s’occuper de ces aspects, pendant que lui-même accomplissait les tâches techniques liées à l’automatisation électrique. C’est dans ce domaine qu’il était compétent. Il a reconnu que certaines obligations financières devaient être respectées, notamment en ce qui a trait aux versements des taxes et impôts, et il s’était toujours fié à M. Williams avant de se lancer en affaires avec M. Galick. Après le début des activités d’IEG, il s’est fié à bon escient à M. Galick, à Mme McClaskin et à M. Williams, comme il avait le droit de le faire, pour prendre des décisions opérationnelles prudentes et éclairées. C’est ce qu’a confirmé le témoignage de Mme McClaskin et de M. Williams. Il appert nettement de l’ensemble de la preuve que M. Galick était l’âme dirigeante d’IEG. Il allait tous les jours à l’établissement, prenait toutes les décisions, donnait des ordres à la commis-comptable et aux autres employés et s’occupait de la tenue des registres comptables. M. Galick contrôlait tous les aspects financiers d’IEG, exception faite de l’exigence relative à la signature des chèques par l’appelant.

 

[20]         L’appelant était au courant des obligations des personnes morales au sujet des retenues à la source et des versements de taxes et d’impôts. Afin d’assurer le respect de ces obligations tout en étant conscient de ses limites dans ce domaine, il a révisé les chèques ainsi que les factures qui les accompagnaient et les formulaires de remise que la commis-comptable d’IEG lui fournissait, comme il le faisait auparavant. Il savait aussi que M. Williams aidait la commis-comptable à l’occasion. Il passait son temps sur le terrain et faisait confiance à M. Galick pour la supervision des activités quotidiennes d’IEG. Il n’avait aucune raison de faire de suivi pour s’assurer que les chèques avaient effectivement été postés une fois qu’il les avait signés, parce qu’il faisait confiance à son associé, M. Galick, et il n’avait aucune raison de douter de la conduite de la commis-comptable. Il est difficile de savoir à la lumière de la preuve si l’appelant avait accès aux registres comptables, mais il était raisonnable de sa part de ne pas scruter ces documents à la loupe, parce que l’entreprise était florissante, l’argent rentrait et l’appelant était occupé sur le terrain. Même s’il avait examiné périodiquement les registres, étant donné qu’il n’avait pas de formation ou de compétence particulière dans le domaine financier, il n’aurait peut-être pas pu y trouver des inscriptions douteuses ou déceler des problèmes. Il existe suffisamment de décisions permettant de dire que l’appelant n’aura pas manqué à la norme de prudence qu’il doit respecter en qualité d’administrateur externe d’IEG s’il a permis la délégation des obligations de l’entreprise en matière de versement à des dirigeants de la société qui étaient apparemment compétents et expérimentés, dans des circonstances où aucun doute n’existait quant aux versements. L’appelant n’a pas agi de façon imprudente en se fiant non seulement à son associé, en qui il avait confiance et qui possédait des compétences spécialisées dans les domaines liés à la gestion de l’entreprise, mais également à une commis-comptable et à un comptable de l’extérieur. De plus, il avait déjà traité avec M. Williams dans le cadre d’opérations commerciales auxquelles il avait participé. Il n’y avait aucune circonstance suspecte qui aurait incité l’appelant à s’interroger sur les versements de TPS. L’entreprise semblait être active et rentable, tous les chèques devaient être signés par deux personnes et d’autres personnes, auxquelles il faisait confiance, étaient disponibles et s’occupaient apparemment des aspects financiers d’IEG, pour lesquels l’appelant n’avait à peu près aucune aptitude. Dans ces circonstances et en l’absence de signes permettant de penser que des problèmes de versement pouvaient exister, je ne crois pas que l’appelant était tenu de confirmer que le receveur général du Canada encaissait les chèques, comme l’intimée le soutient.

 

[21]         Eu égard à la preuve dont je suis saisie, j’en arrive à la conclusion que, même après avoir appris que M. Galick avait mal géré les fonds de la société et qu’il avait manipulé les factures d’IEG, l’appelant n’avait encore aucune raison de craindre que les versements de TPS ne soient pas à jour. Il était raisonnable de sa part de s’attendre à ce que les chèques qu’il avait signés à l’égard des versements de TPS aient été postés après la signature en question. L’avis de défaut de versement a apparemment été donné pour la première fois le 18 mars 1999, lorsque l’ARC a fait parvenir un avis de rappel au sujet des déclarations de TPS non produites. L’appelant a affirmé qu’il n’avait jamais vu cette lettre, probablement parce que celle-ci avait été envoyée aux locaux d’IEG, où M. Galick contrôlait les registres. La preuve donne à penser que l’appelant a eu vent pour la première fois des problèmes de versement possibles quelques semaines avant de rencontrer Bill Haire le 30 juillet 1999. En conséquence, l’appelant a été mis au courant des problèmes liés au versement après le manquement effectivement commis par IEG à cet égard. Les mesures que l’appelant a prises comme administrateur externe tout au long de l’existence d’IEG pour veiller à ce que les versements de TPS soient à jour allaient de pair avec celles qu’une personne ayant ses compétences et ses connaissances dans les domaines comptable et financier aurait prises. Étant donné qu’il appert de la preuve que l’appelant a été mis au courant des problèmes de versement uniquement lorsque M. Haire l’a joint, il n’y a pas lieu de dire qu’il était tenu d’agir, parce qu’il n’aurait guère eu la possibilité d’être proactif dans ces circonstances. En bout de ligne, je dois tenter de déterminer ce qu’une personne raisonnablement prudente aurait fait ou aurait dû faire dans des circonstances comparables à celles du présent appel, ce qui représente une tâche difficile. La question demeure avant tout une question de fait, dont l’analyse requiert également une bonne dose de bon sens. Il est toujours facile de critiquer les choix du contribuable avec le recul. Cependant, je suis d’avis que la conduite que l’appelant a adoptée pour veiller à ce que IEG effectue les versements de TPS était raisonnable dans les circonstances et que d’autres personnes raisonnablement prudentes pourraient adopter une conduite semblable si elles se trouvaient dans une situation similaire.

 

[22]         Il est indéniable que l’appelant a agi de façon honorable tout au long de la période en cause. Il a collaboré avec l’ARC après le manquement, fourni des chèques postdatés correspondant à sa part de la taxe nette due et informé l’ARC des paiements qu’IEG attendait et auxquels l’ARC pourrait avoir accès. Cependant, ces mesures visaient à corriger les manquements antérieurs et non à empêcher le défaut de versement de la part d’IEG. En conséquence, je n’ai pas tenu compte de ces mesures pour en arriver à la conclusion que l’appelant peut invoquer la défense de diligence raisonnable en vertu du paragraphe 323(3) de la Loi. De plus, étant donné que l’appelant a gain de cause, il n’est pas nécessaire que j’examine les questions liées à la Charte qui ont été soulevées.

 

[23]         L’appel est accueilli avec dépens et la cotisation est annulée compte tenu du fait que l’appelant n’est pas responsable, en vertu du paragraphe 323(1), à l’égard des paiements qu’IEG devait verser au titre de la taxe nette, l’appelant ayant respecté le critère de la diligence raisonnable énoncé au paragraphe 323(3).

 

Signé à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), ce 11e jour d’août 2010.

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de septembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 423

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-2992(GST)I

 

INTITULÉ :                                       RICHARD ALEXANDER ARSIC ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Hamilton (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 7 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 11 août 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me Clarke L. Melville

Me Shannon Cole

Avocate de l’intimée :

Me Rita Araujo

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Noms :                    Clarke L. Melville

                                                          Shannon Cole

 

                          Cabinet :                  Clarke L Melville Law Firm

                                                          Kitchener (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.