Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2008-1412(GST)G

ENTRE :

FRANCINE MOREAU,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 26 mars 2010, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Stéphane Rivard

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lepage

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis portant le numéro PL-2007-324 est daté du 25 octobre 2007, est rejeté, sans dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juillet 2010.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 371

Date : 20100712

Dossier : 2008-1412(GST)G

ENTRE :

FRANCINE MOREAU,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

 

[1]     Il s’agit d’un appel en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »).

 

[2]     L’appelante, madame Francine Moreau, conteste la cotisation établie le 25 octobre 2007 par le ministre du Revenu du Québec (le « ministre ») en vertu du paragraphe 325(2) de la LTA, par laquelle le ministre a réclamé un montant de 24 552 $.

 

[3]     Le seul point en litige est de savoir si l’appelante, pendant toute la période pertinente, était le véritable propriétaire de la somme de 56 153 $ qui a été utilisée pour rembourser le solde de sa dette hypothécaire envers la banque CIBC.

 

[3]     Il s’agit d’une question de droit et de fait.

 

[4]     L’appelante est l’épouse de monsieur Arsène Moreau. Elle était la seule propriétaire d’un immeuble situé au 5390, rue Paname, à Laval, et grevé d’une hypothèque accordée par elle en 1996 à la banque CIBC et dont le montant initial était de 75 000 $.

 

[5]     Le 29 juin 2005, monsieur Moreau devait aux autorités fiscales 112 753 $ en vertu de l’article 323 de la  LTA.

 

[6]     Le 29 juin 2005, monsieur Moreau a déposé dans un compte conjoint, à la banque CIBC un montant de 72 452 $ au moyen d’un chèque fait par un certain monsieur Beauchamp et payable à l’ordre de monsieur Moreau seulement. De ce montant, 56 153 $ a été utilisé pour rembourser le solde de l’hypothèque grevant l’immeuble appartenant à madame Moreau.

 

[7]     L’appelante conteste la cotisation au motif que la somme de 56 153 $ affectée au paiement de l’hypothèque lui appartenait de plein droit, puisque le montant provenait de la vente à monsieur Beauchamp des actions qu’elle détenait dans la société 9011‑6203 Québec inc.

         

[8]     Selon la position de l’intimée, le 29 juin 2005, monsieur Moreau a, directement ou indirectement, transféré, sans aucune contrepartie, à son épouse un bien de 56 153 $, qui a servi à rembourser l’emprunt hypothécaire souscrit par l’appelante. En conséquence, en vertu du paragraphe 325(3) de la LTA, l’appelante est solidairement responsable des sommes que monsieurMoreau doit au ministre en vertu de la LTA, jusqu’à concurrence de la valeur du bien transféré.    

 

Dispositions législatives

 

[9]     L’article 325 de la LTA se lit comme suit :

 

325.(1) Transfert entre personnes ayant un lien de dépendance -- La personne qui transfère un bien, directement ou indirectement, par le biais d'une fiducie ou par tout autre moyen, à son époux ou conjoint de fait, ou à un particulier qui l'est devenu depuis, à un particulier de moins de 18 ans ou à une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, est solidairement tenue, avec le cessionnaire, de payer en application de la présente partie le moins élevé des montants suivants :

 

[…]

 

(2)        Cotisation -- Le ministre peut établir une cotisation à l'égard d'un cessionnaire pour un montant payable en application du présent article. Dès lors, les articles 296 à 311 s'appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance.

 

(3)        Règles applicables -- Dans le cas où le cédant et le cessionnaire sont solidairement responsables de tout ou partie d'une obligation du cédant en vertu de la présente partie, les règles suivantes s'appliquent :

 

a)         un paiement fait par le cessionnaire au titre de son obligation éteint d'autant l'obligation solidaire;

 

b)         un paiement fait par le cédant au titre de son obligation n'éteint l'obligation du cessionnaire que dans la mesure où il sert à ramener l'obligation du cédant à un montant inférieur à celui dont le paragraphe (1) a rendu le cessionnaire solidairement responsable.

 

[…]

 

(5)        Définition de « bien » -- Au présent article, l'argent est assimilé à un bien.

 

Analyse

 

[10]     L’appelante a le fardeau de la preuve d’établir qu’elle était le propriétaire de la somme de 56 153 $ qu’elle a utilisée pour rembourser la banque CIBC.

 

[11]    L’appelante et son mari ont témoigné. Dans leurs témoignages, ils ont tenté de démontrer que la somme de 56 153 $ appartenait à madame Moreau de plein droit puisqu’il s’agissait du produit de la vente de ses actions à monsieur Beauchamp et, par conséquent, qu’il n’y a pas eu de transfert à elle de son mari. Il est curieux que monsieur Beauchamp n’ait pas été appelé comme témoin. De plus, aucune preuve documentaire concernant la vente des actions à monsieur Beauchamp n’a été produite par l’appelante.

 

[12]    Pendant son interrogatoire, l’appelante a témoigné au sujet de la façon dont elle a acquis des actions de la société 9011-6203 Québec inc. D’abord, elle a déclaré qu’en 1994, elle a acquis des actions pour 30 000 $ et que le paiement a été effectué avec des avances sur son salaire payé par Location  de personnel Areau inc. (pièce A-1). Il importe de noter que monsieur Moreau était non seulement le propriétaire de la société, mais également le comptable. Ensuite, elle a acquis d’autres actions de cette société de monsieur Sauriol et de madame Vallée pour 6 500 $ payés à même des avances sur son salaire (pièce A-2). Il est étrange que le contrat d’achat des actions en 1994 (pièce A-1) est intervenu entre la société Location de personnel Areau inc. et madame et monsieur Moreau mais porte uniquement les signatures de madame et monsieur Moreau. Aussi, le contrat d’achat des actions de monsieur Sauriol et madame Vallée (pièce A-2) est également intervenu entre la société Location de personnel Areau inc. et madame et monsieur Moreau, mais porte uniquement les signatures de madame et monsieur Moreau. La rédaction des documents, l’erreur quant aux parties et l’absence des signatures des vendeurs sèment un doute quant à la véracité de ces documents. De plus, les chèques présentés en preuve du paiement des actions par madame Moreau (pièce A-4) ont été émis par monsieur Moreau lui‑même, dont un chèque de 2 500 $ fait par Promotions R.A.S. 2000 inc. à La Pommerie le 27 décembre 2000 et un chèque de 1 000 $ fait par Promotions R.A.S. 2000 inc. à 9011-6203 Québec inc. le 7 octobre 2002.

 

[13]    De plus, aucun document n’a été produit concernant la vente des actions de madame Moreau à monsieur Beauchamp pour un prix de vente de 56 200 $. L’appelante et son mari ont témoigné qu’ils ont rencontré monsieur Beauchamp au sujet de la vente des actions. Il est peu probable qu’aucun document n’ait été signé par les parties. De plus, monsieur Beauchamp n’a pas été appelé à témoigner, malgré qu’il était un des témoins-clés. Ce qui me préoccupe, c’est que monsieur Beauchamp a seulement émis le chèque à monsieur Moreau et non pas à madame Moreau pour ses actions vendues.

 

[14]    Le procureur de l’appelante a insisté sur le fait que madame Moreau a effectivement acheté les actions et qu’elle les avait payées à partir des avances faites sur son salaire et que le montant déboursé est à peu près de 52 000 $, ce qui correspond au montant que l’appelante a retiré du compte conjoint pour rembourser le solde hypothécaire. Même si c’est le cas, ce dont je doute, car il n’y a pas de preuve, ceci ne prouve pas que la vente des actions à monsieur Beauchamp ait eu lieu ou que le prix de vente ait été de 56 200 $.

 

[15]    Le défaut d’appeler un témoin ayant une connaissance directe des faits ou de déposer en preuve des documents pertinents me permet de tirer une inférence défavorable quant à la preuve de l’appelante. Les faits ne supportent pas le témoignage de l’appelante voulant qu’elle ait vendu ses actions ou le montant pour lequel les actions ont été vendues. Étant donné toutes ces circonstances, je ne crois pas le témoignage de l'appelante.

 

[16]    La cour a appliqué cette règle dans Schafer c. La Reine,[1]  où la cour a écrit que :

 

 

27        Il existe une règle bien établie selon laquelle l’omission d’une partie ou d’un témoin de témoigner alors qu’il est en mesure de le faire et grâce à qui les faits auraient pu être élucidés autorise un tribunal à inférer que le témoignage de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à qui l’on attribue l’omission. Voir : Murray v. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499, pages 505 et 506 […]

 

[17]    Le jugement rendu par la cour dans White c. La Reine, [2] nous aide. Dans White, le mari et son épouse détenaient un compte bancaire conjoint dans lequel le mari, le débiteur fiscal, a déposé un chèque d’un peu plus de 126 000 $ émis à son nom seulement par la société lui appartenant, mais qui a été utilisé pour rembourser le solde hypothécaire à l’égard de l’immeuble détenu par sa femme. La cour a dit que :

 

                    […]

 

12        […] Lors de l’ouverture de la banque, le 5 mars 1984, le solde du compte conjoint n’était que de 7 500 $. Cette journée-là, M. Howard White a depose un chèque de 126 000 $ fait à son ordre et l’appelante a immédiatement émis un chèque de 126 037,74 $ afin de rembourser l’hypothèque grevant la maison dont elle était l’unique propriétaire. […]

 

13        […] M. Howard White s’est départi de 126 000 $ et ce montant a été remis à l’appelante (son épouse) à titre de propriétaire unique de la maison sise au 61, boulevard Shallmar. De plus, le paragraphe 160(1) est formulé de façon très large en ce qui concerne le transfert de biens « directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon ». Selon moi, et compte tenu des circonstances de l’opération, il y a eu transfert d’un bien (c.-à-d. du montant de 126 000 $) de M. Howard White à l’appelante en 1984 au sens du paragraphe 160(1).

 

                   […]

 

[18]    Les faits de la présente affaire sont différents de ceux dans White, étant donné que le chèque a été émis par un tiers. Malgré cela, la décision rendue dans White s’applique par analogie.

 

[19]    Dans le cas devant nous, le chèque a été émis par monsieur Beauchamp à  monsieur Moreau seulement. Le chèque a été déposé dans un compte conjoint et une partie de cet argent a servi au remboursement de l’hypothèque souscrite par madame Moreau sur l’immeuble dont elle était l’unique propriétaire. Même en acceptant que madame Moreau a effectivement acheté les actions de 9011‑6203 Québec inc. en 1994 et en 2000, il n’y a rien de concret dans le témoignage de madame Moreau ou de monsieur Moreau qui corrobore que la transaction a eu lieu, ainsi que le prix de vente des actions à monsieur Beauchamp. L’appelante n’a pas réussi à expliquer si le contrat de la vente des actions à monsieur Beauchamp existait. Je réfère aux passages pertinents de la transcription de l’audience :  

 

Pages 37-38 de la transcription

Me Jean Lepage contre-interroge madame Moreau

 

Q.        Savez-vous pourquoi le chèque du dix-huit (18) mai 2005 a été fait au nom de monsieur Arsène Moreau seulement?

R.         Le chèque… c’est parce que c’est lui qui gérait.

Q.        Le chèque de monsieur Beauchamp là?

R.         Qui gérait, c’était le comptable. Le chèque de monsieur Beauchamp total.

Q.        Le chèque de monsieur Beauchamp?

R.         Oui, c’est parce que c’est lui qui gérait, c’était le comptable.

Q.        Le comptable?

R.         Et puis, monsieur Beauchamp lui, il l’a fait à son nom à lui.

Q.        O.K. Est-ce que vous avez un contrat de vente entre monsieur Beauchamp puis vous, pour l’achat de ces actions-là?

R.         On a une entente entre moi puis mon mari.

Q.        Entre vous puis votre mari?

R.         Oui, pour l’achat des actions.

Q.        Pour l’achat des actions.

R.         Oui.

Q.        Entre vous puis votre mari? Et j’ai bien compris que c’était monsieur Beauchamp qui avait racheté les actions de 9011-6203?

R.         Oui. C’est lui qui a racheté nos actions à nous.

Q.        O.K. Mais la seule entente que vous avez c’est avec votre mari?

R.         Mais il y a, on a eu, on a rencontré monsieur Beauchamp.

Q.        Vous avez rencontré monsieur Beauchamp?

R.         Oui.

 

Pages 61 et 62 de la transcription

Me Jean Lepage contre-interroge monsieur Moreau

 

Q.        Monsieur Moreau, donc, est-ce que vous étiez le président de la compagnie Location Areau?

R.         Oui.

Q.        Alors, pouvez-vous expliquer pourquoi le chèque a été fait à votre nom, le chèque de 72 452,20 $ ?

R.         Bien monsieur Beauchamp lui, il a fait le chèque comme ça, sans penser peut-être qu’on avait des actions indivises.

Q.        Et il le savait ça?

R.         Oui.

Q.        Vous lui aviez dit?

R.         Oui, bien il le savait que les actions étaient indivises, mais il ne savait pas le contrat qui a été fait entre madame et moi, tu sais le nombre d’actions que madame possédait ou moi possédais.

 

[20]    L’absence de toute preuve documentaire pertinente sur cette transaction, ainsi que le défaut d’appeler monsieur Beauchamp comme témoin, d’autant plus qu’il aurait eu connaissance des faits et serait sensé être disposé à aider l’appelante dans sa cause, me convainquent de tirer une inférence défavorable quant à la preuve de l’appelante. Évidemment, un tel échec quant à la preuve correspond à une admission implicite que le témoignage de monsieur Beauchamp serait défavorable à l’appelante ou, du moins, ne le soutiendrait pas. De plus, quand il s’agit de parties ayant un lien de dépendance, les parties doivent porter à la façon dont elles structurent leurs transactions, puisque non seulement le fond sera considéré mais également la forme. Dans R. c. Friedberg,[3] le juge Linden a écrit :

 

5          En droit fiscal, la forme a de l’importance. Une simple intention subjective, en l’espèce comme dans d’autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d’une opération aux fins de l’impôt. Lorsqu’un contribuable prend certaines dispositions formelles à l’égard de ses affaires, il peut s’ensuivre d’importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d’éviter des impôts (voir la Reine c. Irving Oil 91 D.T.C. 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés. S’il n’en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux se livreraient à des exercises interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer  des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d’amener les contribuables à payer des impôts qu’ils pourraient autrement ne pas avoir à payer. Bien que la preuve de l’intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d’une intention subjective ne peut servir à « rectifier » des documents qui s’orientent clairement vers une direction précise.

 

[21]    Je conclus que le témoignage de l’appelante était intéressé et non convaincant. Les achats des actions ont été corroborés par des documents dont la véracité est douteuse, tandis que la vente des actions à monsieur Beauchamp n’a pas été corroborée par une preuve documentaire acceptable. De plus, monsieur Beauchamp n’a pas été appelé comme témoin. L’appelante n’a pas relevé le  fardeau de la preuve.

 

[22]    Pour ces raisons, l’appel doit être rejeté sans dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juillet 2010.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 371

 

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-1412(GST)G

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              FRANCINE MOREAU ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 26 mars 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge C.H. McArthur

 

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 12 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Stéphane Rivard

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lepage

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Nom :                            Me Stéphane Rivard

 

                 Cabinet :                           Matte Bouchard

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           no 95-1730(GST)G, 16 novembre 1998.

[2]           no 91-1442(IT)G, 10 novembre 1994.

[3]           no A-65-89, 5 décembre 1951 (C.A.F.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.