Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2008-2817(IT)G

 

ENTRE :

 

KEVIN RICHARD BUCKINGHAM,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appels entendus sur preuve commune avec l'appel de Kevin Richard Buckingham (2008‑2877(GST)G), les 8 et 9 mars 2010, à Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

Devant : L'honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Andrew D. Rouse

Avocate de l'intimée :

Me Darlene M. Lamey

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations dont l'appelant a fait l'objet en sa qualité d'administrateur de Mosaic Technologies Corporation (« Mosaic ») et de ses filiales sont accueillis, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que l'appelant n'est pas redevable, en sa qualité d'administrateur de Mosaic, de Multimedia Ventures (Alberta) Inc., de Multimedia Ventures Inc. et de 6678 British Columbia Ltd., de quelque montant que ce soit que ces sociétés ont omis de verser en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l'assurance‑emploi, ni des pénalités et intérêts y afférents.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 6e jour de mai 2010.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de septembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Dossier : 2008-2877(GST)G

 

ENTRE :

 

KEVIN RICHARD BUCKINGHAM,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Kevin Richard Buckingham (2008-2817(IT)G), les 8 et 9 mars 2010, à Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

Devant : L'honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Andrew D. Rouse

Avocate de l'intimée :

Me Darlene M. Lamey

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation dont l'appelant a fait l'objet, en sa qualité d'administrateur de Mosaic Technologies Corporation, par voie de l'avis de cotisation d'un tiers no A106067 du 20 avril 2005, à l'égard des montants non versés au titre de la TPS/TVH ainsi que des pénalités et intérêts y afférents, est rejeté.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 6e jour de mai 2010.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de septembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 247

Date : 20100506

Dossiers : 2008-2817(IT)G

2008-2877(GST)G

 

ENTRE :

 

KEVIN RICHARD BUCKINGHAM,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              L'appelant a fait l'objet d'une cotisation conformément à l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise, en sa qualité d'administrateur de Mosaic Technologies Corporation (« Mosaic »), en ce qui concerne les montants suivants se rapportant à la TPS/TVH non versée, ainsi que les pénalités et intérêts y afférents[1] :

 

Date de la cotisation de Mosaic

Période visée

Date d'échéance du paiement

TPS/TVH non versée

Pénalité et intérêts

TPS/TVH non versée, pénalité et intérêts

23 sept. 2003

Du 1er janv. au 31 mars 2003

30 avril 2003

86 614 $

15 938 $

102 552 $

3 sept. 2004

Du 1er avr.[2] au 30 juin 2003

30 juillet 2003[3]

53 827 $

8 523 $

62 350 $

Total

 

 

140 441 $

24 461 $

164 902 $

 

[2]              L'appelant a également fait l'objet de cotisations, conformément à l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, aux dispositions des lois provinciales de l'impôt sur le revenu applicables, à l'article 21.1 du Régime de pensions du Canada et à l'article 83 de la Loi sur l'assurance‑emploi, en sa qualité d'administrateur de chacune des sociétés ci‑après désignées, à l'égard de retenues à la source non versées (impôt sur le revenu fédéral, impôt sur le revenu provincial, cotisations au RPC et cotisations à l'AE) ainsi que des pénalités et intérêts y afférents :

 

Multimedia Ventures (Alberta) Inc.

 

Date de la cotisation

Période visée

Impôt fédéral

Impôt provincial

RPC

AE

Pénalité et intérêts

Total

16 oct. 2002

Du 16 au 31 août 2002

 

 

 

 

14 $

14 $

19 nov. 2002

Du 1er au 15 sept. 2002

 

 

 

 

1 018 $

1 018 $

6 déc. 2002

Du 16 au 30 sept. 2002

 

 

 

 

1 044 $

1 044 $

14 janv. 2003

Du 1er oct. au 30 nov. 2002

10 319 $

 

 

 

10 846 $

21 165 $

29 janv. 2003

Du 1er au 31 déc. 2002

11 292 $

 

 

 

3 748 $

15 039 $

30 mai 2003

Du 1er janv. au 28 févr. 2003

12 913 $

7 877 $

9 946 $

5 632 $

10 568 $

46 934 $

30 mai 2003

Du 1er mars au 30 avril 2003

21 068 $

12 851 $

 

 

9 634 $

43 553 $

9 juillet 2003

Du 1er au 15 juin 2003

 

 

 

 

265 $

265 $

4 août 2003

Du 1er au 15 juin 2003

5 081 $

3 099 $

 

 

1 247 $

9 427 $

7 oct. 2003

Du 1er janv. au 31 déc. 2002

 

 

3 936 $

 

1 131 $

5 067 $

7 avril 2004

Du 16 au 30 juin 2003

973 $

1 851 $

2 324 $

1 093 $

1 645 $

7 886 $

Total

 

61 646 $

25 678 $

16 206 $

6 725 $

41 160 $

151 412 $

 

 

Multimedia Ventures Inc.

 

Date de la cotisation

Période visée

Impôt fédéral

Impôt provincial

RPC

AE

Pénalité et intérêts

Total

6 déc. 2002

Du 1er au 30 sept. 2002

 

 

 

 

547 $

547 $

17 janv. 2003

Du 1er au 31 oct. 2002

 

 

 

 

497 $

497 $

26 mars 2003

Du 1er janv. au 31 déc. 2002

 

 

 

 

3 234 $

3 234 $

26 mars 2003

Du 1er janv. au 28 févr. 2003

 

 

 

 

2 986 $

2 986 $

11 juin 2003

Du 1er mars au 30 avril 2003

12 512 $

 

 

 

4 775 $

17 287 $

9 juillet 2003

Du 1er au 31 mai 2003

 

 

 

 

586 $

586 $

4 août 2003

Du 1er au 31 mai 2003

3 477 $

2 121 $

 

 

854 $

6 452 $

8 oct. 2003

Du 1er janv. au 31 déc. 2002

 

 

2 420 $

 

674 $

3 094 $

7 avril 2004

Du 1er avr. au 30 juin 2003

3 481 $

2 123 $

2 084 $

182 $

1 922 $

9 792 $

Total

 

19 470 $

4 244 $

4 504 $

182 $

16 075 $

44 475 $

 

 

6678 British Columbia Ltd.

 

Date de la cotisation

Période visée

Impôt fédéral

Impôt provincial

RPC

AE

Pénalité et intérêts

Total

16 oct. 2002

Du 16 au 31 août 2002

 

 

 

 

6 $

6 $

19 nov. 2002

Du 1er au 15 sept. 2002

 

 

 

 

1 070 $

1 070 $

6 déc. 2002

Du 16 au 30 sept. 2002

 

 

 

 

1 062 $

1 062 $

20 déc. 2002

Du 1er oct. au 30 nov. 2002

 

 

7 696 $

 

9 336 $

17 032 $

17 janv. 2003

Du 1er au 15 oct. 2002

 

 

 

 

1 122 $

1 122 $

28 janv. 2003

Du 1er au 31 déc. 2002

 

 

1 664 $

 

1 606 $

3 270 $

25 avr. 2003

Du 1er janv. au 28 févr. 2003

1 934 $

 

5 284 $

3 511 $

8 734 $

19 463 $

25 avr. 2003

Du 1er au 15 mars 2003

3 086 $

1 883 $

2 614 $

1 478 $

2 570 $

11 632 $

2 juin 2003

Du 16 mars au 15 avril 2003

9 373 $

5 718 $

 

 

4 124 $

19 216 $

4 juin 2003

Du 16 au 30 avril 2003

4 564 $

2 784 $

 

 

1 991 $

9 339 $

1er août 2003

Du 1er au 15 juin 2003

4 808 $

2 933 $

 

 

1 988 $

9 729 $

27 août 2003

Du 1er janv. au 31 déc. 2002

 

 

2 303 $

 

1 179 $

3 481 $

7 avril 2004

Du 1er janv. au 30 juin 2003

2 555 $

1 558 $

2 289 $

805 $

1 805 $

9 012 $

Total

 

26 320 $

14 876 $

21 850 $

5 794 $

36 593 $

105 434 $

 

 

Mosaic

 

Date de la cotisation

Période visée

Impôt fédéral

Impôt provincial

RPC

AE

Pénalité et intérêts

Total

6 déc. 2002

Du 16 au 30 sept. 2002

 

 

 

 

1 122 $

1 122 $

20 févr. 2003

Du 1er oct. au 31 déc. 2002

30 192 $

 

 

 

13 463 $

43 655 $

26 févr. 2003

Du 16 au 31 janv. 2003

 

 

 

 

1 428 $

1 428 $

12 mars 2003

Du 16 au 31 janv. 2003

7 943 $

4 845 $

 

 

2 092 $

14 879 $

26 mars 2003

Du 1er janv. au 28 févr. 2003

16 252 $

9 914 $

9 969 $

5 509 $

11 397 $

53 041 $

11 juin 2003

Du 1er mars au 30 avr. 2003

37 626 $

22 952 $

 

 

16 022 $

76 600 $

9 juillet 2003

Du 1er au 15 juin 2003

 

 

 

 

125 $

125 $

8 oct. 2003

Du 1er janv. au 31 déc. 2002

 

 

3 558 $

 

949 $

4 508 $

7 avr. 2004

Du 1er juin au 31 août 2003

4 102 $

2 502 $

2 751 $

1 540 $

2 292 $

13 187 $

Total

 

96 115 $

40 213 $

16 278 $

7 049 $

48 890 $

208 545 $

 

[3]              Certaines cotisations visent la même période ou les mêmes périodes que d'autres cotisations. Toutefois, puisque ces cotisations se rapportent à des montants au titre de l'impôt sur le revenu ainsi qu'à des cotisations au RPC et à l'AE qui auraient dû être versés à l'égard de salaires ou de traitements versés aux employés, les cotisations additionnelles se rapportant à une période pour laquelle une cotisation a déjà été établie indiquent probablement simplement des montants additionnels qui auraient dû être versés pour cette période. Ces cotisations ne viseraient donc pas à indiquer tous les montants qui auraient dû être versés pour cette période. Cela ne serait pas la même chose qu'une cotisation relative à l'impôt sur le revenu pour une année d'imposition qui indique l'obligation fiscale globale applicable à une année d'imposition. L'appelant n'a pas prétendu que les montants visés par les cotisations dont il a fait l'objet en sa qualité d'administrateur n'étaient pas payables par Mosaic ou par l'une de ses filiales. L'appel interjeté par l'appelant est uniquement fondé sur ce qu'il n'était pas redevable de ces montants par suite des dispositions du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise.

 

[4]              Les montants visés par les cotisations comprennent également des montants au titre des impôts sur le revenu provinciaux. Dans l'avis d'appel que l'appelant a déposé, il est fait mention de la Loi de l'impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l'assurance‑emploi. Après l'audience, l'avocat de l'appelant a confirmé par écrit que l'appelant n'interjetait pas appel de la partie de la cotisation qui était fondée sur les impôts sur le revenu provinciaux qui auraient dû être versés (ce qui comprendrait les pénalités et les intérêts y afférents). Si l'appelant avait interjeté appel de la cotisation relative à ces montants, la question qui se serait posée aurait été de savoir si notre cour a compétence pour entendre cet appel.

 

[5]              Notre cour a été constituée par une loi fédérale, la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. La compétence de la Cour est énoncée à l'article 12 de cette loi, en particulier au paragraphe 12(1), qui prévoit ce qui suit :

 

12.(1) La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l'application de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels, de la partie V.1 de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l'assurance‑emploi, de la Loi de 2001 sur l'accise, de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, de la Loi de l'impôt sur le revenu, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers et de la Loi de 2006 sur les droits d'exportation de produits de bois d'oeuvre, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d'appel devant elle.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[6]              En vertu de sa loi constitutive, la compétence de la Cour est limitée aux appels interjetés en vertu des lois mentionnées au paragraphe 12(1) et de certaines autres lois ainsi qu'à d'autres questions énumérées dans les autres dispositions de l'article 12. La Loi sur la Cour canadienne de l'impôt ne confère aucune compétence à la Cour quant aux appels portant sur des questions découlant d'une loi provinciale en matière d'impôt sur le revenu.

 

[7]              Le paragraphe 84(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Nouveau‑Brunswick (qui est la province dans laquelle le siège social de Mosaic était situé et où une bonne partie des activités des sociétés ici en cause étaient, semble‑t‑il, exercées) prévoit ce qui suit :

 

84(2) Sous réserve du paragraphe (4), un appel d'une cotisation, prévu par la présente loi, peut être interjeté devant la Cour pour qu'il soit statué sur toute question concernant,

 

a) dans le cas d'un particulier, la fixation

 

[...]

 

(v) de la responsabilité d'un administrateur à l'égard du paiement d'un montant prévu à l'article 227.1 de la loi fédérale comme cet article s'applique aux fins de la présente loi en raison de l'article 109; [...]

 

[8]              L'article 109 de la Loi de l'impôt sur le revenu du Nouveau‑Brunswick prévoit ce qui suit :

 

109 L'article 227.1 de la loi fédérale s'applique aux fins de la présente loi.

 

[9]              Le terme « Cour » est défini comme suit à l'article 1 de cette loi :

 

« Cour » désigne la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick;

 

[10]         Il est donc clair que tout appel que l'appelant peut vouloir interjeter à l'égard de la cotisation relative aux montants qui auraient dû être versés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu du Nouveau‑Brunswick devrait être interjeté devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick.

 

[11]         Multimedia Ventures (Alberta) Inc., Multimedia Ventures Inc. et 6678 British Columbia Ltd. étaient des filiales de Mosaic. Mosaic et ses filiales exploitaient des entreprises dédiées à l'éducation. L'appelant et sa famille ont acquis le contrôle de Mosaic vers l'année 1997. À ce moment‑là, Mosaic (qui s'appelait alors « Mosaic Recycle Paper ») était une société coquille de Vancouver qui, pendant plusieurs années, avait été cotée en Bourse. À la suite de l'acquisition de Mosaic, l'appelant a commencé à chercher des possibilités d'acquisition en vue de commencer à exploiter une entreprise. La société a acquis deux écoles (des centres de formation multimédia appliquée), le Pitman Business College (qui était l'école de secrétariat la plus ancienne du Canada), et un petit collège, à Regina.

 

[12]         En plus des écoles qui ont été acquises, Mosaic avait également une division qui préparait des cours en ligne pour de grosses sociétés et pour des organismes gouvernementaux. Dans le projet d'offre d'échange d'actions (sur lequel nous reviendrons ci‑dessous), la société est décrite comme suit au début de l'année 2003 :

 

[TRADUCTION]

 

Mosaic Technologies Corporation est une société de technologies éducatives en ligne, cotée en Bourse, basée à Fredericton (Nouveau‑Brunswick), qui s'occupe de la conception et du développement de produits et de services de niveau international pour ses clients en intégrant les méthodes pédagogiques classiques et les activités d'apprentissage interactif assistées par la technologie dans ses installations partout au Canada.

 

[13]         L'appelant était le président du conseil d'administration de Mosaic. La société était également dotée d'un président‑directeur général (Don Whitty) et d'un directeur financier (Stephen Hutchinson).

 

[14]         En 1998 ou en 1999, les actions de Mosaic ont commencé à être cotées à la Bourse de croissance TSX. Mosaic a fait un bénéfice en l'an 2000. Le tableau suivant indique les bénéfices qui ont été faits (ou les pertes qui ont été subies) par Mosaic au cours des années 1999 à 2002 :

 

 

1999

2000

2001

2002

Bénéfice (perte)

(970 899 $)

253 110 $

(451 161 $)

(1 446 396 $)

 

[15]         Mosaic n'a été rentable que pendant un an après être devenue une société dédiée à l'éducation. L'appelant a déclaré que la société avait été rentable pendant les trois premiers trimestres de l'année 2001, mais qu'après les événements du 11 septembre 2001, l'environnement commercial avait énormément changé. Comme il l'a dit :

 

[TRADUCTION]

 

R.         Après le 11 septembre, il est en fait devenu clair pour le conseil d'administration et moi‑même que... et pour la haute direction, que les choses ne seraient plus les mêmes. Et comme je l'ai déjà dit, six mois après le 11 septembre, les téléphones ont presque cessé de sonner, non seulement dans notre cas, mais aussi pour tout le monde.

 

[16]         Le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise et le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoient, pour un administrateur, un moyen de défense à l'égard d'une cotisation portant sur des montants non versés par une société, ce moyen de défense étant le même dans les deux lois. Les paragraphes 83(2) de la Loi sur l'assurance‑emploi et 21.1(2) du Régime de pensions du Canada prévoient que les paragraphes 227.1(2) à (7) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquent pour l'application de ces lois et, par conséquent, le même moyen de défense peut être invoqué par un administrateur qui fait l'objet d'une cotisation pour des cotisations non versées en vertu de la Loi sur l'assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada. Le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise prévoit ce qui suit :

 

(3) L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances[4].

 

[17]         Dans la décision Higgins c. La Reine, 2007 CCI 469, j'ai fait les remarques suivantes :

 

6          Dans l'arrêt Soper v. R., [1997] 3 C.T.C. 242, la Cour d'appel fédérale a procédé à une analyse détaillée du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont le libellé est identique à celui du paragraphe 323(3) de la Loi. La Cour d'appel fédérale a fait remarquer que les lois fédérales dont le libellé est le même doivent être interprétées de la même façon. En particulier, la Cour d'appel fédérale a mis l'accent sur les dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »), qui impose également une obligation à l'administrateur et emploie les mêmes termes que ceux qui figurent dans la Loi et dans la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable. Dans l'arrêt Soper, précité, le juge Robertson, de la Cour d'appel fédérale, a fait les remarques suivantes :

 

[19]      À mon avis, ce n'est pas un pur hasard que le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu contienne des termes identiques à ceux qui figurent à l'alinéa 122(1)b) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions car ces deux dispositions législatives se rapportent à la norme de prudence à respecter. Il faut reconnaître que la disposition de la LCSA concerne le degré de prudence dont il faut faire preuve envers la société tandis que la disposition fiscale concerne le degré de prudence dont il faut faire preuve envers l'État et les contribuables canadiens. Toutefois, cette distinction n'annule pas la pertinence de la norme énoncée dans la LCSA, ne fût‑ce qu'à cause de la présomption de cohérence des lois entre elles. Ce principe élémentaire d'interprétation des lois est expliqué par P.‑A. Côté dans son ouvrage Interprétation des lois, 2e éd. (Cowansville (Québec) : Les Éditions Yvon Blais Inc., 1990), aux pages 323 et 325 :

 

On suppose qu'il règne, entre les divers textes législatifs adoptés par une même autorité, la même harmonie que celle que l'on trouve entre les divers éléments d'une loi : l'ensemble des lois est censé former un tout cohérent. L'interprète doit donc favoriser l'harmonisation des lois entre elles plutôt que leur contradiction, car le sens de la loi qui produit l'harmonie avec les autres lois est réputé représenter plus fidèlement la pensée de son auteur que celui qui produit des antinomies.

 

Plus concrètement, la présomption de cohérence des lois entre elles se manifeste avec d'autant plus d'intensité que les lois en question portent sur la même matière, sont in pari materia, comme on a l'habitude de dire. D'autre part, il peut apparaître certains conflits entre différentes lois, conflits que l'interprète devra résoudre de manière à rétablir l'harmonie.

 

[...]

 

En résumé donc, la présomption de cohérence entre lois connexes vaut surtout pour les lois émanant d'un même législateur. Elle s'appliquerait néanmoins entre lois issues de deux législateurs différents dans la mesure où il serait possible d'inférer des circonstances une volonté d'un des auteurs d'imiter la forme ou de tenir compte de la substance de l'autre législation.

 

Par conséquent, pour déterminer si la norme de prudence reconnue par la common law a été modifiée par la loi, il est approprié et instructif de tenir compte non seulement de la disposition relative à la diligence raisonnable prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais aussi des dispositions analogues, et pratiquement identiques, relatives à la norme de prudence qui figurent dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

 

7          Le juge Robertson a conclu que les dispositions de l'alinéa 122(1)b) de la LCSA et le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoyaient un critère objectif subjectif à appliquer dans l'analyse de la norme établie dans ces dispositions.

 

8          Dans l'arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461, la Cour suprême du Canada a fait les remarques suivantes au sujet du critère objectif subjectif énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Soper :

 

[63]      Dans l'arrêt Soper c. Canada, 1997 CanLII 6352 (C.A.F.), [1998] 1 C.F. 124, par. 41, le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale a décrit la norme de diligence énoncée à l'al. 122(1)b) de la LCSA comme étant une norme « objective subjective ». Même s'il portait sur l'interprétation d'une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu, cet arrêt est pertinent en l'espèce parce que le libellé de la disposition établissant la norme de diligence est identique à celui de l'al. 122(1)b) de la LCSA. Nous estimons pour notre part que le fait, pour le juge Robertson, de qualifier la norme par l'expression « objective subjective » peut semer la confusion. Nous préférons la décrire comme une norme objective. Ainsi, il devient évident que dans le cas de l'obligation de diligence prévue à l'al. 122(1)b), ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l'administrateur ou le dirigeant qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ces derniers, qui sont l'objet essentiel de l'obligation fiduciaire prévue à l'al. 122(1)a) de la LCSA.

 

9          La Cour suprême du Canada a encore une fois fait remarquer qu'étant donné que le libellé de l'alinéa 122(1)b) de la LCSA est identique à celui du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (qui est également identique au libellé du paragraphe 323(3) de la Loi), les dispositions doivent être interprétées de la même façon. À mon avis, il faut donc conclure que la Cour suprême du Canada a modifié le critère objectif subjectif que la Cour d'appel fédérale avait énoncé dans l'arrêt Soper, pour adopter plutôt une norme objective qui devrait maintenant être utilisée pour l'application de l'alinéa 122(1)b) de la LCSA ainsi que pour l'application du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et du paragraphe 323(3) de la Loi.

 

10        Dans l'arrêt Magasins à rayons Peoples inc., précité, la Cour suprême du Canada a également fait les remarques suivantes au sujet de cette obligation :

 

[67]      On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l'obligation de diligence énoncée à l'al. 122(1)b) de la LCSA s'ils ont agi avec prudence et en s'appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. Les décisions prises doivent constituer des décisions d'affaires raisonnables compte tenu de ce qu'ils savaient ou auraient dû savoir. Lorsqu'il s'agit de déterminer si les administrateurs ont manqué à leur obligation de diligence, il convient de répéter que l'on n'exige pas d'eux la perfection. Les tribunaux ne doivent pas substituer leur opinion à celle des administrateurs qui ont utilisé leur expertise commerciale pour évaluer les considérations qui entrent dans la prise de décisions des sociétés. Ils sont toutefois en mesure d'établir, à partir des faits de chaque cas, si l'on a exercé le degré de prudence et de diligence nécessaire pour en arriver à ce qu'on prétend être une décision d'affaires raisonnable au moment où elle a été prise.

 

11        Par conséquent, il s'agit ici de savoir si les appelants ont agi avec prudence et en s'appuyant sur les renseignements dont ils disposaient et s'ils ont satisfait à la norme objective qui leur est imposée d'agir avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[18]         Comme je l'ai conclu dans la décision Higgins, il me semble que la norme de diligence imposée aux paragraphes 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise devrait être la même que la norme de diligence imposée à l'alinéa 122(1)b) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») et qu'il s'agit donc d'une norme objective, pour les deux raisons suivantes :

 

a)       dans l'arrêt Soper, le juge Robertson a établi la norme objective subjective en se fondant sur son examen de l'alinéa 122(1)b) de la LCSA (qu'il a décrit, au paragraphe 30 de ses motifs, comme étant analogue, et pratiquement identique, à la disposition relative à la norme de prudence au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu);

 

b)      la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461, en parlant de la norme de diligence imposée à l'alinéa 122(1)b) de la LCSA, a expressément examiné la norme objective subjective énoncée par le juge Robertson dans l'arrêt Soper et a indiqué que la norme à appliquer devrait être une norme objective.

 

[19]         Dans la présente affaire, l'appelant a également cherché à se présenter comme un « administrateur externe » jusqu'en 2003. Cette désignation est fondée sur les remarques suivantes que le juge Robertson a faites dans l'arrêt Soper :

 

43        [...] J'entends m'attarder à la catégorie de décisions relative à la distinction entre les administrateurs internes et les administrateurs externes puisqu'il s'agit de la jurisprudence qui est la plus pertinente dans le cadre du présent appel.

 

44        Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est‑à‑dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[20]         Comme il en a ci‑dessus été fait mention, il me semble que la norme de diligence ne comporte plus d'élément subjectif, mais la distinction entre les administrateurs internes et les administrateurs externes est encore pertinente. Dans l'arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de), la Cour suprême du Canada a dit ceci :

 

67        On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l'obligation de diligence énoncée à l'al. 122(1)b) de la LCSA s'ils ont agi avec prudence et en s'appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. Les décisions prises doivent constituer des décisions d'affaires raisonnables compte tenu de ce qu'ils savaient ou auraient dû savoir. [...]

 

[21]         Les circonstances dont les administrateurs internes (ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et peuvent influencer la conduite de ses affaires) auront connaissance (ou dont ils devraient avoir connaissance) seront différentes des circonstances dont les administrateurs externes auront connaissance (ou devraient avoir connaissance). Par conséquent, il me semble que la distinction entre les administrateurs internes et les administrateurs externes est encore pertinente et constitue encore le point de départ de l'analyse. Les administrateurs internes seraient davantage au courant ou devraient être davantage au courant que les administrateurs externes des activités quotidiennes de la société, des circonstances se rapportant aux activités financières d'une société (et de la capacité de la société de s'acquitter de ses obligations quant aux versements et de respecter ces obligations) et des problèmes qui pourraient éventuellement se poser.

 

[22]         L'appelant prend la position selon laquelle il est devenu un administrateur interne de Mosaic le 13 février 2003 seulement. Toutefois, il me semble que l'appelant était un administrateur interne bien avant le 13 février 2003 et qu'il était un administrateur interne avant la première des omissions de verser les retenues à la source ou la TPS/TVH sur lesquelles porte le présent litige.

 

[23]         L'appelant et sa famille ont acquis Mosaic en 1997. L'appelant était le seul à être administrateur de toutes les sociétés dont il est ci‑dessus fait mention. Il semble évident, d'après le témoignage de l'appelant, qu'il s'occupait directement de l'acquisition des entreprises qui ont été directement ou indirectement acquises par Mosaic. L'appelant était également le principal actionnaire de Mosaic.

 

[24]         Le directeur financier, Stephen Hutchinson, a démissionné au printemps 2002. Avant cette démission, Robert Baird, qui semble avoir été responsable de l'établissement des formulaires de versement et des déclarations relatives à la TPS/TVH, relevait de Stephen Hutchinson. Au cours du contre‑interrogatoire, l'appelant a reconnu avoir dirigé Robert Baird. On ne sait pas trop à quel moment l'appelant a commencé à diriger Robert Baird, mais cela s'est probablement produit après la démission de Stephen Hutchinson, au printemps 2002. L'appelant a également dit que le bureau de Robert Baird était situé à l'autre bout de l'immeuble, ce qui indique que l'appelant avait un bureau chez Mosaic. Le fait que l'appelant avait un bureau chez Mosaic et qu'il dirigeait Robert Baird indique qu'il s'occupait des activités quotidiennes de Mosaic. L'appelant possédait également le pouvoir de signature pour le compte en banque de la société, ce qui indique qu'il s'occupait des activités quotidiennes de la société.

 

[25]         L'appelant a également parlé de diverses initiatives que Mosaic avait prises pour se procurer des capitaux. Il semble qu'après les événements du 11 septembre, l'appelant ait consacré énormément de temps à chercher des possibilités de se procurer des capitaux et de remédier à la baisse des ventes. Dans son témoignage, l'appelant a fait remarquer qu'il s'était rendu à Toronto, avec Don Whitty, au début de l'année 2002 en vue de faire préparer les documents nécessaires pour une émission d'actions proposée.

 

[26]         Il semble également que les autres administrateurs démissionnaient. Le tableau qui suit indique les dates de démission des personnes qui étaient membres du conseil d'administration de Mosaic le 11 septembre 2001, selon les documents qui ont été déposés en vertu de la LCSA :

 

Nom

Date de la démission

Richard Buckingham

 

Carey Edwards

10 mai 2002

Allen Ruben

28 février 2003

Michael Bishop

 

Brian Neill

1er mars 2003

Lucille Pacey

 

 

[27]         L'appelant a déclaré que Michael Bishop (qui a un lien avec l'appelant) avait également démissionné de son poste d'administrateur. L'appelant n'a pas pu indiquer la date précise, mais il a déclaré que Michael Bishop était parti [TRADUCTION] « assez tôt ». L'appelant a également déclaré que Lucille Pacey (qui vivait à Vancouver) avait également démissionné de son poste d'administratrice, mais encore une fois, l'appelant n'a pas pu indiquer la date précise.

 

[28]         Dans un affidavit qu'il avait antérieurement remis à l'ARC à l'appui d'un autre administrateur à l'égard duquel l'ARC se proposait d'établir une cotisation, l'appelant a également déclaré qu'il avait arbitrairement nommé cette autre personne à titre d'administrateur d'une des filiales sans son consentement. Dans l'affidavit (qui a été établi le 20 novembre 2004), l'appelant déclarait ceci :

 

[TRADUCTION]

 

1.         Je suis administrateur de Mosaic Technologies Corporation (« Mosaic ») et j'ai eu un rôle important dans l'exploitation de Mosaic.

 

2.         Mosaic avait deux filiales, Multimedia Ventures Inc. (« MVI ») et Multimedia Ventures (Alberta) Inc. (« MVAI »). Les sociétés MVI et MVAI exploitaient des centres de formation multimédia au Manitoba et en Alberta respectivement.

 

3.         Lorsque Mosaic a acheté les centres de formation multimédia, j'ai inscrit le nom d'Allen Ruben (« M. Ruben ») à titre d'administrateur de MVI et de MVAI étant donné qu'il était l'un des administrateurs de Mosaic et que je croyais que les sociétés avaient besoin d'au moins deux administrateurs.

 

4.         Je n'ai pas obtenu et je n'ai jamais obtenu le consentement de M. Ruben lorsque je l'ai désigné à titre d'administrateur de MVI et de MVAI.

 

5.         Il n'y a jamais eu de réunion du conseil d'administration de MVI ou de MVAI, et M. Ruben n'a jamais participé de quelque façon que ce soit à l'exploitation de l'une ou l'autre société.

 

[29]         Cela montre que l'appelant exerçait énormément d'influence sur Mosaic et sur ses filiales. Au premier paragraphe de son affidavit, l'appelant a également reconnu jouer [TRADUCTION] « un rôle important dans l'exploitation de Mosaic ».

 

[30]         Il me semble que l'appelant était un administrateur interne avant la première des omissions d'effectuer les versements sur lesquelles porte le présent appel (ce qui se serait produit à l'automne 2002).

 

[31]         Il s'agit donc de savoir si l'appelant, en sa qualité d'administrateur interne, a agi avec prudence et en s'appuyant sur les renseignements dont il disposait. Les décisions qu'il a prises étaient‑elles des décisions d'affaires raisonnables compte tenu de ce qu'il savait ou aurait dû savoir?

 

[32]         En l'espèce, il me semble que l'analyse relative aux retenues des employés devrait être effectuée séparément de l'analyse portant sur la TPS/TVH non versée. Dans la décision McKinnon c. La Reine, 2003 CCI 884, le juge en chef adjoint Bowman a fait les remarques suivantes :

 

18        L'autre argument que l'on entend souvent dans ce genre d'affaire et que je considère tout aussi fallacieux est celui‑ci : « Vous voliez de l'argent détenu en fiducie pour la Couronne afin de faire marcher votre entreprise et de payer vos employés. » Il s'agit là, selon moi, d'une caractérisation inexacte et injuste. On insinue par là qu'il existe un compte distinct (une jarre à biscuits, si l'on veut) dans laquelle on dépose les retenues salariales et dont on les retire pour payer les dépenses de la société. La vérité, c'est qu'il n'y a pas de jarre à biscuits, réelle ou notionnelle, et pas d'argent à y déposer même s'il en existait une. Le montant net versé aux employés est tout ce dont on dispose. Les employés, les fournisseurs et les autres créanciers sont payés parce que s'ils ne le sont pas, la société devra fermer. Lorsque, comme dans le cas présent, des événements survenants imprévus mettent une personne dans l'impossibilité de payer les retenues salariales au gouvernement, je ne crois pas que l'appelant ait pu raisonnablement faire quoi que ce soit pour assurer le paiement.

 

[33]         Les montants pour les retenues à la source ne proviennent pas d'un tiers; ils sont payés à l'aide des ressources que la société peut avoir à sa disposition. Les obligations relatives au versement font partie des coûts associés aux employés. Au cours du contre‑interrogatoire, l'appelant a déclaré à un moment donné qu'habituellement, il n'y avait pas beaucoup d'argent dans le compte. Il a également admis que les montants qui avaient été retenus de la paie étaient utilisés pour acquitter d'autres frais. Toutefois, aucun montant précis n'a été mentionné et aucun relevé bancaire n'a été produit en vue de démontrer le montant qui était dans le compte en banque à un moment donné. Un employeur peut avoir des obligations continues envers les employés, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'il a reçu les fonds nécessaires pour s'acquitter de ces obligations. Ainsi, si le total des salaires exigibles à un moment donné est de 100 000 $ et que le total des retenues à la source qui doivent être effectuées sur ce montant et qui doivent être versées est de 25 000 $, le montant net payable aux employés s'élève à 75 000 $. Si l'employeur a uniquement 75 000 $ dans son compte en banque, le solde du compte sera ramené à zéro si ce montant de 75 000 $ est versé aux employés. Il ne resterait tout simplement pas d'argent à détenir en fiducie. Aucun tiers n'a versé 100 000 $ à l'employeur pour couvrir la paie, et l'employeur doit financer les 75 000 $ payables aux employés et les 25 000 $ payables pour les retenues à la source de toute source dont il peut disposer, s'il lui est possible de le faire. Cela est différent des montants à verser au titre de la TPS/TVH, qui sont financés par des tiers de qui la TPS/TVH est perçue. J'examinerai donc séparément ces obligations relatives aux versements.

 

Retenues à la source non versées

 

[34]         Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la première année au cours de laquelle Mosaic a fait un bénéfice (et la seule année au cours de laquelle elle a fait un bénéfice) était l'année 2000. À la fin du mois de décembre 2000, la société avait un peu moins de 760 000 $ en argent et en dépôts à court terme. À ce moment‑là, le total des actifs à court terme de la société était d'un peu plus de 2,1 millions de dollars. L'appelant a également déclaré que la société était rentable pendant les trois premiers trimestres de l'année 2001. Toutefois, un certain nombre d'événements indépendants de la volonté de la société sont survenus et ont entraîné son effondrement.

 

[35]         Comme il en a déjà été fait mention, les événements du 11 septembre ont eu un effet préjudiciable sur l'entreprise de la société. De plus, la société avait signé une lettre d'intention non obligatoire avec Innovatia à l'égard d'un contrat projeté avec Nortel. Afin d'être en mesure de s'acquitter des obligations qui lui incombaient en application de ce contrat, la société s'est vue obligée d'embaucher des employés additionnels. Le contrat devait produire chaque trimestre des revenus d'environ 4 millions de dollars, soit un montant fort important pour une société qui, en l'an 2000, avait déclaré un revenu total de 4,9 millions de dollars pour une période de douze mois.

 

[36]         Toutefois, un contrat formel n'a jamais été signé. L'appelant a décrit les circonstances comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

R.         Par conséquent, au cours des trois premiers trimestres de l'année 2001, la société était rentable et nous nous apprêtions à... Nous avions signé une lettre d'intention à la fin de l'année 2001, si je me souviens bien, une lettre d'intention non exécutoire avec Innovatia afin d'exécuter pour Nortel un contrat très important. La société devait donc organiser sa capacité intellectuelle en embauchant des gens pour s'occuper du contrat.

 

Q.        D'accord.

 

R.         En 2001, vers le milieu de l'année, Nortel s'est mise à traîner des pieds et il y a ensuite eu le 11 septembre, et tout semblait réellement s'effondrer dans l'entreprise de la technologie, et...

 

Q.        Lorsque vous parlez de l'entreprise de la technologie, parlez-vous de votre entreprise ou...

 

R.         Il s'agit de notre entreprise, des entreprises de nos clients. Tout semblait être mis en suspens à ce moment‑là. Par conséquent, dans l'intervalle, nous avions un bon... nous avions un bon groupe de gens pour assurer l'exécution du contrat, de sorte que nous avons commencé... En réalité, en 2001, nous commencions à renvoyer des gens, parce qu'Innovatia et Nortel traînaient des pieds avec le gros contrat. Je crois que le montant en cause s'élevait à peu près à 4 000 000 $ par trimestre, quelque chose du genre. À ce moment‑là, il s'agissait d'un montant passablement important pour notre société.

 

[37]         L'appelant a initialement dit que la lettre d'intention avait été signée à la fin de l'année 2001, mais il a ensuite dit que Nortel [TRADUCTION] « traînait des pieds » et que les événements du 11 septembre s'étaient ensuite produits, de sorte qu'il me semble que l'appelant a simplement erronément parlé de la fin de l'année 2001 pour ce qui est de la signature de la lettre d'intention et que cette lettre a été signée à la fin de l'année 2000 ou au début de l'année 2001.

 

[38]         De plus, à un moment donné après le 11 septembre, la société de cautionnement avec qui Mosaic avait traité a cessé de souscrire des cautionnements pour des écoles de formation professionnelle. L'exemple donné par l'appelant était qu'au lieu de payer 5 000 $ pour obtenir un cautionnement de 500 000 $, la société a été obligée de donner de l'argent en garantie pour le montant intégral afin d'exploiter l'école, de sorte que ses fonds étaient de toute évidence immobilisés. Dans les états financiers de l'année 2002 figure une note qui identifie les [TRADUCTION] « dépôts restreints » suivants :

 

 

2002

2001

Dépôts auprès de la Private Post‑Secondary Education Commission (Commission de l'enseignement postsecondaire privé) de la Colombie‑Britannique

74 460 $

 

Dépôts auprès de compagnies d'assurances à l'égard des cautionnements d'exécution

87 500 $

87 500 $

Dépôts à terme portant intérêt au taux de 2 p. 100 l'an, venant à échéance le 31 octobre 2003 (note 15b))

50 000 $

 

 

211 960 $

87 500 $

 

[39]         À la fin de l'année 2001, la société avait un peu moins de 245 000 $ en argent et en dépôts à court terme, et ses actifs à court terme s'élevaient à un peu plus de 1,5 million de dollars. La situation de la société s'était détériorée par rapport à ce qu'elle était à la fin de l'année 2000.

 

[40]         Au début de l'année 2002, l'appelant, qui reconnaissait que la société aurait besoin de capitaux additionnels, a envisagé d'émettre des actions. La société avec qui ils traitaient était American Capital Partners, de Toronto, et selon la proposition, American Capital Partners devait organiser une injection de capitaux de 750 000 $. Les opérations n'ont jamais été conclues parce qu'American Capital Partners ne pouvait pas se procurer les fonds nécessaires aux fins de l'injection de capitaux. L'appelant a décrit comme suit cet événement et la possibilité d'obtenir des fonds propres sur le marché :

 

[TRADUCTION]

 

R.         Cela ne s'est jamais produit parce qu'ils ne pouvaient pas se procurer l'argent, et les choses ont peu à peu empiré pendant l'année 2002, et...

 

Q.        Lorsque vous dites que les choses ont peu à peu empiré, qu'entendez‑vous par là?

 

R.         Eh bien, il était impossible d'obtenir des fonds propres.

 

Q.        D'accord.

 

R.         Les marchés des capitaux à ce moment‑là, après l'implosion d'Internet, si on peut l'appeler ainsi, en 2001‑2002, au cours de cette période, le marché était très nerveux à l'égard du secteur technologique, alors qu'à peine un an auparavant, il n'en avait jamais assez.

 

Q.        D'accord.

 

R.         De sorte que la situation est devenue fort difficile.

 

Q.        D'accord. D'accord. L'obtention de fonds propres n'a donc pas fonctionné. Ils ne pouvaient pas se procurer de fonds à cause des marchés à ce moment‑là?

 

R.         C'est exact.

 

[41]         Mosaic n'avait pas de ligne de crédit à la banque. Avant qu'il démissionne, Steve Hutchinson s'était rendu à Winnipeg et avait rencontré le chargé de compte de la banque de la société afin d'étudier la possibilité d'établir une ligne de crédit pour la société. Toutefois, les pourparlers avec la banque n'ont pas porté fruit. L'appelant a indiqué que la banque ne voulait tout simplement pas leur prêter de l'argent à ce moment‑là.

 

[42]         Afin de réduire les dépenses, la société a commencé à renvoyer des employés et elle a limité les voyages des cadres et des gestionnaires de la société. De toute évidence, la société a également cessé d'embaucher de nouveaux employés.

 

[43]         Ils avaient également communiqué avec une autre maison de courtage (Northern Securities) afin de savoir s'ils pouvaient se procurer des fonds additionnels. Ces pourparlers n'ont pas porté fruit.

 

[44]         Toutefois, une autre société, Global Inter‑Tech Inc. (« GITI »), dont plusieurs actionnaires étaient également actionnaires d'American Capital Partners, s'intéressait à Mosaic. Cette société avait de l'argent et elle voulait fusionner avec Mosaic. L'appelant s'est mis à travailler à cette proposition au mois d'août ou de septembre 2002. Les documents qui ont été déposés à l'audience comprenaient une ébauche de la circulaire d'information concernant l'offre d'échange d'actions, qui indiquait que GITI avait offert d'échanger deux actions de GITI (au prix de 0,20 $ chacune) contre une action de Mosaic. American Capital Partners Ltd. agissait à titre de mandataire de GITI. L'offre d'échange d'actions était conditionnelle, la condition étant qu'au moins 51 p. 100 des actions émises de Mosaic soient remises aux termes de l'offre.

 

[45]         Les actionnaires de Mosaic n'ont pas accepté l'offre d'échange d'actions proposée par GITI. L'appelant avait noté que l'offre d'échange d'actions aurait de beaucoup dilué l'avoir des actionnaires de Mosaic. L'appelant était le principal actionnaire, mais d'autres personnes détenaient également un grand nombre d'actions et l'échange d'actions projeté ne leur plaisait pas. L'appelant a indiqué que :

 

[TRADUCTION]

 

R.         [...] Les actionnaires de Mosaic et les actionnaires d'Inter‑Tech Global n'ont pas pu déterminer, en fin de compte, qui allait fournir quoi, et cela n'a tout simplement pas fonctionné.

 

[46]         Le marché a échoué. Étant donné que l'appelant participait personnellement aux négociations avec GITI à l'égard de la fusion, il me semble qu'on ne saurait le blâmer pour l'échec de la fusion.

 

[47]         Dans les notes jointes aux états financiers consolidés de Mosaic pour l'exercice ayant pris fin le 31 décembre 2002, il est également fait mention du fait que la société avait obtenu 170 000 $ d'un administrateur externe et 350 000 $ de TomaNet Inc., au mois de mars 2003. L'appelant n'a pas parlé de l'une ou l'autre de ces initiatives, qui sont toutes deux décrites sur la même page que le paragraphe sur lequel l'avocate de l'intimée a attiré l'attention de l'appelant lors du contre‑interrogatoire. Ces initiatives sont décrites au deuxième paragraphe figurant après le paragraphe sur lequel l'avocate de l'intimée a attiré l'attention de l'appelant au cours du contre‑interrogatoire. On ne sait pas trop pourquoi l'appelant n'a pas mentionné ces initiatives, mais étant donné qu'elles sont mentionnées dans les notes jointes aux états financiers vérifiés, il semble s'agir de deux autres initiatives qui ont été prises aux fins de l'obtention de fonds pour la société. Les 350 000 $ ont été décrits comme de l'argent visant à financer les besoins immédiats en fonds de roulement.

 

[48]         De plus, au mois de février 2003 (ce qui aurait été à peu près au moment où l'offre d'échange d'actions a échoué), l'appelant a rencontré les vérificateurs de la société, à Saint John (Nouveau‑Brunswick), et a engagé les vérificateurs pour qu'ils vendent les actifs en vue de recueillir des fonds. Les vérificateurs se sont rendus aux installations et ils ont préparé des brochures d'information afin d'attirer des offres à l'égard des actifs. En particulier, Mosaic essayait de vendre quatre écoles et la société de développement de logiciel située à Miramichi (Nouveau‑Brunswick).

 

[49]         Deux des écoles ont suscité de l'intérêt au mois de mars 2003. Selon ce dont l'appelant se souvenait, les acquéreurs éventuels voulaient acheter deux des écoles pour un montant d'environ 1,3 million de dollars. Toutefois, aucune offre ferme n'a été reçue. Les vérificateurs ont ensuite pris des mesures pour que des intéressés déposent des offres à l'égard des biens. Une offre d'un million de dollars a été reçue pour l'école à Calgary et une offre de 300 000 $ a été reçue pour le collège Pitman. La société qui avait offert un million de dollars pour l'école à Calgary ne pouvait pas se procurer les fonds nécessaires et la vente du collège Pitman a pris trop de temps; Mosaic a mis fin à ses activités avant que le marché soit conclu.

 

[50]         Au cours de la seconde moitié de l'année 2002, Mosaic avait entamé des discussions avec Maxim Training Corp (UK) Limited (« Maxim ») au sujet de la vente possible du groupe de Mosaic responsable du développement. Les actifs qui étaient vendus étaient composés de droits de propriété intellectuelle (les systèmes privés qui avaient été mis au point pour les cours en ligne). Le 5 mai 2003, l'appelant a écrit à Maxim afin d'indiquer les conditions générales de la vente projetée du groupe de Mosaic responsable du développement pour 1,6 million de dollars. Les parties ont par la suite conclu une convention d'achat‑vente. Mosaic a reçu 600 000 $ en tout au mois de juin 2003 à l'égard de la vente de ces actifs à Maxim. Le solde d'un million de dollars devait être versé au mois de septembre.

 

[51]         Des montants reçus, 100 000 $ a été versé à l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») en paiement partiel des montants exigibles dont Mosaic ou ses filiales étaient redevables au titre de retenues à la source et de la TPS/TVH non versées.

 

[52]         Mosaic n'a jamais reçu le solde d'un million de dollars se rattachant à la vente de ses droits de propriété intellectuelle. L'acquéreur n'a pas envoyé le paiement lorsqu'il était dû, au mois de septembre 2003, et il a été mis sous séquestre.

 

[53]         Au début de l'année 2003, l'appelant a personnellement commencé à traiter avec l'ARC au sujet des montants impayés que Mosaic devait à l'ARC au titre des retenues à la source non versées.

 

[54]         Les premiers versements pour lesquels l'appelant a fait l'objet d'une cotisation sont pour des montants peu élevés pour les pénalités et les intérêts se rattachant à des montants qui auraient dû être versés au mois de septembre 2002 (14,36 $ pour Multimedia Ventures (Alberta) Inc. et 6,43 $ pour 6678 British Columbia Limited). Certains montants importants se rapportent à la période allant du 1er octobre au 30 novembre 2002 pour Multimedia Ventures (Alberta) Inc. (10 318,83 $ au titre de l'impôt fédéral) et pour 6678 British Columbia Ltd. (7 696,03 $ au titre du RPC) et pour des périodes postérieures.

 

[55]         Les tableaux montrent que la cotisation dont l'appelant a fait l'objet à l'égard des montants non versés se rapporte essentiellement aux versements qui auraient dû être effectués au mois de décembre 2002 et par la suite. Il semble que certains montants aient été payés pour les versements qui étaient dus après cette date, mais de toute évidence les montants payés n'étaient pas suffisants. Les cotisations s'appliquent à une période de plus d'un mois dans plusieurs cas, et il n'est pas possible de savoir quel est le montant de la cotisation qui se rapporte à chaque mois au cours de la période. Il semble que sur le montant visé par la cotisation dont l'appelant a fait l'objet, un montant de 6 380,09 $ seulement (soit 1,3 p. 100 du montant total établi, de 509 868,07 $, pour les retenues à la source non versées) se rapporte à des montants qui auraient dû être versés avant le mois de décembre 2002.

 

[56]         Les périodes identifiées dans la réponse ne sont pas uniformes pour chaque société. Ainsi, certaines périodes pour Mosaic ne sont que la moitié d'un mois (par exemple, du 16 au 31 janvier 2003), alors que d'autres sont de deux mois (par exemple, du 1er janvier au 28 février 2003), et d'autres encore sont toute l'année (du 1er janvier au 31 décembre 2002). Certaines périodes se chevauchent. De plus, il n'existe aucune indication du montant qui aurait dû être versé pour chaque période. La question qui se pose en l'espèce est de savoir si l'appelant a satisfait à la norme de diligence qui lui est imposée au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en vue de prévenir le défaut. Par conséquent, il me semble qu'il est important de déterminer les montants que la société n'a pas versés et le moment où pareils montants auraient dû être versés, de façon qu'il soit possible d'examiner les mesures que l'appelant a prises avant ce défaut pour voir si elles satisfont à la norme de diligence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il aurait été préférable d'organiser les renseignements en indiquant, pour chaque période particulière à l'égard de laquelle des montants auraient dû être versés, le montant qui aurait dû être versé pour cette période, la date à laquelle ce montant aurait dû être versé, le montant que l'ARC a reçu pour cette période, et la date à laquelle le paiement a été effectué. Les pénalités et intérêts ont été établis parce que les montants n'ont pas été versés lorsqu'ils auraient dû l'être et pouvaient être calculés compte tenu des renseignements susmentionnés. Il me semble qu'en déterminant si l'appelant a satisfait à la norme de diligence qui lui est imposée, les renseignements cruciaux se rapportent aux versements qui auraient dû être effectués (et qui ne l'ont pas été), c'est‑à‑dire ce qui aurait dû être versé et le moment où le versement aurait dû être effectué, de façon que les mesures que les administrateurs ont prises en vue de prévenir le défaut puissent être examinées.

 

[57]         Il est impossible de découvrir, dans les renseignements présentés, quelque montant particulier que les sociétés ont versé pour la période allant du mois de décembre 2002 au 31 août 2003. Il n'est pas non plus possible de savoir de quelle façon l'ARC a imputé les paiements et si, par exemple, le paiement d'un versement pour le mois de février 2003 peut avoir été imputé à un solde impayé antérieur. L'avocate de l'intimée (avec le consentement de l'avocat de l'appelant) a produit en preuve des copies de renseignements de journal tirés du système informatique de l'ARC. En tout, environ 620 pages de renseignements ont été déposées. La réponse à ces questions est peut‑être bien enfouie dans cet amas de papiers. Or, à mon avis, il ne convient pas de simplement déposer d'énormes quantités de documents et de s'attendre ensuite à ce que le juge soit en mesure d'y trouver des bribes de faits pertinents. Ce sont les parties qui connaissent les faits et les documents déposés, et si une partie du document est pertinente, les parties devraient la surligner. De toute façon, les notes de journal semblent porter sur les mesures qui ont été prises aux fins de la perception des arriérés impayés et sur les réponses reçues des représentants de Mosaic. Ces notes portent donc sur les mesures visant à remédier aux défauts et non sur les mesures visant à prévenir le défaut.

 

[58]         Dans l'arrêt Procureur général du Canada c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203 (C.A.F.), tous les juges de la Cour d'appel fédérale convenaient que les administrateurs, dans cette affaire‑là, avaient satisfait au critère de la diligence raisonnable prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise. Dans cette décision, le juge Evans a dit ceci :

 

79        Étant donné les restrictions que leur imposait le contrôle de fait exercé par la banque sur les finances de la compagnie, je conclus des faits de la cause que les administrateurs ont exercé, pour prévenir les défauts de versement, le même degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables. Le fait que Mme McKinnon ait continué à préparer les chèques de versement, manifestement sans l'espoir réaliste que la banque les honorerait tous, indique aussi que ces administrateurs n'ignoraient pas la dette de la compagnie envers Revenu Canada.

 

80        Ce qui est bien plus important encore à mon avis, c'étaient les efforts soutenus de M. Humphreys pour trouver un nouvel investisseur, étant donné sa conviction que dès lors, la compagnie pourrait être rapidement remise à flot. Il a dit aux administrateurs sa confiance qu'un nouvel investisseur pourrait être trouvé. De fait, il a identifié des investisseurs potentiels dans les semaines qui suivirent son engagement, a parlé à 12 personnes qui exprimaient leur intérêt à cet égard, et a trouvé une personne qui était d'accord pour mettre son argent dans la compagnie, mais qui ne convenait pas à la banque pour des raisons qui ne sont pas divulguées.

 

81        Tant que ces efforts étaient poursuivis en bonne foi par une personne qui avait fait ses preuves dans le renflouement des compagnies dans le secteur du bâtiment, les administrateurs d'Abel pouvaient raisonnablement dire que, si un investisseur pouvait être trouvé et approuvé par la banque, la compagnie pourrait obtenir le cautionnement nécessaire pour soumissionner pour des contrats lucratifs, ce qui pourrait avoir pour effet d'engager la banque à accroître sa marge de crédit ou, à tout le moins, à honorer le prochain chèque de versement d'Abel.

 

82        Il s'ensuit que si M. Humphreys avait réussi à trouver un investisseur acceptable pour la banque, les défauts de versement auraient pu être évités. Le fait qu'en fin de compte, il n'a pas réussi et qu'il y a eu des défauts de versement, ne rend pas les administrateurs responsables s'ils avaient fait des efforts raisonnables pour les prévenir. La Cour n'est pas encline à conjecturer après coup sur l'efficacité des efforts des administrateurs pour prévenir les défauts de versement.

 

83        Cependant, ceux-ci n'auraient pas été en droit de s'en remettre indéfiniment à l'avis de M. Humphreys s'il n'y avait eu aucune indication d'intérêt de la part d'investisseurs dans la compagnie. Ils n'auraient pu se réclamer du moyen de défense de la diligence raisonnable tiré du paragraphe 227.1(3) qu'en réexaminant de temps à autre la viabilité de la compagnie et ses perspectives d'attraction de nouveaux investisseurs.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[59]         Les administrateurs, dans cette affaire‑là, étaient des administrateurs d'Abel Metal Limited (« Abel »). Le juge Evans a résumé les faits de l'affaire comme suit :

 

9          Abel avait été pendant près de 30 ans une entreprise de fabrication d'éléments métalliques non structurels utilisés dans la construction, dans la région de Toronto. Elle a subi de grosses pertes durant la récession qui affectait le secteur du bâtiment à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ses difficultés financières ont commencé à l'automne 1992 et se sont poursuivies l'année suivante. N'empêche qu'en 1993, elle avait encore 70 employés à son service.

 

10        En avril 1993, sa banque, la Banque Canadienne Impériale de Commerce, a manifesté son inquiétude au vu de ses états financiers. Par suite, l'un des administrateurs, M. Lapointe, s'est personnellement porté garant, auprès de la banque, de l'argent qu'Abel devait à cette dernière à l'époque, savoir 1,6 million de dollars. Abel avait atteint la limite de sa marge de crédit à l'automne 1992 ou au début de 1993. Bien que par le passé, la compagnie eût toujours honoré ses factures, la banque a, le 30 septembre 1993, rejeté sans préavis son chèque de versement à Revenu Canada, pour défaut de provision.

 

11        Les difficultés financières d'Abel s'étaient aggravées avec le rejet, en juin 1993 d'une demande de cautionnement, pour cause d'insuffisance d'avoir propre dans la compagnie. La lettre de rejet formel de la compagnie de cautionnement était datée du 30 août 1993. À moins qu'Abel ne pût trouver une injection de capital de quelque 350 000 $ ou une autre source de cautionnement, le refus de cautionnement restreindrait sérieusement son aptitude à s'assurer de nouveaux contrats lucratifs et à pallier ses difficultés de trésorerie déjà graves.

 

12        Dans l'espoir de se tirer de ses difficultés financières, Abel a, le 16 octobre 1993, retenu les services d'un certain M. Humphreys, comptable agréé, qui avait connu beaucoup de succès dans le renflouement d'autres entreprises de construction en difficulté financière. En compagnie de deux administrateurs d'Abel, celui‑ci a rencontré des représentants de la banque pour discuter des sujets de préoccupation de celle-ci et essayer de trouver des solutions.

 

13        Cependant, juste deux jours après, le 18 octobre, la banque rejeta un chèque de 46 000 $, tiré par Abel à l'ordre du receveur général du Canada au titre des retenues à la source sur salaires de septembre. À peu près à la même date, elle a commencé à réduire la marge de crédit de la compagnie. Par lettre en date du 22 octobre 1993, elle a averti Abel de ne pas dépasser sa marge de crédit avec ses chèques. En même temps, elle a désigné BDO Dunwoody pour « surveiller » la situation financière d'Abel et lui rendre compte des perspectives d'avenir de cette dernière.

 

14        La banque imposait aussi aux administrateurs d'Abel d'obtenir presque quotidiennement sa permission pour payer les créanciers de la compagnie. Après que le chèque d'octobre eut été rejeté pour défaut de provision, les administrateurs comme M. Humphreys se sont rendu compte qu'ils ne pouvaient pas compter sur la banque pour honorer les chèques émis par Abel en paiement de la TPS et des retenues à la source sur salaires. N'empêche que Mme McKinnon a continué à préparer des chèques de versement dans l'espoir que la banque les honorerait, ce que cette dernière a fait, à quelques reprises, à sa discrétion.

 

15        M. Humphreys était convaincu qu'Abel était une entreprise viable : elle était bien établie dans le secteur du bâtiment et s'était sortie d'autres baisses cycliques dans ce secteur. Il pensait qu'avec une injection de capital, la situation de la compagnie pourrait changer rapidement et que, même sans injection de capital, elle serait rentable au bout de 18 mois.

 

16        Malgré ses efforts acharnés, M. Humphreys n'a pu trouver qu'un investisseur potentiel, mais celui‑ci ne convenait pas à la banque. C'est à ce moment‑là, le 27 avril 1994, que celle‑ci a décidé de demander le remboursement de ses créances et que Abel a déclaré faillite. La compagnie avait été probablement insolvable pendant les 12 mois précédents, bien qu'elle eût réglé toutes ses factures avant que la banque ne rejetât une première fois son chèque de versement en septembre 1993.

 

17        La quasi‑totalité de la dette de la compagnie envers Revenu Canada au titre des versements manqués, lesquels mettaient en jeu la responsabilité personnelle des défendeurs, s'est accumulée à compter du 18 octobre 1993, date à laquelle la banque a commencé à exercer son contrôle sur les chèques émis par Abel. Après que cette dernière eut déclaré faillite, le syndic de faillite a versé une partie des sommes dues, savoir toutes les cotisations d'employé qui étaient en souffrance. Cependant, les cotisations d'employeur au RPC et à l'assurance‑chômage ainsi que la TPS n'ont pas été réglées. Ces versements manqués (y compris intérêts et pénalités pour retard de paiement) s'élevaient à 133 747 $, et ce sont les cotisations y afférentes qui font l'objet du présent appel.

 

[60]         Dans l'affaire McKinnon (C.A.F.), la banque avait réduit la ligne de crédit mise à la disposition de la société. En l'espèce, Mosaic n'avait pas de ligne de crédit et la banque a refusé de lui en accorder une. Il importe de noter que le juge Evans a accordé beaucoup d'importance aux efforts continus que l'on avait déployés pour trouver de nouveaux investisseurs, fait qu'il a décrit comme étant « bien plus important ». En l'espèce, l'appelant a pris plusieurs mesures, en 2002 et en 2003, afin de trouver un investisseur. Il me semble que si l'une de ces initiatives avait porté fruit, les versements requis auraient été effectués.

 

[61]         Dans l'arrêt R. c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173, la Cour d'appel fédérale a conclu que les administrateurs étaient redevables des retenues à la source non versées de la société à but non lucratif dont ils étaient administrateurs. Le juge Létourneau[5] a dit ceci :

 

28        La preuve démontre qu'aucune mesure précise n'a été prise pour éviter que la Corporation ne manque à son obligation de remettre les déductions à la source dues et à venir lorsqu'elle a commencé à avoir des difficultés financières. Les administrateurs n'ont décidé d'aucune mesure à cet effet à leurs réunions des 13 janvier et 3 février 1993.

 

[62]         En l'espèce, comme il en a ci‑dessus été fait mention, l'appelant a pris des mesures précises.

 

[63]         L'avocate de l'intimée s'est référée à la décision Comparelli c. La Reine, 2009 CCI 57[6]. Toutefois, il semble clair, dans cette affaire‑là, que la société avait peu de revenus et que l'administrateur n'avait cherché à trouver de nouveaux investisseurs que « près de cinq mois suivant le manquement »[7]. Dans cette affaire‑là, l'administrateur avait cherché à remédier au défaut après coup plutôt qu'à le prévenir.

 

[64]         Dans l'arrêt Smith c. La Reine, 2001 CAF 84, le juge Sharlow, au nom de la Cour d'appel fédérale, a dit ceci :

 

31        Le juge de la Cour de l'impôt semble avoir reconnu que M. Smith a fait des efforts en juin 1995 et après cette date, mais il fait remarquer ceci, au paragraphe 138 :

 

Aucune des mesures qu'il a prises n'a permis à Revenu Canada de recevoir les montants en cause.

 

et, au paragraphe 142 :

 

La Cour est convaincue que les mesures prises par l'appelant n'ont nullement permis de prévenir le manquement.

 

32        Il me semble que ces commentaires font ressortir une autre erreur du juge de la Cour de l'impôt dans son analyse de la défense de diligence raisonnable. La seule obligation d'un administrateur est celle d'agir raisonnablement dans les circonstances. Le fait que ses efforts n'ont pas donné de résultats ne vient pas démontrer qu'il n'a pas agi de façon raisonnable.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[65]         Dans la décision McKinnon (C.C.I.), précitée, le juge en chef adjoint Bowman a dit ceci :

 

[16]      Je reviens donc à la question suivante : qu'est‑ce que M. McKinnon aurait pu faire raisonnablement pour prévenir le défaut de paiement? Le facteur contribuant le plus important est le refus tout à fait inattendu de Rideau de payer le montant convenu. M. McKinnon a chargé son avocat d'intenter une poursuite mais dans ce processus qui exige beaucoup de temps et d'argent, il s'est heurté aux réponses évasives, aux faux‑fuyants et à l'arrogance de Rideau et de ses avocats. M. McKinnon a fait tout son possible pour maintenir la société à flot et s'acquitter de ses obligations. À mon avis, la réponse toute faite de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, « Vous auriez dû baisser les bras et laisser la société faire faillite », n'est ni réaliste au point de vue commercial ni moralement défendable. Elle insinue qu'une personne comme M. McKinnon, qui a investi tout ce qu'il possédait et tout son temps dans la création de sa société, peut simplement s'en désintéresser, abandonner tout ce qu'il a bâti et laisser ses employés et leurs familles en plan. Si tout le monde agissait ainsi, beaucoup d'autres sociétés qui arrivent à survivre fermeraient simplement leurs portes au premier petit problème.

 

[17]      Ce genre d'affaire est généralement difficile. Nous partons du fait indéniable que les retenues salariales ou la taxe sur les produits et services n'ont pas été payées, de sorte que l'ADRC se tourne vers l'administrateur. Dans cet état d'esprit, il est en règle générale plus facile de rejeter l'appel d'un administrateur que de l'admettre. Bien souvent, l'administrateur qui est imposé a des ennuis financiers, n'a pas les moyens de payer un avocat et tente de se représenter lui‑même. Avec le recul, il est facile à l'ADRC ou au juge de dire à l'administrateur tout ce qu'il aurait dû faire. En l'espèce, l'ADRC déclare à M. McKinnon « Vous n'auriez jamais dû vous lancer dans cette entreprise et après l'avoir fait, vous auriez dû en sortir plus tôt ». Je suppose que cela aurait prévenu le défaut de paiement mais tout le monde, y compris le gouvernement, y aurait perdu. Cette ligne de conduite aurait été déraisonnable.

 

[66]         Il me semble que la même question se pose dans ce cas‑ci. Qu'est-ce que l'appelant aurait pu faire de plus? Il faut se rappeler qu'il faut examiner les mesures qu'il a prises à la lumière des circonstances et des renseignements qui existaient alors. On ne saurait se fonder sur la connaissance d'événements subséquents pour reconsidérer ses décisions. Il me semble que le facteur qui a le plus contribué au non‑versement des retenues à la source était peut‑être l'embauche de personnel additionnel chargé de s'acquitter des obligations qui auraient pris naissance si le contrat en vue de la prestation de services de formation avait été conclu avec Nortel. Il s'agissait d'une possibilité très intéressante pour la société. Les succès et déboires financiers de Nortel ont certes attiré l'attention des médias. Je prends connaissance d'office du fait que Nortel n'a fait faillite qu'au mois de janvier 2009. Sachant ce que nous savons maintenant, il est facile de critiquer la décision d'embaucher du personnel additionnel en se fondant sur une lettre d'intention concernant la prestation des services à Nortel. Toutefois, comme la Cour suprême du Canada l'a fait remarquer dans l'arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) :

 

67        On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l'obligation de diligence énoncée à l'al. 122(1)b) de la LCSA s'ils ont agi avec prudence et en s'appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. Les décisions prises doivent constituer des décisions d'affaires raisonnables compte tenu de ce qu'ils savaient ou auraient dû savoir. Lorsqu'il s'agit de déterminer si les administrateurs ont manqué à leur obligation de diligence, il convient de répéter que l'on n'exige pas d'eux la perfection. Les tribunaux ne doivent pas substituer leur opinion à celle des administrateurs qui ont utilisé leur expertise commerciale pour évaluer les considérations qui entrent dans la prise de décisions des sociétés. Ils sont toutefois en mesure d'établir, à partir des faits de chaque cas, si l'on a exercé le degré de prudence et de diligence nécessaire pour en arriver à ce qu'on prétend être une décision d'affaires raisonnable au moment où elle a été prise.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[67]         Il me semble que la décision d'embaucher des employés additionnels en prévision du contrat projeté avec Nortel aurait été raisonnable au moment où elle a été prise. Il faut se rappeler que cette décision a été prise en 2000 ou en 2001, soit plusieurs années avant que Nortel fasse faillite.

 

[68]         Après les événements du 11 septembre, l'appelant savait que le contexte commercial avait changé; il a pris des mesures concrètes afin d'obtenir de nouveaux capitaux pour la société. Plusieurs mesures ont été prises avant la première des omissions de verser les retenues à la source qui sont ici en cause. Il y a eu des discussions avec American Capital Partners au sujet d'une injection de capitaux de 750 000 $ (qui semblent avoir progressé au‑delà de la phase préliminaire), le directeur financier a rencontré le chargé de compte de la banque de Mosaic pour déterminer si la banque allait établir une ligne de crédit pour la société, la société a renvoyé des employés et a réduit d'autres dépenses, la société a eu des discussions avec Northern Securities (lesquelles ne semblent pas avoir progressé au‑delà de la toute première phase) et l'appelant a travaillé à un projet d'échange d'actions avec GITI. Les pourparlers avec les représentants de GITI ont débuté en 2002. Toutes ces mesures ont été prises avant que quelque défaut important, soit ce sur quoi le litige porte dans le présent appel, se soit produit.

 

[69]         Il semble également raisonnable que, pendant que l'appelant essayait d'organiser une injection de capitaux, une fusion ou la vente d'une division ou des éléments d'actif, la société continue à exploiter son entreprise tant qu'il existait une attente raisonnable que ces événements se produisent. Il me semble que cette attente raisonnable n'aurait pas pris fin avant que le marché prévu avec GITI échoue. Après l'échec de ce marché, au mois de février 2003, les mesures à prendre ont changé, et au lieu de chercher à obtenir des injections de capitaux, on a cherché à liquider les éléments d'actif. Il me semble que la liquidation des éléments d'actif visait davantage à assurer le paiement des arriérés (ou à remédier aux défauts) qu'à prévenir quelque défaut.

 

[70]         Il s'écoulerait un certain temps entre le moment où le marché qui devait être conclu avec GITI a échoué et le moment où il pouvait être mis fin à l'emploi des employés. Il faut donner un préavis raisonnable pour procéder à un congédiement non motivé. Comme le juge Major l'a fait remarquer dans l'arrêt Sylvester c. Colombie‑Britannique, [1997] 2 R.C.S. 315 :

 

1          L'emploi suppose, entre autres choses, un contrat entre l'employeur et l'employé. L'employé qui est congédié injustement et qui ne reçoit pas de préavis raisonnable de cessation d'emploi a droit à des dommages‑intérêts pour rupture de contrat. Ces dommages‑intérêts représentent le salaire que l'employé aurait gagné s'il avait travaillé au cours de la période visée par le préavis, déduction faite de toute somme devant être affectée à la limitation des dommages.

 

[71]         On ne peut tout simplement pas congédier des employés sans un préavis approprié. Cela voudrait dire que l'obligation de verser les salaires (ou une indemnité tenant lieu de préavis) continuera après qu'il est décidé de congédier les employés et que pareils coûts (qui donneront lieu à des obligations de versement en vertu de la loi applicable) seront versés, et ce, peu importe que la société ait ou non suffisamment de revenus pour les couvrir. Aucun tiers ne fournit nécessairement à la société les fonds nécessaires pour couvrir ces coûts.

 

[72]         De plus, étant donné que Maxim acquérait une division, il semble raisonnable que les employés de cette division continuent à exercer leur emploi tant que la vente n'était pas conclue et il me semble qu'il aurait été raisonnable pour l'appelant de s'attendre à ce que le marché soit conclu avec Maxim.

 

[73]         Par conséquent, à mon avis, l'appelant a satisfait à la norme de diligence à laquelle il était soumis à l'égard des retenues à la source non versées sur lesquelles porte le présent appel. Comme il en a été fait mention, l'appel ne porte pas sur les montants établis au titre de l'impôt sur le revenu qui aurait dû être versé en vertu d'une loi provinciale de l'impôt sur le revenu, et sur les pénalités et intérêts y afférents.

 

TPS/TVH non versée

 

[74]         Comme il en a ci‑dessus été fait mention, il me semble qu'il faut analyser séparément l'obligation de l'appelant en ce qui concerne les montants non versés au titre de la TPS/TVH. La même norme de diligence s'appliquera pour l'application du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise, mais les circonstances se rattachant à l'omission de verser la TPS/TVH seront différentes. Les décisions et mesures prises par l'appelant, pour ce qui est du versement de la taxe nette en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, sont différentes des décisions et mesures se rapportant aux retenues à la source.

 

[75]         En l'espèce, deux montants sont en litige quant à la TPS/TVH non versée. Le premier se rapporte à la période allant du 1er janvier au 31 mars 2003, le montant de la TPS/TVH non versée s'élevant à 86 614 $. Le second se rapporte à la période de trois mois suivant immédiatement cette première période, le montant de la TPS/TVH non versée pour cette période s'élevant à 53 827 $. L'appelant n'a contesté ni l'un ni l'autre de ces montants. Aucun tiers ne fournit directement les fonds aux fins des retenues à la source (qui doivent être payées à l'aide de toute source de fonds dont dispose l'employeur), mais c'est l'acquéreur de la fourniture taxable en cause qui paie la TPS/TVH au fournisseur[8].

 

[76]         L'obligation de verser la TPS/TVH est une obligation de verser la taxe nette[9], soit la différence entre le montant de la TPS/TVH à percevoir (ou perçue) au cours d'une période de déclaration particulière et les crédits de taxe sur les intrants que le fournisseur demande conformément aux dispositions de la Loi sur la taxe d'accise. Par conséquent, même si un fournisseur particulier a effectué des fournitures taxables (et qu'il doit donc percevoir ou qu'il a perçu la TPS/TVH), ce fournisseur n'aura pas d'obligation de verser un montant à l'égard d'une période de déclaration particulière si les crédits de taxe sur les intrants demandés pour cette période de déclaration sont supérieurs au montant à percevoir ou au montant perçu pour cette période.

 

[77]         En l'espèce, l'appelant a indiqué que c'était Robert Baird qui avait établi la déclaration relative à la TPS/TVH pour la période allant du 1er janvier au 31 mars 2003 et que Robert Baird lui avait fait savoir que la société aurait droit à un remboursement. Robert Baird n'a pas témoigné à l'audience.

 

[78]         La cotisation relative à la TPS/TVH non versée se rapporte uniquement à Mosaic. On ne sait pas trop si les autres sociétés effectuaient également des fournitures taxables ou si toutes les fournitures taxables étaient effectuées par Mosaic. La cotisation pour la période allant du 1er janvier au 31 mars 2003 est fondée sur la déclaration relative à la TPS/TVH qui a été préparée par Robert Baird et qui a été produite après la date limite de production de cette déclaration. La déclaration indique le montant total des ventes ainsi que le montant de la TPS/TVH perçue ou à percevoir :

 

Total des ventes :

219 931,00 $

TPS/TVH perçue ou à percevoir :

110 636,89 $

 

[79]         Cela indiquerait un taux de taxe de vente d'un peu plus de 50 p. 100. De toute évidence, il y a quelque chose qui cloche. Il s'agit de savoir ce qui ne va pas. L'appelant n'a pas présenté de preuve sur ce point. Le montant des ventes est peut‑être inexact, la TPS/TVH perçue ou à percevoir est peut‑être inexacte, ou encore il se peut que ces montants soient tous deux inexacts. En l'absence de preuve, il m'est impossible de déterminer le montant ou les montants qui sont inexacts. Il me semble qu'étant donné que la TPS/TVH perçue ou à percevoir a une incidence directe sur l'obligation de verser la taxe nette, on veillerait probablement à s'assurer de l'exactitude de ce montant. Quoi qu'il en soit, l'appelant n'a pas contesté le montant établi au titre de la taxe nette, de 86 614,46 $ (soit le montant de 110 636,89 $ susmentionné, moins les crédits de taxe sur les intrants demandés, de 24 022,43 $).

 

[80]         Pour l'application de la Loi sur la taxe d'accise, la taxe nette est fondée sur la TPS/TVH perçue ou à percevoir sur les fournitures taxables et sur les crédits de taxe sur les intrants disponibles. Le simple fait que la société perdait de l'argent ne veut pas nécessairement dire qu'elle avait des crédits de taxe sur les intrants qui étaient supérieurs à la TPS/TVH perçue ou à percevoir. Rien ne montrait si l'une ou l'autre des écoles exploitées par Mosaic ou par ses filiales étaient admissibles à titre d'écoles de formation professionnelle pour l'application de la partie III de l'annexe V de la Loi sur la taxe d'accise, et la question n'a pas non plus été examinée. Une fourniture, autre qu'une fourniture détaxée, qui est effectuée par une école de formation professionnelle et qui est visée par le paragraphe 8 de la partie III de l'annexe V de la Loi sur la taxe d'accise est une fourniture exonérée pour l'application de la Loi sur la taxe d'accise. La TPS/TVH payable à l'égard de biens ou de services acquis en vue d'effectuer des fournitures exonérées ne donne pas lieu à des crédits de taxe sur les intrants[10]. Selon les états financiers consolidés de Mosaic pour l'année 2002, les montants payés au titre des salaires et des traitements étaient supérieurs à toute autre dépense. Or, aucune TPS ou TVH n'est payable à l'égard des salaires et des traitements et, par conséquent, cette dépense ne génère aucun crédit de taxe sur les intrants. Il peut également y avoir d'autres dépenses à l'égard desquelles aucune TPS/TVH ne serait payée. Les états financiers consolidés de Mosaic pour l'exercice 2002 indiquent un montant au titre des [TRADUCTION] « frais généraux et administratifs du siège social », ce qui pourrait comprendre les salaires se rapportant au siège social ou au personnel administratif.

 

[81]         Pour que l'appelant établisse qu'il lui était raisonnable de ne rien faire à l'égard du versement de la TPS/TVH pour la période allant du 1er janvier au 31 mars 2003, il me semble qu'il eût fallu que Robert Baird témoigne pour confirmer l'exactitude des remarques de l'appelant et expliquer les circonstances se rapportant à ses commentaires, à savoir que la société aurait droit à un remboursement en vertu de la Loi sur la taxe d'accise pour cette période. De plus, l'appelant n'a pas produit de preuve au sujet des fournitures taxables de la société au cours de la période allant du 1er janvier au 31 mars 2003. Étant donné que les dépenses de la société se rattachaient en bonne partie aux salaires (ce qui n'aurait pas généré de crédits de taxe sur les intrants), il me semble que l'appelant n'a pas établi qu'il serait raisonnable de supposer que la société aurait droit à un remboursement en vertu de la Loi sur la taxe d'accise pour cette période.

 

[82]         Les montants relatifs à la TPS/TVH seraient financés par un tiers (les clients qui ont versé la TPS/TVH à la société). Rien n'indique que l'appelant ait pris des mesures précises à l'égard de l'obligation de verser la taxe nette en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (que la société aurait reçue de ses clients) le 30 avril et le 30 juillet 2003. Selon la déclaration relative à la TPS/TVH que Mosaic a produite, la société a perçu (ou avait le droit de percevoir) 110 636,89 $ au titre de la TPS/TVH pour la période allant du 1er janvier au 31 mars 2003, ce qui excède de 24 022,43 $ (soit le montant des crédits de taxe sur les intrants) le montant de son obligation relative à la taxe nette. On n'a pas cherché à expliquer pourquoi le montant de la taxe nette n'avait pas été versé au 30 avril 2003. L'appelant n'a pas non plus fourni d'explications au sujet de la raison pour laquelle la taxe nette de 53 827 $ n'avait pas été versée pour la période subséquente. Avant le moment où ces montants devaient être versés (soit le 30 avril et le 30 juillet 2003), la société n'essayait plus de trouver des capitaux additionnels, mais elle cherchait plutôt à liquider ses actifs. La liquidation des actifs n'a pas été effectuée en vue de prévenir les omissions de verser la TPS/TVH. Comme l'appelant l'a fait remarquer, la décision de vendre les actifs a été prise afin d'obtenir de l'argent pour que la société puisse acquitter ses factures. Une telle mesure viserait à remédier aux défauts et non à les prévenir. Par conséquent, il me semble que l'appelant n'a pas satisfait à la norme de diligence, que lui imposait le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise, de prévenir l'omission de verser la taxe nette qui était payable le 30 avril et le 30 juillet 2003.

 

Conclusion

 

[83]         Les appels des cotisations dont l'appelant a fait l'objet en sa qualité d'administrateur de Mosaic et de ses filiales sont accueillis, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que l'appelant n'est pas redevable, en sa qualité d'administrateur de Mosaic, de Multimedia Ventures (Alberta) Inc., de Multimedia Ventures Inc. et de 6678 British Columbia Ltd., de quelque montant que ce soit que ces sociétés ont omis de verser en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l'assurance‑emploi, ni des pénalités et intérêts y afférents.

 

[84]         L'appel de la cotisation dont l'appelant a fait l'objet en sa qualité d'administrateur de Mosaic à l'égard des montants non versés au titre de la TPS/TVH ainsi que des pénalités et intérêts y afférents est rejeté.

 

[85]         Étant donné que l'appelant a eu en partie gain de cause, aucuns dépens ne seront adjugés.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 6e jour de mai 2010.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de septembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 247

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2008-2817(IT)G

                                                          2008-2877(GST)G

 

INTITULÉ :                                       KEVIN RICHARD BUCKINGHAM c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 8 et 9 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 6 mai 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Andrew D. Rouse

Avocate de l'intimée :

Me Darlene M. Lamey

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :           Andrew D. Rouse

 

                   Cabinet :      Peter Oley Rouse

                                       Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1] Chaque montant distinct, dans ce tableau et dans les tableaux suivants, a été arrondi au dollar le plus proche. Par conséquent, les montants totaux indiqués dans ces tableaux sont légèrement différents des montants totaux mentionnés dans la réponse. La colonne « Total » du côté droit de chaque tableau correspond aux montants indiqués dans cette colonne, dans les tableaux figurant dans la réponse, arrondis au dollar le plus proche. Étant donné que chaque montant distinct a été arrondi au dollar le plus proche, le total indiqué dans la dernière colonne, du côté droit du tableau, n'est pas nécessairement la somme des montants arrondis, tels qu'ils figurent dans la rangée applicable. Les différences sont mineures.

 

[2] Dans la réponse, la période mentionnée va du 1er avril 2001 au 30 juin 2003. Toutefois, étant donné qu'une seule date d'échéance du paiement est mentionnée (le 30 juillet 2003) et puisque la période visée, selon les détails joints à l'avis de cotisation qui a été envoyé à l'appelant, va du 1er avril au 30 juin 2003, il semble évident que, dans la réponse, l'année mentionnée devrait être l'année 2003 plutôt que l'année 2001.

 

[3] Dans la réponse, il est mentionné que la date d'échéance du paiement était le 30 juillet 2003. Rien dans la présente affaire ne dépend de la question de savoir si la date d'échéance du paiement devrait être le 31 juillet 2003 plutôt que le 30 juillet 2003, compte tenu des paragraphes 238(1) et 228(2) et de la définition du terme « mois » au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d'accise, puisque l'appelant n'a pas interjeté appel de la détermination des montants indiqués pour la TPS/TVH ainsi que les pénalités et intérêts. Par conséquent, la date du 30 juillet mentionnée dans la réponse sera utilisée.

 

[4] Les termes « of a corporation » (d'une société) figurant dans la version anglaise de cette disposition ne figurent pas à la version anglaise du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette différence entre le libellé des versions anglaises du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise n'a pas grande importance.

 

[5] Le juge Létourneau a rendu des motifs de dissidence. Toutefois, le juge Noël, qui a écrit les motifs de la majorité, a dit ceci :

 

63        Sur la question du degré de soin pertinent et de son application dans le contexte de la présente affaire, je partage l'avis de mon collègue le juge Létourneau. Je souscris aussi à la façon dont il propose de régler les présents appels.

 

[6] La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel interjeté de la décision rendue par le juge Valerie Miller (2010 CAF 13).

 

[7] Au paragraphe 45 des motifs de cette décision.

 

[8] Si la créance (ou une partie de la créance) du fournisseur devient une créance irrécouvrable, il est possible d'effectuer un rajustement de la taxe nette du fournisseur pour la période de déclaration au cours de laquelle la créance est radiée.

 

[9] Voir les articles 225 et 228 de la Loi sur la taxe d'accise.

 

[10] Voir le paragraphe 169(1) et la définition de l'expression « activité commerciale » au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

 

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