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Dossier : 2009-3457(IT)I

ENTRE :

IVY G. NAGUIT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 12 mars 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me David M. Piccolo

Avocat de l’intimée :

Me Ricky Y. M. Tang

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2004 et 2006 sont accueillis, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que l’appelante a le droit de déduire des dépenses d’entreprise suivantes :

 

1.       771 $, soit 50 p. 100 de 1 542 $, pour les déplacements, en 2004;

2.       5 005 $ et 2 317,62 $, pour la publicité, en 2004 et en 2006 respectivement.

 

L’appel de la nouvelle cotisation concernant l’année d’imposition 2005 est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d’avril 2010.

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

Référence : 2010 CCI 200

Date : 20100419

Dossier : 2009-3457(IT)I

ENTRE :

IVY G. NAGUIT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelante, Ivy Naguit, interjette appel par suite du rejet de certaines dépenses d’entreprise qu’elle avait déduites au titre du loyer, de la publicité et des déplacements au cours des années d’imposition 2004, 2005 et 2006. Selon la position prise par le ministre du Revenu national (le « ministre »), les dépenses qui ont été déduites n’avaient pas réellement été engagées par l’appelante ou, subsidiairement, si elles avaient été engagées, elles ne l’avaient pas été en vue de tirer un revenu d’entreprise comme l’exige l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[2]     Comme le montrent les hypothèses énoncées au paragraphe 8 de la réponse à l’avis d’appel, le ministre ne conteste pas que l’appelante exploitait une entreprise au cours des années d’imposition 2004 à 2006 :

 

[traduction]

 

a)                  au cours des années d’imposition 2004, 2005 et 2006, l’appelante travaillait à plein temps au Sunnybrook Health Sciences Centre (« Sunnybrook »); son revenu d’emploi s’élevait à 66 601 $, à 67 041 $ et à 68 501 $, respectivement;

 

b)                  au cours des années ici en cause, l’appelante exploitait également une entreprise à propriétaire unique dans le cadre de laquelle elle vendait des friandises à la noix de coco (l’« entreprise »);

 

c)                  pendant la période pertinente, la résidence principale de l’appelante était située à Hamilton (Ontario);

 

d)                  au cours des années d’imposition 2005 et 2006, l’appelante louait également un appartement (l’« appartement »), à Toronto (Ontario);

 

e)                  les frais de loyer qui ont été refusés avaient été déduits par l’appelante pour l’utilisation de l’appartement comme bureau principal de l’entreprise;

 

f)                    l’appelante a allégué avoir effectué un voyage à Cuba, au cours de l’année d’imposition 2004, afin de faire du réseautage pour l’entreprise;

 

g)                  les frais de déplacement qui ont été refusés n’avaient pas été engagés ou, s’ils l’avaient été, l’appelante ne les avait pas engagés en vue de tirer un revenu de l’entreprise;

 

h)                  l’appelante a allégué avoir engagé des frais de publicité, au cours des années d’imposition 2004 et 2006, aux fins de la conception et du maintien d’un site Web ainsi que de l’impression de feuillets, de brochures et de cartes professionnelles;

 

i)                    les frais de publicité qui ont été refusés n’avaient pas été engagés ou, s’ils l’avaient été, l’appelante ne les avait pas engagés en vue de tirer un revenu de l’entreprise.

 

[3]     L’appelante a reconnu l’exactitude des montants se rapportant au revenu d’entreprise brut et aux pertes d’entreprise pour les années 2003 à 2007, tels qu’ils sont énoncés au paragraphe 9 de la réponse à l’avis d’appel :

 

[traduction]

 

Année

Revenu d’entreprise brut

Perte d’entreprise nette

2003

1 009 $

  5 782 $

2004

0

13 259 $

2005

    29 $

10 858 $

2006

    56 $

  9 105 $

2007

0

  6 235 $

Pertes cumulatives

 

45 239 $

 

[4]     L’appelante a été la seule personne à témoigner dans le présent appel, qui a été interjeté sous le régime de la procédure informelle. Le fait qu’elle avait l’habitude d’effectuer en argent toutes ses opérations commerciales[1] et qu’elle ne tenait pas de registres adéquats (lesquels sont souvent des éléments aussi fondamentaux que des reçus) rendait la crédibilité de son témoignage d’autant plus cruciale à son succès. L’appelante n’a pas menti, mais elle n’a pas non plus été aussi sincère qu’elle aurait pu l’être, ce qui a eu pour effet d’affaiblir la force de la preuve qu’elle a présentée. Ainsi, l’appelante a mentionné deux personnes qui étaient étroitement liés à différents aspects de ses affaires, « M. Banks » et « Mme Verona ». La chose était peut‑être attribuable au caractère formel d’une audience, mais j’ai eu l’impression qu’il s’agissait de tiers; toutefois, il s’est par la suite avéré que M. Banks et Mme Verona sont respectivement le mari et la belle‑mère de l’appelante.

 

[5]     Malgré ces faiblesses et puisque le ministre a reconnu au départ que l’appelante exploitait une entreprise, je suis convaincue que l’appelante a droit à la déduction de certaines dépenses. Les conclusions de fait pertinentes sont énoncées ci‑dessous pour chaque catégorie de frais ici en cause.

 

Les déplacements – 2004 (4 000 $)

 

[6]     L’appelante a déclaré que la recette des friandises à la noix de coco vendues par l’entreprise était une recette cubaine. À un moment donné en 2003, l’appelante a obtenu la recette de Mme Verona. Elle a passé une bonne partie des années 2003 et 2004 à améliorer cette recette et à emballer les friandises. Bref, elle voulait élaborer un produit goûteux et attrayant, sans utiliser d’agents de conservation, un produit qui pourrait répondre aux exigences d’une entreprise basée sur Internet quant à l’entreposage et à l’expédition du produit.

 

[7]     Afin de mettre au point la recette, il a notamment fallu que l’appelante se rende à Cuba afin d’effectuer des recherches sur les méthodes locales de fabrication de friandises à la noix de coco. Mme Verona avait un contact à Cuba, une certaine Denia Pupo Escalona[2], qui a préparé à l’intention de l’appelante un itinéraire de visites de vendeurs à divers endroits de l’île. Le voyage a eu lieu au mois de décembre 2004 et il a été réservé par l’intermédiaire d’un voyagiste. Le vol et l’hôtel coûtaient 1 542 $, montant que l’appelante a payé à l’aide de sa carte de crédit MasterCard[3]. L’appelante a également déduit certains frais pour la location d’une voiture (1 000 $), l’essence (150 $), les services fournis par Mme Escalona (200 $) et des paiements de 100 $ effectués à chacun des vendeurs visités. Ces derniers montants ont été payés en argent; l’appelante n’avait pas de reçus à l’appui.

 

[8]     Je ne partage pas le point de vue du ministre lorsqu’il affirme que le voyage que l’appelante a fait à Cuba ne pouvait pas être un voyage d’affaires simplement parce qu’il a eu lieu au cours d’une période où les Canadiens aiment aller dans les Caraïbes et qu’il a été organisé par l’intermédiaire d’une compagnie appelée « Conquest Vacations ». Il est raisonnable de conclure qu’un forfait vol‑hôtel réservé par l’intermédiaire d’un voyagiste pourrait être la façon la plus économique de voyager, ce qui est toujours une préoccupation pour une nouvelle entreprise. L’appelante n’a pas nié avoir parfois consacré ses moments de loisir, le soir, à des activités de nature personnelle. Dans l’ensemble, je suis convaincue que l’appelante a consacré une bonne partie de son temps à enquêter sur la production de friandises à la noix de coco et que les montants versés à Conquest Vacations se rapportaient en partie à des dépenses que l’appelante avait engagées en vue de tirer un revenu de son entreprise. L’appelante a le droit de déduire des dépenses d’entreprise correspondant à 50 p. 100 du montant de 1 542 $. Aucun autre montant n’est admis pour les paiements non justifiés effectués en argent dont la déduction est demandée.

 

Le loyer – 2005 et 2006 (5 040 $ et 5 085 $)

 

[9]     En 2005, l’appelante avait perfectionné son produit et elle fabriquait des friandises à la noix de coco : pour ce faire, il fallait extraire la chair de noix de coco fraîches, cuire le mélange et le faire sécher avant de l’emballer. Une fois qu’on leur avait donné la forme souhaitée, les friandises étaient emballées et placées dans des coques de noix de coco vides que l’appelante avait préparées à cette fin : elle coupait les coques vides en deux, elle les ponçait, elle les vernissait et elle aplatissait la base de la coque pour en faire un contenant stable attirant. Il fallait avoir des locaux pour cuire les friandises et pour fabriquer les contenants. L’appelante utilisait une ponceuse rotative, une scie à ruban et d’autres petits outils pour façonner les coques pour en faire des contenants.

 

[10]    Le ministre a reconnu que, de l’année 2004 à l’année 2006, l’appelante avait loué un appartement dans un immeuble de grande hauteur situé au 33, rue King (le « 33 King ») dans le centre-ville de Toronto, mais il a nié que l’appelante avait utilisé l’appartement pour exploiter son entreprise. La preuve a révélé que M. Banks avait cosigné le bail, apparemment parce que le fait d’être désignée à titre d’unique locataire inquiétait l’appelante en sa qualité de femme célibataire. L’appelante a témoigné avoir utilisé le 33 King afin de faire du travail rudimentaire sur les coques de noix de coco. En 2004, l’appelante exploitait l’entreprise, mais elle a déduit des frais de location en 2005 et en 2006 seulement étant donné qu’elle s’est uniquement rendu compte à ce moment‑là qu’il était possible de le faire. En fin de compte, je crois que l’appelante a reçu de mauvais conseils sur ce point.

 

[11]    Le ministre a refusé la demande pour deux raisons : parce que, en vertu de l’alinéa 18(12)b) de la Loi, si le 33 King était un « établissement domestique autonome », les frais de location que l’appelante avait déduits étaient de beaucoup supérieurs au revenu de celle-ci, et parce que, à cause de la restriction générale imposée à l’alinéa 18(1)a) de la Loi, seules les dépenses engagées en vue de gagner un revenu sont à juste titre déductibles.

 

[12]    La preuve présentée par l’appelante selon laquelle le 33 King était de fait utilisé à des fins commerciales ne me convainc pas. Selon toute probabilité, l’appartement était simplement l’endroit où M. Banks vivait; étant donné que l’appelante habitait avec sa famille, à Hamilton, et qu’elle faisait la navette pour se rendre à son travail de technicienne de laboratoire médical, à Sunnybrook, il était peut‑être commode de conserver du matériel au 33 King et de se rendre de temps en temps à cet endroit pour travailler sur les noix de coco. Aucun chiffre exact n’a été donné, mais l’appelante a témoigné qu’au cours des trois années d’imposition, les ventes de friandises s’élevaient tout au plus à 200 $. Cela étant, et compte tenu du travail intensif qu’exige la préparation des coques et des restrictions imposées par l’emploi que l’appelante exerçait à plein temps, je doute que beaucoup de temps ait été consacré à la fabrication des contenants, au 33 King. Dans la mesure où une telle activité a eu lieu à cet endroit, la chose était probablement davantage attribuable à la nature généreuse de M. Banks qu’à l’exploitation d’une véritable entreprise. En outre, il est selon moi tout simplement insensé de louer un appartement dans un immeuble de grande hauteur du centre‑ville de Toronto pour faire le genre de travail que l’appelante a qualifié de nécessaire à la production des friandises. Par conséquent, aucun montant ne sera admis au titre du loyer pour les années 2005 et 2006.

 

La publicité - 2004 et 2006 (5 000 $ et 2 849 $)

 

[13]    L’appelante vendait les friandises à la noix de coco par Internet. Je retiens son témoignage lorsqu’elle déclare qu’à un moment donné en 2003, elle a retenu les services d’un certain Roberto Gonzales afin de concevoir et d’activer un site Web pour l’entreprise. Une recherche de domaines[4] effectuée par les représentants de l’Agence du revenu du Canada qui ont procédé à la vérification montre que le site de l’appelante, « cokitos.com », a été enregistré le 6 avril 2003; la pièce A‑8 est un imprimé des renseignements figurant sur le site, indiquant la nature du produit, son historique et la façon de commander des friandises à la noix de coco. L’appelante a également produit en preuve un reçu[5] de M. Gonzales au montant de 5 005 $ pour les services que celui-ci avait fournis. Dans l’ensemble, la preuve que l’appelante a soumise au sujet du site Web, notamment de sa conception, de son objet et de son utilisation réelle, était tout à fait convaincante.

 

[14]    Je retiens également la preuve de l’appelante selon laquelle, en 2006, un montant additionnel de 2 317,62 $[6] a été versé à M. Gonzales pour qu’il mette le site Web à jour, en ajoutant de meilleurs éléments graphiques et des dessins animés et en l’équipant pour que les paiements par Internet puissent être acceptés. M. Gonzales a également conçu une brochure[7] pour l’appelante.

 

[15]    Bien qu’il ne s’agisse pas d’une pratique sage pour quelqu’un qui est dans les affaires, l’appelante a payé les montants en question à l’aide de l’argent qu’elle conservait à la maison de ses parents, à Hamilton. Étant donné qu’elle exerçait un emploi rémunérateur à Sunnybrook et qu’il ne lui en coûtait rien pour habiter à la maison, il n’est pas inconcevable que l’appelante ait eu les fonds nécessaires pour verser à M. Gonzales les montants demandés.

 

[16]    Finalement, en 2006, l’appelante a également déduit un montant d’environ 600 $ pour l’impression de brochures par une entreprise qui n’a pas été désignée. L’appelante n’avait pas de reçu à l’appui. Il n’existait aucun élément de preuve convaincant justifiant le rejet de cette dépense par le ministre.

 


[17]    Pour les motifs susmentionnés, les appels des nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2004 et 2006 sont accueillis, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que l’appelante a le droit de déduire des dépenses d’entreprise suivantes :

 

1.       771 $, soit 50 p. 100 de 1 542 $, pour les déplacements, en 2004;

2.       5 005 $ et 2 317,62 $, pour la publicité, en 2004 et en 2006 respectivement.

 

L’appel de la nouvelle cotisation concernant l’année d’imposition 2005 est rejeté.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d’avril 2010.

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2010.

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 200

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-3457(IT)I

 

INTITULÉ :                                       IVY G. NAGUIT

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 avril 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me David M. Piccolo

Avocat de l’intimée :

Me Ricky Y. M. Tang

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      David M. Piccolo

                           

                          Cabinet :                  David M. Piccolo

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Pièces A‑3 et A‑4. Sommaire des retraits en argent effectués en 2004, en 2005 et en 2006.

[2] Pièce A‑2.

[3] Pièce A‑1.

[4] Pièce A‑9.

 

[5] Pièce A‑5.

[6] Pièce A‑6.

[7] Pièce A‑7.

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