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Référence : 2010 CCI 174

Date : 20100415

Dossier : 2009-194(EI)

2009-195(CPP)

ENTRE :

ACE-J TRANSPORTATION INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 (révisés à partir de la transcription des motifs du jugement rendus oralement à l’audience le 24 novembre 2009, à Toronto (Ontario)).

 

 

Le juge suppléant Weisman

 

[1]     J’ai entendu deux appels interjetés par la société ACE‑J Transportation Inc. à l’encontre de déterminations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre »), déterminations selon lesquelles cinq chauffeurs de camion répondant aux noms de Shou Qiang Huang, qui a témoigné aujourd’hui devant la Cour, de Shuang Chen, de Faramarz Reyhanifar, de Xian Wei Bu et de Hong Cuong Ly, étaient des employés de l’appelante aux termes de contrats de louage de services durant la période en cause, qui se situe entre le 1er janvier 2008 et le 24 juillet 2008, et que, par conséquent, l’appelante était tenue de verser des cotisations au Régime de pensions du Canada (le « RPC ») et des cotisations d’assurance‑emploi (l’« AE »). L’appelante, bien entendu, interjette appel en se fondant sur le fait que les cinq chauffeurs en question étaient, durant la période en cause, des entrepreneurs indépendants, et que l’appelante n’était donc pas tenue d’effectuer des retenues à la source relativement aux cotisations susmentionnées.

 

[2]     Il a été convenu dès le départ que, puisque les cinq travailleurs ne sont pas tous présents à l’audience, l’appel serait entendu sur la preuve commune du témoignage qui serait présenté de vive voix, et serait applicable aux cinq travailleurs, parce qu’il a été convenu qu’ils avaient tous les mêmes conditions de travail. L’avocat de l’intimé a émis une réserve mineure sur le fait que les conditions énoncées dans les cinq contrats écrits conclus par les travailleurs n’étaient pas identiques, mais je n’ai entendu aucun témoignage selon lequel cela avait changé quoi que ce soit au résultat.

 

[3]     Pour trancher la question de savoir si les cinq chauffeurs sont des employés ou des entrepreneurs indépendants, la Cour doit examiner la relation globale que les parties entretiennent entre elles ainsi que l’ensemble des éléments qui entrent dans le cadre des opérations. Pour ce faire, la preuve en l’espèce doit être assujettie au critère dont les quatre volets ont été présentés comme étant des lignes directrices par lord Wright dans l’arrêt Montreal City v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161, et que le juge MacGuigan, de la Cour d’appel fédérale, a adopté dans l’arrêt Wiebe Door Services v. Minister of National Revenue, [1986] 87 DTC 5025.

 

[4] Les quatre lignes directrices en question sont le contrôle que le payeur exerce sur le travailleur, la question de savoir si les instruments de travail nécessaires pour permettre au travailleur d’exercer ses fonctions appartiennent à ce dernier ou au payeur, les possibilités de profit du travailleur et le risque de perte que court le travailleur dans ses rapports avec le payeur.

 

[5]     L’appelante et les travailleurs ont accordé beaucoup de poids aux contrats qu’ils ont conclus, lesquels contrats figurent à la pièce A‑1. À cet égard, il convient de souligner que, selon la loi, la Cour n’est pas liée par de tels contrats, parce que le statut d’un travailleur n’est pas une question qui relève d’une entente entre les parties; il s’agit d’une question de droit, parce que les droits de tierces parties sont en cause – et cela a été tiré au clair ou établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] ACS no 61, où elle a fait les observations suivantes :

 

La distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant est utile non seulement en matière de responsabilité du fait d’autrui […]

 

telle était la situation factuelle devant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sagaz,

 

[…] mais aussi lorsqu’il s’agit d’appliquer diverses lois sur l’emploi, […]

 

tel est le cas en l’espèce,

 

[…] de déterminer si une action pour congédiement injustifié peut être intentée, d’établir des cotisations en matière d’impôt sur le revenu ou de taxe d’affaires, de dresser l’ordre de collocation dans le cas où un employeur devient insolvable ou d’appliquer des droits contractuels […]

 

[6]     De la même manière, un certain poids a été accordé au fait que tous les cinq chauffeurs ont des noms commerciaux enregistrés et des permis d’exploitation d’un commerce et que, en raison de cet enregistrement, la rémunération était versée au nom de l’entreprise plutôt qu’au nom personnel des chauffeurs. Là encore, il y a très peu de poids, voire aucun, qui est accordé à cet élément, qu’il se soit agi ou non de la coercition exercée par le payeur, parce qu’on ne peut pas éviter les critères établis dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.), par le simple fait d’obtenir que des personnes fassent enregistrer leurs noms commerciaux, indépendamment du fait que ces personnes veulent ou non être considérées comme des entrepreneurs indépendants.

 

[7]     En l’espèce, le recueil de jurisprudence et de doctrine de l’intimé est intéressant, parce que ses onglets comportent principalement des décisions de première instance dans lesquelles il a été conclu que, dans l’ensemble, les chauffeurs de camion étaient des employés. Certaines de ces décisions ne sont pas très récentes, comme la décision F.G. Lister Transportation Inc c. M.R.N., à l’onglet 4, qui a été rendue en 1998.

 

[8]     L’intérêt que présentent ces décisions vient du fait que, si l’on se fonde sur les décisions de première instance évoquées ci‑dessus, on pourrait établir une preuve solide selon laquelle les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door militent en faveur du fait que les cinq chauffeurs en question étaient des employés aux termes de contrats de louage de services durant la période en cause.

 

[9]     Commençons par le contrôle. Il existe dans diverses pièces des éléments qui font état d’un degré de contrôle inhabituel exercé sur les travailleurs. La principale pièce, bien entendu, est l’entente concernant l’entrepreneur. Elle comporte dans ses dispositions diverses exigences lourdes et déraisonnables qui dénotent un contrôle exercé sur le travailleur. Je renvoie directement à la clause 1, intitulée [traduction] « Obligations de l’entrepreneur ». La clause 2b) prévoit une amende de 50 $ pour omission de se présenter et une amende de 200 $ pour défaut de déclaration de livraisons effectuées en retard. Selon mon expérience, il est inhabituel, pour le moins qu’on puisse dire, qu’une entente impose des amendes. Cette situation est incompatible avec la qualité d’entrepreneur indépendant de la personne à qui l’on impose une amende ou tout simplement avec la qualité de personne indépendante.

 

[10]   Par ailleurs, la clause g) prévoyait que le chauffeur devait payer une franchise de 2 500 $ s’il était en tort, laquelle franchise est applicable aussi bien au camion gros porteur qu’à la cargaison. Il s’agit d’une clause raisonnable que j’ai déjà vue dans de nombreux cas concernant des chauffeurs. Toutefois, la clause 3d), qui stipule qu’une retenue correspondant au coût de deux voyages sera effectuée en tant que dépôt de garantie pour les diverses amendes et pénalités prévues au contrat, témoigne là encore d’un degré de contrôle inhabituel, ce qui milite en faveur du fait que la personne assujettie à de tels contrôles est un employé.

 

[11]   La rémunération de formation de 1 000 $ prévue à la clause 5, au cas où un travailleur serait congédié avant six mois, effectuée au moyen d’un remboursement relativement à sa formation, représente là aussi ce que j’appelle un degré de contrôle déraisonnable, et est incompatible avec la qualité d’entrepreneur indépendant de la personne qui fait l’objet du contrôle.

 

[12]   Le dernier élément qui établit l’existence d’un contrôle déraisonnable se rapporte aux frais de gestion de 3 % qui sont ressortis de la preuve comme étant une retenue régulière effectuée sur la paie des cinq chauffeurs en question et pour lesquels je n’ai trouvé aucune autorisation dans les ententes conclues. Il a été avancé que les frais de gestion en question devaient servir à l’établissement des horaires des travailleurs, mais je répète qu’il s’agit là d’une situation inhabituelle et déraisonnable, et qui constitue un degré de contrôle élevé exercé sur le travailleur.

 

[13]   La seule clause, à part celle concernant la franchise, que j’ai estimée raisonnable est celle figurant à la pièce R‑3, à savoir l’avis urgent. Dans une situation où une pièce d’équipement très chère est confiée aux soins du travailleur, je n’ai pas du tout pensé qu’il était déraisonnable de prévoir des conséquences au cas où des précautions normales ne seraient pas prises, telles que faire le tour du camion avant d’entreprendre un long voyage et vérifier si le niveau de tous les fluides était suffisant tout au long du voyage, et d’appliquer une pénalité financière en cas de manquement. Par conséquent, il existe des arguments convaincants en l’espèce selon lesquels le degré de contrôle exercé milite en faveur du fait que les travailleurs étaient des employés.

 

[14]   Si l’on considère que le camion était un instrument de travail, et l’instrument de travail principal à part le permis du travailleur, alors le facteur concernant les instruments de travail indiquerait que les travailleurs étaient des employés. Étant donné que les chauffeurs en question recevaient une rémunération selon un taux fixe par kilomètre pour les voyages qu’ils effectuaient, il serait difficile de prime abord d’y voir quelque possibilité de profit que ce soit et, en effet, ce motif figure dans certaines décisions du recueil de jurisprudence et de doctrine du ministre.

 

[15]   Le risque de perte assumé est minimal. Il est vrai que des amendes sont prévues, mais elles supposent une certaine culpabilité ou négligence ayant entraîné des dommages aux biens ou un retard dans la livraison des biens, et il ressort de la preuve que certaines de ces pénalités n’étaient imposées que si un client déduisait des sommes à l’égard de l’appelante, des sommes que l’on faisait ensuite supporter au chauffeur.

 

[16]   J’estime que ce qui précède est intéressant, parce que l’examen de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale présente un portrait différent. Se référant d’abord au critère ou à ligne directrice concernant le contrôle, la Cour d’appel fédérale rapproche fortement ce critère du contrôle à la notion de subordination. Cela a été fait dans une série d’arrêts et de décisions. À cet égard, j’attire votre attention sur l’arrêt Le Livreur Plus c. Canada (Ministre du Revenu national), [2004] A.C.I. No 267, précisément au paragraphe 25. Il faut noter aussi l’arrêt D & J Driveway Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2003] CAF 453, au paragraphe 26. Aussi, j’ai rendu une décision dans laquelle j’ai simplement résumé ces arrêts et décisions au paragraphe 13. Il s’agit de la décision Mediclean Incorporated c. M.R.N., [2009] ACI no 288.

 

[17]   Le raisonnement tient au fait que, selon l’article 2099 du Code civil du Québec, la caractéristique essentielle d’un entrepreneur indépendant consiste en l’absence d’un lien de subordination entre le mandant et le mandataire. Par conséquent, les tribunaux ont adopté la thèse inverse selon laquelle, pour qu’il y ait un contrat d’emploi, il doit exister une relation de subordination entre l’employeur et l’employé ou entre le payeur et le bénéficiaire.

 

[18] Le fait que les affaires mentionnées accordent de l’importance à la faculté du travailleur de refuser une affectation est capital en l’espèce. Il ressort clairement de la preuve produite ici que les cinq travailleurs avaient effectivement ce droit et que les mesures de contrôle mentionnées ci-dessus n’étaient mises en œuvre que lorsque le chauffeur avait accepté un travail.

 

[19]   Selon le témoignage très clair et très crédible du seul témoin de l’appelante, Mme Jin, si un co‑chauffeur fumait ou s’il était trop dangereux de traverser les montagnes Rocheuses pour se rendre à Vancouver, les chauffeurs pouvaient simplement refuser d’exécuter le travail qui leur était proposé. Il s’agissait d’un degré d’indépendance et d’absence de contrôle qui était incompatible avec l’existence d’une relation de subordination, ce qui milite en faveur du fait que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants.

 

[20]   En ce qui concerne la question relative aux instruments de travail, il y a lieu de mentionner l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Precision Gutters Ltd. c. Canada (Ministre du revenu national), [2002] ACF no 771, où les travailleurs avaient pour tâche l’installation de gouttières. Le payeur pour qui les travailleurs effectuaient le travail disposait d’une machine très grosse et très chère qui transformait l’aluminium brut en des gouttières que ces travailleurs installaient. Bien entendu, il s’agissait d’un instrument de travail qui leur était nécessaire pour faire le travail et, par conséquent, ne s’agissait‑il pas là d’une indication que les instruments de travail étaient fournis par le payeur?

 

[21]   Dans l’arrêt Precision Gutters, la Cour d’appel fédérale a fait observer que si les instruments de travail appartiennent au travailleur et qu’il est raisonnable que ceux‑ci lui appartiennent, il s’agit d’une indication que la personne est un entrepreneur indépendant même si l’employeur présumé fournit des outils spéciaux pour l’entreprise en cause. À mon avis, cette situation ressemble fortement à celle où les chauffeurs fournissent leurs instruments de travail, et Mme Jin les a énumérés – des outils tels qu’un GPS et un téléphone cellulaire – et elle pensait qu’ils avaient tous des ordinateurs portatifs, mais il s’est avéré que le témoin présent à l’audience pour le compte du ministre n’en avait pas – une trousse de réparation, des chaussures de sécurité et une couverture, et ils payaient leurs propres repas. De prime abord, il semble que les travailleurs possédaient les instruments de travail ordinaires.

 

[22] Ce qui me ramène au camion. La question du camion revêt un intérêt parce que je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’un instrument de travail dans les circonstances. Cette question se rapporte directement aux propos de l’avocat du ministre, qui a observé qu’un chauffeur avait certes besoin d’un camion pour conduire. Je n’ai encore jamais lu de jurisprudence où une telle affirmation est faite, mais il me semble y avoir une différence entre une entreprise de camionnage et une autre consistant à faire du remorquage, ce qui nécessite de se doter d’un camion.

 

[23] Selon moi, le camion est un instrument de travail essentiel à l’exploitant d’une entreprise de remorquage. Je ne puis dire si cela s’applique ou non à l’entrepreneur qui est uniquement chauffeur. Je sais toutefois que certains tribunaux de la province ont déclaré que le camion était un instrument essentiel.

 

[24] Je reviens maintenant à l’arrêt Precision Gutters. Le cas me semble en effet comparable à cette machine à fabriquer des gouttières et il a été jugé que ces messieurs étaient des entrepreneurs indépendants, en dépit du fait que le payeur fournissait l’instrument de travail essentiel, de la même façon que le payeur dans l’affaire qui nous occupe fournit le camion et se charge des réparations.

 

[25]   En ce qui concerne la possibilité de profit et le risque de perte, je renvoie encore une fois à l’arrêt Precision Gutters. Malheureusement, je n’ai ni la citation exacte ni le paragraphe devant moi, mais, dans cet arrêt, la Cour a estimé que le droit de refuser un travail supposait une possibilité de profit et un risque de perte. Plus vous acceptez de travail, plus vous réalisez de profits, et moins vous acceptez de travail, moins vous réalisez de profits.

 

[26]   La jurisprudence susmentionnée parlait de la possibilité pour un travailleur de tirer profit d’une saine gestion. En l’espèce, il existe de nombreux éléments de preuve selon lesquels les travailleurs en question pouvaient tirer profit d’une saine gestion, et cela de deux façons, la première étant que les travailleurs étaient payés selon un taux par kilomètre. Par conséquent, il est de toute évidence que, si un chauffeur est rapide et que, avec ou sans l’aide d’un coéquipier, il se rend rapidement à Los Angeles ou à Vancouver et qu’il obtient un autre chargement ou qu’il effectue ensuite un autre voyage parce que l’aide qu’il a reçue d’un autre travailleur ou autrement l’a revigoré, il peut donc parcourir un plus grand nombre de kilomètres. À l’inverse, la personne qui est lente ne fera pas autant de voyages et ne parcourra pas autant de kilomètres, et elle n’aura pas la même possibilité de tirer profit d’une saine gestion.

 

[27]   J’estime que la possibilité de profit et le risque de perte se présentent de deux manières : celle exprimée par la Cour d’appel fédérale et découlant de l’arrêt Precision Gutters, en ce sens que le droit de refus comporte intrinsèquement une possibilité de profit et un risque de perte, et celle en l’espèce où la saine gestion et le fait de maximiser le kilométrage d’une personne peuvent augmenter son profit.

 

[28]   Il est possible – et je ne pense pas que cela soit important, mais j’en fais mention par souci d’exactitude – que le droit d’embaucher une aide suppose un certain élément de profit et de risque. Vous devrez peut‑être embaucher l’aide en question dans l’urgence et la rémunérer à un taux supérieur à celui que vous recevez. À l’inverse, si vous embauchez une aide et que vous la rémunérez à un taux inférieur au vôtre, vous êtes assuré de réaliser du profit. Je n’ai pas oublié que le payeur doit approuver les chauffeurs de remplacement. Une des décisions figurant dans le recueil de jurisprudence et de doctrine de l’intimé ne considère pas ce fait comme un droit absolu d’engager d’autres travailleurs, mais, à mon avis, si un camion et une remorque très chers, ainsi que leur cargaison, sont confiés à un travailleur, il n’est pas du tout déraisonnable d’exiger que la personne qui aide ait un permis et un bon dossier de conduite et qu’elle soit responsable et digne de confiance.

 

[29]   Cela m’amène à la relation globale entre les parties. Un fait important qui me vient à l’esprit – en réalité, il y en a deux qui ressortent de la preuve. L’un est le droit de refuser le travail qui vous est confié, ce qui distingue réellement les employés des entrepreneurs indépendants. L’autre est la capacité d’embaucher des aides. Ce dernier fait est important en raison de l’arrêt Ready-Mixed Concrete v. The Minister of National Revenue, [1968] 1 All E.R. 433 (B.R.). Dans cet arrêt, le juge McKenna a fait les observations suivantes :

 

[traduction]

 

La liberté de faire un travail, de ses propres mains ou par l’entremise d’une autre personne, est incompatible avec un contrat de louage de services, là où un pouvoir de délégation limité ou occasionnel peut ne pas l’être.

 

J’en déduis qu’il est de l’essence d’un contrat de louage de services d’être exécuté personnellement par le travailleur.

 

[30]   En l’espèce, il incombe à l’appelante de démolir les hypothèses formulées par le ministre dans la réponse à l’avis d’appel, étant donné que je suis lié par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale que j’ai brièvement citée. Les hypothèses émises par le ministre figurent au paragraphe 7, et je commencerai par l’alinéa g), qui est en partie libellé ainsi :

 

[traduction]

 

[…] les travailleurs devaient communiquer avec l’appelante deux fois par jour, à 9 h et à 16 h, et lorsqu’ils arrivaient à une destination ainsi que lorsqu’une amende leur était imposée ou lorsqu’ils recevaient un avis.

 

Cela n’a pas été exactement étayé par la preuve, mais je répète que la charge de la preuve incombe à l’appelante. Si une hypothèse n’a pas été démolie, aucune charge n’incombe au ministre de l’étayer. C’est à l’appelante de démolir l’hypothèse en question. Toute hypothèse qui n’est pas démolie doit être tenue pour vraie, et je considère l’hypothèse émise à l’alinéa g) comme vraie.

 

[31]   Toute autre hypothèse que je ne mentionne pas est tenue pour vraie.

 

[32]   Il ne ressort pas de la preuve que Jin Liang ou le répartiteur supervisaient les travailleurs. À mon avis, ils contrôlaient les travailleurs en restant en contact avec eux et en imposant les amendes et les pénalités.

 

[33]   J’ai déjà précisé que l’hypothèse énoncée à l’alinéa l) a été principalement démolie, parce que j’ai conclu que la plupart des instructions écrites ou verbales quant à la manière dont il fallait procéder au dédouanement ou éviter les pesées ne consistaient pas en un contrôle. Dans l’un et l’autre cas, il s’agissait tout simplement de donner des conseils utiles au chauffeur. Je ne ferai pas d’observations sur le caractère approprié d’une telle action, mais principalement, en ce qui nous concerne, il ne s’agissait pas d’une situation de contrôle.

 

[34]   Les hypothèses énoncées aux alinéas n) et o) ont été réfutées. De même, l’hypothèse émise à l’alinéa p) n’a pas résisté à la preuve.

 

[35]   J’ai déjà mentionné qu’à mon avis, à part pour le camion, l’hypothèse formulée à l’alinéa q) résiste à l’examen fondé sur la preuve ou n’a pas été démolie.

 

[36]   L’hypothèse énoncée au sous‑alinéa ff) a été démolie. L’appelante ne déterminait pas les heures des travailleurs. Il ressort de la preuve que l’appelante disposait de moyens de savoir le nombre minimal de kilomètres qu’il y avait entre le point de ramassage et le point de livraison de la cargaison, et le travailleur ne recevait qu’une rémunération correspondante. Tout dépassement était mis sur le compte du temps personnel du travailleur. Si un rendez-vous avait été pris, et dans certains cas il a été établi que des rendez‑vous avaient été pris, c’était le client ou l’utilisateur final qui fixait le rendez-vous en fonction du moment où il avait réellement besoin de recevoir les marchandises.

 

[37]   La preuve ne m’a pas convaincu concernant l’hypothèse énoncée au sous‑alinéa ii), à savoir qu’[traduction] « on s’attendait à ce que les travailleurs effectuent de longues heures de travail, sans quoi ils pouvaient être congédiés ». Mais ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Parfois, ils effectuaient de longues heures de travail et parfois, selon leur destination et la rapidité avec laquelle ils s’y rendaient, ils n’en effectuaient pas.

 

[38]   L’hypothèse énoncée au sous‑alinéa jj) a été démontrée, mais elle n’est pas pertinente. Il y a de la confusion quant à l’entreprise dont nous parlons.

 

[39]   L’hypothèse émise au sous‑alinéa ll) n’a pas été étayée par la preuve selon la manière dont elle est formulée ici. Il n’y avait rien de déraisonnable pour les travailleurs de refuser du travail que l’appelante leur avait confié. La preuve a établi qu’ils étaient libres de refuser du travail qui leur était assigné, sans avoir à se justifier, et il leur était loisible de décider s’ils voulaient travailler fréquemment ou non.

 

[40]   Je suis porté à formuler des observations à l’égard de la réponse du ministre, parce que, en toute équité pour l’appelante, il n’y a pas grand-chose à contester dans la réponse, étant donné qu’elle comporte peu d’éléments qui permettent de trancher la question dont la Cour est saisie. Le ministre ne rédige pratiquement jamais une réponse qui énonce d’abord le facteur du contrôle et formule des hypothèses qui précisent comment les travailleurs sont contrôlés, qui parle ensuite du facteur des instruments de travail et qui passe enfin à celui de la possibilité de profit et du risque de perte, et dans laquelle il y a des éléments que l’appelant peut directement démolir.

 

[41]   Il est difficile pour l’appelante de démolir directement la réponse dont il est question, parce certaines hypothèses parlent implicitement du contrôle et des instruments de travail, mais il n’y a pas d’hypothèses qui sont formulées de manière qu’elles puissent être réfutées, ainsi que je vous l’ai démontré au moyen de conclusions clés de la Cour d’appel fédérale dans ce domaine.

 

[42]   Le droit de refus est un élément très important, et le ministre ne l’a pas compris. Le droit d’embaucher une aide est un autre élément très important, et le ministre ne l’a pas compris non plus.

 

[43]   Je continue de parler du droit de refus, parce que la Cour d’appel fédérale le fait, et ce droit est important pour deux raisons. Il est incompatible avec la subordination, qui s’apparente au contrôle. S’il n’existe pas de subordination et que le contrôle à cet égard fait défaut, alors vous n’êtes pas en présence d’un employé et, comme je l’ai déjà affirmé à plusieurs reprises, cela vaut aussi pour le facteur concernant la possibilité de profits et le risque de perte.

 

[44]   J’ai entendu pour la première fois les témoins des parties qui témoignaient sous serment – et, en passant, j’ai trouvé qu’ils étaient tous les deux très ouverts et très francs. Je parle de Mme Jin, pour l’appelante, et de M. Huang, pour l’intimé. J’ai entendu de nouveaux éléments de preuve ou des éléments de preuve que le ministre semble avoir mal interprétés, de telle sorte que j’ai estimé que les conclusions qu’il avait tirées à l’égard des cinq travailleurs étaient déraisonnables. Les cinq travailleurs en question exerçaient des activités pour leur propre compte en tant que chauffeurs de camion.

 

[45]   Par conséquent, les deux appels, mettant chacun en cause les cinq travailleurs, sont accueillis, et les décisions rendues par le ministre sont annulées.

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 15jour d’avril 2010.

 

 

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19jour de février 2014.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


 

RÉFÉRENCE :                                 2010 CCI 174

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :        2009-194(EI)

                                                          2009-195(CPP)

                                                         

INTITULÉ :                                      Ace-J Transportation Inc. c.

                                                          Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 24 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Christopher Goldson

Pour l’intimé :

Me Carol Calabrese

Joshua Winter (étudiant en droit)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

      

            Nom :                                            

 

            Cabinet :                              

 

       Pour l’intimé :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

 

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