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Dossier : 2006-3803(IT)I

ENTRE :

ALDO ASTORINO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 26 février 2010, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Janie Payette

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est rejeté.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 10e jour de mars 2010.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mai 2010.

David Aubry, LL.B.

Réviseur


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 144

Date : 20100310

Dossier : 2006-3803(IT)I

ENTRE :

ALDO ASTORINO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]              En 2001, M. Astorino avait besoin d'un prêt. Malheureusement, afin d'obtenir ce prêt, il a été pris dans une entente exigeant le transfert de son REER. La question qui se pose dans la présente affaire, régie par la procédure informelle, est de savoir si le transfert du REER a entraîné, conformément aux paragraphes 146(8) ou 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), un revenu imposable entre ses mains.

 

[2]              M. Astorino, qui n'avait pas eu de chance lorsqu'il s'était agi d'obtenir un prêt d'une banque, a répondu à une annonce publiée dans le journal local. En se rendant à ce qu'il croyait être les bureaux d'une organisation appelée National Business Investment (« NBI »), on lui a dit que s'il transférait en sa faveur le REER immobilisé qu'il avait à la SunLife, il pourrait emprunter les 7 000 $ dont il avait besoin. Le 20 avril 2001, M. Astorino a donc signé un certain nombre de documents :

 

a)       un formulaire de Revenu Canada (T2033) intitulé « Transfert direct selon l'alinéa 146(16)a) ou 146.3(2)e) ». M. Astorino a laissé en blanc les sections A, B et C, qui exigeaient respectivement que l'on indique l'identité du cédant du REER, le montant à transférer et l'identité du cessionnaire du REER;

 

b)      un contrat de prêt en argent dans lequel NIB in Trust inc. s'engageait à prêter 8 165 $ à M. Astorino, contrat qui comportait la disposition suivante:

 

          [traduction]

 

            L'emprunteur s'engage à rembourser le principal et les intérêts afférents au montant susmentionné selon l'une des modalités suivantes :

 

            B (coché par M. Astorino) Au moyen d'une procuration et de la désignation d'un représentant (joindre le formulaire original)

 

c)       une procuration par laquelle M. Astorino désignait NBI in Trust inc. :

 

            [traduction]

 

            […]

 

            afin d'agir à titre de représentant légalement autorisé jusqu'à mon décès; de recouvrer pour mon compte toute somme payable qui m'est due ainsi que les intérêts dus sur pareille somme, compte tenu des sommes placées en fiducie et gérés conformément aux instructions ci‑dessous données à NBI in Trust inc. :

            Somme assujettie à la gestion : 11 500 $

 

            […]

 

            J'approuve par les présentes et je m'engage à approuver et à confirmer toute mesure prise en vertu de la procuration que j'ai accordée au représentant légal ou au mandataire susmentionné et notamment à accorder l'accès à tout document nécessaire ainsi que les droits aux fins de la délivrance ou d'une demande de délivrance de tout document nécessaire, et le droit d'exercer toutes les fonctions expressément ou implicitement prévues par les présentes en ce qui concerne la prise des décisions et mesures nécessaires aux fins de la gestion efficace des sommes visées par la présente procuration au profit des parties désignées dans les présentes.

 

            […]

 

[3]              Un représentant de NBI ou du Canadian Corporation Creations Centre (le « CCCC ») a présenté à Revenu Canada un formulaire de transfert direct désignant Spectrum (SunLife) à titre de cédant du REER, désignant la totalité des biens du REER de M. Astorino aux fins du transfert et désignant CCCC à titre de régime de pension agréé auquel les biens devaient être transférés. M. Astorino n'avait clairement pas prêté fortement attention au formulaire et ne s'était clairement pas rendu compte du risque qu'il courait en signant des documents en blanc et en accordant une procuration d'une portée étendue. Il voulait simplement obtenir ce qu'il croyait être un prêt et, de fait, trois semaines après avoir signé ces documents, il a reçu 7 466 $ de NBI. Spectrum (SunLife) a de fait transféré à CCCC le REER de M. Astorino pour la somme de 12 751 $ le 11 mai 2001.

 

[4]              M. Lalonde, gestionnaire, Conformité des régimes agréés, à l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a fait une chronologie utile des événements entourant le soi‑disant régime de pension agréé de CCCC et de ses activités, du point de vue du gouvernement fédéral. La société CCCC a été constituée en personne morale par des lettres patentes au mois de février 2000 afin d'aider à établir des petites entreprises et à promouvoir leurs intérêts. Dans un procès‑verbal de CCCC en date du 15 juin 2000, il a été résolu de prendre toutes les mesures nécessaires afin d'établir un régime de pension pour les employés et les membres de CCCC. Le 21 juin 2000, une fiducie a été constituée afin d'administrer un compte en fiducie pour le régime de pension de CCCC. Au mois de décembre 2000, le gouvernement du Canada a avisé CCCC que son régime de pension était agréé, avec prise d'effet le 24 juillet 2000. Au mois de juin 2001, l'ARC a informé CCCC qu'elle voulait examiner ses affaires. Au mois de juillet 2001, CCCC a informé l'ARC que son régime de pension n'avait jamais eu de membres et qu'il n'y avait pas eu de transfert de fonds dans le régime ou en dehors du régime, de sorte qu'elle ne s'opposait pas à l'annulation de l'agrément du régime. Au mois de décembre 2001, l'ARC a informé CCCC de son intention de retirer l'agrément du régime de pension et elle a également informé la Commission des services financiers de l'Ontario (la « CSFO ») de son intention, le retrait de l'agrément devant prendre effet le 24 juillet 2000. Dans une lettre du 11 décembre 2001 adressée à la CSFO, l'ARC disait ce qui suit :

 

          [traduction]

 

          […]

 

Le ministre a l'intention de retirer l'agrément parce que le régime ne satisfait pas aux conditions d'agrément énoncées au paragraphe 8501(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu (le « RIR »). Plus précisément, selon une condition d'agrément, le régime doit être conforme aux dispositions de l'alinéa 8502a) du RIR. Or, selon l'alinéa 8502a), le principal objet d'un régime de pension agréé consiste à prévoir le versement périodique de montants à des particuliers, après leur retraite et jusqu'à leur décès pour les services qu'ils ont accomplis à titre d'employés. Étant donné que les renseignements et documents demandés à cet égard n'ont pas été fournis, nous avons conclu que le régime n'est pas conforme à cette exigence.

 

[...]

 

[5]              Il ressort clairement d'autres lettres envoyées à la CSFO par l’ARC au cours de l'été 2002 que l'ARC a retiré l'agrément en vertu du paragraphe 147.1(11) de la Loi, avec prise d'effet le 24 juillet 2000.

 

[6]              Quant à l'Ontario, la CSFO a retiré l'agrément en disant notamment que le régime de pension de CCCC acceptait des transferts de fonds de comptes de retraite immobilisés de particuliers [traduction] « ne touchant pas de rémunération d'un employeur qui participe au régime. Par conséquent, ces personnes ne sont pas des employés, au sens de l'article premier de la Loi, d'un employeur qui participe au régime. L'acceptation de pareils transferts par le régime contrevient aux conditions du régime ».

 

[7]              En outre, la CSFO a indiqué ce qui suit dans les motifs de l'ordonnance par laquelle l'agrément était retiré :

 

[traduction]

 

En transférant les fonds du fonds de pension aux comptes bancaires de NBI in Trust, de NBI Canada ou de CCCC, ou en autorisant le transfert de ces fonds, la caisse de retraite en sa qualité d'administrateur désigné a autorisé l'utilisation ou l'appropriation de fonds à des fins autres que l'objet du régime, en violation du contrat de fiducie et du paragraphe 22(1) de la Loi.

 

La CSFO a fourni de nombreux autres motifs à l’appui du retrait de l'agrément.

 

[8]              On a avisé M. Astorino que l'agrément était retiré en lui disant qu'il pouvait communiquer avec le gouvernement provincial afin d'obtenir un formulaire qui, une fois rempli, lui permettrait de recevoir une certaine indemnité. Il a rempli le formulaire, il l'a soumis et il a reçu 1 000 $ à titre d'indemnité.

 

[9]              Les fonds du REER qui ont été transférés de Spectrum (SunLife) à CCCC s'élevaient, lorsque la cotisation a été établie, à plus de 12 000 $, mais l'ARC était uniquement au courant du fait que M. Astorino avait reçu un chèque de 7 466 $ et elle a supposé que cela représentait 70 p. 100 de la totalité des biens du REER (compte tenu du modus operandi de CCCC); elle a donc établi comme suit une cotisation à l'égard de M. Astorino : 7 466 $ x 100, divisé par 70, soit 10 665 $.

 

[10]         Quelle est donc la situation de M. Astorino sur le plan fiscal?

 

Les points litigieux :

 

          a)       Le paragraphe 146(16) de la Loi s'applique‑t‑il au transfert des biens du REER de M. Astorino en faveur de CCCC, de sorte qu'il n'y a pas de montant à inclure dans le revenu?

 

          b)      Dans l'affirmative, le paragraphe 146(8) de la Loi s'applique‑t‑il de façon à inclure dans le revenu de M. Astorino tout ou partie du montant de la cotisation?

 

          c)       Le paragraphe 56(2) de la Loi s'applique‑t‑il de façon à inclure dans le revenu de M. Astorino tout ou partie du montant de la cotisation?

 

[11]         Il faut se rappeler que le gouvernement doit s'en tenir au montant de 10 665 $ visé par la cotisation et qu'il ne peut pas, au moyen du présent processus d'appel, se fonder sur le montant plus élevé de 12 751 $ qui représentait le plein montant du REER de M. Astorino.

 

Analyse

 

[12]         Les dispositions pertinentes de la Loi à examiner sont libellées comme suit :

 

          a)       Paragraphe 46(8) :

 

146(8) Est inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition le total des montants qu'il a reçus au cours de l'année à titre de prestations dans le cadre de régimes enregistrés d'épargne‑retraite, à l'exception des retraits exclus au sens des paragraphes 146.01(1) ou 146.02(1), et des montants qui sont inclus, en application de l'alinéa (12)b), dans le calcul de son revenu.

 

         


b)      Paragraphe 146(16) :

 

146(16)      Malgré les autres dispositions du présent article, un régime enregistré d'épargne‑retraite peut, à un moment donné, être révisé ou modifié de façon à prévoir le versement ou le transfert, avant son échéance, de biens accumulés dans ce régime, par l'émetteur pour le compte du rentier :

 

a)   soit à un régime de pension agréé, au profit du rentier, ou à un régime enregistré d'épargne‑retraite ou un fonds enregistré de revenu de retraite dont le rentier est rentier;

 

b)   soit à un régime enregistré d'épargne‑retraite ou un fonds enregistré de revenu de retraite dont l'époux ou conjoint de fait ou ex‑époux ou ancien conjoint de fait du rentier est rentier, si le rentier et son époux ou conjoint de fait ou ex‑époux ou ancien conjoint de fait vivent séparément et si le versement ou le transfert est effectué en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit de séparation, visant à partager des biens entre le rentier et son époux ou conjoint de fait ou ex‑époux ou ancien conjoint de fait, en règlement des droits découlant du mariage ou de l'union de fait ou de son échec.

Dans le cas où un tel versement ou transfert est effectué pour le compte du rentier avant l'échéance du régime, les règles suivantes s'appliquent :

c)   le montant du versement ou du transfert ne peut, en raison seulement du versement ou du transfert, être inclus dans le calcul du revenu du rentier ou de l'époux ou conjoint de fait ou ex‑époux ou ancien conjoint de fait;

 

d)   aucune déduction ne peut être faite en application des paragraphes (5), (5.1) ou (8.2) ou des articles 8 ou 60 au titre du versement ou du transfert dans le calcul du revenu d'un contribuable quelconque;

 

      e)   en cas de versement ou de transfert à un régime enregistré d'épargne‑retraite, le montant du versement ou du transfert est réputé, pour l'application du paragraphe (8.2), ne pas être une prime versée à ce régime par le contribuable.

 

         


c)       Paragraphe 56(2) :

 

56(2)    Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne – sauf la cession d'une partie d'une pension de retraite conformément à l'article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou à une disposition comparable d'un régime provincial de pensions au sens de l'article 3 de cette loi ou d'un régime provincial de pensions visé par règlement – doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

 

[13]         Le paragraphe 146(8) de la Loi exige que M. Astorino inclue dans son revenu les montants qu'il a reçus à titre de prestations dans le cadre de son REER. Toutefois, le paragraphe 146(16) de la Loi prévoit expressément une exception, permettant un transfert de fonds d'un REER à un régime de pension agréé, sans déclencher une inclusion dans le revenu. Je dois d'abord traiter de l'application du paragraphe 146(16) de la Loi au cas de M. Astorino et, si le paragraphe 146(16) de la Loi ne s'applique pas, je dois ensuite revenir au paragraphe 146(8). L'intimée fait en outre valoir que, si le paragraphe 146(8) de la Loi ne vise pas les fonds transférés, ces fonds sont visés au paragraphe 56(2).

 

L'application du paragraphe 146(16)

 

[14]         Le paragraphe 146(16) de la Loi prévoit en fait un roulement d'un REER à un régime de pension agréé. Une question intéressante se pose ici : quel est l'effet d'une annulation rétroactive de l'agrément d'un régime de pension agréé? Dans une affaire où les circonstances étaient fort semblables à celles qui mettent en cause CCCC et NBI, Bonavia c. Sa Majesté la Reine[1] (qui fait actuellement l'objet d'un appel), le juge Favreau a facilement conclu ce qui suit :

 

[15]      [...] Le véhicule offert par les promoteurs du stratagème était un régime de pension qui était enregistré au moment où le capital du FERR de l’appelant était transféré.

 

[16]      Malheureusement pour l'appelant, le régime enregistré de pension n’était pas un régime de pension qui remplissait les conditions d’enregistrement en vigueur, de sorte que le ministre l’a radié rétroactivement du registre. Par conséquent, les deux virements du capital du fonds à un compte bancaire détenu par CCCC constituaient un retrait du capital du FERR de l’appelant, qui devait être inclus dans le revenu de l’appelant pour l’année d’imposition 2001, conformément au paragraphe 146.3(5) de la Loi.

 

[…]

 

[15]         Le paragraphe 147.1(11) autorise le retrait d'agrément d'un régime de pension agréé :

 

147.1(11)   Lorsque l'une des situations suivantes se produit après que le ministre a agréé un régime de pension :

 

      a)   le régime n'est pas conforme aux conditions d'agrément réglementaires;

 

      b)   le régime n'est pas géré tel qu'il est agréé;

 

      c)   l'agrément du régime peut être retiré;

 

      d)   une condition (y compris une condition applicable de façon générale aux régimes de pension agréés en général ou à une catégorie de régimes et une condition imposée pour la première fois avant 1989) que le ministre a imposée au régime par écrit n'est pas respectée;

 

      e)   une des exigences énoncées aux paragraphes (6) ou (7) n'est pas respectée;

 

      f)    des prestations sont payées par le régime ou des cotisations y sont versées contrairement au paragraphe (10);

 

      g)   l'administrateur ne présente pas de déclaration de renseignements ou de rapport actuariel concernant le régime ou un participant à celui‑ci selon les modalités réglementaires de temps ou autres;

 

      h)   un employeur participant ne présente pas de déclaration de renseignements concernant le régime ou un participant à celui‑ci selon les modalités réglementaires de temps ou autres;

 

      i)    l'agrément du régime aux termes de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension ou d'une loi provinciale semblable est refusé ou retiré,

le ministre peut informer l'administrateur du régime par avis – appelé « avis d'intention » au présent paragraphe et au paragraphe (12) –, envoyé en recommandé, qu'il entend retirer l'agrément du régime à la date précisée dans l'avis d'intention, qui ne peut être antérieure aux dates suivantes :

      j)    si l'alinéa a) s'applique, la date où le régime cesse d'être conforme;

 

      k)   si l'alinéa b) s'applique, la date où le régime n'est plus géré tel qu'il est agréé;

 

      l)    si l'alinéa c) s'applique, la date où l'agrément du régime peut être retiré;

 

      m)  si l'alinéa d) ou e) s'applique, la date où la condition ou l'exigence n'est plus respectée;

 

      n)   si l'alinéa f) s'applique, la date où les paiements ou versements ont été effectués;

 

      o)   si l'alinéa g) ou h) s'applique, la date fixée pour la présentation;

 

      p)   si l'alinéa i) s'applique, la date du refus ou du retrait.

 

La loi autorise clairement le gouvernement à retirer l'agrément rétroactivement, à condition que l'agrément ne soit pas retiré avant que surviennent certains événements. Je suis convaincu que l'agrément du régime a été retiré rétroactivement à la date de son soi‑disant agrément. Ce régime n'a jamais répondu aux conditions d’un régime de pension agréé, et ce, peu importe ce que M. Astorino pouvait croire. À cet égard, un examen diligent des documents de CCCC aurait pu amener un client éventuel raisonnable à se demander, tout au moins, comment il pouvait adhérer à un régime de pension établi pour les employés et les membres d'une organisation avec laquelle il n'avait absolument aucun lien. Cela aurait dû lui faire ouvrir l'œil, quoique, en toute justice, si M. Astorino avait demandé à l'ARC, à ce moment‑là, si le régime de pension de CCCC était agréé, on lui aurait répondu qu'il l'était. Toutefois, je dois donner effet à la nature rétroactive de l'ordonnance par laquelle l'agrément était retiré – autrement, il ne serait aucunement tenu compte du pouvoir législatif clair du gouvernement de le faire, et cela pourrait également donner lieu à d'autres vilains stratagèmes. Le paragraphe 146(16) de la Loi ne s'applique pas au transfert des biens du REER de M. Astorino puisque le régime du cessionnaire n'était pas un régime de pension agréé.

 

L'application du paragraphe 146(8) de la Loi

 

[16]         La Couronne fait valoir que, si le paragraphe 146(16) ne s'applique pas, le retrait de fonds du REER de M. Astorino et le transfert de ces fonds en faveur de CCCC sont visés au paragraphe 146(8) de la Loi en tant que montant reçu par M. Astorino à titre de prestation dans le cadre du REER. Dans les motifs qu'il a énoncés dans la décision Bonavia, le juge Favreau, après avoir examiné le sens élargi du mot « reçu » et la notion de « réception réputée », a conclu que les montants transférés du fonds enregistré de revenu de retraite (le « FERR ») de M. Bonavia en faveur de CCCC étaient visés par le paragraphe 146.3(5) de la Loi. Ce paragraphe  est la disposition sur les FERR correspondant à la disposition relative aux REER figurant au paragraphe 146(8) sauf que, contrairement au paragraphe 146(8) de la Loi, le paragraphe 146.3(5) ne fait pas mention de montants reçus « à titre de prestations ».

 

[17]         Ce sont ces mots additionnels, « à titre de prestations », au paragraphe 146(8) de la Loi, qui m'amènent à réfléchir. Pour que le paragraphe 146(8) de la Loi s'applique, M. Astorino doit avoir reçu des montants à titre de prestations dans le cadre de son REER. Or, qu'a‑t‑il reçu? En demandant que les fonds soient transférés dans le régime de pension de CCCC, M. Astorino était de fait réputé avoir reçu les fonds transférés. Cette conclusion est étayée par la jurisprudence que le juge Favreau a mentionnée dans la décision Bonavia (voir, en particulier, les remarques que le juge McArthur a faites dans la décision Toth c. R.[2] ainsi que les remarques du juge Bowman dans la décision Belusic v. R[3], qui ont toutes deux été mentionnées par le juge Favreau). Il s'agit donc de savoir si, eu égard aux circonstances auxquelles il faisait face, M. Astorino a « reçu » ces montants « à titre de prestations » dans le cadre du REER. M. Astorino a transféré les fonds en vue de pouvoir obtenir un prêt d'environ 7 500 $ -- il existait certes une prestation quelconque, mais est-ce le plein montant que M. Astorino a reçu à titre de prestation? Le modus operandi de CCCC semble avoir consisté à prêter jusqu'à 70 p. 100 de la valeur reçue du client trompé et à conserver le reste. Il était peu probable que M. Astorino reçoive le solde des fonds. À première vue, cela peut donner à entendre que la prestation était inférieure au plein montant, mais malheureusement pour M. Astorino, cette approche ne tient pas la route. Une fois le plein montant du REER remis à CCCC, M. Astorino bénéficiait, à ce moment‑là, du plein montant, et de fait, il a utilisé le plein montant afin d'obtenir le « prêt » d'un montant inférieur. C'est M. Astorino qui a décidé d'autoriser CCCC à gérer les fonds – tous les fonds. En renonçant au contrôle du plein montant, M. Astorino n'a pas simplement limité l'avantage tiré du REER au montant qu'il a finalement reçu. Il bénéficiait du plein montant et il est donc clairement visé par le paragraphe 146(8) de la Loi.

 

L'application du paragraphe 56(2) de la Loi

 

[18]         Il est inutile de se pencher sur le paragraphe 56(2) de la Loi, mais je le ferai par souci d'exhaustivité. Je suis encore une fois d'accord avec le juge Favreau lorsqu'il dit que, même s'ils ne sont pas visés par le paragraphe 146(8) de la Loi (ou, dans le cas qui l'occupait, par le paragraphe 146.3(5) de la Loi), les montants seraient néanmoins inclus dans le revenu de l'appelant par application du paragraphe 56(2) de la Loi puisque les quatre conditions de l'application de cette disposition sont remplies :

 

          a)       le paiement a été fait à un tiers, CCCC;

 

          b)      le paiement a été fait suivant les instructions de l'appelant lorsque celui‑ci a signé les documents, au mois d'avril 2000;

 

          c)       le paiement a été fait au profit de l'appelant puisque celui‑ci a demandé le transfert en vue de pouvoir avoir accès aux fonds;

 

          d)      le paiement aurait été inclus dans le revenu de l'appelant si le montant du REER avait été directement versé à celui‑ci.

 

[19]         Comme on l'a indiqué à M. Astorino à l'instruction, il était dangereux de signer des documents en blanc et d'accorder si facilement des pouvoirs à une entité inconnue au moyen d'une procuration. M. Astorino a obtenu ce qu'il voulait, un montant de 7 500 $ en argent, mais cela ne s'arrêtait pas là : il a également perdu le solde des montants de son REER et il a reçu une facture d'impôt à l'égard de certains montants qu'il n'a jamais eus à sa disposition. Il s'agit d'une dure leçon.

 

[20]         L'appel est rejeté. On a fait savoir à M. Astorino que la décision Bonavia faisait l'objet d'un appel. S'il veut préserver son droit de tirer parti de l'annulation possible de la décision du juge Favreau par la Cour d'appel fédérale, il pourra interjeter appel de la présente décision.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 10e jour de mars 2010.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mai 2010.

 

David Aubry, LL.B.

Réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 144

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-3803 (IT)I

 

INTITULÉ :                                       ALDO ASTORINO

                                                          et

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 26 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 10 mars 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Janie Payette

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             s/o

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]           2009 CCI 289.

 

[2]           2006 CCI 116.

 

[3]           3 CTC 2908.

 

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