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Référence : 2010 CCI 26

Date : 20100128

Dossier : 2007-3918(EI)

2007-3919(CPP)

ENTRE :

1546617 ONTARIO LTD.

S/N TOPERMS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

 

NOOREEN BHANJI,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Révisés à partir de la transcription des motifs du jugement rendus oralement le 25 novembre 2009, à Toronto (Ontario))

 

 

Le juge suppléant Weisman

 

[1]     Je suis saisi aujourd’hui de deux appels que l’appelante, 1546617 Ontario Ltd., faisant affaire sous le nom Toperms, a interjeté à l’encontre de déterminations faites par le ministre du Revenu national selon lesquelles neuf coiffeurs qui travaillaient pour le salon de coiffure de l’appelante en 2006 étaient des employés de celle-ci, de sorte que l’appelante était tenue de verser des cotisations d’assurance-emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada. L’appelante a interjeté appel au motif que, non seulement les neuf travailleurs concernés étaient des entrepreneurs indépendants, mais ils étaient des associés de l’appelante.

 

[2]     J’ai déjà rejeté l’appel interjeté au titre de la Loi sur l’assurance‑emploi et confirmé la décision rendue par le ministre, sur la foi du dossier, en raison de l’alinéa 6d) du Règlement sur l’assurance‑emploi (le « Règlement ») édicté en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi. J’ai rendu cette décision parce que la preuve m’a convaincu que ces neuf coiffeurs exerçaient un emploi  dans un salon de coiffure où, d’une part, ils fournissaient les services qu’offre normalement un tel établissement et, d’autre part, ils n’étaient pas les propriétaires ni les exploitants de cet établissement.

 

[3]     Bien que j’aie exposé brièvement les motifs de la conclusion que j’ai tirée plus tôt au vu du dossier, je tiens à formuler, par souci d’équité envers l’appelante, quelques commentaires concernant son allégation selon laquelle ces neuf travailleurs étaient des associés d’une société de personnes. Comme il n’y avait aucune autre preuve que son allégation à ce sujet, je lui ai demandé si les travailleurs étaient les associés d’une société de personnes qu’ils exploitaient eux-mêmes ou bien s’ils exploitaient une société de personnes avec l’appelante. À son avis, les travailleurs exploitaient une société de personnes avec l’appelante, ce qu’il est important de noter, parce que cela pourrait faire des travailleurs les propriétaires ou les exploitants de l’établissement au sens du sous‑alinéa 6d)(ii) du Règlement.

 

[4]     J’ai rejeté, et je rejette encore, l’argument selon lequel ces personnes exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser des profits, que ce soit entre elles ou avec l’appelante, étant donné qu’il n’y a pas de contrat de société, de partage des pertes ou des risques, ou de partage des dépenses qui découlent de l’exploitation d’une telle entreprise. Je crois que c’est tout ce qu’il y a à dire sur le sujet.

 

[5]     Il me reste donc à trancher l’appel interjeté au titre du Régime de pensions du Canada, dont le règlement ne comporte pas de disposition semblable à l’alinéa 6d) du Règlement sur l’assurance‑emploi. Je dois donc trancher cet appel en ce qui concerne le statut de ces neufs travailleurs suivant le critère à quatre volets établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wiebe Door Services v. The Minister of National Revenue (1986), 87 DTC 5025 (« Wiebe Door »).

 

[6]     Pour trancher la question dont la Cour est saisie, laquelle a été qualifiée de diverses façons, soit de « fondamentale » dans l’arrêt Wiebe Door, précité, de « centrale » dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc. rendu par la Cour suprême du Canada, [2001] ACS no 61, (« Sagaz ») et enfin d’« essentielle » dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. Ministre du Revenu national, [2006] CAF no 87, il faut examiner la relation globale que les parties entretiennent ainsi que l’ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. À cette fin, la preuve doit être examinée à la lumière du critère à quatre volets énoncé comme ligne directrice par lord Wright dans l’arrêt Montreal (City) v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161, et adopté par le juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door. Ces quatre lignes directrices concernent le contrôle que le payeur exerçait sur les travailleurs, la question de savoir qui des travailleurs ou du payeur était propriétaire des instruments de travail nécessaires à l’accomplissement des tâches des travailleurs, et les possibilités de profit et les risques de perte des travailleurs dans le contexte de leur relation avec le payeur.

 

[7]     J’examinerai tout d’abord le critère ou la ligne directrice du contrôle. Il est clair en droit que ce n’est pas le contrôle réellement exercé qui est important, c’est le droit d’exercer ce contrôle qui doit être établi. Cela se retrouve dans de nombreuses décisions, et j’ai résumé les décisions qui ont mené à une telle conclusion dans la décision Logitech Technology Ltd. c. Ministre du Revenu national, [2008] A.C.I. no 309.

 

[8]     Il ressort clairement de la preuve dont je suis saisi que le degré de contrôle que l’appelante exerçait sur les travailleurs était extraordinaire, à un point tel que, selon Rita Duvenny, l’atmosphère de travail s’apparentait à celle d’une prison.

 

[9]     À la pièce R-1, onglet 1, se trouve le document faisant état des règles établies par l’appelante, que tous les travailleurs devaient signer. Ce document dit essentiellement aux travailleurs quoi faire et comment le faire. Les mesures de contrôle et les règles qui y sont énoncées sont très nombreuses. Je ne les lirai pas en entier, mais voici, à titre d’exemple, le libellé du préambule :

 

          [traduction]

Tous les employés doivent respecter les règles suivantes. Quiconque ne respecte pas ces règles s’expose à des mesures disciplinaires.

 

Les sous-traitants, les stylistes et les assistants doivent avoir une apparence soignée et professionnelle en tout temps lorsqu’ils travaillent dans les locaux de l’entreprise.

 

Les sous-traitants, les stylistes et les assistants n’ont en aucun cas le droit de lire des documents dans l’aire de service.

 

Les sous-traitants, les stylistes et les assistants n’ont en aucun cas le droit de prendre part à des activités commerciales. Ils n’ont en aucun cas le droit de recevoir des appels relativement à des activités commerciales sur une ligne d’affaires ou sur leur propre ligne.

 

Il est interdit aux sous-traitants, aux stylistes et aux assistants de discuter de problèmes personnels avec les clients ou de leur donner des renseignements personnels.

 

Il est strictement interdit de discuter de questions d’ordre religieux, politique ou racial dans les locaux de l’entreprise ou à proximité de ceux‑ci.

 

[10]   Par la suite, on retrouve des dispositions suivant lesquelles les travailleurs doivent nettoyer non seulement leur propre aire de travail, mais les locaux en général, y compris passer le balai et la vadrouille.

 

[11]   En plus des règles, il y avait de nombreux éléments de preuve concernant l’exercice d’un contrôle encore plus serré. Par exemple, les tâches étaient divisées, de sorte que, dans l’établissement, les travailleurs ne pouvaient pas s’occuper d’un client du début à la fin. Selon ce que j’appellerai cette division des tâches, un travailleur s’occupait de la coupe de cheveux et un autre, de la coloration. Il ressort de la preuve que l’intention, qui correspond à l’intention évidente exprimée dans les règles, était de faire en sorte que les coiffeurs et les clients ne nouent pas de liens personnels pour éviter qu’il ne s’établisse une loyauté envers les coiffeurs et que ceux‑ci soient adoptés par les clients, afin que l’appelante puisse bien évidemment s’approprier toute la clientèle et faire en sorte que les employés n’aient pas de clients fidèles qui pourraient les suivre s’ils quittaient l’établissement.

 

[12]   De plus, les prix étaient fixés par l’appelante, qui contrôlait l’argent, au point où M. Khader, pour le compte de l’appelante, changeait les prix qui étaient auparavant facturés aux clients qui étaient précédemment loyaux envers un coiffeur particulier. Non seulement le coiffeur et le client ne savaient pas quel montant serait facturé au client, mais la preuve révèle que les clients n’acceptaient pas que le prix soit augmenté. Il ressort aussi de la preuve qu’une telle chose s’est effectivement produite et que des clients ont changé de salon de coiffure et cessé de recourir aux services du coiffeur avec lequel ils avaient l’habitude de faire affaire.

 

[13]   Les règles, de même que la façon dont l’établissement était réellement exploité en ce qui concerne l’établissement des prix, la modification des prix fixés par les coiffeurs et les limites imposées quant aux sujets de conversation et à l’établissement de liens entre les coiffeurs et les clients, démontrent clairement qu’il existait un lien de subordination entre les neuf travailleurs et l’appelante, ainsi qu’un degré de contrôle extraordinaire, qui sont incompatibles avec le statut d’entrepreneur indépendant des travailleurs. Le facteur du contrôle donne à penser qu’au cours de la période en cause, les neuf travailleurs étaient des employés.

 

[14]   Le seul témoin de l’appelante, M. Khader, a témoigné que c’était les travailleurs qui avaient demandé les règles en procédant à un vote. À mon avis, cela est tout à fait invraisemblable, étant donné le caractère strict et restrictif des règles.

 

[15]   Le témoignage selon lequel il y avait un programme de primes de Noël ou de parts sociales offert aux travailleurs que M. Khader a présenté à l’appui de son allégation que les travailleurs étaient des associés de l’appelante est également invraisemblable. Il ressort très clairement de la preuve que la totalité des parts de l’appelante appartient au fils de M. et Mme Khader. On ne peut pas promettre des parts qui sont contrôlées par une personne qui n’est pas partie à l’opération.

 

[16]   Quoi qu’il en soit, cela était une fausse promesse, parce qu’aucun des documents qui se trouvent dans la pièce 1, onglet 5, n’a donné lieu à la remise de parts à un employé ou d’argent au lieu des parts.

 

[17]   Ce sont ces deux exemples, ainsi que de nombreux autres cas où je n’étais pas certain de la fiabilité de M. Khader en tant que témoin, qui m’ont amené à conclure que la preuve présentée par les témoins de l’appelante était préférable.

 

[18]   Encore une fois, le critère du contrôle donne à penser que les travailleurs étaient des employés.

 

[19]   En ce qui concerne les instruments de travail, selon l’arrêt bien connu de la Cour d’appel fédérale Precision Gutters c. Ministre du Revenu national, [2002] ACF no 771 (« Precision Gutters »), qui a été mentionné par l’avocat de l’intimée, si les instruments de travail appartenaient au travailleur et qu’il était raisonnable que ceux-ci lui appartiennent, cela donne à penser qu’il est un entrepreneur indépendant, même si l’employeur présumé fournit des outils spéciaux pour l’entreprise en cause.

 

[20]   Il ressort de la preuve que les coiffeurs possédaient tous les instruments de travail habituels dont un coiffeur a besoin, qu’ils les avaient achetés alors qu’ils suivaient leurs études pour devenir coiffeurs, et qu’ils les avaient apportés chez l’appelante. Il s’agissait entre autres de tondeuses à cheveux, de séchoirs à cheveux et de ciseaux.

 

[21]   Bien que le payeur ait fourni les locaux, les chaises, les lavabos, ainsi que tout le matériel de coloration et les autres produits pour les cheveux, la preuve donne à penser que la situation des travailleurs concordait parfaitement avec celle des travailleurs dont il était question dans l’arrêt Precision Gutters.

 

[22]   Par souci d’équité envers l’appelante, je souligne que j’ai constaté dans la preuve que l’appelante avait déduit de la rémunération de tous les coiffeurs 10 p. 100 des revenus qu’ils généraient ou bien, dans un cas, la somme de 85 $, et dans l’autre, la somme de 75 $, suivant un présumé programme de location avec option d’achat dans le cadre duquel ces coiffeurs travaillaient en vue de devenir ce que l’on appelle des locataires de chaise.

 

[23]   S’il avait été établi dans la preuve qu’il s’agissait de ce qui avait été convenu, alors le paiement de la chaise et les coûts indirects de l’entreprise, y compris le loyer et l’électricité, pourraient être une dépense inhérente à la relation de travail que ces neuf coiffeurs entretenaient avec l’appelante et pourraient constituer un risque de perte. Cependant, la preuve n’est pas vraiment venue étayer une telle chose. Marilu Dymond a présenté un témoignage très clair, convaincant et crédible selon lequel elle n’avait jamais approuvé cette façon de faire. En fait, lorsque sa demande de financement n’avait pas été approuvée, M. Khader avait promis de déduire de ses impôts les 75 $ hebdomadaires qu’elle payait ou de les lui rembourser, mais il ne l’a jamais fait et il a gardé les 75 $ qu’elle a payés chaque semaine pendant quatre à cinq mois.

 

[24]   J’ai mentionné qu’il y avait aussi une somme de 85 $; il s’agissait de la somme que payait Mme Magyari.

 

[25]   Il est vrai que les travailleurs ont tous signé les contrats de location de chaise de coiffeur à court terme, qui se trouvent à l’onglet 4 de la pièce R‑1, mais ils ont tous témoigné qu’il n’y avait pas d’intention commune à cet égard. Les travailleurs n’avaient pas l’intention de louer la chaise de coiffeur. Il s’agissait d’une condition d’embauche; ils devaient signer ces contrats s’ils voulaient travailler dans l’établissement. Je n’ai donc pas accordé beaucoup d’importance aux documents figurant à l’onglet 4, surtout compte tenu des nombreux témoignages que j’ai entendus quant au fait que l’intention des travailleurs était plutôt le contraire.

 

[26]   J’examinerai maintenant la possibilité de profit.

 

[27]   M. Khader a insisté plus d’une fois pour dire que Rita Duvenny avait un numéro de taxe sur les produits et services (« TPS ») et que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») le lui avait dit. Bien entendu, comme je l’ai dit à M. Khader, il s’agit de ouï‑dire et je ne peux pas en accepter la véracité sur une telle base. Cependant, il ne fait aucun doute que d’autres travailleurs avaient non seulement un numéro, mais facturaient la TPS à l’appelante. On me demande sans doute de conclure que quiconque facture la TPS exploite nécessairement une entreprise pour son propre compte et a la possibilité de réaliser des profits.

 

[28]   Cependant, à mon avis, le simple fait d’avoir un numéro de TPS n’a aucune valeur probante. Tout comme la Cour d’appel fédérale l’a dit dans l’arrêt Wolf c. Ministre du Revenu national, [2002] CF 396, l’impression de cartes professionnelles ne tranche pas la question.

 

[29]   De même, on me dit souvent que, si une personne a enregistré un nom commercial, elle exploite une entreprise pour son propre compte. Il est manifeste qu’on ne peut pas éviter l’application du critère à quatre volets établi dans l’arrêt Wiebe Door en faisant tout simplement enregistrer un nom commercial.

 

[30]   En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la situation de ces travailleurs correspondait davantage à celle de travailleurs occupant un emploi à commission qu’à celle de travailleurs occupant un emploi dans un centre commercial moyennant un salaire, je souscris à ce que l’avocat du ministre a dit lorsqu’il a cité la décision du juge Bowie, soit que les vendeurs à commission ne sont pas tous automatiquement des entrepreneurs indépendants. Dans une série de décisions rendues par le juge Bowman, tel était alors son titre, ce dernier a conclu, compte tenu des faits dont il était saisi, que certains vendeurs à commission étaient des entrepreneurs indépendants et que d’autres ne l’étaient pas.

 

[31]   Le témoignage de Marilu Dunn était très clair, de même que celui de Mme Duvenny. Toute allégation selon laquelle les travailleurs occupaient un emploi à commission était fantaisiste parce qu’ils ne pouvaient le faire que s’ils atteignaient un seuil financier qui était si élevé qu’il en était déraisonnable, et personne ne l’avait jamais atteint.

 

[32]   La seule exception est Agnes Magyari, qui a clairement été rémunérée au moyen d’une commission correspondant à 50 p. 100 des revenus qu’elle générait. Cependant, comme je l’ai dit, cela ne permet pas nécessairement de trancher la question de savoir si elle était une entrepreneure indépendante. Elle aurait pu être une employée qui travaillait à commission.

 

[33]   La réponse varie en fonction de bien des choses, principalement la question de savoir si elle était vraiment une entrepreneure indépendante ou si elle était en fait une subordonnée de l’appelante, et la question de savoir si elle pouvait réaliser un profit grâce à une saine gestion.

 

[34]   L’expression « réaliser un profit grâce à une saine gestion » n’est pas de mon propre cru. On la retrouve dans de nombreuses décisions, et il s’agit à mon avis d’un élément pertinent et concis à examiner pour essayer de voir s’il y a une possibilité de profit suivant l’arrêt Wiebe Door. D’après ce que j’ai pu constater, elle a été énoncée pour la première fois par le juge Cooke dans l’arrêt Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 ALL E.R. 732, où le juge a dit ce qui suit :

 

[traduction]

[…] jusqu’à quel point il peut tirer profit d’une gestion saine dans l’accomplissement de sa tâche.

 

Cette expression a été reprise par le juge Major au paragraphe 44 de l’arrêt Sagaz, précité. Elle est citée dans l’arrêt Precision Gutters, précité, de même que par le juge MacGuigan, dans l’arrêt Wiebe Door, précité.

 

[35]   J’ai dit qu’il y a deux facteurs importants que j’ai examinés concernant le statut de la seule personne, Agnes Magyari, qui travaillait clairement à commission. Ces facteurs sont la question de savoir si elle était vraiment indépendante, soit une entrepreneure indépendante, ainsi que la question de savoir si elle pouvait réaliser un profit grâce à une saine gestion. Je n’ai pas l’intention d’en dire plus au sujet de son indépendance, étant donné que j’ai déjà conclu que tous les travailleurs faisaient l’objet d’un degré de contrôle si extraordinaire qu’ils avaient un lien de subordination avec l’appelante, ce qui n’est pas compatible avec le fait qu’ils puissent avoir été des entrepreneurs de quelque type que ce soit.

 

[36]   En ce qui concerne la capacité des travailleurs de réaliser un profit grâce à une saine gestion, il ressort très clairement de la preuve qu’elle était inexistante, en raison des mesures prises par l’appelante pour anéantir toute possibilité pour les coiffeurs de nouer des liens personnels avec les clients et de faire en sorte que ces derniers deviennent loyaux envers eux. Cela s’est fait de différentes façons, et je les ai probablement déjà toutes évoquées. Il y avait la division des tâches. Personne ne s’occupait des cheveux d’un client du début à la fin, car les tâches étaient divisées. C’était principalement Mme Khader qui disait aux travailleurs quoi faire et comment le faire, et qui décidait quelle partie d’une tâche en particulier devait être exécutée. Il y a des éléments de preuve solides démontrant que la coloration devait être faite Mme Shirley Khader; que l’appelante conservait dans un ordinateur le dossier de coloration d’un client donné pour son propre usage et pour la coloration ultérieure des cheveux de ce client.

 

[37]   Les travailleurs n’avaient pas le droit de parler aux clients. Ils ne pouvaient pas utiliser de téléphone.

 

[38]   Il me semble que de nombreuses mesures ont été prises par l’appelante pour s’approprier quiconque franchissait la porte de l’établissement, que ces personnes aient été précédemment loyales envers l’un des coiffeurs ou non.

 

[39]   Dans de telles circonstances, je ne vois pas comment les travailleurs, y compris Agnes Magyari, auraient pu réaliser un profit grâce à une saine gestion. Ils n’auraient rien pu faire pour augmenter leurs profits.

 

[40]   Cela étant dit, l’observation que je viens de formuler est un peu générale, étant donné que des éléments de preuve ont été présentés précédemment au cours de l’instruction quant au fait que James Mansur avait ses propres brochures et que, dans les faits, il avait annoncé un prix très bas, si j’ai bien compris, pour un certain service de coiffure – mais je ne sais pas exactement lequel. Le service particulier correspondant à ce prix n’est pas pertinent en l’espèce. Mis à part cet élément de preuve très mineur au sujet de la façon dont un coiffeur aurait pu aller chercher un client, la preuve de tous les autres témoins quant à l’impossibilité de réaliser des profits est si écrasante que force m’est de conclure que la relation entre les coiffeurs et l’appelante ne comportait aucune possibilité de profit.

 

[41]   Ensuite, il y a le risque de perte. Il est clair que les travailleurs n’avaient pas à supporter de dépenses dans la relation de travail qu’ils entretenaient avec l’appelante. D’après ce que j’ai compris, les petits instruments de travail qu’ils possédaient avaient été achetés précédemment, et les seules dépenses qu’ils devaient supporter avaient trait à l’aiguisage des instruments qui devaient être aiguisés.

 

[42]   En ce qui concerne ce programme de location avec option d’achat, qui se traduisait par la déduction de 10 p. 100 des revenus générés dans certains cas, de 85 $ dans un cas et de 75 $ dans un autre, comme je l’ai déjà mentionné, il ressort de la preuve que, dans le cas de Mme Dymond, la somme de 75 $ n’a pas cessé d’être déduite suivant un programme de location avec option d’achat lorsque la demande qu’elle avait présentée pour obtenir le financement nécessaire n’a pas été acceptée. On lui a promis de lui remettre les sommes déduites. En ce qui concerne Agnes Magyari, selon son témoignage, la somme de 85 $ a été déduite de sa rémunération pour neuf semaines, puis une somme équivalant à 10 p. 100 des revenus qu’elle avait générés a été déduite le reste du temps.

 

[43]   La preuve ne m’a pas convaincu que les parties avaient conclu un véritable contrat de location avec option d’achat qui régissait la relation de travail entre les parties dans les faits. Cela tient au fait qu’aucun témoin n’a affirmé avoir approuvé la déduction. On avait promis à Mme Dymond que les sommes déduites seraient appliquées en réduction de ses impôts ou qu’elles lui seraient remboursées. Agnes Magyari, qui compte 40 ans d’expérience dans le domaine, a été catégorique : 3 000 $ pour une chaise était une somme exorbitante, et elle avait seulement signé le contrat de location à court terme de la chaise de coiffeur parce qu’elle avait besoin de travailler. Pour les autres cas, je conclus que, même si une somme équivalant à 10 p. 100 des ventes était déduite de la rémunération des travailleurs, c’est ce qu’on appelle des frais variables par opposition à des frais fixes. Autrement dit, les 10 p. 100 n’étaient exigibles que si les autres 90 p. 100 étaient gagnés. Dans de telles circonstances, il n’est pas possible que les 10 p. 100 constituent un risque de perte.

 

[44]   Au risque de me répéter, les deux exceptions sont Mme Dymond, pour laquelle une somme de 75 $ était déduite pour chaque période de 45 heures de travail, et Mme Magyari, pour laquelle la somme déduite avait tout d’abord été de 85 $, puis avait diminué et était devenue une somme équivalant à 10 p. 100 des ventes après neuf semaines. Dans le premier cas, comme je l’ai déjà dit, on avait promis à Mme Dymond de lui rembourser les sommes déduites ou de les appliquer en réduction de ses impôts, et cela ne constituait donc pas un risque de perte. À mon avis, le changement apporté quant aux sommes déduites de la rémunération de Mme Magyari (pour passer d’une somme de 85 $ à une somme équivalant à 10 p. 100) signifie qu’en fin de compte, cette dépense s’est elle aussi avérée être un coût variable ne pouvant pas constituer un risque de perte.

 

[45]   Il est bien établi en droit que cet examen du critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Wiebe Door ne sert qu’à comprendre la relation globale que les parties entretenaient entre elles. À mon avis, le facteur du contrôle l’emporte sur les autres facteurs, et il est à ce point compatible avec l’existence d’un lien de subordination et à ce point incompatible avec l’existence d’une relation d’entrepreneur indépendant qu’il est très clair que ces personnes n’étaient pas des entrepreneurs indépendants mais des employés au cours de la période en cause. Les quatre critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door vont dans le même sens, à savoir que la relation entre les parties était une relation employeur‑employé.

 

[46]   En l’espèce, il incombe à l’appelante de réfuter les hypothèses que le ministre a formulées dans sa réponse à l’avis d’appel. Au cours de la présentation de la preuve, j’ai passé en revue chacune des nombreuses hypothèses formulées, et l’appelante n’a réussi à en réfuter aucune. L’appelante a fourni des précisions au sujet de deux d’entre elles, la première étant l’hypothèse i), à savoir que les travailleurs étaient rémunérés selon un taux horaire au moyen de chèques émis à leur nom personnel. Il ressort de la preuve que cela n’était pas vrai en ce qui concerne Agnes Magyari. L’autre hypothèse est l’alinéa w), à savoir que les travailleurs ne faisaient pas de publicité pour leurs services. J’ai déjà dit que James Mansur l’avait fait.

 

[47]   En droit, même si l’appelante réussit à réfuter certaines des hypothèses du ministre – et je fais référence à l’arrêt Jencan Limited, [1997] CF n876, rendu par la Cour d’appel fédérale – si le reste des hypothèses suffisent à étayer la détermination du ministre, celle‑ci doit être maintenue, ce qui, à mon avis, est le cas en l’espèce.

 

[48]   J’ai entendu les témoins de l’appelante et du ministre, qui témoignaient pour la première fois sous serment, et je n’ai pu constater aucun nouvel élément de preuve ni rien indiquant que la preuve examinée par le ministre avait été mal comprise ou mal interprétée. Je conclus que ces neuf travailleurs n’exploitaient pas une entreprise pour leur propre compte et que la conclusion et la décision du ministre étaient objectivement raisonnables.

 

[49]   Par conséquent, l’appel interjeté par l’appelante en vertu du Régime de pensions du Canada, ainsi que celui interjeté en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi, seront rejetés, et la décision du ministre sera confirmée.

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 28e jour de janvier 2010.

 

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de février 2014.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


 

RÉFÉRENCE :                                 2010 CCI 26

 

NOS DES DOSSIERS DE

LA COUR :                                       2007-3918(EI)

                                                          2007-3919(CPP)

 

INTITULÉ :                                      1546617 Ontario Ltd. s/n Toperms

                                                          c. Sa Majesté la Reine et Nooreen Bhanji

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

DATE DU JUGEMENT

RENDU ORALEMENT :                 Le 25 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Mike Khader

Avocat de l’intimée :

Me Ian Theil

Pour l’intervenante :

Personne n’a comparu

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                    

 

                          Cabinet :                

 

       Pour l’intimée :                          John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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