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Dossier : 2008-1146(IT)I

ENTRE :

ALEXANDER MACINTYRE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 21 octobre 2009, à Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Gerard Tompkins

Avocat de l’intimée :

Me Jan Jensen

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») à l’égard des années d’imposition 2002 et 2003 sont rejetés.

 

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi pour l’année d’imposition 2004 est accueilli, et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en partant du principe que l’appelant a droit aux déductions demandées au titre de dépenses d’entreprise pour cette année d’imposition.

 

La Cour ordonne que le droit de dépôt de 100 $ payé par l’appelant lui soit remboursé.


 

Signé à Victoria (Colombie‑Britannique), ce 20e jour de janvier 2010.

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mai 2010.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 27

Date : 20100120

Dossier : 2008-1146(IT)I

ENTRE :

ALEXANDER MACINTYRE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     En 2002, en 2003 et en 2004, l’appelant était employé à titre de pilote de navire auprès de l’Administration de pilotage de l’Atlantique (l’« APA »). Selon son horaire de travail, l’appelant travaillait une semaine sur deux (les « semaines avec travail prévu ») au port d’Halifax et recevait un salaire fixe. Il pouvait aussi choisir d’accepter une affectation de services de pilotage pendant les semaines où il n’avait pas de travail prévu à son horaire (les « semaines sans travail prévu »). Pour ce type de services, il recevait un pourcentage des droits que l’APA réclamait aux navires demandant des services de pilotage.

 

[2]     Pendant les années d’imposition en cause, l’appelant a travaillé tant pendant les semaines avec travail prévu que pendant les semaines sans travail prévu. Pour ces années‑là, il a déclaré le salaire gagné lors des semaines avec travail prévu comme revenu d’emploi. Il a cependant traité le salaire gagné dans le cadre d’affectations prises lors des semaines sans travail prévu comme un revenu d’entreprise en partant du principe que ce travail était effectué pour l’APA à titre d’entrepreneur indépendant.

 

[3]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi des nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant en tenant pour acquis que pendant toute la période en cause, l’appelant travaillait à titre d’employé de l’APA. Le ministre a donc inclus le salaire gagné par l’appelant lors des semaines sans travail prévu dans les revenus d’emploi de ce dernier et a refusé les déductions demandées pour toutes ces années au titre de dépenses d’entreprises.

 

[4]     Afin de bien comprendre la nature du travail exercé par l’appelant, on doit tenir compte de la Loi sur le pilotage[1], du Règlement sur le tarif de l’Administration de pilotage de l’Atlantique, 1996[2], et de la convention collective[3] conclue entre le syndicat des pilotes, la Guilde de la marine marchande du Canada (la « Guilde ») et l’APA.

 

[5]     La Loi sur le pilotage prévoit la constitution[4] des administrations de pilotage et établit les pouvoirs de celles‑ci à l’échelle du pays. L’administration de pilotage pour la région de l’Atlantique est l’APA et elle détient les pouvoirs en matière de certification[5] et de discipline[6] des pilotes.

 

[6]     L’APA a aussi le pouvoir de désigner par règlement[7] une zone côtière de l’Atlantique comme « zone de pilotage obligatoire », dans laquelle les navires sont tenus d’avoir un pilote, ou comme « zone de pilotage non obligatoire », dans laquelle ils ne sont pas tenus d’avoir un pilote. En l’espèce, le port d’Halifax est désigné comme zone de pilotage obligatoire. Le port de Sheet, où se trouvaient la plupart des affectations qu’acceptait l’appelant pendant ses semaines sans travail prévu, est une zone de pilotage non obligatoire.

 

[7]     Enfin, selon la Loi sur le pilotage, l’APA est tenue, avec l’approbation du gouverneur en conseil, de fixer une formule pour le calcul des tarifs des divers droits de pilotage qu’on doit lui verser, y compris les dépenses des pilotes et l’utilisation de l’équipement de l’APA, comme un bateau-pilote.

 

[8]     À titre d’employé de l’APA, l’appelant était tenu d’être membre de la Guilde. Pour chacune des années en cause, l’APA et la Guilde avaient suivi une convention collective selon laquelle l’APA reconnaissait la Guilde comme agent de négociation unique de ses pilotes[8] et lui donnait le droit de retenir à chaque mois des cotisations de membre et d’autres droits sur la paie des pilotes.

 

[9]     La convention collective est un document détaillé qui traite d’une grande gamme de questions touchant le travail d’un pilote auprès de l’APA, y compris les congés, la sécurité d’emploi, la rémunération, les pensions, le tableau de service, le règlement de différends ainsi que le pilotage à l’extérieur des zones de pilotage obligatoire. Les dispositions de la convention qui s’appliquent en l’espèce sont ainsi rédigées :

 

[traduction]

 

Article 2.01

 

f)          « Directeur » désigne le directeur des opérations de [l’APA] ou son représentant;

[…]

 

i)                    « Pilote » désigne toute personne détenant un permis de pilote et étant employée par [l’APA] pour accomplir des fonctions de même […].

[…]

 

Article 8.01      Le directeur a autorité sur les pilotes […] et, à ce titre, peut donner des ordres afin d’assurer l’application efficace des dispositions de la présente convention.

 

[10]    Le directeur doit, entre autres, établir le tableau de service[9] des pilotes, avec l’accord du comité régional des pilotes[10]. Selon l’article 26.04, la pratique habituelle veut que le directeur attribue les affectations aux pilotes selon l’ordre dans lequel leurs noms figurent sur le tableau. Selon l’article 26.03, un pilote dont le nom figure sur le tableau de service doit tenir le directeur au courant du lieu où il se trouve. L’article 27 établit les exigences précises sur le moment où on peut désigner un pilote à une affection dans une zone de pilotage obligatoire, les lieux où on peut l’affecter, et la période de temps pendant laquelle il sera en service.

 

[11]    Pour revenir à l’article 8 de la convention collective, il établit aussi le moment où une affectation de pilotage est considérée comme étant terminée et exige que les pilotes avisent l’APA lorsqu’ils terminent une affectation, peu importe si l’affectation s’est tenue pendant une semaine avec travail prévu ou bien pendant une semaine sans travail prévu.

 

[traduction]

 

Article 8.04      Un pilote peut mettre fin à une affectation qu’il a entreprise dès qu’il a enfin arrimé ou amarré en toute sécurité le navire à sa destination prévue, ou le plus près possible de sa destination prévue, en toute sécurité.  

 

Article 8.04a)   Dès que possible, après qu’il a terminé l’affectation, le pilote doit s’efforcer d’aviser le répartiteur de [l’APA] de sa situation.

 

Article 8.05      Lorsqu’un pilote obtient l’autorisation de s’absenter lors de sa période d’affectation pour fournir des services dans une zone de pilotage non obligatoire, il doit aviser [l’APA], avec le formulaire prescrit, lorsqu’il a terminé l’affectation et indiquer la période pendant laquelle il était absent du tableau de service.  

 

[12]    L’article 20.01 confère à l’APA un pouvoir discrétionnaire général sur la capacité d’un pilote à accepter des affectations en plus de ses tâches à accomplir lors des semaines avec travail prévu :

 

[traduction]

 

Article 20.01    Aucun pilote ne peut exercer un emploi ou prendre un engagement qui, selon le [premier dirigeant de l’APA[11]], viendra nuire à ses fonctions normales à titre de pilote.

 

[13]    L’article 28 est d’un intérêt particulier en l’espèce. Il porte le titre [traduction] « Pilotage hors des zones normales de pilotage obligatoire » :

 

 

 

[traduction]

 

Article 28.01

 

a)                     Les pilotes qui acceptent des affectations à l’extérieur de leur zone normale de pilotage obligatoire le font à titre d’employés de l’[APA].

 

b)                     Les parties conviennent de se réunir afin d’établir ensemble un tableau de pilotes se portant volontaires pour prendre de telles affectations de pilotage.

 

c)                     Les pilotes qui acceptent de telles affectations recevront des frais équivalents à quatre-vingt-cinq pour cent (85 %) du total des droits de pilotage, en sus des droits relatifs au bateau, des frais de déplacement et des droits de rappel.

 

[14]    L’article 30 s’intitule [traduction] « Rémunération » et établit le détail de la rémunération des pilotes y compris, en annexe, leur salaire annuel en fonction de l’ancienneté et de la zone de pilotage obligatoire à laquelle ils sont affectés.

 

[15]    Maintenant, pour ce qui est des faits en l’espèce, étant donné que le port d’Halifax est désigné comme une zone de pilotage obligatoire, un navire se trouvant dans ces eaux est tenu par la loi d’avoir un pilote à bord. Dans un tel cas, le propriétaire du navire ou bien, plus souvent, l’agent du navire fait une demande auprès de l’APA afin de retenir les services d’un pilote. À ce moment‑là, l’APA attribue l’affectation à un pilote figurant au tableau de service du port d’Halifax. Une fois qu’il a terminé son affectation, le pilote est tenu de remplir le formulaire[12] qui lui est fourni par l’APA dans lequel il doit indiquer, entre autres, l’information nécessaire au calcul du tarif. Le formulaire doit être signé par le pilote et par le capitaine du navire avant d’être envoyé à l’APA. De son côté, l’APA facture l’agent du navire et est chargée de recouvrer le montant facturé.

 

[16]    Pendant les années en cause, l’appelant acceptait des affectations pendant ses semaines sans travail prévu dans des zones de pilotage non obligatoire, la plupart du temps au port de Sheet, en Nouvelle‑Écosse. Même si un navire qui se trouve dans une zone de pilotage non obligatoire n’est pas tenu par la loi d’avoir un pilote à bord, si on décide d’en avoir un, les services fournis par le pilote sont en tous points semblables aux services fournis par un pilote dans une zone de pilotage obligatoire. Dans le même ordre d’idées, la marche à suivre pour obtenir les services d’un pilote dans un zone de pilotage non obligatoire est essentiellement la même que la marche à suivre pour obtenir les services d’un pilote dans une zone de pilotage obligatoire. La seule différence se trouve dans la façon dont l’appelant était mis au courant de l’affectation et dans la nature de la rémunération.

 

[17]    En ce qui a trait au travail effectué dans une zone de pilotage non obligatoire, en règle générale, l’agent du navire communiquait directement avec l’appelant pour lui offrir une affectation plutôt que de passer par l’APA. Il en était ainsi non pas parce qu’il existait une marche à suivre distincte pour les zones de pilotage non obligatoire, mais parce que l’appelant était bien connu des gens sur le terrain et jouissait d’une excellente réputation à titre de pilote d’expérience. Il était simplement plus commode de communiquer directement avec lui. L’APA ne s’opposait pas à cette façon de faire.

 

[18]    Pour ce qui est de la rémunération de l’appelant, au lieu de recevoir un salaire fixe, en application de la convention collective, l’appelant recevait un pourcentage des droits de pilotage facturés à l’agent du navire. Tout comme c’était le cas pour le travail effectué par l’appelant au port d’Halifax, l’APA était chargée de la facturation pour les services rendus par l’appelant dans les zones de pilotage non obligatoire, mais elle ne payait pas l’appelant avant d’avoir recouvré le montant de l’agent du navire. De mémoire, l’appelant a affirmé ne jamais avoir eu de problème à se faire payer pour son travail. Selon lui, ceci était principalement dû au fait que l’APA et lui traitaient avec des agents de bonne réputation.  

 

[19]    En sa qualité de pilote, l’appelant n’était pas tenu de travailler dans les bureaux de l’APA. Lorsqu’on lui attribuait une affectation, soit au port d’Halifax, soit dans une zone de pilotage non obligatoire, il partait de sa résidence pour se rendre directement au point d’embarquement du navire.

 

[20]    Pendant les années d’imposition en cause, l’appelant avait un bureau à domicile et a demandé des déductions d’entreprise dans ses déclarations de revenu à cet égard. En plus des meubles et de l’équipement qu’on trouve habituellement dans un bureau, le bureau de l’appelant comprenait des revues et des documents sur la profession ainsi que des cartes spécialisées pour le pilotage. L’APA n’exigeait pas de l’appelant qu’il ait un bureau à domicile et a même refusé de lui fournir un formulaire T-2200 signé qui lui aurait permis de déduire, à titre d’employé, certaines dépenses engagées pour son bureau à domicile.


Analyse

 

[21]    Pour trancher la question de savoir si l’appelant était un employé ou un entrepreneur indépendant lorsqu’il travaillait pendant ses semaines sans travail prévu, il faut tenir compte du critère à quatre volets établi dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. The Minister of National Revenue[13] et appliqué dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[14] :

 

[47]      Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante.  La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.  Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

[48]      Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer.  Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[22]    La Cour peut aussi tenir compte du degré auquel le travailleur s’est intégré à l’entreprise du payeur ainsi que de l’intention des parties[15].

 

[23]    L’appelant soutient que pendant ses semaines sans travail prévu, il travaillait auprès de l’APA à titre d’entrepreneur indépendant. Les éléments à l’appui de ce point de vue sont analysés séparément ci‑dessous.

 


Contrôle et instruments de travail

 

[24]    L’avocat de l’appelant soutient que les facteurs du contrôle et de la propriété des instruments de travail ne pèsent pas très lourd dans la balance pour ce qui est de trancher la question de savoir si l’appelant était un employé ou un entrepreneur indépendant. Selon lui, la nature même du travail de pilote de navire ne cadre pas avec l’imposition d’un contrôle de la part d’une entité de supervision. Dans le même ordre d’idées, le principal « instrument de travail » du pilote est son expertise et son expérience.

 

[25]    Comme l’avocat de l’appelant, je suis d’avis que le volet concernant les instruments de travail n’aide pas vraiment à établir le statut de l’appelant. Je ne conviens cependant pas qu’il en est de même pour le volet concernant le contrôle. Même si j’accepte qu’aucun représentant de l’APA ne supervisait l’appelant dans l’exécution de ses fonctions de pilotage, je ne suis pas convaincue que l’APA n’exerçait aucun contrôle ou n’avait pas le droit d’exercer un contrôle[16] sur l’appelant dans l’exécution de ses fonctions de pilotage.

 

[26]    Si on examine le libellé de la Loi sur le pilotage et de la convention collective précitée, on constate que l’APA avait des pouvoirs tant généraux que précis sur la capacité de l’appelant de travailler comme pilote ainsi que sur la façon dont il devait accomplir ses tâches à ce titre. Étant donné qu’il n’est pas nécessaire que la personne agissant à titre de pilote dans une zone de pilotage non obligatoire détienne une certification, cet aspect des pouvoirs généraux de l’APA ne s’applique pas, en l’espèce. Toutefois, comme l’appelant était bel et bien un pilote certifié, il était donc, en principe, assujetti aux pouvoirs de discipline de l’APA, peu importe la zone dans laquelle il travaillait.

 

[27]    Quant à la convention collective, l’article 8.01 conférait à l’APA un pouvoir général visant à assurer que les pilotes se conforment aux dispositions de ladite convention qui, à l’article 28, incluaient précisément le travail dans les zones de pilotage non obligatoire. L’article 20 de la convention collective est un autre exemple du contrôle qu’avait l’APA sur l’appelant. En effet, cet article dispose que l’APA avait le pouvoir discrétionnaire d’interdire à un pilote d’[traduction] « exercer un emploi ou [de] prendre un engagement » qui viendrait [traduction] « nuire à ses fonctions normales à titre de pilote ». La portée de ces dispositions est assez large pour entraver la capacité de l’appelant à accepter des affectations dans des zones de pilotage non obligatoire en fonction de l’article 28. Qui plus est, selon la convention collective, l’appelant était tenu d’aviser l’APA lorsqu’il terminait une affectation dans une zone de pilotage non obligatoire et il dépendait de l’APA pour ce qui est du paiement des droits pour son travail. Il revenait en effet à l’APA, en application de la Loi sur le pilotage, d’établir les tarifs. Tout bien considéré, les éléments de preuve concernant le volet du contrôle font pencher la balance en faveur du statut d’employé.

 

Intégration, possibilité de profit, risque de perte et intention des parties

 

[28]    Dans ses observations, l’avocat de l’appelant a traité les trois éléments précités comme un tout. En se fondant sur l’analyse effectuée par l’ancien juge en chef Bowman dans la décision Lang c. Ministre du Revenu national[17], selon laquelle le volet de l’intégration « n’entr[ait] plus en ligne de compte à toutes fins utiles »[18],  l’avocat de l’appelant soutient que par rapport à la possibilité de profit de l’appelant, le degré d’intégration de celui‑ci aux activités de l’APA ne pesait pas très lourd dans la balance. L’appelant avait le droit absolu d’accepter ou non une affectation pendant ses semaines sans travail prévu. Plus il acceptait de travail, plus le revenu qu’il gagnait augmentait. L’avocat soutien qu’à défaut d’avoir préséance, le volet de l’intention des parties devrait être considéré comment un facteur clé pour ce qui est d’établir quel était le statut de l’appelant lorsqu’il travaillait dans des zones de pilotage non obligatoire pendant ses semaines sans travail prévu. À ce sujet, l’avocat de l’appelant a demandé avec insistance à la Cour de ne pas tenir compte du libellé de l’article 28 de la convention collective, qui, selon lui, [traduction] « porte à confusion », et de plutôt tenir compte du témoignage de l’appelant et de celui du représentant de l’APA, M. MacArthur, selon lesquels l’intention des parties était que le travail effectué par l’appelant pendant les semaines sans travail prévu ne soit pas considéré comme étant fait dans le cadre de l’emploi de l’appelant auprès de l’APA.

 

[29]    Je dois avouer que les observations de l’avocat de l’appelant sont loin de me convaincre. Tout d’abord, je n’arrive pas à voir la logique dans son affirmation voulant qu’étant donné que l’appelant était libre d’accepter des affectations dans des zones de pilotage non obligatoire, je ne devrais pas accorder trop d’importance au degré auquel ce dernier était intégré à l’APA. De plus, je ne suis pas du même avis que l’avocat, qui semble être convaincu que le glas du critère du degré d’intégration a enfin sonné. Même si, dans plusieurs cas, il s’agit d’un élément qui peut être difficile à appliquer, en l’espèce, je conclus sans hésitation que le travail effectué par l’appelant dans les zones de pilotage non obligatoire découlait directement de son emploi auprès de l’APA.

 

[30]    L’élément de preuve le plus convaincant à cet effet se trouve dans la convention collective conclue entre l’APA et la Guilde, où un pilote est, par définition, un [traduction] « employé ». Dans le document en question, les parties traitent de tous les aspects de l’emploi d’un pilote, y compris les situations où celui‑ci choisit d’accepter des affectations dans des zones de pilotage non obligatoire. L’alinéa 28.01a) prévoit précisément que les pilotes accomplissent ce travail [traduction] « à titre d’employés de l’[APA] ». Tout comme c’est le cas pour l’avocat de l’intimée, je ne trouve absolument rien d’ambigu dans ce libellé. L’objectif de cette disposition est de dissiper tout doute possible quant au statut d’employé d’un pilote lorsque celui‑ci travaille à une affectation pour laquelle il s’est porté volontaire dans une zone de pilotage non obligatoire. Une telle disposition peut s’avérer importante, par exemple, quand vient le temps de garantir le droit d’un pilote à des avantages sociaux comme le congé pour accident du travail prévu à l’article 12. En fonction de l’alinéa 28.01b), l’APA est tenue, comme c’est aussi le cas pour les affectations dans les zones de pilotage obligatoire en fonction de l’article 26, de tenir et de gérer un tableau des pilotes se portant volontaires pour prendre des affectations de l’APA dans des zones de pilotage non obligatoire. Enfin, l’alinéa 28.01c) traite de la façon dont les pilotes sont rémunérés pour leur travail effectué [traduction] « à l’extérieur de leur zone normale de pilotage obligatoire ».

 

[31]    Étant donné la nature détaillée de la convention collective, dans son ensemble, et de l’article 28 en particulier, il est impossible de ne pas tenir compte du fait que la possibilité qui s’offrait à l’appelant de gagner un surplus de revenus pendant ses semaines sans travail prévu était bien ancrée dans son contrat d’emploi. Il n’a pas gagné ces revenus dans le cadre de services de pilotage à la pige qu’il aurait lui‑même établis et qu’il aurait offerts à des agents individuels dans des eaux non réglementées (et dont, comme le prétend l’appelant, certains pêcheurs de la région se seraient prévalu). Il a plutôt gagné ces revenus en se prévalant simplement des droits lui étant conférés par le contrat d’emploi conclu avec son employeur.

 

[32]    J’examine maintenant les volets jumeaux de la possibilité de profit et du risque de perte. Il n’est pas contesté que l’appelant augmentait ses revenus lorsqu’il acceptait des affectations pendant ses semaines sans travail prévu. Bien que la liberté d’accepter ou de refuser du travail peut être synonyme d’une possibilité de profit, en l’espèce, la liberté de choix de l’appelant émanait de son contrat d’emploi, soit de l’article 28.01 de la convention collective, où le travail effectué dans une zone de pilotage non obligatoire est décrit comme étant de nature volontaire. Il est également clair dans la jurisprudence que le seul fait d’avoir la possibilité d’accepter plus de travail ne suffit pas pour qu’on puisse conclure qu’il existait une possibilité de réaliser un profit[19]. Les profits doivent être gagnés à la suite d’efforts déployés par le contribuable pour générer un revenu d’une entreprise qu’il exploite pour son propre compte. À ce moment‑là, le contribuable court aussi le risque de subir des pertes. À ce sujet, l’appelant a été assez franc dans son témoignage et a affirmé qu’il ne courrait pas un très grand risque de ne pas être rémunéré pour son travail dans les zones de pilotage non obligatoire. C’est d’ailleurs le caractère fiable de ce type de rémunération qui rendait le tout si attrayant. Dans ses observations finales au nom de l’appelant, l’avocat a lui‑même fait valoir ce qui suit :

 

          [traduction]

 

[…] [l’appelant] ne subissait aucune répercussion s’il décidait de ne pas accepter davantage de travail, mais il était certainement motivé par le fait qu’il ne courrait aucun risque. Il savait qu’il serait payé s’il s’était levé à quatre heures pour se rendre au port de Sheet au beau milieu d’une tempête de neige. Il savait qu’il aurait son argent[20].

 

[33]    L’[traduction] « argent » qu’il a gagné, en fin de compte, provenait d’activités qui tiennent davantage d’heures supplémentaires travaillées volontairement selon un contrat d’emploi[21] que de l’exploitation d’une entreprise non liée à l’APA. Bien que l’appelant n’était pas tenu d’accepter du travail pendant ses semaines sans travail prévu, lorsqu’il le faisait, l’APA était tenue de recouvrer le tarif applicable (que l’APA avait l’obligation d’origine législative de fixer, ne l’oublions pas) auprès de l’agent du navire et d’en verser à l’appelant un pourcentage pour ces services. L’appelant n’avait qu’à faire part de sa disponibilité, et l’argent suivait.  

 

[34]    Dans ces circonstances, je suis convaincue non seulement que la convention collective avait comme effet d’intégrer complètement les services de pilotage fournis par l’appelant pendant ses semaines sans travail prévu aux activités de l’APA, mais aussi qu’elle éliminait tout élément de profit ou de perte relatif à ces services.

 

[35]    Il reste donc à examiner la question de l’intention des parties. Bien que M. MacArthur et l’appelant aient été tous deux des témoins entièrement crédibles, leurs témoignages concernant l’intention des parties ne sont pas, pris à eux seuls, décisifs. Lorsqu’on examine la question de l’intention, on doit tenir compte de tous les éléments de preuve. En l’espèce, la convention collective est l’élément de preuve le plus important. Les faits de l’espèce sont très différents de ceux qu’on trouve dans des cas plus typiques dans lesquels le témoignage des parties concernant leur compréhension de leur relation de travail peut être le meilleur indicateur de leurs intentions, surtout dans les situations, par exemple, où il n’existe pas d’entente écrite ou bien dans les situations où il existe bel et bien une entente écrite, mais où, pour une raison ou une autre, le libellé de celle‑ci ne traduit pas la véritable nature de la relation. En l’espèce, il existait une entente écrite qui avait été rédigée par des parties bien informées qui, on peut le présumer, ont pu bénéficier de représentation légale.

 

[36]    La convention collective est fondée sur l’existence d’une relation employeur‑employé entre l’APA et ses pilotes. À première vue, il est clair qu’il s’agit d’un contrat de travail qui traite de tous les aspects des droits et des obligations de chaque partie relativement au travail de l’appelant, y compris le travail effectué pendant les semaines sans travail prévu dans des zones de pilotage non obligatoire. Étant donné les circonstances, je ne suis pas convaincue qu’il serait bien indiqué d’aller au‑delà des paramètres établis dans la convention collective pour établir quelles étaient les intentions des parties.

 

[37]    Même si cette conclusion s’avérait erronée, les témoignages de l’appelant et de M. MacArthur ne peuvent pas supplanter le libellé clair et limpide de la convention collective. Le fait que l’appelant a traité les revenus qu’il a gagnés pour du travail effectué pendant ses semaines sans travail prévu comme des revenus d’entreprise et que l’APA ne s’est pas opposée à cette façon de faire ne suffit pas pour qualifier leur relation comme étant régie par un contrat de services. Selon les deux témoins, l’APA n’avait fait aucune retenue pour l’assurance‑emploi ou le Régime de pensions du Canada sur les revenus gagnés par l’appelant pendant ses semaines sans travail prévu, mais il en était ainsi pour la simple raison que le montant maximal de cotisation avait déjà été retenu sur le salaire gagné par l’appelant pendant ses semaines avec travail prévu. Cela n’était pas le résultat d’une entente, explicite ou implicite, selon laquelle l’appelant aurait travaillé à titre d’entrepreneur indépendant. Même si l’avocat de l’appelant a soutenu que l’article 28 était ambigu, aucun des témoins n’a remis en question la validité de cette disposition ou même de la convention collective dans son ensemble. En effet, la description qu’ils ont faite des pratiques normalement adoptées par l’appelant et l’APA à l’égard des zones de pilotage obligatoire et des zones de pilotage non obligatoire était le reflet exact des droits et des obligations énoncés dans la convention collective. Enfin, il ne faut pas oublier que la convention collective ne s’appliquait pas seulement à l’appelant, mais aussi aux autres pilotes employés auprès de l’APA. L’intention des parties doit donc être examinée dans ce contexte plus général.

 

[38]    Tout bien pesé, l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver qu’il exploitait sa propre entreprise à titre d’entrepreneur indépendant lorsqu’il fournissait des services de pilotage dans des zones de pilotage non obligatoire pendant ses semaines sans travail prévu. Par conséquent, les appels interjetés à l’égard des années d’imposition 2002 et 2003 sont rejetés.

 


[39]    En ce qui a trait à l’année d’imposition 2004, lors de l’audience, l’avocat de l’intimée a avisé la Cour que lorsqu’il a établi la nouvelle cotisation pour cette année d’imposition, le ministre a refusé par erreur la déduction de certaines dépenses d’entreprise demandée par l’appelant. Comme il est indiqué à l’alinéa 6m) de la réponse à l’avis d’appel, le ministre avait supposé que l’appelant exploitait une autre entreprise, en 2004, qui n’était pas liée à l’APA. Par conséquent, l’avocat de l’intimée a concédé le fait que le ministre aurait dû admettre la déduction de ces dépenses, comme l’avait demandé l’appelant, pour cette année d’imposition. En partant de ce principe seulement, l’appel interjeté à l’égard de l’année d’imposition 2004 est accueilli, et la question est déférée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation.

 

          Signé à Victoria (Colombie‑Britannique), ce 20e jour de janvier 2010.

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mai 2010.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 27

 

N° DE DOSSIER :                             2008-1146(IT)I

 

INTITULÉ :                                       ALEXANDER MACINTYRE ET

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE  

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 21 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 20 janvier 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Gerard Tompkins

Avocat de l’intimée :

Me Jan Jensen

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Gerard Tompkins

 

                         Cabinet :                   Patterson Law

                                                          Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] S.C. 1970-71-72, ch. 52, dans sa version modifiée.

 

[2] DORS/95-586, le 27 août 2009.

 

[3] Pièce R-1, onglets 1 et 2.

 

[4] Article 3.

 

[5] Articles 22 à 32.

 

[6] Articles 18 à 21.

 

[7] Règlement sur le tarif de l’Administration de pilotage de l’Atlantique, 1996, article 2.

 

[8] Article 1.01.

 

[9] Article 26.01.

 

[10] Article 9.01.

 

[11] Article 2.

 

[12] Règlement sur le tarif de l’Administration de pilotage de l’Atlantique, 1996, article 28.

[13] 87 DTC 5025.

 

[14] [2001] 2 R.C.S. 983.

 

[15] Lawrence Wolf c. Sa Majesté la Reine, 2002 CAF 96, 2002 DTC 6853; The Royal Winnipeg Ballet c. Le ministre du Revenu national, [2006] A.C.F. n° 339, (C.A.F.); City Water International Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), 2006 CAF 350, [2006] A.C.F. n° 1653; Kilbride c. Canada, 2008 CAF 335, [2008] A.C.F. n° 1524.

 

[16] Baptist v. Her Majesty the Queen, [2000] 2 C.T.C 2829, (C.C.I.), au paragraphe 20; confirmée dans [2001] 4 C.T.C. 168, (C.A.F.).

 

[17] 2007 CCI 547, 2007 DTC 1754. (C.C.I.).

 

[18] Précité, paragraphe 34.

[19] City Water International Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), 2006 CAF 350, au paragraphe 24. (C.A.F.)

 

[20] Transcription, page 117, lignes 15-21, inclusivement.

 

[21] Comme dans la décision Baptist, précitée.

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