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Dossier : 2006­1747(IT)G

 

ENTRE :

 

MAN KIT TERRENCE CHAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 19 octobre 2009, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Nathan J. Whitling

 

Avocate de l’intimée :

Me Marta E. Burns

M. Hadley Friedland (stagiaire)

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1999 est rejeté, les dépens étant adjugés à l’intimée.

 

 

        Signé à Toronto (Ontario), ce 7e jour de janvier 2010.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour d’avril 2010.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

Référence : 2010 CCI 3

Date : 20100107

Dossier : 2006­1747(IT)G

ENTRE :

 

MAN KIT TERRENCE CHAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

 

[1]     Man Kit Terrence Chan interjette appel d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[2]                 Pour l’année d’imposition 1999, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a ajouté un montant de 200 000 $ au revenu de l’appelant en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle ce montant constituait un bénéfice tiré de la participation de l’appelant aux activités d’une organisation se livrant au trafic de cocaïne. Une pénalité de 50 p. 100 a également été imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

[3]     L’appelant affirme que la cotisation est erronée, et ce, pour les motifs suivants :

 

a)          la cotisation n’a pas été établie en temps opportun et elle est donc invalide conformément au paragraphe 152(4) de la Loi;

 

b)                subsidiairement, le paragraphe 152(4) empêche l’établissement de la cotisation parce qu’il n’y a pas eu présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou par suite d’une fraude dans la production de la déclaration de revenu ou dans la fourniture de renseignements sous le régime de la Loi;

 

c)                 l’appelant a droit à une déduction à l’égard de la perte de bénéfice qu’il a subie par suite de la saisie;

 

d)                l’appelant a droit à une déduction à l’égard des honoraires d’avocat qu’il a payés dans le cadre d’une poursuite criminelle connexe;

 

e)                 la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) devrait être annulée parce que l’omission de déclarer le revenu n’a pas été faite sciemment et ne constitue pas une faute lourde.

 

L’historique

 

[4]     Des éléments de preuve restreints ont été mis à ma disposition. Le seul témoin était un agent de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), qui a témoigné pour le compte de l’intimée.

 

[5]     Quant à l’historique, j’ai reproduit certaines déclarations de fait figurant dans l’avis d’appel. Ces déclarations ne sont pas contestées :

 

          [traduction]

 

            [...]

 

2.                  Vers le 24 septembre 1999, environ 35 personnes, dont l’appelant, ont été arrêtées dans le cadre d’une opération conjointe massive du Service de police d’Edmonton et de la Gendarmerie royale du Canada, appelée le « projet Kachou ». Ce jour‑là, les agents de police ont également saisi un certain nombre de documents dans l’appartement de l’appelant, dont l’un indiquait l’existence d’un coffre au nom de l’appelant, dans une succursale de la Banque Royale du Canada.

 

3.                  Le 28 septembre 1999, la police a procédé à la saisie et à la fouille du coffre en vertu d’un mandat de perquisition et a constaté que le coffre contenait deux cents billets de 1 000 $, soit 200 000 $ en espèces (les « fonds »).

 

            [...]

 

5.                  L’appelant a produit sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 1999 le 27 juin 2000. […]

 

            [...]

 

8.                  L’avis de cotisation de l’appelant pour l’année d’imposition 1999 a été mis à la poste le 24 juillet 2000. […]

 

9.                  Le 24 juillet 2003, le délai de prescription de trois ans prévu au paragraphe 152(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu aux fins de la délivrance d’un avis de nouvelle cotisation a expiré. [...]

 

10.              Près de deux ans après l’expiration du délai de prescription applicable, l’appelant s’est vu signifier un avis de nouvelle cotisation daté du 14 juillet 2005. […]

 

            [...]

 

12.              L’appelant et la plupart des autres personnes qui ont été arrêtées le 28 septembre 1999 ont par la suite été accusés de diverses infractions criminelles, notamment de complot en vue du trafic de cocaïne et de participation aux activités d’une organisation criminelle.

 

13.       Certains autres membres de la présumée organisation criminelle ont également été accusés d’infractions se rapportant à la possession du produit de la criminalité. L’appelant n’a pas été accusé de cette infraction.

 

[...]

 

17.              Par suite de diverses ordonnances et ordonnances rendues sur consentement par le juge M. Binder et par la juge D. Sulyma, la Couronne s’est vue obligée de payer les honoraires d’avocat de l’appelant en tout état de cause.

 

18.              Par suite d’un sursis judiciaire accordé par la juge D. Sulyma le 30 avril 2002, l’appelant a été acquitté de toutes les accusations auxquelles il faisait face.

 

19.              Les poursuites criminelles engagées contre les autres personnes qui ont été arrêtées dans le cadre du projet Kachou ont également échoué par suite du retrait des accusations, de sursis accordés par la Couronne et de sursis judiciaires.

 

[6]     Les déclarations énoncées aux paragraphes 17 et 18 ci‑dessus ne sont pas entièrement compatibles avec la preuve. Dans la mesure où la chose est pertinente quant à la conclusion que je tire, il en sera question ci‑dessous.

 

La cotisation est‑elle invalide en raison du retard?

 

[7]     L’avis de cotisation qui est en litige est daté du 14 juillet 2005, soit près de deux ans après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

 

[8]     L’appelant soutient que le ministre aurait dû délivrer l’avis de cotisation beaucoup plus tôt, lorsqu’il a initialement été mis au courant de l’affaire. Cela se serait produit en 1999 lorsque les fonds ont été saisis, ou en 2001 lorsque, par suite d’une ordonnance judiciaire, l’appelant a été autorisé à utiliser une partie ou la totalité des fonds saisis en vue de payer ses honoraires d’avocat.

 

[9]     L’ARC était sans aucun doute au courant de ces événements étant donné que l’agent de l’ARC qui avait établi la cotisation, Terry Willisko, avait été détaché auprès de la GRC en 1998 et participait au projet Kachou.

 

[10]    Selon le témoignage de M. Willisko, lorsque ces événements se sont produits, il a attendu la fin des poursuites criminelles engagées contre les personnes qui avaient été accusées dans le cadre du projet Kachou avant d’envisager d’établir une cotisation. M. Willisko a témoigné que la chose était conforme à la politique de l’ARC compte tenu des différences existant, en ce qui concerne les pouvoirs d’enquête, entre les poursuites civiles et les poursuites criminelles.

 

[11]    L’appelant fait valoir qu’une cotisation est invalide si elle n’est pas établie en temps opportun conformément au paragraphe 152(4). Je ne souscris pas à cette prétention.  

 

[12]    Les dispositions législatives pertinentes, soit les paragraphes 152(1) et (4), prévoient notamment ce qui suit :

 

            (1) Cotisation.  Le ministre, avec diligence, examine la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables et détermine :

          a)  le montant du remboursement éventuel auquel il a droit en vertu des articles 129, 131, 132 ou 133 pour l’année; […]

 

            (4) Cotisation et nouvelle cotisation. Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

            a)  le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

               (i)  soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

 […]

 

[13]    Le paragraphe 152(4) prévoit qu’une cotisation ne peut pas être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation à moins que le contribuable n’ait fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire.

 

[14]    Selon la position prise par l’appelant, le paragraphe 152(4) doit être considéré comme s’il contenait une exigence quant au délai. L’appelant mentionne par analogie l’exigence relative à la diligence figurant au paragraphe 152(1). Si je comprends bien, l’appelant ne soutient pas que le paragraphe 152(1) s’applique en l’espèce. Il affirme plutôt que le paragraphe 152(4) doit être considéré comme s’il contenait une exigence similaire de diligence.

 

[15]    À mon avis, il ne serait pas approprié de considérer le paragraphe 152(4) comme contenant un délai de prescription à l’égard de l’établissement d’une cotisation. Si le législateur avait voulu fixer un délai, il en aurait expressément fait mention. Au contraire, la version anglaise du paragraphe 152(4) prévoit qu’une cotisation peut être établie en tout temps (« at any time »).

 

[16]    À mon avis, le paragraphe 152(4) vise clairement à permettre au ministre d’établir une cotisation en tout temps s’il y a eu présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire. Cela peut sembler oppressif, mais telle semble clairement être l’intention du législateur.

 

[17]    Je tiens à mentionner que le paragraphe 152(4) n’est pas le seul cas dans lequel le ministre dispose d’un délai illimité pour établir une cotisation. Un autre exemple figure à l’article 160 ; à cet égard, la Cour suprême du Canada a examiné le caractère oppressif d’un délai de cotisation illimité dans l’arrêt La Reine et al. c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, 2007 DTC 5365, pages 9 et 10.

 

La présentation erronée des faits a‑t‑elle été faite par négligence, inattention ou omission volontaire?

 

[18]    L’appelant affirme que la cotisation a néanmoins été établie en dehors du délai prévu au paragraphe 152(4) parce que l’omission d’indiquer un bénéfice de 200 000 $ dans sa déclaration de revenu n’était pas attribuable à la négligence, à l’inattention ou à une omission volontaire.

 

[19]    Cette prétention est fondée sur le fait que les fonds [traduction] « avaient été saisis par la Couronne à la connaissance de l’ARC et avec sa participation » (Observations écrites de l’appelant, paragraphe 30).

 

[20]    Cette observation semble comporter deux volets. En premier lieu, l’appelant semble soutenir que le fait d’omettre de déclarer un bénéfice qui a fait l’objet d’une saisie ne constitue pas de l’inattention. En second lieu, l’appelant affirme qu’il n’y a pas eu présentation erronée des faits si l’ARC était au courant de l’existence du bénéfice.

 

[21]    J’examinerai d’abord le second volet. Je ne puis voir comment le fait que l’ARC était au courant de la situation serait pertinent pour ce qui est de l’application du paragraphe 152(4). Une présentation erronée des faits a été faite lorsque l’appelant a omis d’indiquer ce montant à titre de revenu dans sa déclaration de revenu.

 

[22]    Dans le Canadian Oxford Dictionary (édition de 2001), le mot « misrepresentation » (présentation erronée des faits) est défini ainsi :

 

[traduction]

 

Présenter d’une façon erronée; donner une idée ou un compte rendu faux ou trompeur.

 

[23]    L’omission d’inclure ce montant dans la déclaration de revenu constituait clairement un faux compte rendu du revenu de l’appelant. Le fait que l’ARC était au courant du revenu ne justifie pas la présentation erronée des faits.

 

[24]    L’appelant soutient également qu’il n’y a pas eu inattention ou négligence, puisque les fonds avaient été saisis avant la production de la déclaration de revenu.

 

[25]    La saisie, qui a eu lieu le 28 septembre 1999, a été effectuée plusieurs mois avant que la déclaration de revenu pertinente soit produite, le 27 juin 2000.

 

[26]    Cela ne constitue pas une justification suffisante de l’omission de déclarer le revenu. Les circonstances de l’affaire donnent à penser que l’appelant a fait preuve d’un aveuglement volontaire à l’égard de son obligation en matière de déclaration fiscale pour ce qui est de ce bénéfice.

 

[27]    Jusqu’à assez récemment, l’appelant a soutenu que les fonds ne lui appartenaient pas. C’est ce qu’indique le rapport de vérification de l’ARC (pièce R‑1), préparé au mois de juin 2005. Sous le titre [traduction] « Déclarations du client », l’auteur du rapport déclare ce qui suit :

 

[traduction]

 

Me WHITLING [l’avocat de l’appelant] a envoyé par télécopieur, le 11 janvier 2005, à l’attention des vérificateurs, une lettre dans laquelle il demandait la communication de tous les documents que la Couronne avait en sa possession au sujet de la participation de M. Chan, en ce qui concerne le projet Kachou de la GRC. Il affirmait en outre que M. CHAN n’avait pas le contrôle ni la propriété effective du montant de 200 000 $ en espèces et que M. CHAN aurait pu faire l’objet de représailles de la part d’autres membres de la présumée organisation criminelle s’il avait utilisé l’argent afin de payer son impôt sur le revenu.

 

[28]    Une position similaire est implicitement prise dans l’avis d’appel, où la déclaration de fait suivante est faite par l’appelant :

 

[traduction]

 

Selon la propre thèse de la Couronne à l’égard de la poursuite, les fonds « appartenaient » en fait aux chefs de l’organisation et étaient sous le contrôle de ceux‑ci. L’appelant n’avait en pratique ni le droit ni la capacité de dépenser les fonds à son profit ni d’utiliser une partie de ces fonds afin de payer son impôt sur le revenu.

 

[29]    La déclaration précitée figurant dans l’avis d’appel, qui a été déposée par l’avocat de l’appelant, semble être rédigée d’une façon minutieuse. Elle donne simplement à penser que l’appelant n’a pas la propriété effective du montant de 200 000 $, sans toutefois aller jusqu’à énoncer la chose en tant que fait. Cela n’est pas surprenant puisque l’appelant avait antérieurement témoigné, dans une autre instance judiciaire, que l’argent lui appartenait de fait.

 

[30]    Ce témoignage antérieur avait été présenté dans une instance engagée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en 2001, dans le cadre d’une demande que l’appelant avait présentée en vue d’obtenir l’accès aux fonds saisis afin de payer ses frais d’avocat. Voici un passage de la transcription de ce témoignage :

 

[traduction]

 

Q. Monsieur, vous affirmez avoir un droit sur les fonds qui ont été saisis dans le coffre, n’est‑ce pas?

 

R. En effet.

 

Q. Ces fonds vous appartiennent?

 

R. Oui.

 

[…]

 

Q. Monsieur, à votre connaissance, une autre personne, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’une société, a‑t‑elle un droit sur les 200 000 $ qui ont été saisis dans votre coffre?

 

L’INTERPRÈTE : Non. Ces fonds n’appartiennent qu’à moi.

 

[31]    Il est utile de noter que l’intimée n’a pas eu accès à ce témoignage tant qu’une ordonnance de mise sous scellés n’a pas été levée par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta à la suite d’une demande qu’elle avait présentée. L’ordonnance a été rendue par le juge Binder le 11 septembre 2007 (Canada v. Chan,

2007 ABQB 554), et un appel de cette décision a été rejeté pour des motifs de compétence le 3 octobre 2008 (R. v. Chan, 2008 ABCA 330).

 

[32]    Après la communication de la transcription, l’appelant n’a plus nié que les fonds lui appartenaient.

 

[33]    En outre, lors d’un interrogatoire préalable de l’appelant qui a eu lieu le 29 janvier 2009, les propos suivants ont été échangés (transcription, page 2) :

 

         


[traduction]

 

Q. Et aux fins du dossier, vous ne contestez pas que les 200 000 $ constituaient un revenu imposable pour l’année 1999?

 

R. En effet.

 

Q. Et que ce revenu constituait un bénéfice?

 

R. Pardon?

 

Q. Ce revenu constituait un bénéfice?

 

Me WHITLING : C’est exact.

 

[34]    Dans ce contexte, il est tout à fait clair que l’appelant n’avait pas l’intention d’admettre que les fonds étaient les siens tant que l’intimée n’a pas eu accès au témoignage présenté dans le cadre de l’instance antérieure.

         

[35]    Je conclus que l’omission de déclarer ce montant dans une déclaration de revenu constitue un aveuglement volontaire.

 

La saisie donne‑t‑elle lieu à une déduction?

 

[36]    L’appelant soutient en outre que la saisie des fonds lui donne droit à une déduction dans le calcul de son revenu.

 

[37]    L’appelant a mentionné un certain nombre de décisions judiciaires. Ces décisions n’éliminent pas la possibilité que la confiscation du produit de la criminalité puisse donner lieu à une déduction, mais elles n’étayent pas non plus la position prise par l’appelant, à savoir qu’il peut se prévaloir d’une déduction.

 

[38]    L’intimée a mentionné trois décisions de la présente cour dans lesquelles était refusée une déduction dans le cas de la confiscation du produit de la criminalité : Neeb v. The Queen, 97 DTC 895 (C.C.I.); Brizzi c. La Reine, 2007 CCI 226, 2007 DTC 896 (confirmée en appel pour d’autres motifs); Anjaria c. La Reine, 2007 CCI 746, 2008 DTC 2306. Les deux dernières décisions ont été entendues sous le régime de la procédure informelle.

 

[39]    Dans la décision Neeb, le juge Bowman (tel était alors son titre) a énoncé le principe applicable, dans une remarque incidente (page 902) :

 

              La saisie de l’argent. Indépendamment des considérations d’ordre public, il existe toutefois un autre motif permettant de rejeter la déduction. Il s’agit simplement d’une disposition de revenu, quoique involontaire, après qu’il a été gagné. Le principe est bien établi : Mersey Docks and Harbour Board v. Lucas, (1883) 8 App. Cas. 891, suivi dans Fourth Conservancy Board v. IRC, [1931] A.C. 540 et dans Woodward’s Pension Society v. M.N.R., 59 D.T.C. 1253, à la p. 1261, conf. dans 62 D.T.C. 1002, à la p. 1004.

 

 

[40]    Eu égard aux faits de l’affaire, il n’est pas nécessaire d’examiner les décisions citées par l’avocate de l’intimée.

 

[41]    Le principal problème que pose la position prise par l’appelant est que l’appelant n’a jamais cessé d’avoir la propriété effective des fonds saisis. Contrairement à ce qui était le cas dans les affaires susmentionnées, les fonds saisis en l’espèce n’ont jamais été confisqués et n’ont pas donné lieu à une dépense qui peut faire l’objet d’une déduction.

 

[42]    La différence entre une saisie et une confiscation a été notée dans la décision Toth v. The Queen, 2004 DTC 2192. Dans cette affaire‑là, une déduction avait été demandée à l’égard de la saisie de fonds gagnés dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise illégale. Au paragraphe 15, la juge Lamarre Proulx a fait les remarques suivantes :

 

            Mon troisième commentaire est que le montant a été confisqué en 2003. C’est au cours de cette année que la déduction devrait faire l’objet d’un traitement fiscal approprié et que l’on devrait déterminer si le contribuable a le droit de déduire le montant confisqué.

 

[43]    Les fonds saisis de l’appelant n’ont jamais été confisqués en faveur de la Couronne. En 2001, l’appelant a présenté une demande qui a été accueillie par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en vue de faire débloquer les fonds, de façon à être en mesure de payer ses frais d’avocat. En outre, en 2002, les poursuites criminelles ont été retirées, mettant fin à tout droit de la Couronne de demander la confiscation.

 

[44]    Dans ces conditions, les fonds n’ont jamais cessé d’appartenir à l’appelant. Une saisie en soi ne donne pas lieu à une déduction parce qu’il ne s’agit pas d’une dépense.

 

[45]    Enfin, j’aimerais faire certaines brèves remarques au sujet de la déclaration figurant dans l’avis d’appel, selon laquelle la Couronne était tenue de payer les frais d’avocat de l’appelant. Si je comprends bien, aucune ordonnance n’a été rendue en vue d’obliger la Couronne à payer les frais d’avocat de l’appelant. L’appelant pouvait accéder aux fonds saisis, de façon à pouvoir payer ses propres frais d’avocat.

 

Les frais d’avocat sont‑ils déductibles?

 

[46]    L’appelant affirme avoir droit à une déduction à l’égard des honoraires qu’il a versés à son avocat en 1999.

 

[47]    Aucun élément de preuve digne de foi ne montre à combien s’élevaient ces frais d’avocat et à quels moments ils ont été engagés[1]. L’argument de l’appelant semble donner à penser que des frais d’avocat d’au moins 200 000 $ ont été engagés en 1999. En l’absence de contestation de la part de l’intimée, dans les actes de procédure du moins, je ne fonderai pas ma conclusion sur l’omission d’établir à combien s’élevaient les frais d’avocat et à quel moment ils ont été engagés.

 

[48]    Quant à la question de savoir si de tels frais sont déductibles, une question similaire a été examinée dans la décision Neeb. Dans une situation de fait similaire, l’ancien juge en chef Bowman a conclu que les frais d’avocat n’étaient pas déductibles (paragraphe 35) :

 

Il serait possible de soutenir que les frais d’avocat qu’une personne engage en vue de se défendre constituent un incident nécessaire dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise illégale, mais je préfère fonder ma décision sur un motif différent. M. Neeb s’est défendu contre les accusations relatives au trafic de stupéfiants, non parce qu’il avait l’intention d’exploiter une entreprise illégale de trafic de stupéfiants mais parce qu’il ne voulait pas aller en prison ou du moins voulait éviter d’aller en prison plus longtemps que nécessaire. Il ne défendait pas son entreprise ou ses pratiques commerciales.

 

[49]    Je souscris à cette approche et je conclus qu’il est approprié d’appliquer ici le même raisonnement. J’aimerais également faire remarquer que l’appelant a témoigné ce qui suit lors de son interrogatoire préalable (pièce R‑11, page 14) :

 

[traduction]

 

Q.        Vous rappelez-vous pourquoi vous vouliez avoir recours à un avocat?

 

R.         Je voulais un avocat afin de protéger mes intérêts.

 

Q.        Afin de protéger vos intérêts?

 

R.         Oui.

 

Q.        Vous craigniez d’aller en prison plus longtemps que nécessaire ou vous ne vouliez tout simplement pas aller en prison?

 

R.         C’est exact.

 

[50]    Au cours de l’argumentation, l’avocat de l’appelant a soutenu que les frais qu’une personne engage afin d’éviter d’aller en prison constituent des frais professionnels parce qu’ils lui permettent de gagner un revenu additionnel. Il n’existe aucun fondement factuel suffisant à l’appui de cet argument, mais même s’il y en avait un, je considérerais l’élément personnel des frais comme étant l’aspect dominant.

 

Les pénalités pour faute lourde sont-elles appropriées?

 

[51]    L’appelant n’a pas contesté les pénalités dans l’avis d’appel, mais l’intimée ne s’est pas opposée à ce que des observations soient soumises à l’audience à cet égard.

 

[52]    Selon l’avocat, il n’est pas approprié d’imposer des pénalités pour faute lourde parce que l’appelant ne cachait rien puisque la police avait déjà saisi les fonds au moment où la déclaration de revenu de 1999 a été produite.

 

[53]    Pour les motifs qui ont ci‑dessus été énoncés au sujet de l’application du paragraphe 152(4), je ne suis pas d’accord pour dire que l’appelant ne cachait rien au moment où la déclaration de revenu a été produite. L’appelant semble avoir nié que les 200 000 $ lui appartenaient jusqu’en 2008, lorsque l’intimée a pu obtenir une transcription du témoignage qu’il avait présenté dans le cadre de la demande qu’il avait déposée pour que les fonds saisis lui soient retournés, de façon à lui permettre de payer ses frais d’avocat.

 


Dispositif

 

[54]    Par conséquent, l’appel sera rejeté, les dépens étant adjugés à l’intimée.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 7e jour de janvier 2010.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour d’avril 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 3

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006­1747(IT)G

 

INTITULÉ :                                       MAN KIT TERRENCE CHAN

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 19 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable J.M. Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 janvier 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Nathan J. Whitling

 

Avocate de l’intimée :

Me Marta E. Burns

M. Hadley Friedland (stagiaire)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Me Nathan J. Whitling

 

                   Cabinet :                         Parlee McLaws LLP

                                                          Edmonton (Alberta)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1] Lors de l’interrogatoire préalable, l’appelant a déclaré croire que la totalité du montant saisi avait servi au paiement des honoraires d’avocat (pièce R‑11, page 14). Selon moi, cette déclaration n’est pas digne de foi.

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