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Dossier : 2009-114(GST)I

ENTRE :

LA BANQUE TORONTO-DOMINION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 10 septembre 2009, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

 

Me Éric Potvin

Avocat de l'intimée :

Me Michel Beauchamp

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie le 26 septembre 2008 en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise et dont l'avis porte le numéro PQ-2008-11711 est rejeté, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2009.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


 

 

 

Référence : 2009 CCI 522

Date : 20091110

Dossier : 2009-114(GST)I

ENTRE :

LA BANQUE TORONTO-DOMINION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              L'appelante interjette appel d'une cotisation établie à son égard le 26 septembre 2008 et fixant son obligation fiscale à 2 867,97 $. Cette nouvelle cotisation est fondée sur les faits suivants, à savoir:

 

a)     la Société 9161-3505 Québec inc. (ci-après 9161) ayant une dette de 12 014,93 $ envers l'intimée, le ministre du Revenu du Québec (le « Ministre »), par l'entremise d'un de ses fonctionnaires autorisés, a transmis à l'appelante le 11 décembre 2007 une demande formelle de paiement en vertu des paragraphes 317(1) et (3) de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi »);

b)    au moment où le Ministre a transmis la demande formelle de paiement à l'appelante, elle détenait une somme de 8 868,19 $ appartenant à 9161;

c)     le 24 décembre 2007, 9161 a déposé un avis d'intention de faire une proposition à ses créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la « LFI »);

d)    le 24 décembre 2007, le syndic à la proposition de 9161 a transmis à l'appelante, en vertu de la LFI, un avis de surseoir à la demande formelle de paiement;

e)     l'appelante ne s'est pas conformée à la demande formelle de paiement du 11 décembre 2007 au 24 décembre 2007 alors que le compte bancaire de 9161 affichait un solde positif de 8 868,19 $;

f)      le 9 avril 2008, le Ministre a établi un avis de cotisation à l'égard de l'appelante pour 6 000,22 $ en vertu de l'article 317 de la Loi et, le 22  avril 2008, l'appelante s'y est opposée;

g)     le ou vers le 21 octobre 2008, l'agent d'opposition a rejeté l'opposition mais a recommandé que la somme visée par la cotisation soit réduite à 2 867,97 $ en raison du fait que le montant de 6 000,22 $ exigé avait déjà été cotisé en vertu des articles 15.5 et 15.6 de la Loi sur le ministère du Revenu du Québec alors que le solde positif au compte bancaire n'était que de 8 868,19 $, ne laissant ainsi que 2 867,97 $ dans le compte;

h)     une nouvelle cotisation fut donc établie le 26 septembre 2008 et elle fait l'objet du présent appel.

 

[2]              Il s'agit donc de déterminer si l'appelante, dans les circonstances en l'espèce, était tenue de verser la somme en question à l'intimée en application du paragraphe 317(3) de la Loi. Avant de répondre à cette question, il faut traiter d'autres questions qui sous-tendent cette détermination. Ainsi, quand la somme en question devait-elle être versée? Quel est l'effet de la proposition de 9161 sur la somme réclamée et non versée au moment de la présentation de la proposition? Est-ce que la fiducie présumée dont bénéficiait l'intimée comprenait tout l'argent se trouvant dans le compte bancaire de 9161? Est-ce que l'avis écrit transmis à l'appelante équivaut à une exécution de la fiducie présumée et à la revendication d'un bien détenu pour le bénéfice de l'intimée? Y-a-t-il eu un transfert de propriété de cet argent à la suite de l'avis écrit et, si oui, est-ce que l'avis de surseoir annule le droit de propriété?

 

[3]              Le paragraphe 317(3) intitulé « saisie-arrêt » prévoit ce qui suit :

 

Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout texte législatif fédéral à l'exception de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, tout texte législatif provincial et toute règle de droit, si le ministre sait ou soupçonne qu'une personne est ou deviendra, dans les douze mois, débitrice d'une somme à un débiteur fiscal, ou à un créancier garanti qui, grâce à un droit en garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal, il peut, par avis écrit, obliger la personne à verser au receveur général tout ou partie de cette somme, immédiatement si la somme est alors payable, sinon dès qu'elle le devient, au titre du montant dont le débiteur fiscal est redevable selon la présente partie. Sur réception par la personne de l'avis, la somme qui y est indiquée comme devant être versée devient, malgré tout autre droit en garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté du chef du Canada, jusqu'à concurrence du montant dont le débiteur fiscal est ainsi redevable selon la cotisation du ministre, et doit être versée au receveur général par priorité sur tout autre droit en garantie au titre de cette somme.

 

Le paragraphe 317(7) prévoit ceci :

 

Toute personne qui ne se conforme pas à une exigence du paragraphe (1), (3) ou (6) est redevable à Sa Majesté du chef du Canada d'un montant égal à celui qu'elle était tenue de verser au receveur général en application d'un de ces paragraphes.

 

Le pouvoir de cotiser est prévu au paragraphe 317(9) qui dispose comme suit :

 

Cotisation — Le ministre peut établir une cotisation pour un montant qu'une personne doit payer au receveur général en vertu du présent article. Dès l'envoi de l'avis de cotisation, les articles 296 à 311 s'appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance.

 

[4]              Ces questions ont déjà été abordées par la présente Cour et la Cour d'appel fédérale, particulièrement dans la décision du juge Sarchuk dans Wa-Bowden Real Estate Reports Inc. c. la Reine, [1997] G.S.T. 49, confirmée par la Cour d'appel fédérale, [1998] A.C.F. no 641 et dans celle du juge Hershfield dans Absolute Bailiffs Inc. c. Canada, [2002] A.C.I. no 549, également confirmée par la Cour d'appel fédérale, [2003] A.C.F. no 1574.

 

[5]              Dans la décision Wa-Bowden, le juge Sarchuk était d'avis que le libellé des paragraphes pertinents n'était pas ambigu. Voici l'extrait pertinent :

 

Le libellé des paragraphes pertinents n'est pas ambigu. […] Le paragraphe 317(3) indique que, sur signification de l'ordre de payer à la partie recevant l'ordre (soit l'appelante, en l'espèce) qui est débitrice d'une somme au débiteur fiscal (Mid Canada), la somme devient la propriété de Sa Majesté du chef du Canada. Le paragraphe 317(3) précise en outre que l'application de cette disposition est assujettie à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la "Loi sur la faillite"). Cette disposition a été interprétée dans un certain nombre de cas comme signifiant que, lorsqu'une somme est, avant la date de la faillite, due immédiatement, cette somme est assujettie à l'application de la Loi, mais, lorsque l'ordre de payer est signifié après la date de la faillite ou lorsque la somme en cause n'était pas, avant la date de la faillite, due immédiatement, tout argent autrement payable dans ces deux derniers cas n'est pas disponible pour l'intimée.

 

[6]              Dans l'affaire Absolute Bailiffs, précitée, l'appel portait sur la question de savoir si le Ministre avait nommé la bonne partie dans son ordre de verser donné en vertu du paragraphe 317(3) de la Loi mais aussi sur la question de savoir qu'elle était l'incidence de la LFI, particulièrement le paragraphe 71(1) de la LFI, et du paragraphe 317(3) de la Loi, lorsqu'une faillite a lieu après qu'un ordre de verser a été donné en vertu du paragraphe 317(3). Aux paragraphes 14 et 15 de sa décision, le juge Hershfield tire la conclusion suivante :

 

[…] de sorte que l'ordre de verser était déjà en vigueur lorsque la somme, qui devient la propriété de Sa Majesté si le paragraphe 317(3) s'applique par ailleurs, était détenue par l'appelante. Cette propriété (qui existe si le paragraphe 317(3) s'applique par ailleurs) fait que le syndic ne peut toucher à la somme lorsque l'ordre de verser précède la faillite.

 

Par conséquent, aux fins de la Loi, je suis convaincu que l'article 317 s'applique malgré la faillite. Tel étant le cas, l'ordre de verser qui a été signifié à l'appelant est la meilleure protection de l'État pour ce qui est d'assurer le paiement de fonds dont un débiteur fiscal est redevable. Revenu Canada s'est saisi d'une priorité prévue par le Parlement, […]

 

[7]              Les cours d'appel de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan, dans les arrêts Bank of Montreal and Attorney General of Canada, 66 O.R.(3d)161, In the matter of the bankruptcy of Canoe Cove Manufacturing Ltd., [1994] G.S.T.C. 36 et Encor Energy Corp. c. Slaferek's Oilfield Services (1983) Ltd., [1995] G.S.T.C. 54, respectivement, ont tiré les mêmes conclusions.

 

[8]              Dans l'arrêt Bank of Montreal, précité, la Cour devait déterminer si la faillite d'un débiteur fiscal avait une incidence sur le droit de l'Agence des douanes et du revenu de recevoir en vertu du paragraphe 317(3) de la Loi, un paiement qu'elle avait exigé avant la faillite du débiteur au profit de la Banque de Montréal. Selon la juge Weiler, le paragraphe 317(3) de la Loi, opère un transfert de propriété à la réception de l'avis. Voici ce qu'elle a dit au paragraphe 12 :

 

In essence s. 317(3) provides a form of garnishment enabling the federal government to intercept monies owed to tax debtors. Once a notice to pay is served, the funds acquired thereafter never become the property of the tax debtor.

 

[9]              La juge Weiler a aussi fait référence à l'argument que l'avocat de l'appelante a soulevé devant elle. Au paragraphe 14, elle dit:

 

The appellant submits that under s. 70(1) of the BIA a receiving order takes precedence over a garnishment that has not been completely executed by payment being made because s. 317(3) of the ETA is made subject to the BIA. Otherwise, the appellant submits the court would not be giving effect to the words, "other than the BIA". The words "Other than the BIA" have meaning apart from the interpretation suggested by the appellant. They mean that any GST payments that become due after a receiving order in Bankruptcy has been made no longer can be collected in priority to other creditors.

 

[10]Dans l'arrêt Canoe Cove Manufacturing, précité, le juge Thackray s'exprimait dans le même sens.

 

However, in my opinion the position of the Attorney General is correct in that the Excise Tax Act now provides for an explicit transfer of property from the "particular person" to the government upon receipt of a 'demand letter'. Therefore, the monies owing were no longer the property of the bankrupt at the time of the bankruptcy and are not subject to the Bankruptcy and Insolvency Act's scheme of distribution.

 

[11]En réponse à l'argument voulant que le paragraphe 317(3) de la Loi soit assujetti à la LFI, le juge ajoutait ceci :

 

The Trustee submitted that Parliament intended, by having the exclusion to the Bankruptcy and Insolvency Act in subsect. 317(3) of the Excise Tax Act, that the Excise Tax Act would not interfere with the distribution scheme found in the Bankruptcy and Insolvency Act upon the bankruptcy of a tax debtor. In my opinion subsect. 317(3) is specifically phrased so as to overcome the rights of a secured creditor and the distribution scheme of the Bankruptcy and Insolvency Act. The case law showed confusion over the exact nature of the government's interest under a 317(3) claim and the government clarified this by stating it was a transfer of property to the government upon receipt of a demand letter.

 

Finalement, sur la question voulant que cette disposition soit onéreuse pour les créanciers garantis, il ajoutait :

 

The Excise Tax Act legislation does seem harsh to the extent that it allows the government to usurp a secured creditor's security for a tax debtor's previously incurred tax liability. However, a debtor should not be allowed to conduct business yet remain immune from the normal incidents of the legal process, such as liability for the goods and services tax. To the extent Revenue Canada's claim is for goods and services tax incurred through ongoing business after the security agreement was in place, this legislation does not seem unjust. The bank, as a secured creditor, should not be entitled to any more than the tax debtor would have been entitled to had it not assigned its book debts.

 

[12]Ces mêmes propos sont également repris dans l'arrêt Encor Energy :

 

He was also of the view, and again we agree, that having regard for the operation of ss. 317(3) of the Act, the contract debt owing by Encor Energy Corporation Inc. to Slaferek's Oilfield Services (1983) Ltd. became the property of the Minister on the deemed receipt by Encor Energy of the Minister's letter of October 29, 1993. Having thus become the property of the Minister on that date, the contract debt ceased to be the property of either Slaferek's Oilfield Services or Canadian Imperial Bank of Commerce, and in the result the matter was unaffected by the later bankruptcy of Slaferek's.

 

[13]Cela revient donc à dire que, nonobstant le fait que le paragraphe 317(3) est assujetti à la LFI, si la demande faite à la débitrice d'un débiteur fiscal l'obligeant de verser une somme d'argent est signifiée avant la présentation d'un avis d'intention de faire une proposition à ses créanciers ou avant que le débiteur fiscal ne fasse faillite, la somme en question devient la propriété de Sa Majesté la Reine et elle ne fait plus partie du patrimoine du débiteur fiscal.

 

[14]L'argumentation de l'avocat de l'appelante s'appuie sur trois décisions qui contredisent les décisions précitées. Selon ces décisions, les sommes réclamées à un tiers en vertu du paragraphe 317(3) de la LTA avant la faillite du débiteur fiscal et qui étaient toujours impayées au moment de sa faillite, ne peuvent être remises en priorité à la Couronne. Selon ces décisions, le paragraphe en question prévoit qu'il s'applique malgré toutes les autres lois, sauf la LFI. Cela voudrait dire, selon ces tribunaux, que dès qu'il y a faillite, la LFI s'applique notamment aux sommes impayées qui ont été réclamées avant la faillite en vertu du paragraphe 317(3) de la LTA. En d'autres mots, selon ces décisions, le paragraphe 70(1) de la LFI donne priorité aux ordonnances de faillite et aux cessions sur toutes procédures contre les biens d'un failli qui ne sont pas réglées par un paiement avant la faillite ou la cession.

 

[15]Le paragraphe 70(1) de la LFI prévoit que:

 

Toute ordonnance de faillite rendue et toute cession faite en conformité avec la présente loi ont priorité sur toutes saisies, saisies-arrêts, certificats ayant l'effet de jugements, jugements, certificats de jugements, hypothèques légales résultant d'un jugement, procédures d'exécution ou autres procédures contre les biens d'un failli, sauf ceux qui ont été complètement réglés par paiement au créancier ou à son représentant, et sauf les droits d'un créancier garanti.

 

[16]Les trois décisions en question sont Giguère et le Ministre du Revenu du Québec c. Lloyd Woodfine et la Banque Nationale du Canada, [2001] R.J.Q. 2584, Forget et Druker & Associés Inc. c. Le sous-ministre du Revenu du Québec, [2003] J.Q. no 1026 et Sous-ministre du Revenu du Québec c. De Courval, [2009] R.J.Q. 597.

 

[17]Dans l'arrêt Giguère, un avis (tiers-saisie) avait été envoyé à une banque en vertu du paragraphe 15.3.1 de la Loi sur le ministère du Revenu (« LMR »). En vertu de ce paragraphe, qui est semblable au paragraphe 317(3) de la LTA, la somme que la banque devait verser à son créancier devenait la propriété de l'État et elle devait lui être remise au fisc en priorité sur toute autre sûreté donnée à l'égard de cette somme. Giguère a fait une cession de ses biens en vertu de la LFI avant que la banque ne donne suite à l'avis du ministre. La Cour d'appel du Québec devait donc décider si la somme détenue par la banque était devenue la propriété de l'État sur réception de l'avis ou si elle était demeurée dans le patrimoine du failli pour faire partie, après sa cession, de ses biens. La Cour a conclu que le droit de propriété accordé à la Couronne en vertu du paragraphe 15.3.1 de la LMR était une fiction juridique aux effets limités et que cette fiction ne faisait pas échec au paragraphe 70(1) de la LFI qui donne priorité aux ordonnances de faillite et aux cessions sur toutes procédures qui ne sont pas réglées par un paiement avant la faillite ou la cession.

 

[18]Dans la décision Forget, la Cour supérieure du Québec devait répondre à la même question que celle posée dans l'arrêt Giguère. Encore ici, un avis avait été envoyé en vertu de l'article 15.3.1 de la LMR du Québec, mais aussi en vertu du paragraphe 317(3) de la LTA. La Cour s'est appuyée sur l'arrêt Giguère pour décider qu'en l'absence d'un paiement intégral avant la date de la faillite, la saisie-arrêt cesse d'avoir effet et n'est pas opposable au syndic. La Cour a affirmé que, si le législateur avait décidé d'accorder un certain privilège à Revenu Canada, il n'aurait pas rédigé le paragraphe 317(3) de la LTA en créant une exception à l'effet que la LFI devait trouver application.

 

[19]Finalement, la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt Québec (Sous-ministre du Revenu) c. De Courval, précité, s'est à nouveau prononcée sur cette question. Dans cet arrêt, la demande avait été faite en vertu de l'article 15.3.1 de la LMR du Québec seulement et la somme demandée dans l'avis n'avait pas été versée avant la faillite du débiteur fiscal. La Cour d'appel a décidé que l'avis n'avait pas eu pour effet de transférer au ministre la propriété de l'argent au motif que seuls les biens détenus en fiducie réelle sont exclus du patrimoine du failli. L'avis, selon la Cour, n'a pas eu pour effet de transformer la fiducie présumée créée en vertu de l'article 20 de la LMR du Québec en fiducie réelle puisque le montant réclamé en vertu de l'article 15.3.1 était confondu avec d'autres montants dans le compte de banque du failli. Le montant réclamé en vertu de l'article 15.3.1 a donc cessé d'être détenu en fiducie au moment de la faillite étant donné que le paragraphe 67(2) de la LFI prévoit qu'un bien n'est pas considéré détenu en fiducie aux fins de la LFI si, en l'absence d'une disposition législative (tel que l'article 20 de la LMR du Québec), il ne le serait pas. Finalement, la Cour a conclu que, pour échapper à l'application de l'article 70 de la LFI, il aurait fallu que le paiement ait été fait avant la date de la faillite. La Cour a également signalé que les autres tribunaux n'avaient pas fait mention du paragraphe 70(1) de la LFI.

 

[20]Cela étant dit, il est important de souligner que la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 RCS 963, a confirmé la décision du tribunal de première instance, sans toutefois en faire l'analyse, (Canada Trustco Mortgage Corp. c. Port O'Call Hotel Inc., [1993] 1 W.W.R. 639) puisqu'elle a décidé que les sommes réclamées dans l'avis du ministre devaient être payées en priorité au ministre conformément à l'avis. Dans cette affaire, la Cour suprême devait décider si la Couronne avait droit aux sommes réclamées à des établissements de crédit en vertu des articles 224 de la LIR et 317 de la LTA avant la faillite des débiteurs fiscaux. Les établissements en question avaient accordé des prêts aux débiteurs fiscaux et détenaient des cessions de créances consenties par ces débiteurs pour garantir leurs prêts. Il fallait que la Cour décide si ces établissements étaient des créanciers garantis des débiteurs fiscaux en vertu des articles 224 de la LIR et 317 de la LTA afin de décider si les avis donnés en vertu de ces paragraphes leurs étaient opposables.

 

[21]Le juge Cory, écrivant pour la majorité, a décidé que les établissements étaient des créanciers garantis et que les sommes en cause devaient être payées au ministre du Revenu conformément aux avis.

 

[22]La Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt De Courval, avait noté que la Cour suprême du Canada n'avait pas discuté du transfert de propriété prévu aux paragraphes 224(1.2) de la LIR et 317(3) de la LTA ou de l'application du paragraphe l'article 70(1) de la LFI. Si nous regardons la décision du juge de la Cour de première instance dans Canada Trusto Mortgage Corp., précitée, nous constatons que le résultat est le même, soit que les avis donnés en vertu de ces dispositions avant la faillite des débiteurs fiscaux sont opposables aux tiers-saisis malgré la faillite de ces débiteurs.

 

[23]Le juge Forsyth, dans la décision Canada Trusto Mortgage Corp., précitée, souligne que la modification apportée au paragraphe 224(1.2) de la LIR en 1990 et que l'on retrouve au paragraphe 317(3) de la LTA a pour effet de corriger la situation découlant de la jurisprudence contradictoire en ce qu'elle dispose que le transfert de la propriété a lieu à la réception de l'avis et donne ainsi priorité au Ministre sur les créanciers garantis.

 

[24]Le juge Forsyth a aussi discuté dans sa décision de l'application de la LFI et du fait de l'exclusion de l'application de la LFI au paragraphe 317(3) de la LTA. Il a conclu que son exclusion ne pouvait aider les créanciers garantis puisque l'avis avait été envoyé avant la faillite du débiteur fiscal de sorte qu'au moment de la faillite, le droit des créanciers garantis aux biens du failli avait été perdu.

 

[25]Il faut se rappeler que l'intention du législateur, en promulguant le paragraphe 317(3) de la LTA, était de créer un droit de saisie-arrêt supérieur en ce sens qu'il accordait à Revenu Canada la priorité sur les actifs d'un débiteur fiscal au détriment des créanciers garantis. Les tribunaux se sont penchés sur l'application de ce paragraphe dans les cas où il y a cession des créances comptables par un débiteur fiscal en faveur d'une institution financière avant l'envoi d'un avis à un créancier du débiteur fiscal et aussi dans les cas où il y a eu, comme en l'espèce, une faillite ou une proposition aux créanciers en vertu de la LFI avant que le créancier du débiteur fiscal n'ait effectué le paiement exigé par Revenu Canada.

 

[26]Selon le témoignage de l'enquêteur, l'appelante aurait refusé d'obtempérer à l'avis du ministre en raison de l'avis de surseoir reçu du syndic du failli et aussi parce que le débiteur fiscal était endetté envers l'appelante. À mon avis, ce que le paragraphe 317(3) de la LTA fait, c'est de permettre à Revenu Canada de supplanter l'appelante à titre de créancier prioritaire du débiteur fiscal, en supposant évidemment que la banque détenait des garanties lui permettant de toucher cet argent. Pour ce qui est de la proposition aux créanciers qui survient avant le paiement de l'argent par l'appelante à Revenu Canada, l'effet du paragraphe 317(3) de la LTA est très clair en ce que, non seulement le paiement doit être effectué immédiatement, mais à la réception de l'avis du ministre, cet argent devient la propriété de Sa Majesté la Reine et par conséquent ne fait plus partie du patrimoine du débiteur fiscal.

 

[27]Nonobstant le fait que le paragraphe 317(3) de la LTA exclut l'application de tout texte législatif fédéral, provincial ou autre, à l'exception de la LFI, qui pourrait avoir une incidence sur l'application du paragraphe 317(3), il n'en demeure pas moins que son application en l'espèce ne contrevient pas aux dispositions de la LFI, particulièrement au paragraphe 70(1) de la LFI, qui ne s'applique qu'aux biens d'un failli. Or, les biens du débiteur fiscal en l'espèce sont devenus la propriété de Sa Majesté la Reine au moment de l'envoi de l'avis prévu au paragraphe 317(3) de la LTA, soit avant la présentation de la proposition concordataire aux créanciers.

 

[28]Il n'y avait donc, en l'espèce, aucune raison pour l'appelante de ne pas se conformer aux exigences du paragraphe 317(3), d'autant plus que la banque ne semblait pas détenir une priorité quelconque sur cet argent et n'était pas devant un dilemme, à savoir à qui remettre cet argent avant qu'elle ne reçoive l'avis de surseoir du syndic. Le Ministre était donc justifié de cotiser l'appelante en vertu du paragraphe 317(9) de la LTA. L'appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2009.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2009CCI522

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-114(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              La Banque Toronto-Dominion c. Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 10 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 10 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Éric Potvin

Avocat de l'intimée :

Me Michel Beauchamp

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Éric Potvin

 

                 Cabinet :                           Lapointe Rosenstein, S.E.N.C.R.L.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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