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Dossier : 2007‑2303(IT)G

 

ENTRE :

 

SHAW-ALMEX INDUSTRIES LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu les 17 et 18 septembre 2009, à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Michael Morgan

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Suzanne Bruce

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») le 26 octobre 2005 relativement à l'année d'imposition 1999 est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée conformément au tarif B des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale). Cependant, l'appelante peut, en application des alinéas 39(1)b) et 50(1)a) de la Loi, demander la déduction de la perte en capital de 518 000 $ qu'elle a subie au cours de son année d'imposition 1999 et cette perte pourra être portée en diminution des gains en capital d'autres années, le cas échéant, conformément aux dispositions pertinentes de la Loi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2009.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de janvier 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 538

Date : 20091104

Dossier : 2007‑2303(IT)G

 

ENTRE :

 

SHAW-ALMEX INDUSTRIES LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Lamarre

 

[1]              Il s'agit d'un appel interjeté à l'égard de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à l'année d'imposition 1999. L'appelante a fait l'objet d'une première cotisation visant cette année‑là le 18 mai 2000, puis elle a fait l'objet d'une nouvelle cotisation le 26 octobre 2005, soit après la période normale de nouvelle cotisation de trois ans prévue au paragraphe 152(3.1) de la Loi.

 

[2]              Lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation relative à l'appelante, le ministre a refusé la déduction de 518 000 $ (350 000 dollars américains) demandée par cette dernière dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1999. La déduction a été demandée au titre de la responsabilité de l'appelante en vertu d'une garantie offerte à la Wachovia Bank (la « banque Wachovia »), une banque établie à Atlanta (Géorgie), aux États‑Unis, relativement à la dette de sa société soeur non résidente, Shaw‑Almex Fusion Corporation (la « société Fusion »).

 

[3]              Le ministre a établi la nouvelle cotisation touchant l'appelante dans les trois années suivant l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation, en vertu du sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi, au motif que la nouvelle cotisation était établie par suite de la conclusion d'une opération entre l'appelante et une personne non résidente avec laquelle elle avait un lien de dépendance.

 

[4]              Le paragraphe 152(3.1) et le sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi sont ainsi rédigés :

 

152. Cotisation

 

Période normale de nouvelle cotisation

 

(3.1) Pour l'application des paragraphes (4), (4.01), (4.2), (4.3), (5) et (9), la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable pour une année d'imposition s'étend sur les périodes suivantes :

 

aquatre ans suivant soit le jour de mise à la poste d'un avis de première cotisation en vertu de la présente partie le concernant pour l'année, soit, s'il est antérieur, le jour de mise à la poste d'une première notification portant qu'aucun impôt n'est payable par lui pour l'année, si, à la fin de l'année, le contribuable est une fiducie de fonds commun de placement ou une société autre qu'une société privée sous contrôle canadien;

 

btrois ans suivant le premier en date de ces jours, dans les autres cas.

 

Cotisation et nouvelle cotisation

 

(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants :

 

[...]

 

bla cotisation est établie avant le jour qui suit de trois ans la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année et, selon le cas :

 

[...]

 

(iii) est établie par suite de la conclusion d'une opération entre le contribuable et une personne non résidente avec laquelle il avait un lien de dépendance.

 

[5]              Il n'est pas contesté que l'appelante et la société Fusion étaient des sociétés liées et qu'elles avaient donc entre elles un lien de dépendance, ni que la société Fusion était, à tous les moments pertinents, une personne non résidente. L'appelante conteste toutefois l'assertion selon laquelle la nouvelle cotisation a été établie par suite de la conclusion d'une opération entre elle et la société Fusion. Elle soutient plutôt que le fait d'avoir donné à la banque Wachovia une garantie de remboursement d'un prêt consenti par cette banque à la société Fusion et son obligation subséquente d'honorer la garantie et de rembourser ce prêt ne constituaient pas des opérations conclues avec la société Fusion au sens du sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi. Selon l'appelante, le fait d'avoir fourni une garantie à la banque Wachovia constituait une opération conclue avec cette dernière, une personne non résidente avec laquelle elle n'avait, à tous les moments pertinents, aucun lien de dépendance (voir l'alinéa 36(a) de l'avis d'appel).

 

[6]              L'appelante soutient en outre que la demande qu'elle honore la garantie et rembourse l'emprunt à la banque Wachovia constituait un événement, non une opération. Le même argument est avancé en ce qui concerne le remboursement subséquent du prêt par l'appelante à la banque Wachovia (voir les alinéas 36(b) et 36(c) de l'avis d'appel).

 

[7]              Quant au bien-fondé de l'appel, l'appelante a allégué que la déduction demandée visait un passif réel de 518 000 $ qu'elle avait à la fin de l'année d'imposition 1999 (l'exercice de l'appelante se termine le 30 septembre 1999), et qu'il ne s'agissait pas d'un passif éventuel durant cette année, contrairement à ce qu'a fait valoir le ministre. En conséquence, l'appelante affirme qu'il s'agissait d'une dépense qu'elle a engagée en vue de tirer un revenu d'une entreprise et que cette somme est donc entièrement déductible du revenu en application de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Le ministre estime quant à lui, premièrement, que la déduction ne pouvait être demandée pour l'année d'imposition 1999 suivant l'alinéa 18(1)e) de la Loi puisqu'il s'agissait, pour l'année, d'une éventualité. Le ministre avance en outre qu'un remboursement versé en vertu d'une garantie constitue une dépense en capital dont la déduction est prohibée par l'alinéa 18(1)b), et qu'il ne s'agit donc pas d'une dépense déductible selon l'alinéa 18(1)a) de la Loi.

 

[8]              À titre subsidiaire, l'appelante soutient à l'alinéa 46(b) de son avis d'appel que la perte doit être traitée comme une perte en capital déductible pour l'année d'imposition 1999 suivant l'alinéa 38b) de la Loi et que cette perte est déductible en application de l'article 3 de la Loi. L'intimée nie cette assertion parce que les conditions fixées aux alinéas 39(1)b) et 50(1)a) de la Loi ne sont pas réunies. L'avocat de l'appelante n'a pas fait valoir devant la Cour que la perte devait être traitée comme une perte en capital déductible subie au cours de l'année d'imposition 1999 si le tribunal arrivait à la conclusion qu'il ne s'agit pas d'une perte imputable au revenu. Si je comprends bien, cependant, il estimait que la dette due à l'appelante par la société Fusion à la fin de l'année d'imposition 1999 constituait une créance irrécouvrable. En conséquence, la perte en capital serait réputée avoir été subie au cours de l'année suivant les alinéas 39(1)b) et 50(1)a) de la Loi. Les dispositions pertinentes de la Loi sont libellées comme suit :

 

18(1) Exceptions d'ordre général — Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a) Restriction générale — les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

 

b) Dépense ou perte en capital — une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

 

[...]

 

e) Provision, etc. — un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

 

[...]

 

ARTICLE 38 : Sens de gain en capital imposable et de perte en capital déductible

 

Pour l'application de la présente loi :

 

[...]

 

b) la perte en capital déductible d'un contribuable, pour une année d'imposition, résultant de la disposition d'un bien est égale aux ¾ de la perte en capital que le contribuable a subie, pour l'année, à la disposition du bien;

 

39(1) Sens de gain en capital et de perte en capital — Pour l'application de la présente loi :

 

[...]

 

bune perte en capital subie par un contribuable, pour une année d'imposition, du fait de la disposition d'un bien quelconque est la perte qu'il a subie au cours de l'année, déterminée conformément à la présente sous‑section (jusqu'à concurrence du montant de cette perte qui ne serait pas déductible, si l'article 3 était lu de la manière indiquée à l'alinéa a) du présent paragraphe et compte non tenu du passage « et des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise subies par le contribuable pour l'année » à l'alinéa 3d), dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour toute autre année d'imposition) du fait de la disposition d'un bien quelconque de ce contribuable, à l'exception :

 

[...]

 

50(1) Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d'une société en faillite — Pour l'application de la présente sous‑section, lorsque, selon le cas :

 

a) un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition (autre qu'une créance qui lui serait due du fait de la disposition d'un bien à usage personnel) s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable;

 

[...]

 

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l'action à la fin de l'année pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l'année à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance ou à l'action.

 

Les faits

 

[9]              L'appelante est une société familiale canadienne privée qui existe depuis 1958. Elle réside au Canada et exploitait, pendant la période pertinente, une entreprise de fabrication et de distribution de matériel de vulcanisation de transporteurs à courroie. La société Fusion a été constituée en société en 1995 sous le régime des lois de l'État de Géorgie, elle avait un établissement à Clarkston (Géorgie) et elle résidait aux États‑Unis. Pendant la période pertinente, elle exploitait dans ce pays une entreprise qui distribuait du matériel et des fournitures de raccordement et de réparation de transporteurs à courroie. À tous les moments pertinents, les deux sociétés étaient contrôlées par des membres différents de la même famille (la famille Shaw).

 

[10]         Le 30 novembre 1995, la société Fusion, à titre d'emprunteuse, a conclu un contrat de ligne de crédit et de prêt avec une institution prêteuse, la Wachovia Bank, en vertu duquel elle a subséquemment emprunté 350 000 dollars américains (pièce A‑1, onglet 3). La ligne de crédit devait expirer le 27 août 1996, ou sur demande, selon la première de ces éventualités. À la demande de la banque Wachovia, l'appelante a accepté de garantir le prêt et, le 27 novembre 1995, elle a obtenu une lettre de garantie de 350 000 dollars américains de la Banque de Nouvelle‑Écosse. Cette garantie était en faveur de la banque Wachovia et devait expirer le 30 novembre 1996 (pièce A‑1, onglet 4). Elle a été renouvelée à quelques occasions (pièce A‑1, onglets 5 et 6) et elle avait toujours effet le 30 septembre 1999, date de la fin de l'exercice 1999 de l'appelante. En réalité, dans les états financiers de l'appelante pour l'exercice se terminant le 30 septembre 1999, la somme de 518 000 $ (350 000 dollars américains) qui fait l'objet de la lettre de garantie de la Banque de Nouvelle‑Écosse en faveur de la banque Wachovia figure à titre de passif éventuel (note 9, page 9 du rapport annuel de l'appelante pour 1999, pièce A‑1, onglet 7). On précise toutefois ce qui suit dans cette même note :

 

[TRADUCTION]

 

À la demande de la banque Wachovia, la société a conclu une convention par laquelle elle s'engageait à rembourser le prêt consenti à Shaw Almex Fusion Corp., lequel prêt a été garanti par une lettre de garantie de la Banque de Nouvelle‑Écosse. Ce prêt a été consigné dans les états financiers en date du 30 septembre 1999.

 

[11]         Monsieur Dan Ball est le comptable agréé qui a établi le rapport annuel. Il a expliqué qu'il avait considéré que la somme de 518 000 $ due à la banque Wachovia était devenue un passif réel pour l'appelante avant le 30 septembre 1999 parce que les propriétaires et les administrateurs de l'appelante lui avaient dit que cette banque avait fait, de vive voix, une demande formelle de remboursement. Comme la société Fusion semblait être insolvable, les administrateurs de l'appelante voulaient éviter que la Banque de Nouvelle‑Écosse reçoive une demande écrite formelle de remboursement, puisque cela aurait pu nuire à leur capacité d'emprunt future auprès de cette banque. Monsieur Timothy Shaw, membre de la famille Shaw, était actionnaire et administrateur de la société Fusion à l'époque et il a expliqué à l'audience qu'on avait envoyé un expert‑conseil en Géorgie en août 1999 pour négocier avec la banque Wachovia au nom de l'appelante afin de trouver une solution qui permettrait de rembourser le prêt sans informer la Banque de Nouvelle‑Écosse de la situation. Ces négociations ont débouché sur la signature, le 29 décembre 1999, d'une entente de sursis (pièce A‑1, onglet 9).

 

[12]         Selon cette entente, la banque Wachovia acceptait d'être remboursée au moyen de versements mensuels de 35 000 dollars américains débutant en janvier 2000. En réalité, je crois comprendre que la totalité de la somme a été remboursée par l'appelante au cours de son année d'imposition 2000 (pièce R‑1, onglet 5). Pendant toute cette période, cependant, la lettre de garantie de la Banque de Nouvelle‑Écosse avait toujours effet (voir le premier paragraphe, à la page 1, et l'alinéa 3(d), à la page 3, de l'entente de sursis, pièce A‑1, onglet 9).

 

[13]         Voilà pourquoi, selon M. Ball, il existait toujours un passif éventuel d'un point de vue comptable. Mais, a‑t‑il ajouté, comme l'appelante savait depuis avril 1999 que la banque Wachovia ne voulait pas renouveler la ligne de crédit de la société Fusion parce que cette société n'avait ni les fonds ni les actifs nécessaires pour payer sa dette, et comme l'appelante savait en outre qu'elle était liée par sa lettre de garantie, Monsieur Ball a considéré que la dette de 350 000 dollars américains (518 000 $) était devenue un passif réel au cours de l'année d'imposition 1999. Suivant les principes comptables généralement reconnus (les « PCGR »), ce passif devait figurer à ce titre dans les états financiers de 1999. Monsieur Ball aurait fait preuve de négligence s'il avait agi autrement.

 

[14]         Monsieur Ball s'est également appuyé sur une lettre que la banque Wachovia a envoyée le 6 avril 1999 à l'attention de M. Timothy Shaw de la société Fusion (pièce A‑2) pour affirmer que la banque Wachovia avait demandé le remboursement du prêt. Ce document est toutefois libellé en des termes qui ressemblent beaucoup à ceux employés dans d'autres lettres envoyées au fil des ans afin d'accorder le prêt à la société Fusion ou d'en reconduire les modalités.

 

[15]         Je reproduis ci‑dessous quelques passages pertinents de cette lettre :

 

[TRADUCTION]

 

Le 6 avril 1999

 

M. Timothy Shaw

Président de Shaw-Almex Fusion Corp.

 

[...]

 

Cher Tim,

 

C'est avec plaisir que la Wachovia Bank, N.A. (la « banque prêteuse ») offre à SHAW‑ALMEX FUSION CORP. (l'« emprunteuse ») les facilités de crédit précisées ci‑après (l'« engagement »). Cet engagement prendra effet dès que vous aurez accepté les conditions énoncées dans la présente lettre et que vous nous aurez fait parvenir un double signé et dès la clôture à la satisfaction de la banque prêteuse. Les termes « clôture » et « clos » employés dans la présente s'entendent de la signature, de l'enregistrement s'il y a lieu, de la remise à la banque prêteuse de l'ensemble des documents requis par la présente lettre d'engagement et de l'observation, en temps opportun, de toutes les conditions énoncées dans la présente. Après la clôture, le présent engagement expirera le 31 octobre 1999 ou sur demande, selon la première de ces éventualités.

 

Genre d'engagement :

Crédit permanent.

 

Somme :

Jusqu'à concurrence de trois cent cinquante mille dollars (350 000 $).

 

Objet :

Les sommes empruntées en vertu de ce crédit permanent serviront comme fonds de roulement à court terme.

 

[...]

 

 

Modalités de remboursement :

Intérêt payable à la fin de chaque mois. Solde payable à l'expiration ou sur demande, selon la première de ces éventualités.

 

Bien affecté en garantie :

Lettre de garantie de la Banque de Nouvelle‑Écosse à la banque prêteuse pour une somme minimale de 350 000 $, dont la forme et le fond sont acceptables selon la banque prêteuse et qui expirera le 31 janvier 2000 ou après cette date.

 

[...]

 

Christian M. Mande

Vice‑président adjoint

Services aux entreprises

Wachovia Bank, N.A.

 

[16]         C'est M. Timothy Shaw qui a traité avec M. Christian Mande, lequel était vice‑président adjoint de la banque Wachovia à l'époque. Dans son témoignage, M. Shaw a mentionné qu'en avril 1999, il avait reçu un appel téléphonique de M. Mande, qui l'avait informé sans équivoque que la banque Wachovia ne voulait plus renouveler le crédit permanent, parce que le solde dû correspondait toujours à la limite fixée, et parfois même la dépassait, et que la société Fusion n'était jamais en mesure de diminuer ce solde. Monsieur Shaw a affirmé que le premier appel était un appel de politesse, mais qu'il ne faisait aucun doute qu'on venait de l'avertir de trouver d'autres facilités de crédit avant que la banque Wachovia n'exige le remboursement du prêt. Monsieur Shaw ne voyait pas comment la société Fusion pouvait obtenir d'autres facilités de crédit, compte tenu de l'état du marché à cette époque et du manque de rentabilité que révélaient les états financiers de la société. Monsieur Shaw a ajouté que la banque Wachovia était très sérieuse en avril 1999 et qu'elle avait précisé, bien qu'avec une grande politesse, qu'elle n'hésiterait pas à se prévaloir de la lettre de garantie fournie par la Banque de Nouvelle‑Écosse pour obtenir le remboursement du prêt. Monsieur Shaw a mentionné que : [TRADUCTION] « de toute évidence, nous allions vers cela » (transcription, p. 51). Il se souvenait d'avoir parlé à ses parents, les actionnaires détenant le contrôle de l'appelante, ainsi qu'à son frère, autre actionnaire de l'appelante, au Canada. Ils étaient tous nerveux à l'idée que la banque Wachovia exerce les droits que lui conférait la lettre de garantie de la Banque de Nouvelle‑Écosse. Il a affirmé que cela aurait été préjudiciable à l'ensemble de l'entreprise, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la réputation de l'appelante et sa relation avec la Banque de Nouvelle‑Écosse devaient être préservées à tout prix. On craignait fortement que, si les 518 000 $ étaient retirés en une seule opération, cela causerait un grave préjudice à la relation à long terme entre l'appelante et cette banque. Deuxièmement, on craignait aussi que, si la société Fusion était perçue au sein du marché comme une entreprise qui n'arrivait pas à survivre, tous leurs efforts de commercialisation et tous leurs projets [TRADUCTION] « tombent à l'eau » (transcription, p. 94). Monsieur Shaw a précisé que les entreprises de l'appelante et de la société Fusion étaient hautement intégrées : elles faisaient affaire ensemble et elles travaillaient en synergie au sein du marché. L'échec de la société Fusion aurait donc eu une incidence importante sur l'entreprise de l'appelante, ce qui n'était manifestement pas souhaitable. Il n'y avait pas de choix (transcription, p. 143). C'est pourquoi un expert‑conseil a été dépêché en Géorgie en août 1999 afin de négocier avec la banque Wachovia, ce qui a finalement donné lieu à la signature de l'entente de sursis en décembre 1999 et au remboursement intégral du prêt au cours de l'année 2000.

 

[17]         À mon avis, il ressort du témoignage de M. Shaw qu'il était évident pour lui que les paiements étaient faits par l'appelante pour éviter que la lettre de garantie soit invoquée auprès de la Banque de Nouvelle‑Écosse.

 

[18]         L'appelante a en outre fait témoigner deux de ses employés. Le premier, M. Ross James Currie, travaillait pour un des concurrents de l'appelante, et cette dernière l'a engagé en 1995 pour chercher et trouver de nouveaux produits se rapportant au « secteur presse » de l'entreprise. Si j'ai bien compris, l'appelante n'avait que deux concurrents à l'échelle internationale, dont l'un avait employé M. Currie avant que celui‑ci n'aille travailler chez l'appelante. En 1995, celle‑ci exploitait uniquement du matériel de vulcanisation destiné aux transporteurs à courroie. Ses concurrents disposaient aussi du matériel nécessaire pour raccorder les courroies (le « secteur caoutchouc » de l'entreprise). C'est la raison pour laquelle la société Fusion a été constituée, et M. Currie travaillait, au Canada, sur cet aspect de l'entreprise (le secteur caoutchouc de l'entreprise, p. 149 de la transcription). Il a participé au lancement de la société Fusion aux États‑Unis. Il a affirmé que l'appelante n'avait d'autre choix que d'offrir un ensemble complet de produits, entendant par là qu'elle devait avoir le matériel de vulcanisation pour les courroies transporteuses de même que le matériel nécessaire pour raccorder les courroies. Il était responsable de l'achat et de la mise à l'essai de tout le matériel destiné au marché international. Il a déclaré que l'ensemble des opérations était dirigé par le groupe Almex, à savoir la famille Shaw. Il a ajouté qu'en 1999, les employés de la société Fusion ont commencé à être mécontents et que la société était alors aux prises avec d'épineux problèmes. Il n'était toutefois pas en mesure de témoigner quant aux aspects financiers de l'entreprise.

 

[19]         L'autre employé qui a témoigné, M. Alan Russell Goodwin, est au service de l'appelante depuis 1996. Il avait auparavant travaillé pour le même concurrent de l'appelante que M. Currie. Monsieur Goodwin est le directeur des ventes et de la commercialisation pour l'appelante dans l'État du Texas, aux États‑Unis. Dans son témoignage, il a affirmé que le secteur fusion de l'entreprise faisait partie intégrante de l'ensemble des opérations de l'appelante. Il a expliqué que l'expansion aux États‑Unis était axée sur le marché et qu'elle visait, outre à maintenir la clientèle existante de l'appelante, à affronter la concurrence croissante à laquelle l'entreprise canadienne faisait face. Il a également déclaré que la situation avait commencé à dépérir en 1998 et en 1999 parce qu'ils ne réussissaient pas à atteindre les objectifs de vente et les autres objectifs fixés. Il a aussi mentionné que les secteurs presse et vulcanisation de l'entreprise étaient hautement intégrés et tout à fait nécessaires pour soutenir la croissance de la société.

 

[20]         Monsieur Timothy Shaw a déclaré que la société Fusion a finalement été vendue en 2001 à un ancien employé. Il s'agissait d'une vente des éléments d'actif se chiffrant entre 300 000 $ et 400 000 $. Cependant, l'acquéreur a complètement fait défaut de payer et le prix d'achat n'a jamais été versé. L'appelante possède maintenant une division appelée Fusion Systems, pour laquelle travaille actuellement M. Currie.

 

Analyse

 

I)       La question touchant la procédure

 

[21]         La première question à trancher est celle de savoir si l'intimée pouvait se fonder sur le sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation et si elle pouvait bénéficier de la prorogation de la période de nouvelle cotisation prévue par cette disposition de la Loi.

 

[22]         L'intimée fait valoir qu'une nouvelle cotisation a été établie à l'égard de l'appelante par suite de la conclusion d'une opération entre cette dernière, la société Fusion (personne non résidente avec laquelle elle a un lien de dépendance) et la banque Wachovia (personne non résidente avec laquelle elle n'a pas de lien de dépendance). Selon l'intimée, une opération a eu lieu, à savoir l'exécution et le renouvellement successifs des lignes de crédit et des ententes de garantie par lesquelles l'appelante a garanti le paiement de la dette de la société Fusion à la banque Wachovia, et elle a débouché sur la signature de l'entente de sursis.

 

[23]         L'intimée estime que la banque Wachovia n'a pas présenté une demande formelle de remboursement du solde du crédit permanent. L'appelante a versé à la banque Wachovia les paiements prévus dans l'entente de sursis pour le compte de la société Fusion en raison de son lien de dépendance avec sa société soeur (la société Fusion). Elle a agi à titre de garante de la société Fusion. L'intimée soutient donc que le ministre était fondé à établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante en application du sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi.

 

[24]         L'appelante allègue quant à elle que la nouvelle cotisation n'a pas été établie par suite d'une opération entre elle et une personne non résidente avec laquelle elle avait un lien de dépendance. Elle affirme que le fait d'avoir fourni une garantie à la banque Wachovia constituait une opération conclue avec la banque Wachovia et non avec la société Fusion.

 

[25]         De plus, on affirme que le respect, par l'appelante, de la garantie constituait un événement et non une opération.

 

[26]         Dans l'arrêt SMX Shopping Centre Ltd. c. La Reine, 2003 CAF 479, madame le juge Sharlow analyse la signification du terme « opération » tel qu'il est employé au sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi. Elle mentionne ce qui suit au paragraphe 24 :

 

[24]      Le deuxième argument [qu'il n'y avait pas d'opération] n'est pas fondé. Dans le contexte du sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le mot « opération » doit être interprété comme comprenant une opération qui, selon le contribuable, constitue le fondement factuel d'une déduction qui est faite dans une déclaration de revenu. Ainsi, si le contribuable affirme avoir droit à une déduction pour des frais particuliers qu'il a engagés, et si le paiement des frais (à supposer qu'ils aient été engagés) met en cause le contribuable et une personne non résidente avec qui le contribuable avait un lien de dépendance, le ministre est légalement autorisé à établir une nouvelle cotisation, pendant la période prorogée de nouvelle cotisation, en vue de refuser la déduction. Ce pouvoir légal ne disparaît pas si le contribuable nie par la suite que les frais ont été engagés ou qu'il omet de prouver qu'ils ont été engagés.

 

[27]         Dans la décision Blackburn Radio Inc. c. La Reine, 2009 CCI 155, madame le juge V. Miller, de notre cour, mentionne que le terme « opération », tel qu'il est employé au sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi, n'englobe pas un arrangement. Au paragraphe 35 de ses motifs du jugement, le juge V. Miller s'appuie sur la définition donnée dans le dictionnaire Canadian Oxford Dictionary :

 

[35]      Il n'y a pas de définition générale du mot « opération » à l'article 248 de la Loi, mais ce terme (en anglais, « transaction ») est défini comme suit dans le dictionnaire Canadian Oxford Dictionary :

 

[TRADUCTION]

 

1(a) un élément d'une activité, notamment commerciale, une affaire (une opération rentable)

 

(b) Amér. du N. = COMMERCE 4b

 

(c) la gestion d'activités commerciales, etc.

 

2. (plur.) rapports écrits de discussions, de communications, etc., lors d'une réunion d'une société savante.

 

[28]         Je ne suis pas entièrement certaine de ce que veut dire l'appelante lorsqu'elle affirme que le fait d'honorer la garantie constituait un événement plutôt qu'une opération. Dans la présente affaire, l'appelante a versé les paiements à la banque Wachovia conformément à l'entente de sursis, dont la société Fusion était la signataire. Certes, la responsabilité de l'appelante n'aurait pas été engagée en l'absence de la garantie qu'elle a donnée à la banque Wachovia. Cependant, la preuve a notamment mis en lumière le fait que l'appelante ne voulait pas que la Banque de Nouvelle‑Écosse participe au remboursement du prêt consenti par la banque Wachovia parce que cela aurait pu nuire à sa capacité future d'emprunt auprès de la Banque de Nouvelle‑Écosse. La preuve a en outre révélé que les opérations et les entreprises de l'appelante et de la société Fusion étaient étroitement liées.

 

[29]         Par conséquent, je conclus que le remboursement du prêt à la banque Wachovia était attribuable à [TRADUCTION] « un élément d'une activité [...] commerciale » ou à [TRADUCTION] « la gestion d'activités commerciales » qui intéressaient à la fois l'appelante et la société Fusion. Le remboursement du prêt constituait donc une opération touchant l'appelante, la société Fusion et la banque Wachovia. La nouvelle cotisation refusant la perte qui, pourrait‑on soutenir, a été subie en raison du remboursement du prêt a donc été établie par suite de la conclusion de l'opération décrite plus haut. En conséquence, le délai dans lequel le ministre pouvait établir une nouvelle cotisation suivant le sous‑alinéa 152(4)b)(iii) de la Loi n'était pas expiré.

 

II)      Le refus par le ministre de la perte autre qu'en capital en 1999

 

[30]         En ce qui concerne la déductibilité de la somme de 518 000 $ au titre du revenu pour l'année d'imposition 1999, l'appelante fait valoir que sa dette envers la banque Wachovia n'était plus éventuelle, puisque la banque avait demandé le remboursement du prêt en application de la garantie. Dans son témoignage, M. Ball a déclaré qu'il avait traité cette dette comme un passif réel en 1999. Sa décision se fondait sur les discussions qu'il avait eues avec les propriétaires et les administrateurs de l'appelante, de même que sur la lettre que la banque Wachovia avait envoyée à la société Fusion le 6 avril 1999 (pièce A‑2). J'ai tendance à convenir avec l'avocate de l'intimée que la lettre susmentionnée ne constitue pas une demande de paiement. En réalité, cette lettre n'est nullement différente d'autres prorogations de délai que la banque Wachovia a accordées à la société Fusion depuis le moment où cette dernière a initialement obtenu une ligne de crédit en 1995. La lettre ne précise pas que la banque Wachovia fait une demande formelle de paiement. Au contraire, la banque y mentionne que c'est avec plaisir qu'elle offre à la société Fusion un crédit permanent, jusqu'à concurrence de 350 000 dollars américains. Il y a bien une différence, qui tient au fait qu'on y précise que l'emprunt a pour objet de servir de fonds de roulement à court terme tandis que, selon la lettre initiale envoyée en 1995, les fonds devaient être utilisés à des fins générales de fonds de roulement. L'exigence à l'égard du bien affecté en garantie est libellée de façon presque identique dans la lettre du 6 avril 1999 et dans celle de 1995, la différence étant que la première précise que la lettre de garantie de la Banque de Nouvelle‑Écosse doit être d'une somme minimale de 350 000 dollars américains, qu'elle doit être acceptable selon la banque Wachovia tant sur le plan de la forme que du fond et qu'elle doit expirer le 31 janvier 2000 ou après cette date.

 

[31]         À mon avis, la lettre du 6 avril 1999 ne constitue pas en soi une demande formelle de remboursement. Cependant, M. Timothy Shaw, en qualité de président de la société Fusion, a affirmé dans son témoignage qu'il était clairement ressorti de sa discussion avec M. Mande de la banque Wachovia que cette dernière voulait être remboursée. Il a soutenu qu'à la fin de l'été 1999, ses parents avaient envoyé un expert‑conseil chargé de négocier le remboursement du prêt. Ils étaient nerveux et prenaient au sérieux l'avertissement donné au téléphone par M. Mande en avril 1999. Enfin, une entente est intervenue en décembre 1999. Dans son témoignage, M. Ball a déclaré qu'il avait dressé les états financiers pour l'exercice se terminant le 30 septembre 1999 au début de l'année civile 2000. À ce moment‑là, l'entente de sursis était conclue et l'appelante avait commencé à rembourser le prêt. Même si l'entente et le remboursement du prêt ont eu lieu après la fin de l'exercice 1999, je suis disposée à accepter le fait qu'on s'inquiétait sérieusement, avant le 30 septembre 1999, de ce que la banque Wachovia était sur le point d'exercer ses droits aux termes de la lettre de garantie de la Banque de Nouvelle‑Écosse. En ce sens, la dette envers la banque Wachovia n'était plus éventuelle; elle était devenue réelle pour l'appelante et elle devait être déclarée à titre de passif réel en 1999, non seulement suivant les principes comptables généralement reconnus, mais aussi d'un point de vue juridique. Elle est devenue une créance exigible dont la banque Wachovia pouvait demander l'exécution à n'importe quel moment puisque le prêt était payable [TRADUCTION] « à l'expiration ou sur demande, selon la première de ces éventualités » (pièce A‑2). En outre, j'estime qu'avant la fin de l'exercice 1999, l'appelante n'avait plus aucune raison de croire que la garantie ne serait pas exécutée. L'appelante devait faire face à la situation et, en négociant l'entente de sursis, elle a uniquement réussi à gagner un peu de temps. Dans l'arrêt Canada c. McLarty, [2008] 2 R.C.S. 79, 2008 CSC 26, aux paragraphes 17 et 18, la Cour suprême du Canada a renvoyé au critère admis en matière de dette éventuelle qui a été décrit dans l'arrêt Winter v. Inland Revenue Commissioners, [1963] A.C. 235 (Ch. des lords), à la page 262. La Cour suprême du Canada a notamment résumé de la façon suivante le critère servant à déterminer si une dette est éventuelle :

 

L'accent est donc placé sur deux types particuliers d'incertitude : (1) le fait qu'un événement peut se produire ou ne pas se produire; (2) le fait que la dette existera ou non selon que cet événement se produira ou ne se produira pas.

 

[...]

 

Le critère consiste simplement à savoir si une obligation juridique naît à un certain moment, ou si elle naîtra seulement lorsque se produira un événement qui peut ne jamais se produire.

 

[32]         Dans la présente affaire, l'appelante m'a convaincue qu'à la fin de l'année d'imposition 1999, sa dette visée par la garantie était devenue une obligation juridique réelle susceptible d'exécution à n'importe quel moment et qu'elle a donc pris naissance pendant cette même année d'imposition 1999.

 

[33]         En conséquence, la Cour doit maintenant trancher la question de savoir si cette dette avait un caractère de capital ou si elle pouvait être déduite à titre de dépense courante. La Cour doit donc se demander quelle était exactement la raison d'être des paiements.

 

[34]         Dans l'arrêt M.N.R. v. Steer, [1967] R.C.S. 34, on a conclu qu'une garantie visant les dettes d'une société et remise par un contribuable à une banque en contrepartie d'actions de la société devait être traitée comme un prêt différé à la société et que les sommes payées pour acquitter ces dettes devaient être traitées comme une perte en capital. En règle générale, lorsque, dans les faits, un prêt est consenti pour fournir un fonds de roulement à une société, les pertes susceptibles de découler de ce prêt constituent des pertes en capital (voir l'arrêt Stewart & Morrison Ltd. c. M.R.N., [1974] R.C.S. 477, une affaire où des avances en espèces faites à une filiale états‑unienne avaient été assimilées à des prêts dans les documents comptables et où la Cour suprême a conclu que ces sommes avaient servi à fournir un fonds de roulement pour permettre à la filiale de commencer ses activités et de les poursuivre).

 

[35]         Dans la présente affaire, l'appelante a remis à la banque une garantie visant les dettes de sa société soeur en contrepartie de frais de garantie de prêt (selon la pièce A‑4). Le prêt a été consenti pour servir de fonds de roulement et était donc au titre du capital. Ce principe fait toutefois l'objet d'exceptions, lesquelles ont été examinées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Easton c. Canada, [1998] 2 C.F. 44, [1997] A.C.F. no 1282 (QL), 1997 CarswellNat 2656.

 

[36]         Si un paiement est versé en vertu d'une garantie en vue de tirer un revenu de l'entreprise du contribuable lui‑même et non afin que la société dont il rembourse le prêt tire un revenu, cette dépense peut alors être traitée comme si elle était engagée au titre du revenu. Dans l'arrêt Easton, on donne à titre d'exemple la situation dont le tribunal était saisi dans la décision L. Berman & Co. Ltd. v. M.N.R., [1961] C.T.C. 237 (C. de l'É.). Dans cette affaire, la société contribuable avait fait des paiements volontaires aux fournisseurs de sa filiale afin de protéger sa propre survaleur. La filiale avait manqué à ses obligations; la contribuable faisait affaire avec ces fournisseurs et souhaitait continuer de le faire à l'avenir.

 

[37]         Dans une décision plus récente de notre cour, l'affaire Valiant Cleaning Technology Inc. c. La Reine, 2008 CCI 637, la société Valiant avait versé des avances de fonds à sa filiale non résidente, laquelle éprouvait certaines difficultés financières. La Cour est arrivée à la conclusion que Valiant, en faisant ces avances, avait pris une décision d'affaires dans l'intention générale d'étendre ses services à une plus vaste clientèle. Madame le juge Campbell a conclu que les dépenses avaient été faites en vue de protéger les revenus de l'entreprise au Canada.

 

[38]         À mon avis, il convient d'établir une distinction avec les décisions Berman et Valiant. Dans ces deux affaires, la société contribuable avait volontairement pris la décision de verser les paiements (que ce soit aux fournisseurs ou à une filiale) en vue de protéger la survaleur existante dans le premier cas ou d'étendre les services à une plus vaste clientèle dans le second.

 

[39]         Or, en l'espèce, les paiements mensuels ont été versés par suite de négociations avec la banque Wachovia, dont la société Fusion était débitrice, et après que cette banque (la banque prêteuse) eut consenti à échelonner le remboursement du prêt sur une période plus longue. Si la banque Wachovia n'avait pas menacé de se prévaloir de la garantie offerte par la Banque de Nouvelle‑Écosse, on peut douter que l'appelante aurait remboursé le prêt ou, à tout le moins, il ne ressort pas de la preuve qu'elle l'aurait fait. L'appelante ne m'a pas convaincue que l'objet réel des paiements faits à la banque Wachovia, ou leur raison d'être, tenait à la protection de ses revenus. La décision de verser ces paiements ne constituait pas une décision d'affaires calculée prise d'un point de vue commercial et fondée sur le bon sens, contrairement à ce qui s'est passé dans l'affaire Valiant. Même si je reconnais que les entreprises de l'appelante et de la société Fusion peuvent être considérées comme étroitement liées, les paiements au titre desquels la perte est déclarée ne découlent pas d'un processus de prise de décision touchant les activités commerciales de l'appelante. Il s'agissait d'un paiement forcé dont l'appelante était responsable aux termes d'une lettre de garantie, et elle n'avait d'autre choix que de rembourser le prêt. La garantie a dès le début été donnée à la banque Wachovia afin de financer les activités de la société Fusion. Il s'agit d'une affaire où l'appelante a convenu de financer sa société soeur en offrant une garantie et où elle a finalement perdu son argent. Cette situation s'apparente à un prêt et elle a un caractère de capital (comme il est énoncé dans les décisions Steer et Stewart & Morrison, précitées).

 

[40]         Je conclus donc que la perte était une perte en capital qui, suivant l'alinéa 18(1)b) de la Loi, ne pouvait être déduite du revenu pour l'année d'imposition 1999.

 

[41]         L'appelante n'a présenté à l'audience aucune observation sur la façon de traiter la perte en capital au regard de l'année d'imposition 1999. Cependant, si j'ai bien compris la teneur de l'avis d'appel, l'appelante considérait que la perte avait été subie cette année‑là. L'intimée a soutenu que la perte en capital n'avait pas été subie en 1999 parce que les paiements versés au titre de la garantie n'ont été faits qu'en 2000. J'arrive à la conclusion qu'il existait une dette réelle en 1999. J'estime en outre, à la lumière de la preuve, que l'appelante savait fort bien, au cours de cette année d'imposition 1999, que la société Fusion avait manqué à ses obligations et qu'elle‑même ne serait pas remboursée. La perte en capital doit donc, à mon sens, être considérée comme une perte en capital déductible pour l'année d'imposition 1999 en application des alinéas 38b), 39(1)b) et 50(1)a) de la Loi. Je crois toutefois comprendre des brèves remarques formulées à l'audience par l'avocat de l'appelante sur la question des dépens que l'existence d'une perte en capital subie au cours de l'année d'imposition 1999 n'a aucune incidence sur la nouvelle cotisation pour cette année. Cette perte en capital peut être déduite des gains en capital d'autres années, le cas échéant, conformément aux dispositions pertinentes de la Loi.

 

[42]         En conséquence, l'appel touchant la nouvelle cotisation du 26 octobre 2005 est rejeté.

 

Les dépens

 

[43]         L'intimée a signalé à la Cour que trois offres de transaction ont été présentées à l'appelante. Deux d'entre elles étaient identiques, mais elles ont été faites à des moments différents, avant l'audience. Selon ces offres, la perte était traitée comme une perte en capital pour l'année d'imposition 2002. La dernière offre de transaction de l'intimée, laquelle a été présentée la veille de l'instruction, visait à reconnaître la perte en capital durant l'année d'imposition 2001.

 

[44]         Compte tenu de ma conclusion en l'espèce, j'estime que l'intimée a droit à ses dépens conformément au tarif B des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), et à rien de plus.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2009.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de janvier 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 538

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2007‑2303(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Shaw‑Almex Industries Limited c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 17 et 18 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 4 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Michael Morgan

Avocate de l'intimée :

Me Suzanne Bruce

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Nom :           Me Michael Morgan

 

                   Cabinet :

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 

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