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Dossier : 2008-550(IT)I

ENTRE :

FRANK MORGAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 9 octobre 2009, à Hamilton (Ontario).

 

 Devant : L’honorable juge Valerie Miller

 

 Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocate de l’intimée :

Me Rishma Bhimji

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

 

          Le présent jugement remplace le jugement daté du 28 octobre 2009.

 

          L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003 et 2004 est rejeté.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de novembre 2009.

 

 

 

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de décembre 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 552

Date : 20091109

Dossier : 2008-550(IT)I

ENTRE :

FRANK MORGAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉ

 

La juge V.A. Miller

 

[1]              L’appelant a porté en appel les nouvelles cotisations établies pour ses années d’imposition 2003 et 2004, nouvelles cotisations par lesquelles le ministre du Revenu national a refusé la déduction de pertes totalisant respectivement 2 010,33 $ et 1 072,50 $. En l’espèce, la question en litige est de savoir si l’exploitation d’une garderie constituait une source de revenu pour l’appelant.

 

[2]              L’appelant a témoigné que lui et son épouse, Fiona Morgan, étaient associés au sein d’une entreprise qui exploitait une garderie portant le nom de Morgan’s Day Care (la « garderie »). L’entreprise était exploitée à partir de la résidence des Morgan. L’appelant a affirmé que de 1999 à 2004, son épouse exploitait seulement la garderie l’après‑midi, parce qu’elle travaillait pour United Parcel Service Canada Ltd. en avant‑midi.

 

[3]              L’appelant a témoigné que la clientèle de la garderie était composée de parents qui ne pouvaient pas aller chercher leurs enfants après l’école. L’appelant et son épouse ne faisaient pas de publicité pour leur garderie, mais le « bouche à oreille » l’a fait connaître. Les parents n’avaient pas à inscrire leurs enfants à la garderie, et le nombre d’enfants accueillis par la garderie variait. L’appelant a témoigné que les enfants gardés étaient des adolescents ou des enfants plus jeunes, et qu’il était juste de dire que son épouse ne gardait pas les mêmes enfants chaque jour.

 

[4]              L’appelant a été incapable de dire quel montant son épouse facturait aux parents pour les services de garde. Il a dit que la clientèle de la garderie était à moitié composée de mères célibataires, et que son épouse ajustait les frais de garde selon la situation de chaque parent.

 

[5]              L’appelant ne connaissait le nom d’aucune des familles qui faisaient appel aux services de la garderie, il était incapable de préciser le nombre d’enfants qui étaient gardés, et il ne savait pas à combien s’élevaient les frais facturés aux clients de la garderie. Il a affirmé que son épouse était capable de répondre à ces questions, mais, malheureusement, celle‑ci n’a pas comparu à l’audience.

 

[6]              L’appelant a témoigné que son épouse et lui avaient cessé d’exploiter la garderie à la fin de l’année 2004, parce qu’ils s’étaient rendu compte que le nombre d’enfants à garder avait diminué.

 

[7]              L’appelant a seulement déposé trois documents en preuve : un rapport de police, un contrat de prêt hypothécaire, et le plan du terrain de sa résidence, laquelle est située au 11, avenue Grayrocks, à Hamilton, en Ontario. L’appelant a dit qu’il ne possédait plus les reçus qui auraient permis d’étayer les sommes dépensées pour acheter la nourriture utilisée par la garderie, et qu’il n’avait aucune copie des reçus montrant les revenus de la garderie. L’appelant a affirmé que son épouse conservait ces documents dans une chemise qui avait été volée lorsque les Morgan avaient déménagé de Hamilton à Caledonia.

 

[8]              L’appelant et son épouse ont commencé à exploiter la garderie à partir de leur résidence située au 11, avenue Grayrocks, à Hamilton, en Ontario. Selon le rapport de police produit par l’appelant, les Morgan avaient déménagé à Caledonia le 28 janvier 2004. Le 28 février 2004, l’appelant a signalé à la police que plusieurs boîtes avaient disparu pendant le déménagement.

 

Source de revenu

 

[9]              Dans Stewart c. La Reine[1], la Cour suprême du Canada a énoncé le critère suivant pour décider ce qui constitue une source de revenu :

 

[5]        Il est incontesté que la notion de « source de revenu » est un élément fondamental du régime fiscal canadien. Cependant, tout critère d’appréciation de l’existence d’une source doit reposer fermement sur le texte et l’économie de la Loi. En conséquence, pour déterminer si une activité particulière constitue une source de revenu, le contribuable doit démontrer qu’il a l’intention d’exercer cette activité en vue de réaliser un profit, et présenter des éléments de preuve étayant cette intention. Ce critère a pour objet de distinguer les activités commerciales des activités personnelles. Lorsqu’une activité exercée dans le but de réaliser un profit ne comporte aucun aspect personnel ou récréatif, cette activité est commerciale et la recherche d’un profit par le contribuable est établie. Cependant, lorsqu’on soupçonne que l’activité du contribuable est un passe‑temps ou une démarche personnelle plutôt qu’une entreprise commerciale, la prétendue expectative raisonnable de profit est un facteur parmi d’autres qui peut être pris en considération pour déterminer si le contribuable a l’intention d’exploiter une entreprise commerciale.

 

[…]

 

[50]      Il est manifeste que, pour que l’article 9 s’applique, le contribuable doit d’abord déterminer s’il a une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien. Comme nous l’avons vu, une activité commerciale qui ne constitue pas véritablement une entreprise peut néanmoins être une source de revenu constituée d’un bien. De même, il est clair que certaines démarches de contribuables ne sont ni des entreprises, ni des sources de revenu constituées d’un bien, mais sont uniquement des activités personnelles. On peut recourir à la méthode à deux volets suivante pour trancher la question de l’existence d’une source :

 

(i) L’activité du contribuable est‑elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit-il d’une démarche personnelle?

 

(ii) S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est‑elle une entreprise ou un bien?

 

Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s’il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d’entreprise ou de bien.

 

[51]      Assimiler la « source de revenu » à une activité exercée « en vue de réaliser un profit » concorde avec la définition traditionnelle du mot « entreprise » qui est donnée en common law, à savoir [traduction] « tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit » : Smith, précité, p. 258; Terminal Dock, précité. De même, la distinction entre le revenu tiré d’une entreprise et le revenu tiré d’un bien repose généralement sur le fait qu’une entreprise exige un niveau d’activité plus élevé de la part du contribuable : voir Krishna, op. cit., p. 240. Il est donc logique de conclure qu’une activité exercée en vue de réaliser un profit, quel que soit le niveau d’activité du contribuable, sera une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien.

 

[52]      Ce premier volet du critère vise simplement à établir une distinction entre les activités commerciales et les activités personnelles et, comme nous l’avons vu, il se peut fort bien que telle ait été à l’origine l’intention du juge Dickson lorsqu’il a mentionné l’« expectative raisonnable de profit » dans l’arrêt Moldowan. Vus sous cet angle, les critères énoncés par le juge Dickson représentent une tentative de dresser une liste objective de facteurs permettant de déterminer si l’activité en cause est de nature commerciale ou personnelle. Ces facteurs sont ce que le juge Bowman a qualifié d’« indices de commercialité » ou de « caractéristiques commerciales » : Nichol, précité, par. 13. Ainsi, lorsque la nature de l’entreprise du contribuable comporte des aspects indiquant qu’elle pourrait être considérée comme un passe‑temps ou une autre activité personnelle, mais que l’entreprise est exploitée d’une manière suffisamment commerciale, cette entreprise sera considérée comme une source de revenu aux fins d’application de la Loi.

 

[53]      Nous soulignons que ce critère de l’existence d’une source « en vue de réaliser un profit » ne doit faire l’objet d’une analyse que dans les situations où l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif. En toute déférence, nous estimons que les tribunaux ont commis une erreur, dans le passé, en appliquant le critère de l’ERP à des activités comme l’exercice du droit et la restauration qui ne comportent aucun aspect personnel de cette nature : voir, par exemple, Landry, précité; Sirois, précité; Engler c. Canada, [1994] A.C.F. n483 (QL) (1re inst.). Lorsqu’une activité est clairement de nature commerciale, il n’est pas nécessaire d’analyser les décisions commerciales du contribuable. De telles démarches comportent nécessairement la recherche d’un profit. Il existe donc par définition une source de revenu et il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin.

 

[54]      Il y a également lieu de souligner que la détermination de l’existence d’une source de revenu n’est pas un processus purement subjectif. Outre le fait que, pour qu’une activité soit qualifiée de commerciale par nature, le contribuable doit avoir l’intention subjective de réaliser un profit, il faut aussi, tel que mentionné dans l’arrêt Moldowan, que cette détermination se fasse en fonction de divers facteurs objectifs. Ainsi, sous une forme plus élaborée, le premier volet du critère susmentionné peut être reformulé ainsi : « Le contribuable a‑t‑il l’intention d’exercer une activité en vue de réaliser un profit et existe-t-il des éléments de preuve étayant cette intention? » Cela oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l’activité et que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

[55]      Les facteurs objectifs énumérés par le juge Dickson dans Moldowan, précité, p. 486, étaient (1) l’état des profits et pertes pour les années antérieures, (2) la formation du contribuable, (3) la voie sur laquelle il entend s’engager, et (4) la capacité de l’entreprise de réaliser un profit. Comme nous le concluons plus loin, il n’est pas nécessaire pour les besoins du présent pourvoi d’ajouter d’autres facteurs à cette liste; nous nous abstenons donc de le faire. Nous tenons cependant à réitérer la mise en garde du juge Dickson selon laquelle cette liste ne se veut pas exhaustive et les facteurs diffèrent selon la nature et l’importance de l’entreprise. Nous tenons également à souligner que, même si l’expectative raisonnable de profit constitue un facteur à prendre en considération à ce stade, elle n’est ni le seul facteur, ni un facteur déterminant. Il faut déterminer globalement si le contribuable exerce l’activité d’une manière commerciale. Cette détermination ne devrait toutefois pas servir à évaluer après coup le sens des affaires du contribuable. C’est la nature commerciale de son activité qui doit être évaluée, et non son sens des affaires.

 

[10]         Lorsqu’il a été contre‑interrogé, l’appelant a dit que son épouse et lui n’avaient pas entrepris d’exploiter la garderie en vue de réaliser un bénéfice. Des questions plus poussées ont amené l’appelant à dire que les Morgan n’avait ni l’intention de réaliser un bénéfice ni l’intention de subir une perte.

 

[11]         Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, j’ai conclu que la garderie exploitée par l’appelant ne constituait pas pour lui une source de revenu. L’appelant n’avait pas l’intention subjective de réaliser un bénéfice, et la garderie n’était pas exploitée de manière commerciale.

 

[12]         Les services de la garderie n’étaient pas annoncés. Les frais de garde facturés aux parents variaient selon ce qu’ils pouvaient payer. L’appelant ne tenait aucun livre quant aux activités de la garderie, et je ne suis pas certaine que les activités de la garderie ont été consignées dans des registres. L’appelant a affirmé avoir tenu des registres quant aux activités de la garderie et les avoir fournis au comptable qui a établi ses déclarations de revenus pour 2003 et 2004, mais il a expliqué que ces documents avaient été volés pendant le déménagement. Les éléments de preuve présentés révèlent que l’appelant et son épouse ont déménagé le 28 janvier 2004, et qu’il a produit ses déclarations de revenu pour 2003 et 2004 le 19 mars 2004 et le 14 mars 2005, respectivement. Si l’appelant a véritablement tenu des registres, il est impossible qu’ils aient été volés le 28 janvier 2004, car ces documents ont prétendument été utilisés pour établir ses déclarations de revenu.

 

[13]         En l’espèce, l’exploitation de la garderie pourrait avoir été une démarche personnelle. Selon l’appelant, son épouse faisait du bénévolat à la bibliothèque de l’école. C’est là qu’elle aurait découvert que de nombreux parents célibataires qui devaient travailler après les heures de cours n’avaient personne à qui confier leurs enfants pendant ce temps‑là. Mme Morgan a remarqué que des parents avaient besoin d’aide, et elle leur a prêté main‑forte en accueillant leurs enfants chez elle après l’école. Cela est fort louable, mais je suis néanmoins d’avis que l’exploitation de la garderie ne constituait pas une source de revenu.

 

[14]         L’état des bénéfices et des pertes de la garderie, de même que la part (50 %) de l’appelant sont les suivants :

 

Année

Pertes de la garderie

Pertes de l’appelant

1999

6 824 $

3 412 $

2000

6 652 $

3 326 $

2001

4 234 $

2 117 $

2002

4 884 $

2 442 $

 

[15]         Rien n’indique que l’appelant ou son épouse ont reçu une quelconque formation à l’égard de l’exploitation d’une garderie. De même, rien ne permet de croire que l’appelant avait l’intention de réaliser un bénéfice en exploitant la garderie.

 

[16]         En l’espèce, l’intention subjective de l’appelant et l’analyse de critères objectifs m’ont menée à conclure que l’exploitation de la garderie ne constituait pas une source de revenu. L’appel est donc rejeté.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de novembre 2009.

 

 

 

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de décembre 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 552

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2008-550(IT)I

 

INTITULÉ :

Frank Morgan et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Valerie Miller

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :

Me Rishma Bhimji

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] [2002] 2 R.C.S. 645.

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