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Référence : 2009 CCI 465

Date : 20090918

Dossier : 2005-1619(IT)G

ENTRE :

 

PAUL ANTLE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de

la fiducie au profit du conjoint Renee Marquis-Antle, 2005-1620(IT)G,

les 9, 10, 11, 12 et 13 mars 2009,

à Vancouver (Colombie-Britannique),

et les 27, 28, 29 et 30 avril 2009, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me Joel A. Nitikman

Me Michelle Moriartey

Avocats de l'intimée :

Me Robert Carvalho

Me Eric Douglas

Me Johanna Russell

__________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est rejeté, et un seul mémoire de frais est adjugé à l'intimée.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de septembre 2009.

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mars 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

Référence : 2009 CCI 465

Date : 20090918

Dossier : 2005-1620(IT)G

ENTRE :

 

LA FIDUCIE AU PROFIT DU CONJOINT RENEE MARQUIS-ANTLE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Paul Antle,

2005-1619(IT)G, les 9, 10, 11, 12 et 13 mars 2009,

à Vancouver (Colombie-Britannique),

et les 27, 28, 29 et 30 avril 2009, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Joel A. Nitikman

Me Michelle Moriartey

Avocats de l'intimée :

Me Robert Carvalho

Me Eric Douglas

Me Johanna Russell

__________________________________________________________________

JUGEMENT

          Le soi‑disant appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est annulé, et un seul mémoire de frais est adjugé à l'intimée.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de septembre 2009.

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mars 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

Référence : 2009 CCI 465

Date : 20090918

Dossiers : 2005-1619(IT)G

2005-1620(IT)G

ENTRE :

 

PAUL ANTLE et

LA FIDUCIE AU PROFIT DU CONJOINT RENEE MARQUIS-ANTLE,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     Les experts en fiscalité aiment bien étiqueter les opérations fiscales – roulements, majorations, gels, échappatoires. En l’espèce, il s’agit d’une opération connue dans les milieux fiscaux comme la stratégie de majoration du coût des biens en immobilisation. En résumé, cette stratégie comporte la transmission d'une immobilisation (avec un gain accumulé) du mari à une fiducie de la Barbade au profit du conjoint, la fiducie vendant ensuite, dans ce cas‑ci, le bien à la femme bénéficiaire, la femme vendant le bien à un tiers acheteur et utilisant le produit pour payer la fiducie, les fonds étant ensuite distribués par la fiducie à la femme en sa qualité de bénéficiaire et la fiducie étant ensuite dissoute. Le résultat est qu'il n'y a pas d'impôt à payer puisqu'il n'y a pas de gain en capital imposable au Canada, comme il y en aurait eu un si le mari avait vendu l'immobilisation directement au tiers. Le gain en capital est réalisé par la fiducie, à la Barbade, où il n'y a pas d'impôt sur les gains en capital. L'intimée s'oppose à cette stratégie suivie par les Antle, et ce, pour un certain nombre de motifs :

 

(i)      la fiducie est un trompe-l'œil;

 

(ii)      la fiducie n'a pas été constituée d'une façon régulière;

 

(iii)            il n'a pas été satisfait aux exigences du paragraphe 73(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »);

 

(iv)            on invoque le paragraphe 69(11) de la Loi;

 

(v)              on invoque les DGAE.

 

[2]     Si la stratégie de majoration du coût des biens en immobilisation devait être considérée comme une forme de planification fiscale acceptable, il y aurait imposition des gains en capital à deux vitesses au Canada : il y aurait d’une part les contribuables dont le gain en capital peut justifier des honoraires professionnels aux fins de la mise en œuvre de la stratégie, qui échapperaient alors à l’impôt sur les gains en capital au Canada; il y aurait d’autre part tous les autres contribuables, dont les gains en capital seraient, eux, assujettis à l'impôt conformément à la partie I de la Loi. Or, aux yeux de l'intimée, ce résultat est inacceptable. En fait, je suis appelé, en l’espèce, à rechercher s'il revient au législateur d’intervenir en vue de prévenir pareil résultat, ou si les tribunaux peuvent se fonder sur la législation et la jurisprudence existantes pour le faire.

 

Les faits

 

[3]     Un grand nombre de journées ont été consacrées aux témoignages de plusieurs témoins, notamment M. Antle et sa femme, leurs conseillers professionnels et le fiduciaire de la Barbade, appelé d'une façon fort appropriée M. Truss. Les principaux faits à examiner sont ceux qui se rapportent à la vente de l'immobilisation en question, à la création de la fiducie, à la conclusion des opérations et aux événements subséquents.

 

La vente d'actions de PM Environmental Holdings Ltd. (« PM »)

 

[4]     M. Paul Antle et M. Mukesh Kapila ont constitué PM en personne morale à Terre‑Neuve aux fins de l'acquisition d'actions de SCC Environmental Group Inc. (« SCC ») d'une société sans lien de dépendance, Stratos Global Corporation (« Stratos »). M. Antle possédait certaines actions de Stratos. Il possédait 2 390 000 actions de PM. En 1998, PM a acquis de Stratos les actions de SCC en échange de la réception par Stratos d'actions privilégiées, d'une créance et d'un droit à 50 p. 100 des bénéfices en cas de vente future par les nouveaux propriétaires (la « clause 50‑50 »). Le certificat d'actions afférent aux actions de PM détenues par M. Antle a été endossé en blanc par celui‑ci et Stratos détenait ce certificat en garantie.

 

[5]     Au mois d'août 1999, M. Antle a entamé des pourparlers avec MI Drilling Fluids Canada Inc. (« MI »), une filiale de la société américaine MI Drilling Fluids, en vue d'une vente possible de PM en faveur de MI. Il était évident que le marché inclurait l'achat de toute autre obligation restante envers Stratos. Le 28 septembre 1999, M. Antle a obtenu une lettre de Stratos indiquant que celle‑ci était prête à accepter 797 000 $ pour ses actions privilégiées et 2,2 millions de dollars pour la créance, plus les intérêts courus, en vue de régler toutes les obligations impayées.

 

[6]     Dans une lettre datée du 30 septembre 1999 de MI à M. Antle, MI indiquait qu'elle [traduction] « aimerait faire l'offre suivante aux fins de l'achat du groupe SCC ». Cette lettre donnait les précisions suivantes :

 

- Il devait y avoir achat de toutes les actions pour la somme de 3,7 millions de dollars et prise en charge de la dette, jusqu'à concurrence de 4,8 millions de dollars;

 

- M. Antle et M. Kapila devaient fournir des ententes de non‑concurrence moyennant le paiement de 1,5 million de dollars;

 

- M. Antle et M. Kapila se verraient offrir des contrats d'emploi;

 

- Les parties feraient de leur mieux pour négocier et signer une entente définitive au plus tard le 31 octobre 1999.

 

M. Antle était d'accord et, le 1er octobre 1999, il a accepté cette offre à titre de dirigeant du groupe SCC.

 

[7]     Les avocats de MI ont préparé une première ébauche de convention d'achat‑vente datée du 12 octobre 1999, dans laquelle M. Antle et M. Kapila étaient désignés à titre de vendeurs des actions de PM. M. Antle a fait des observations au sujet de cette ébauche dans un courriel adressé à M. Chandler, l'avocat interne de MI, à savoir que la structure du marché n'était de toute évidence pas établie d'une façon définitive [traduction] « à cause de questions fiscales », bien que son témoignage ait clairement montré que cette remarque ne se rapportait pas expressément à la stratégie de majoration du coût des biens en immobilisation.

 

[8]     À la fin du mois d'octobre, il était clair que Stratos était au courant de la vente éventuelle et, au mois de novembre, l'avocat de M. Antle, M. Chalker, et M. Wood, président de Stratos, ont évoqué de la possibilité que Stratos invoque la clause 50‑50 afin de s'attribuer la moitié des bénéfices tirés de la vente. M. Antle a informé M. Wood que le prix des actions était de 2 763 000 $. Stratos ne voulait pas donner son consentement ni de quittance sans recevoir la moitié de ce montant, soit 1 381 500 $, à titre de contrepartie additionnelle, en sus des paiements effectués pour les actions privilégiées et pour la créance. De fait, à la mi‑novembre, M. Antle estimait qu’en raison de la position prise par Stratos, le marché avec MI n'aboutirait pas. Cependant, le 23 novembre, Stratos a consenti à la vente des actions en contrepartie du montant de 2 997 000 $, plus les intérêts, plus 50 p. 100 du prix d'achat, soit 1 381 500 $. MI avait rédigé un formulaire de quittance pour signature par Stratos, dans lequel il était reconnu que Mme Antle et Mme Kapila seraient finalement les vendeurs, et ce, bien qu'il ne fût pas fait mention d'un contrat de fiducie. Dans la même veine, le consentement donné par Stratos le 23 novembre se rapportait uniquement à un transfert d'actions de M. Antle et de M. Kapila, mais il n'était pas fait mention des épouses ou d'une fiducie. M. Chalker a corrigé la situation le 3 décembre 1999 en demandant que la formule de consentement soit modifiée de sorte qu’elle comporte un transfert des maris à leurs épouses, encore une fois sans qu'il soit fait mention d'un contrat de fiducie. Selon M. Antle, Stratos ne s'intéressait pas à cette planification personnelle. M. Wood, président de Stratos, a témoigné ne pas avoir su que les actions seraient transmises aux épouses par l'entremise d'une fiducie, malgré le témoignage en sens contraire de M. Antle.

 

[9]     M. Antle avait dit à Stratos, par une lettre datée du 22 novembre, que le marché comportait notamment une clause de non‑concurrence de 1,5 million de dollars et que [traduction] « aux fins de l'impôt, le revenu additionnel pourrait être structuré de façon à être en partie imputé au prix d'achat ». M. Antle a confirmé auprès de MI, par une lettre datée du 9 décembre, que la fraction convenue du prix d'achat pour les vendeurs (M. Antle et M. Kapila) s'élevait à 1 381 500 $, mais que ceux-ci imputeraient au prix d'achat le montant de 500 000 $ sur le paiement se rattachant à la clause de non‑concurrence, de sorte que le prix révisé s'élèverait à 1 881 500 $, et que seul M. Antle imputerait au prix d'achat le montant additionnel de 274 200 $ sur le paiement se rattachant à la clause de non‑concurrence qui lui revenait, de sorte que le prix final serait de 2 155 700 $. La veille de la conclusion de l'opération, le 13 décembre, Stratos a reconnu par écrit ne plus avoir de droit à l'égard du prix d'achat révisé, en sus du montant additionnel de 1 381 500 $.

 

[10]Dans l'intervalle, pendant le mois de novembre, les négociations entre les parties avaient permis d'établir la version définitive de la convention d'achat‑vente, de sorte qu'au début du mois de décembre, il a été convenu que la date de conclusion serait le 14 décembre. Au début du mois de décembre, Stratos a été informée que les actions seraient vendues par Mme Antle, et non par M. Antle.

 

[11]MI savait sans aucun doute que M. Antle envisageait un arrangement selon lequel les actions seraient vendues par Mme Antle. La convention d'achat‑vente a été modifiée de manière correspondante, et M. Antle a conclu l'entente à titre de coauteur de l'engagement seulement, à l'égard des conditions et assurances figurant dans la convention d'achat‑vente. M. Pritchard, l'avocat de Calgary qui représentait MI, ne se rappelait pas qu'il ait été fait mention d'une fiducie de la Barbade; il avait été uniquement mentionné que les actions seraient en fin de compte vendues par les épouses. La chose ne le préoccupait pas.

 

La fiducie

 

[12]Le comptable de M. Kapila, M. Thakar, a communiqué avec le comptable de M. Antle, M. Power, au mois d'octobre 1999 au sujet de la vente éventuelle d'actions de PM; il a proposé à celui-ci de communiquer avec M. Myron Brown, de Probity International Capital Corp., aux Bahamas, ce qui a donné lieu à une conversation entre M. Brown et M. Power et à un courriel de M. Brown à M. Power, le 18 octobre 1999, lequel renfermait une lettre de mission type énonçant la stratégie de majoration du coût des biens en immobilisation. M. Power a cru comprendre que cette stratégie était la suivante : M. Antle allait créer une fiducie au profit du conjoint à la Barbade (la « fiducie ») pour sa femme et transférer les actions de PM à cette fiducie. M. Power a informé M. Antle qu'un tel arrangement comporterait l'abandon du contrôle des actions qu'il détenait dans PM. M. Power savait fort bien à ce stade que M. Antle était sur le point de vendre les actions de PM et il reconnaissait que le contrat de fiducie était lié à la vente éventuelle. Il a informé M. Antle que, si Mme Antle recevait finalement les fonds de la fiducie, il devait être clair que le produit y afférent reviendrait à celle‑ci. Il a expliqué que l'avantage fiscal était que Mme Antle ne serait pas imposable et que la fiducie ne serait pas non plus imposable sur les gains en capital à la Barbade. M. Antle a indiqué qu'il voulait donner quelque chose, sous la forme d'un placement liquide, à sa femme parce que celle‑ci avait antérieurement subvenu aux besoins de la famille au cours de sa carrière (le père de Mme Antle avait prêté 200 000 $ à M. Antle à un moment crucial de la carrière de ce dernier; ces fonds avaient par la suite été remboursés) et que cette opération était une bonne formule.

 

[13]M. Power a parlé à M. Chalker, l'avocat de M. Antle, vers le 19 octobre, après quoi M. Chalker a écrit à M. Nitikman[1], de Fraser Milner, qui avait fourni un avis juridique au sujet de la stratégie de majoration du coût des biens en immobilisation, en faisant parvenir une copie de la lettre à M. Brown et à M. Butalia, comptable chez BDO Dunwoody, qui en était le concepteur initial. M. Chalker disait notamment ce qui suit[2] :

 

[traduction]

 

Le 30 septembre 1999, MM. Antle et Kapila ont signé une lettre d'offre aux termes de laquelle ils acceptaient de vendre à MI ou à la personne désignée par cette dernière les actions qu'ils détenaient dans PM Environmental, moyennant un prix d'achat global de 3,7 millions de dollars et la prise en charge d'une dette, jusqu'à concurrence de 4,8 millions de dollars. […]

 

[…] Je suis d'avis que la lettre d'offre ne constitue pas une entente ayant force exécutoire, mais qu'il s'agit simplement d'une entente en vue d'arriver à une entente. […]

 

Si MM. Antle et Kapila décident d'aller de l'avant avec la « majoration du coût des biens en immobilisation », il leur est proposé de suivre la démarche suivante :

 

(1)        La lettre d'offre serait annulée et remplacée par un nouvelle lettre d'offre désignant les épouses respectives de M. Antle et de M. Kapila à titre de vendeurs des actions de PM Environmental;

 

(2)        Une fiducie de la Barbade serait créée, et mon client donnerait à cette fiducie les actions qu'il détient dans PM Environmental. La femme de M. Antle serait l'unique bénéficiaire de la fiducie;

 

(3)        La fiducie vendrait les actions à la femme de mon client à leur juste valeur marchande, qui correspondrait à 74 p. 100 de 3,7 millions de dollars (c'est‑à‑dire 2 738 millions de dollars), et la femme de mon client signerait un billet à ce montant en faveur de la fiducie;

 

(4)        La fiducie serait liquidée, et le billet serait remis à la femme de mon client en sa qualité d'unique bénéficiaire de la fiducie;

 

(5)        Mme Antle vendrait ensuite les actions détenues dans PM Environmental à MI ou à la personne désignée, moyennant un prix d'achat de 2 738 millions de dollars;

 

(6)        Mme Antle pourrait, après la conclusion de l'opération avec MI, donner à son mari le produit en espèces qu'elle a reçu. Il y aurait une entente à ce sujet, mais il existe une possibilité qu'une telle opération soit conclue. [...]

 

Cette démarche est conforme au témoignage de M. Butalia, que je désignerais comme le concepteur de la stratégie. M. Butalia n'a pas parlé de « stratégie de majoration du coût des biens en immobilisation » pour décrire ce plan, mais il a simplement dit qu'il s'agissait d'une fiducie de la Barbade au profit du conjoint. Il a confirmé que la stratégie avait été élaborée en vue de majorer le coût de base des actions, de sorte que, lorsqu'elles seraient vendues par l'épouse, cela ne donnerait pas lieu à une dette fiscale au Canada. Tel était l'objectif global.

 

[14]M. Power a discuté de la stratégie avec M. Antle, et notamment de la vente d'actions par la fiducie en faveur de Mme Antle, et de l'idée selon laquelle celle-ci paierait les actions à l'aide du produit d'une vente subséquente en faveur d'un tiers. Le 26 octobre, M. Brown a remis une lettre de mission plus précise à M. Power, qui l'a transmise à M. Antle. La lettre de mission[3] disait notamment ce qui suit :

 

[traduction]

 

Vous m'avez fait savoir qu'en procédant à cette planification spéciale, vous cherchiez principalement à l'appliquer dans le cadre de votre planification financière personnelle et de la planification successorale à long terme. [...]

 

[15]M. Brown a reconnu que la lettre de mission était un formulaire type.

 

[16]M. Power a témoigné que, compte tenu des acteurs en cause, il était satisfait de la légitimité du plan et il estimait qu'une véritable fiducie serait créée en vue d'y donner suite. Il se fondait également sur l'avis antérieur de M. Nitikman et sur les conseils qu'il avait demandés à KPMG.

 

[17]M. Antle a évoqué cette idée avec sa femme, qui estimait que la réception de fonds aussi importants lui assurerait une certaine liberté financière et donnerait lieu en outre à une économie d'impôt. Mme Antle estimait également qu'étant donné que son mari examinait tout, par l'entremise de M. Power et de M. Chalker, des conseillers respectés auxquels celui‑ci faisait depuis longtemps appel, elle n'avait pas à y songer plus longtemps : sans vouloir manquer de respect envers Mme Antle, j'ai eu l'impression, lorsqu'elle a témoigné, qu'elle connaissait mal le mécanisme de la stratégie, mais que, comme on peut s'y attendre, c'était le résultat qui l'intéressait. Comme elle l'a déclaré dans son témoignage, elle savait, en 1999, qu'elle était désignée à titre de bénéficiaire parce que, comme elle l'a dit, [traduction] « mon mari me l'a dit ».

 

[18]Probity, par l'entremise de M. Brown, a chargé un avocat, de Calgary, M. DeVries, du côté commercial corporatif canadien de l'opération de majoration. M. DeVries a décrit la stratégie de stratégie par laquelle une fiducie au profit du conjoint était créée avec un fiduciaire de la Barbade, [traduction] « l'intention étant d'éviter l'impôt sur les gains en capital au Canada ». M. DeVries, Probity et BDO Dunwoody devaient se partager, dans une proportion d'un tiers chacun, les honoraires que Probity négociait pour la stratégie de majoration. Les honoraires étaient constitués d'honoraires minimaux fondés sur le pourcentage d'impôt sur les gains en capital qui était évité ainsi que d'une provision ou rémunération au résultat, si la stratégie aboutissait au résultat voulu. Dans ce dernier cas, ces honoraires dépendront de l'issue de la présente procédure. Selon M. Brown, les honoraires minimaux devaient être obtenus une fois l'opération menée à bonne fin, y compris l'apport des actions dans la fiducie, le transfert d'actions en faveur de Mme Antle, la vente ultérieure par cette dernière en faveur du tiers et le remboursement du billet à la fiducie à l'aide du produit. Comme M. Brown l'a indiqué, il s'agissait d'une proposition à prendre ou à laisser.

 

[19]À la fin du mois d'octobre, M. DeVries a fourni des documents à M. Chalker aux fins de la mise en œuvre de la stratégie, notamment des résolutions de l'administrateur de PM, un acte de vente et un billet daté du 1er novembre. M. Chalker a répondu qu'il attendait que Stratos consente à la vente, de sorte qu'il était prématuré d’en fixer la date. À ce moment‑là, M. Antle espérait toujours que l'opération soit conclue le 31 octobre. Il a signé une déclaration de volonté datée du 27 octobre 1999, mais il n'a pas en fait créé la fiducie à ce moment‑là, à cause du problème qui se posait avec Stratos. Le 15 novembre, M. DeVries a répondu à M. Chalker que la date de l'opération pouvait être changée, et qu'il ne servait à rien d'avoir un aperçu systématique étant donné que les documents seraient simplement signés l'un à la suite de l'autre. M. DeVries savait parfaitement que l’opération comportait une vente en faveur d'un tiers.

 

[20]Probity, encore une fois par l'entremise de M. Brown, cherchait à ce moment‑là à retenir les services de M. Truss, un avocat de la Barbade, qu'il avait connu par l'entremise de M. Butalia. M. Truss, qui venait d'être assermenté au barreau de la Barbade, était prêt à intervenir à titre de fiduciaire. Ni M. Antle, ni M. Chalker, ni M. Power ne connaissaient M. Truss. Le 27 octobre, M. Brown a remis à M. Truss une liste de contrôle des renseignements concernant le client, à l'aide de laquelle M. Truss a rédigé la première ébauche de l'acte de fiducie. M. Truss a reconnu avoir eu en sa possession des actes de fiducie types rédigés lors d'opérations antérieures et avoir donc été en mesure de fournir des ébauches le même jour ainsi que sa facture, de 3 300 $US pour la [traduction] « constitution d'une fiducie de la Barbade ». M. Truss a expliqué que les honoraires ne se rapportaient pas uniquement à la rédaction des documents de fiducie, mais qu'ils visaient aussi les services de fiduciaire, pour une année civile.

 

[21]M. Truss avait effectué des recherches sur le droit des fiducies et vérifié qu'il pouvait éviter toute responsabilité éventuelle s'il veillait à ce que toutes les décisions qu'il prenait soient prises au mieux des intérêts du bénéficiaire. Par conséquent, si les bénéficiaires consentaient à une décision, il était convaincu que les risques étaient atténués. C'est pourquoi il ne s'opposait pas à ce que la bénéficiaire, Mme Antle, achète les actions de la fiducie. Il a confirmé avoir eu la ferme intention d'intervenir à titre de fiduciaire et qu'il ne s'engagerait pas dans un arrangement fictif ou dans un trompe-l'œil. Il a reconnu que la fiducie visait un avantage fiscal, mais il n'avait jamais bien compris en quoi celui-ci consistait, bien qu'il eût cru que l'opération devait absolument être conclue avant la fin de l'année, en raison des modifications qui étaient sur le point d'être apportées à la législation fiscale canadienne.

 

[22]Le 2 novembre, M. Truss a envoyé les documents de fiducie à M. Chalker qui, moyennant une légère modification, les a jugés acceptables. M. Antle se fiait à M. Chalker et il n'a pas examiné l'acte de fiducie en détail. Le 3 novembre, M. Truss a informé la Barbados Exchange Control Authority (l'« Administration ») de l'existence de la fiducie, en demandant l’autorisation de détenir des biens étrangers. L'Administration a donné son approbation le 8 novembre. M. Truss n'a pas informé l'Administration que la fiducie ne serait en fait constituée que par la suite. L'acte de fiducie est daté du 5 décembre, bien que M. Truss l'eût initialement signé le 27 octobre et que M. Antle l'eût signé le 14 décembre seulement.

 

[23]M. Truss n'a eu aucune nouvelle au sujet de la fiducie Antle jusqu'au mois de décembre. Il n'était pas au courant de ce qui se passait quant à la vente à un tiers et quant à la nécessité d'obtenir le consentement de Stratos. Le 8 décembre, il a demandé copie de l'acte de fiducie à M. DeVries, en supposant que la fiducie était déjà en place. Il a témoigné avoir selon toute probabilité appris le 5 décembre que la fiducie était probablement constituée (alors qu'en fait elle ne l'était pas), étant donné qu'il aurait alors inscrit la date du 5 décembre dans la copie sur papier parchemin de l'acte. De fait, M. DeVries a indiqué la chronologie des événements, le 9 décembre, par une lettre adressée à M. Chalker :

 

- la fiducie a été constituée le 5 décembre;

 

- la vente par la fiducie en faveur de l'épouse a eu lieu le 8 décembre;

 

- le billet ne devait être remboursé qu'après la vente en faveur du tiers, le 14 décembre (M. DeVries avait demandé que les fonds lui soient directement transférés par voie électronique).

 

[24]En ce qui concerne la signature de l'acte de fiducie lui‑même, il semble que M. Truss l'ait signé lorsqu'il l'a rédigé, le 27 octobre, mais il a par la suite changé la date sur la page couverture, en inscrivant le 5 décembre. Ce n'est que lors de la conclusion de l'opération, le 14 décembre, qu'il a en fait vu la signature de M. Antle sur une copie. M. Antle ne savait pas trop à quel moment il avait en fait signé l'acte de fiducie, mais puisqu'il faisait encore savoir à M. Brown, le 12 décembre, qu'il fallait rédiger la version définitive de l'acte de fiducie, je conclus qu'il n'a probablement signé l'acte de fiducie qu'au moment de la conclusion de l'opération, le 14 décembre. L'acte de fiducie qu'il a signé aurait été daté du 5 décembre. Je note que M. Antle n'a jamais rencontré M. Truss et qu'il n'a jamais communiqué avec lui.

 

[25]Malgré la demande de M. DeVries, M. Antle n'estimait pas nécessaire que les fonds fussent transmis au cabinet de M. DeVries. Il craignait que cela prenne du temps. Tous les intéressés, y compris M. Truss, se sont entendus pour que tous les transferts de fonds fussent simplement effectués par l'entremise du compte en fiducie de l'avocat de M. Antle, au Canada.

 

[26]M. DeVries a témoigné avoir cru comprendre que la fiducie avait été créée le 5 décembre, de sorte qu'il avait décidé de fixer au 8 décembre la date de la vente par la fiducie en faveur de Mme Antle, la bénéficiaire, en reconnaissant qu'il n'y avait pas réellement eu d'entente entre la fiducie et Mme Antle ce jour‑là. M. DeVries a expliqué que les parties s'entendaient au sujet de ce qui allait se produire et que la date n'était pas pertinente, à condition d'être antérieure à celle de la conclusion de la vente avec le tiers le 14 décembre. L'un des documents signés par M. Antle le 14 décembre était une résolution de l'administrateur de PM, qui prenait effet le 5 décembre, approuvant le transfert des actions de M. Antle en faveur de la fiducie.

 

[27]Le 13 décembre, M. DeVries a envoyé des documents par télécopieur (acte de vente, billet, et ainsi de suite) à M. Truss, qui les a signés et qui les a renvoyés. Il y avait entre autres un document[4] qui était ainsi libellé :

 

[traduction]

 

La fiducie remet par les présentes toutes ses immobilisations au bénéficiaire [...]

 

Fait le 14 décembre 1999, à 13 h 10.

 

Et des instructions en vue du paiement[5] :

 

[traduction]

 

Je, la fiducie soussignée, vous demande par les présentes de verser à Renee Marquis Antle (le « créancier »), la somme de 1 641 145,76 $, que vous détenez à mon crédit dans votre compte en fiducie. Fait le 14 décembre 1999, à 13 h 15.

 

[28]M. DeVries a envoyé par télécopieur ces documents signés à M. Chalker le lendemain, soit le 14 décembre, le jour où l'opération a été conclue.

 

[29]M. Truss était disposé à signer les documents. Il n'estimait pas nécessaire d'enquêter sur la valeur des actions puisque la fiducie les vendait au bénéficiaire, qui aurait de toute façon droit aux biens. Il n'y voyait aucun risque en sa qualité de fiduciaire. En outre, il a signé les documents puisqu'ils étaient conformes à son interprétation de l'opération, et non parce qu'il estimait être obligé de le faire. Il se fiait également à M. DeVries. M. Truss a témoigné que, s'il s'était agi d'une vente entre la fiducie et un tiers, il aurait obtenu le consentement du bénéficiaire ou il aurait fait enquête sur la juste valeur marchande des biens.

 

La conclusion de l'opération et les événements subséquents

 

[30]La vente des actions de PM a été conclue le 14 décembre, au cabinet de M. Chalker. Les représentants de MI sont arrivés vers quinze ou seize heures pour conclure la vente des actions de Mme Antle. Les Antle sont arrivés avant midi afin de signer les documents se rattachant à la fiducie. M. Antle a signé l'acte de fiducie. Mme Antle a signé l'acte de vente, le billet et un reçu daté du 14 décembre, à 13 h 20. M. Truss a reçu une télécopie des documents et il a signé le document se rapportant à la distribution des immobilisations, lequel indiquait 13 h 10, la reconnaissance complète à l'égard du billet, à 13 h 10, selon ce qui était indiqué, et les instructions selon lesquelles la somme de 1 645 145 $ revenant à Mme Antle devait être versé à M. Chalker, l'heure indiquée étant 13 h 15.

 

[31]À 14 h 55, M. Chalker a envoyé à M. Truss une télécopie, lui demandant de signer les certificats d'actions, mais non le certificat d'actions original au nom de M. Antle, ce que M. Truss a fait, en renvoyant les documents par télécopieur. À coup sûr, les documents ont été rédigés de façon à correspondre à une chronologie donnée, peu importe le moment où ils ont été réellement signés. Comme M. Antle l'a indiqué, il y avait un certain nombre d'intéressés en cause, l'opération était fort complexe et les dates n'avaient pas toutes été méticuleusement vérifiées, mais comme il l'a dit : [traduction] « Ce dont je me rappelle, c'est que tous les documents ont été signés dans l'ordre voulu pour que nous soyons autorisés à procéder au transfert, à la vente et à l'offre et ainsi de suite. » M. Antle croyait comprendre que M. Truss suivrait toutes les étapes nécessaires puisqu'il était au mieux des intérêts de la bénéficiaire de le faire. M. Antle ne pensait pas que M. Truss ferait quoi que ce soit d'autre que de vendre les actions et de remettre finalement de l'argent à Mme Antle. Il a reconnu qu'il était difficile de concilier certaines dates figurant dans les documents, comme les certificats d'actions, indiquant un changement de propriétaire le 8 décembre, alors que l'acte de vente se rapportant à ce transfert était daté du 13 décembre.

 

[32]Par la suite, au cours de l'après‑midi du 14 décembre, les représentants de MI se sont présentés afin de conclure la vente d'actions de Mme Antle en leur faveur. Tous les fonds sont passés par l'entremise du compte en fiducie de M. Chalker. MI a demandé à M. Chalker de verser 4 426 376,71 $ à Stratos, 1 636 782 $ à Mme Antle, 518 918 $ à Mme Kapila et 275 000 $ à M. Antle ((prêt d'actionnaire). Les résumés du compte en fiducie de M. Chalker indiquent les paiements effectués par Mme Antle dans la fiducie au profit du conjoint. M. Chalker a versé 95 700 $ à M. DeVries au titre des honoraires professionnels et il a finalement versé à Mme Antle la somme de 1 542 227,76 $, qu'elle a déposée dans son compte bancaire.

 

[33]Au cours des quelques jours qui ont suivi la conclusion de l'opération, il y a eu dans une certaine mesure un suivi en vue de garantir que les originaux des documents, plutôt que de simples télécopies, soient signés, notamment l'acte de fiducie. M. Truss a fait enregistrer l'acte de fiducie au Stamp Duty Office, à la Barbade, le 31 janvier 2000. Fraser Milner a fourni un avis juridique au sujet de l'opération le 11 avril 2000. M. Antle ne savait pas que la fiducie avait été dissoute peu de temps après l'opération.

 

[34]Le 7 décembre 1999, M. Antle a constitué Koli Enterprises en personne morale : il était l'unique actionnaire et administrateur de la société. Le 15 décembre, Mme Antle a utilisé le produit de la vente afin de prêter 1,4 million de dollars à Koli, en demandant à son mari de gérer l'argent pour elle. Aucun document ne faisait état du prêt. Koli a acquis un CPG. Selon M. Power, Mme Antle devait gagner des intérêts sur le prêt compte tenu des intérêts que Koli allait gagner sur son placement. Mme Antle a reçu un revenu de Koli, sous la forme d'intérêts et de salaire. En 2005, Koli a en partie remboursé le prêt à Mme Antle, qui a remis 200 000 $ à M. Antle pour aider au paiement des impôts dans le cadre de la présente affaire.

 

[35]M. Antle a par la suite poursuivi Stratos avec succès pour les 1 381 000 $ additionnels que Stratos avait reçus par suite du marché, compte tenu du fait que M. Antle avait convenu de la chose sous contrainte.

 

Les questions en litige

 

[36]Il y a deux appelants en l’espèce : M. Antle et la fiducie au profit du conjoint Renee Marquis‑Antle. Il faut rechercher si le ministre a inclus à bon droit le gain en capital imposable tiré de la vente des actions de PM dans le revenu de M. Antle ou, subsidiairement, dans le revenu de la fiducie, compte tenu du fait que la fiducie résidait au Canada. Les questions à examiner à cet égard sont les suivantes :

 

(i)                Y avait-il une fiducie valide?

 

(ii)              Les opérations effectuées par la fiducie et la création de la fiducie elle‑même constituaient‑elles un trompe-l'œil?

 

(iii)            Où la fiducie résidait-elle?

 

(iv)            Le roulement prévu au paragraphe 73(1) de la Loi s'appliquait‑il?

 

(v)              Le paragraphe 69(11) de la Loi s'applique‑t‑il de façon que M. Antle soit réputé avoir disposé des actions à leur juste valeur marchande?

 

(vi)            Les dispositions générales anti‑évitement (les « DGAE ») des paragraphes 245(2) et (5) visent-elles M. Antle ou la fiducie?

 

(vii)          Le ministre peut-il établir une nouvelle cotisation à l'égard de la fiducie?

 

[37]Comme on le constatera facilement, je n'ai pas à examiner toutes les questions que les parties ont soulevées. De fait, je me propose de modifier l’ordre des questions et d'en limiter le nombre. J'expliquerai pourquoi.

 

[38]En l’espèce, il s’agit de la planification fiscale : une stratégie ingénieuse conçue par d'habiles experts en fiscalité et adoptée par M. Antle. La planification fiscale évoque l’image d'un spectre. À une extrémité du spectre, il y a le type de planification d'évitement qui a été jugée acceptable dans la jurisprudence Duke of Westminster : le contribuable peut organiser ses affaires en vue de réduire au minimum l'impôt à payer. Au milieu du spectre, il y a la planification d'évitement qui contrevient aux DGAE parce qu'elle est jugée abusive. Et ensuite, à l'autre extrémité du spectre, il y a la planification d'évitement qui constitue une évasion fiscale susceptible de donner lieu à des accusations au pénal. La thèse principale de l'intimée est que la fiducie en cause constituait un trompe-l'œil. Pour qu’il y ait trompe-l'œil, il faut obligatoirement un élément de tromperie (voir, par exemple, les arrêts Faraggi c. La Reine[6] et Stubart Investments Limited c. The Queen[7]) de la part du constituant et du fiduciaire. La chose a pour effet de situer l'affaire, le long du spectre, encore plus loin que ce que les parties avaient peut‑être prévu; en effet, quelle est le distinguo entre l’évasion fiscale volontaire et la tromperie intentionnelle? Je préfère ne pas m'aventurer sur ce terrain mouvant, et d’ailleurs je n’en vois pas la nécessité. S'il y a eu tromperie, je la qualifierais de tromperie personnelle, quoique innocente, de la part de M. Antle et de M. Truss, qui n'était qu'un pion sur l'échiquier, à la merci de joueurs expérimentés. Quant à M. Antle, il ne se rendait même pas pleinement compte de ce qu'était une fiducie, comme le montre la question qu'il a posée deux ans après la dissolution de la fiducie, lorsqu'il a demandé si la fiducie était encore en place et pouvait être utilisée.

 

[39]Même si, en l’espèce, les arguments des parties comportent de nombreuses ramifications, je suis d'avis que l'affaire porte sur deux questions :

 

(i)                Y avait-il une fiducie validement constituée?

 

(ii)              Dans l'affirmative, les DGAE visent-elles la stratégie de majoration du coût des biens en immobilisation, ou comme M. Battalia le préférerait, la fiducie de la Barbade au profit du conjoint?

 

Étant donné que les parties ont consacré une importante partie de leur argumentation à la notion de trompe-l'œil, j'examinerai également cette question.

 

Analyse – La validité de la fiducie

 

[40]Pour constituer une fiducie valide, il doit y avoir trois types de certitudes : la certitude de l'intention, la certitude de l'objet et la certitude du but. De plus, étant donné qu'une fiducie est simplement un mode de possession de biens, pour que la fiducie soit effectivement constituée, il doit y avoir transfert des biens en sa faveur. L'intimée fait valoir que deux types de certitude sont absentes dans l'arrangement ici en cause: la certitude de l'intention de créer une fiducie et la certitude de l'objet.

 

[41]Premièrement, en ce qui concerne la certitude de l'intention, la thèse de l'intimée est que le constituant, M. Antle, n'a jamais voulu que M. Truss puisse, à sa discrétion, conclure des opérations à l'égard des actions, mais qu'il voulait plutôt utiliser la fiducie comme intermédiaire en vue d'éviter l'impôt. Ce raisonnement est plutôt circulaire étant donné que l'arrangement permettait d'éviter l'impôt uniquement s'il y avait une fiducie valide. M. Antle voulait certes qu'une fiducie soit constituée afin d'accomplir son objectif quant à l'évitement de l'impôt.

 

[42]L'acte de fiducie montre clairement qu'il existait une intention de créer une fiducie. Dans The Law of Trusts[8], Gillese et Milczynski signalent ce qui suit :

 

[traduction]

 

La certitude quant à l'intention est une question d'interprétation; l'intention est inférée à partir de la nature de la disposition prise dans son ensemble et de la manière dont elle a été effectuée. Les termes utilisés doivent exprimer bien plus qu'une obligation morale ou qu'un simple souhait pour ce qui est de l'utilisation qui doit être faite du bien en question. Il n'est pas nécessaire d'utiliser des termes consacrés, tant qu'il est possible de déterminer ou d'inférer avec certitude l'intention de créer une fiducie.

 

Le libellé exprès de la fiducie est étayé par les témoignages de M. Antle et de M. Truss, qui étaient clairs. Selon l'appelant, le libellé de l'acte de fiducie est impératif et cela est concluant quant à la certitude de l'intention. L'appelant soutient que l'intention subjective n'a aucun rôle lorsqu'il s'agit de déterminer la certitude de l'intention : l'intention se dégage uniquement du libellé de l'acte de fiducie lui‑même.

 

[43]L'intimée soutient que le libellé de l'acte de fiducie est insuffisant s'il ne concorde pas avec les actes de M. Antle, lesquels donnent à penser qu’il n'a jamais voulu confier à M. Truss un contrôle ou un pouvoir discrétionnaire sur l'objet de la fiducie. Dans la décision Patricia M. Fraser c. Her Majesty the Queen[9], la juge Reed, au sujet de la question de la certitude d'intention, a fait les observations suivantes :

 

De toute façon, l'intention se dégage de l'ensemble des éléments de preuve, y compris la conduite des parties et le libellé des documents qu'elles se sont transmis, et non uniquement du point de vue subjectif d'une seule personne. L'existence de la certitude d'intention ne fait guère de doute à mon avis.

 

[44]Il y a une abondante jurisprudence sur la question de la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque. Toutefois, dans la présente affaire, il ne s'agit pas tant d'une question d'interprétation d'un contrat que de détermination de la certitude d'intention de créer une fiducie. La fiducie est une relation. Il ne s'agit pas d'un contrat moyennant contrepartie. L'acte de fiducie doit définir les droits et obligations des personnes en cause dans cette relation. Soutenir que seuls les termes figurant dans le document peuvent être invoqués pour définir la relation, c'est présumer que l'arrangement est un contrat négocié entre deux parties dans lequel chacune a donné une contrepartie afin d'arriver à un marché mutuellement acceptable. Il s'agit de circonstances fort différentes de celle qui existent dans le cas d'une fiducie, en particulier lorsque, comme en l'espèce, une partie, le fiduciaire, produit le document, un acte de fiducie type, qu'il a créé « à la chaîne », et auquel le constituant a au mieux prêté peu d'attention. Dans ces conditions, je ne suis pas disposé à limiter la recherche de la certitude de l'intention à ce seul document. L'analyse serait vide de sens.

 

[45]En outre, je vois une similitude entre la présente affaire et un cas de figure que je vois souvent : un employeur et un employé qui concluent un contrat d'entreprise, tout en continuant à agir comme s'ils étaient respectivement employeur et employé. Ils déclarent que leur intention est d'établir une relation entre entrepreneurs indépendants, et pourtant, si on gratte le vernis, il est clair que la véritable intention des parties est de ne pas avoir à déduire et à verser de retenues à la source : la conclusion d'une entente entre soi-disants entrepreneurs indépendants est simplement la façon d'y arriver. Cependant, la Cour doit rechercher si les actes des parties concordent avec ceux d’entrepreneurs indépendants, de sorte qu'ils confirment leur intention de nouer véritablement une telle relation, ou s’il s’agit en réalité d’une relation employeur‑employé qui est simplement occultée en vue d'éviter des retenues à la source. Je ne vois pas pourquoi la détermination de l'intention, aux fins de constitution d'une fiducie, ne pourrait pas être assujettie à un examen similaire.

 

[46]Contrairement à la notion de fiducie constituant un trompe-l'œil, sur laquelle je reviendrai ci‑dessous, laquelle exige une tromperie de la part du constituant et du fiduciaire, la condition relative à la certitude d'intention se rapporte uniquement à l'intention du constituant. Il est certain que M. Antle voulait éviter l'impôt sur les gains en capital au Canada. Les conseillers financiers de M. Antle lui ont dit que cela pouvait uniquement être accompli au moyen de la constitution d'une fiducie de la Barbade au profit du conjoint, de sorte que M. Antle avait l'intention de créer la fiducie. Cependant, il convient de rechercher ce qu'il a fait exactement en « constituant » la fiducie.

 

[47]Même si l'acte de fiducie était daté du 5 décembre, je conclus que M. Antle a signé cet acte le 14 décembre seulement et que la fiducie ne pouvait être constituée qu'à cette date. Il faut se rappeler que le 12 décembre, M. Antle a communiqué avec M. Brown en lui faisant savoir qu'il fallait dresser la version définitive de l'acte de fiducie. M. Antle et M. Truss n'ont jamais communiqué entre eux le 14 décembre ou auparavant, de sorte que le constituant et le fiduciaire auraient pour la première fois vu leurs signatures respectives sur l'acte de fiducie le 14 décembre. Quelles étaient donc les circonstances, le 14 décembre, qui pourraient jeter la lumière sur les véritables intentions de M. Antle?

 

-         M. Truss avait déjà signé, le 13 décembre, un acte de vente par lequel étaient transférées les actions à Mme Antle;

 

-         Le 13 décembre, M. Truss avait déjà signé une distribution des immobilisations et des instructions de paiement;

 

-         Il a été satisfait à la demande que M. Antle avait faite pour que les fonds soient uniquement transmis par l'entremise du compte en fiducie de son avocat;

 

-         M. Antle avait demandé s'il fallait envoyer les certificats d'actions à la Barbade, et on lui a répondu que cela n'était pas nécessaire;

 

-         M. Antle avait convenu sous contrainte de la contrepartie additionnelle à verser à Stratos, en conservant le droit de poursuivre Stratos personnellement pour la somme de 1,38 million de dollars;

 

-         Ce n'était pas M. Truss qui avait eu l'idée de vendre les biens à la bénéficiaire et de remettre le produit à celle‑ci;

 

-         M. Antle croyait comprendre que M. Truss suivrait toutes les étapes de la stratégie, étant donné qu'elles étaient toutes au mieux des intérêts de la bénéficiaire; il n'existait aucune raison (d'ordre commercial, économique, fiduciaire ou autre) de faire quoi que ce soit, à part la stratégie stipulée, ce qui lui enlevait effectivement son pouvoir discrétionnaire;

 

-         M. Antle croyait comprendre que toutes les étapes de la stratégie devaient être suivies afin d'arriver au résultat voulu quant à l'évitement;

 

-         M. Antle savait que MI s'était demandé s'il fallait que Stratos consente à la quittance, qui était disponible, éliminant ainsi tout obstacle à la conclusion de la vente : il n'a jamais été mentionné que la fiducie constituait un obstacle;

 

-         M. Antle n'avait jamais parlé à M. Truss;

 

-         Il n'y a rien dans le corps de l'acte de fiducie lui‑même qui donne lieu à un apport des actions à la fiducie.

 

[48]Dans ces conditions, le 14 décembre, M. Antle a signé un acte de fiducie daté du 5 décembre  déclarant, dans le préambule, avoir transféré les actions. Cela n'indique pas une intention de constituer une fiducie. Si M. Antle voulait que M. Truss ait un rôle à jouer, c'était peut‑être au mieux celui de mandataire à l'égard d'un don qu'il effectuait en faveur de sa femme.

 

[49]Force est de conclure que M. Antle ne voulait pas vraiment confier des actions en fiducie à M. Truss. M. Antle a simplement signé des documents sur l'avis de ses conseillers professionnels en comptant que cela lui permît d'éviter l'impôt au Canada. Je conclus que, le 14 décembre, M. Antle n'a jamais voulu perdre le contrôle des actions ou de l'argent provenant de la vente. Lorsqu'il a cherché à constituer la fiducie, il savait que rien ne pouvait perturber ou ne perturberait les étapes de la stratégie. Cela n'indique pas une intention de constituer une fiducie discrétionnaire. À vrai dire, on n'a pas réussi à me convaincre que M. Antle se rendait même pleinement compte qu'il était important de constituer une fiducie discrétionnaire si ce n'est qu'il se rendait compte du résultat qui pourrait en découler. Vu les actes de M. Antle et les circonstances, je ne saurais conclure que le fait de signer l'acte de fiducie, tel qu'il était libellé, indiquait une véritable intention de faire apport des actions à une fiducie discrétionnaire. À mon avis, le libellé de l'acte de fiducie lui‑même, aussi clair puisse‑t‑il être, n’est d’aucun secours à M. Antle. Il ne reflète pas ses intentions. Le paragraphe 2.1 de l'acte de fiducie stipule que:

 

[traduction]

 

2.1       Le but de la [...] fiducie est de créer un moyen permettant de détenir des placements et des parts commerciales au profit des bénéficiaires [...]

 

Tel n'était pas le but, ce but étant que le fiduciaire devait immédiatement vendre à la bénéficiaire les biens de la fiducie et remettre le produit à la bénéficiaire, de façon à mener à bonne fin la stratégie d'évitement d'impôt des Antle.

 

[50]J'examinerai maintenant la certitude de l'objet. Selon la thèse de l'intimée, l'acte de fiducie stipulait clairement que les actions de PM constituaient l'objet de la fiducie, mais le titre afférent à ces actions n'a jamais été transféré au fiduciaire, et il n'a donc jamais été détenu par le fiduciaire, de sorte qu'il n'y avait pas certitude quant à l'objet. Je crois que l'intimée confond peut‑être la certitude de l'objet et l'exigence voulant que, pour que la fiducie soit effectivement constituée, il y ait transfert des biens.

 

[51]Toutefois, en recherchant s’il y avait certitude de l'objet, il faut rechercher ce que M. Antle croyait exactement transmettre à M. Truss, et en fait, à Mme Antle. M. Antle a conservé un certain droit sur les actions, de façon à pouvoir recouvrer de Stratos les 1,38 million de dollars se rapportant à la contrepartie additionnelle déduite de la valeur des actions censément transférées à M. Truss. Par conséquent, quel était le droit que M. Antle tentait de transférer à M. Truss? De toute évidence, M. Antle avait retranché un montant de la valeur des actions en vue de payer Stratos, éliminant ainsi en fait toute charge grevant les actions dont la fiducie ou Mme Antle s'occupaient. Quant à M. Truss, il avait reçu des actions dont la valeur était égale au montant auquel Mme Antle était prête à les payer. Ni M. Truss ni Mme Antle n'ont exprimé de réserves au sujet d’une quelconque charge grevant les actions à laquelle ils seraient assujettis, ni au sujet du fait que les actions valaient peut‑être 1,38 million de dollars de plus si M. Antle poursuivait Stratos avec succès. M. Antle y avait vu en traitant avec M. Wood, de Stratos. En fin de compte, M. Antle a poursuivi Stratos afin d'obtenir cette contrepartie additionnelle et c'est M. Antle qui a recouvré ce montant. Ce montant reflète la valeur des actions fournies à tort à Stratos. Pourquoi M. Antle obtient‑il ce montant? Parce que ce n'était pas Mme Antle ou le fiduciaire, mais M. Antle qui, sous contrainte, avait convenu de faire en sorte que la contrepartie additionnelle soit versée à Stratos. Cela nous ramène au point de départ, à savoir si M. Antle, en tentant de faire apport des actions à la fiducie, a en fait fait apport de son plein droit aux actions. M. Antle a conservé le droit d'obtenir lui-même 1,38 million de dollars par suite de la vente finale d'actions en faveur de MI. S'il transférait quoi que ce soit à M. Truss, ce n'était pas son plein droit aux actions de PM : un élément de son droit de propriété afférent à PM n'a pas été transmis, d'où l’absence de certitude quant à l'objet.

 

[52]J'examinerai maintenant le principal obstacle auquel fait face M. Antle, soit la question de la constitution de la fiducie. M. Truss a de nouveau signé l'acte de vente par lequel les actions étaient transférées à Mme Antle le 14 décembre. Je conclus que cela s'est produit après la création de la fiducie par M. Antle, laquelle, selon ce que je conclus, a également eu lieu le 14 décembre. La préoccupation de l'intimée était que les certificats d'actions eux‑mêmes, endossés en blanc par M. Antle, étaient détenus par Stratos jusqu'au 14 décembre, lorsque le paiement de MI a été reçu, et qu'à ce moment‑là, selon l'intimée, [traduction] « les conditions de l'entente exigeaient que le titre soit transféré à MI Drilling ». L'intimée conclut que M. Truss n'aurait pas pu détenir de [traduction] « titre clair » à l'égard de ces actions. La thèse de l'intimée semble être que les actions, détenues en garantie par Stratos, ne pouvaient pas être effectivement transférées à la fiducie, et probablement par la suite à Mme Antle, avant que Stratos soit payée, ce qui s'est en fait produit plus tard au cours de la journée du 14 décembre. M. Antle rétorque que Stratos avait consenti à un transfert : dans le préambule de la quittance remise par Stratos, le transfert aux épouses est reconnu, bien qu'il ne soit pas fait mention de la fiducie. Je suis d’avis qu’il importe peu de savoir si M. Truss détenait un titre « clair » ou même si les actions lui avaient été transférées par M. Antle et avaient ensuite été transférées à Mme Antle en violation du contrat de garantie conclu avec Stratos. La question la plus pertinente est la suivante : quels sont les éléments de preuve montrant que M. Antle a fait apport des actions à la fiducie?

 

[53]L'acte de fiducie daté du 5 décembre indique, dans son préambule, que M. Antle a transféré les actions au fiduciaire. Il n'y a rien dans le corps de l'acte qui soit censé constituer une donation ou un transfert des actions. Cet acte ne prenait effet que le 14 décembre, de sorte que le « transfert » doit avoir eu lieu plus tôt ce jour‑là, ou à une date antérieure. M. DeVries, l'avocat de M. Truss, a unilatéralement décidé que le 5 décembre était la date de constitution en fiducie appropriée, de sorte qu'il a rédigé une résolution de l'administrateur de la société censée autoriser le transfert. Cette résolution est libellée comme suit :

 

[traduction]

 

Résolution certifiée des administrateurs de PM Environmental Holdings Ltd. (la « société ») datée du 5 décembre 1999 (la « date d'entrée en vigueur »).

 

Attendu que Paul G. Antle (le « constituant ») a constitué la fiducie au profit du conjoint Renee Marquis‑Antle (la « fiducie ») à l'aide des 2 390 000 actions ordinaires de la société émises en faveur du constituant, lesquelles étaient autrefois détenues par ce dernier (les « actions »);

 

Sur motion dûment présentée, appuyée et adoptée à l'unanimité, il est résolu :

 

1.                  Que la société est autorisée à transférer à la fiducie les actions détenues par le constituant;

 

2.         Que la société annule les certificats afférents aux actions détenues par le constituant et qu'elle émette un nouveau certificat à l'égard des actions en faveur de la fiducie sur présentation des certificats pour annulation.

 


Certificat du secrétaire

 

La présente est la copie certifiée conforme de la résolution des administrateurs de la société datée de la date d'entrée en vigueur, et il est certifié que ladite résolution a encore plein effet, à la date d'entrée en vigueur.

 

[54]M. Antle déclare avoir probablement signé cette résolution le 14 décembre, étant donné que ce n'est que ce jour‑là que M. Kapila et lui‑même s'étaient réunis pour qu'il puisse certifier qu'une résolution avait effectivement été adoptée. Le libellé : [traduction] « Résolution des administrateurs datée de la date d'entrée en vigueur » est tout simplement inexact. Je suppose qu'en insérant l’expression [traduction] « à la date d'entrée en vigueur », les administrateurs tentaient de faire en sorte que le transfert prenne effet au 5 décembre, et ce, peu importe la date à laquelle la résolution avait été adoptée. Cela est également inexact. Le secrétaire ne peut pas feindre qu'il a certifié la résolution le 5 décembre. Cette façon de rédiger des résolutions des administrateurs prête au mieux à confusion, surtout puisqu'il est admis que rien n'a été adopté avant le 14 décembre. À part la résolution suspecte des administrateurs, quels sont les autres éléments de preuve dont je dispose montrant que M. Antle a transféré les actions à M. Truss? L'acte ne le fait pas. Qu'en est‑il du certificat d'actions de M. Antle? Le certificat était détenu par Stratos. La copie produite en preuve que j'ai vue était endossée en blanc par M. Antle au mois de juin 1998; rien n'indiquait qu'il y avait un bénéficiaire du transfert. Stratos a, selon toute probabilité, fourni le certificat lors de la clôture – ce qui s'est produit après la soi‑disant création de la fiducie et la vente par la fiducie de ces mêmes actions en faveur de Mme Antle. Il est intéressant de noter que l'article 124 de la Corporations Act[10] de Terre‑Neuve dispose que :

 

[traduction]

 

L'endossement d'une valeur mobilière [...] en blanc n'emporte son transfert que lors de la livraison de cette valeur mobilière.

 

Ce texte codifie la règle de common law quant à l'endossement et à la livraison aux fins d'un transfert valide[11].

 

[55]M. Antle a peut‑être cru que les actions de PM devaient être transmises à Mme Antle par l'entremise de la fiducie, mais il n'a jamais transféré à la fiducie l’intégralité du droit qu'il détenait sur les actions. Comme le professeur D.W.M. Waters observe dans l'ouvrage intitulé Water's Law of Trusts in Canada[12] :

 

[traduction]

 

Il est également essentiel, à moins que le fiduciaire n'ait remis une valeur, que le titre afférent au bien soit détenu par le fiduciaire. Ce n'est qu'alors qu'il peut y avoir une fiducie valide.

 

Le professeur Waters dit également clairement que la constitution de la fiducie n'est complète que si le bien a été transféré[13] :

 

[traduction]

 

D'autre part, la constitution d'une fiducie n'est pas complète lorsque chaque élément de la fiducie est clair et précis, mais que le constituant n'a pas transféré les biens aux fiduciaires.

 

[...]

 

Et lorsqu'un formulaire de transfert est exigé par la loi, comme dans le cas d'actions, le formulaire de transfert d'actions doit être rempli à leurs noms et leurs noms doivent être inscrits dans les livres de la société.

 

[...]

 

Si la fiducie est créée au moyen d'un acte, le moment de sa création est la date de l'acte, à moins que l'acte ne stipule une date ultérieure. Toutefois, tant que les fiduciaires n'ont pas reçu les biens de la fiducie, et ce, non simplement au moyen d'une cession en vertu de la loi ou de l'equity selon le mode de transfert approprié pour un bien particulier, la fiducie n'a aucun effet et, de manière générale, les fiduciaires ne peuvent rien faire si les bénéficiaires de la fiducie n'ont remis aucune valeur pour le transfert. Le moment auquel la constitution complète de la fiducie a lieu est celui où le transfert, selon la forme appropriée, est lui‑même complet. Bien sûr, le fait d'antidater un acte de fiducie constitue une fraude.

 

[...]

 

Dans le cas de la soi-disant « fiducie constituée d'une façon incomplète », les trois certitudes existent, mais le constituant n'a pas remis les biens de la fiducie aux fiduciaires [...] En pareil cas, y a‑t‑il fiducie? À strictement parler, il n'y en a pas. C'est une coquille vide, et la fiducie est inopérante et n'a donc aucune valeur juridique.

 

[56]En résumé, vu les faits exposés ci-dessous, le titre n'a jamais effectivement été transféré à M. Truss :

 

-         la résolution des administrateurs vise à accomplir quelque chose le 5 décembre : cela a‑t‑il pour effet de rendre cette chose effective le 14 décembre?

 

-         le certificat d'actions de M. Antle n'a été remis qu'après la soi‑disant constitution de la fiducie;

 

-         le certificat d'actions de M. Antle n'a pas été remis à M. Truss, mais directement à MI;

 

-         dans la quittance accordée par Stratos, il n'est pas fait mention du transfert en faveur de la fiducie;

 

-         aucun bénéficiaire du transfert n'était désigné dans le certificat d'actions de M. Antle;

 

-         l'acte de fiducie n'est pas libellé de façon à effectuer un transfert.

 

[57]Dans ces conditions, je me demande comment le titre afférent aux actions a pu être transféré de M. Antle à M. Truss. M. Antle n'a pas réussi à satisfaire au critère formulé il y a bien longtemps dans l'arrêt Milroy c. Lord[14] :

 

[traduction]

 

Il me semble que la jurisprudence de notre Cour est bien fixée : afin de rendre valide et efficace une fiducie volontaire, le constituant doit avoir fait tout ce qu'il fallait faire, selon la nature des biens dont est composée la fiducie, afin de transférer les biens et de rendre la fiducie exécutoire à son égard.

 

 

Je conclus que M. Truss n'est jamais devenu titulaire des actions. M. Truss n'était pas un acheteur à titre onéreux et les dispositions de la Corporations Act de Terre‑Neuve ne lui sont d’aucun secours. M. Antle voudrait me faire croire qu'à un moment donné, le 14 décembre, il s'est passé quelque chose qui a eu pour effet le transfert du titre à M. Truss. S'il avait même pu me renvoyer à certaines conditions précises de la fiducie énonçant expressément la façon dont les certificats d'actions devaient être détenus et pour qui ils devaient l'être, et à quelles conditions, j'aurais peut‑être été en mesure de dire que le titre de M. Antle est passé à M. Truss, mais il ne suffit pas de dire simplement que le plan a toujours été que les étapes seraient  suivies selon un ordre donné. Il faut me le montrer. J'ai plutôt devant moi des résolutions antidatées et des endossements d'actions incomplets. Comme le dit le professeur Waters, il s'agit purement d'une coquille vide.

 

[58]Compte tenu de la certitude de l'intention et de la certitude de l'objet en question et, ce qui est encore plus important, de l'absence de transfert réel d'actions, il n'y a pas de fiducie constituée d'une façon régulière : la fiducie n'a jamais pris naissance. Cette conclusion montre jusqu'à quel point il est important, lorsque sont mises en œuvre des stratégies n'ayant aucun objet autre que l'évitement d'impôt, de tenir compte méticuleusement et avec soin du moment où les opérations sont conclues et de leur exécution. Le fait d'antidater des documents, de vagues intentions, l'absence de documents de transfert, l'absence de pouvoir discrétionnaire, l'absence de but commercial, la communication de documents signés par lesquels le capital de la fiducie est distribué avant que celle‑ci soit censément créée, tout cela manque franchement le but visé – et de loin. Cela donne l'impression d'un camouflage soigné. Bref, il ne suffit pas pour la personne qui veut jouer le jeu de l'évitement d'avoir une stratégie brillante; elle doit exécuter cette stratégie brillamment. Je conclus qu'aucune fiducie n'a été dûment constituée. L'appel interjeté par la fiducie est donc rejeté. En ce qui concerne l'appel interjeté par M. Antle, en l'absence d'une fiducie valide, il a vendu les actions à sa femme et il a donné lieu à un gain entre ses propres mains ou il a effectué un roulement des actions en faveur de sa femme et s'est fait réattribuer les gains. D'une manière ou de l'autre, il a fait l'objet d'une cotisation correcte qui était fondée sur le gain en capital en résultant, et son appel est rejeté.

 

[59]Étant donné la conclusion que j'ai tirée sur ce point, il est inutile d'analyser le moyen du trompe-l'œil, mais étant donné qu'il s'agissait du principal moyen de l'intimée, je ferai quelques remarques.

 

Le trompe-l'œil

 

[60]L'intimée soutient que, si j'avais conclu à l'existence d'une fiducie validement constituée, sa création était un trompe-l'œil puisque les stipulations de la fiducie qui confèrent un pouvoir discrétionnaire au fiduciaire sont trompeuses. Selon l'intimée, on n'a jamais voulu que M. Truss dispose d’un pouvoir discrétionnaire et, de fait, il n’en avait pas : par conséquent, les tiers, et principalement l'Agence du revenu du Canada, ont été trompés.

 

[61]L'arrêt qui fait autorité quant à la question du trompe-l'œil est l'arrêt Snook c. London West Riding Investments Ltd.[15], dans lequel lord Diplock a dit ce qui suit :

 

[traduction]

 

          Pour ce qui est de la prétention du demandeur que les opérations entre lui, Auto-Finance, Ltd. et les défenderesses sont un « trompe‑l'œil », j'estime nécessaire de se demander quel concept juridique entre en jeu, s'il en est, dans l'emploi de ce mot populaire et péjoratif. Je crois que, s'il a un sens en droit, il désigne les actes commis ou des documents signés par les parties au « trompe‑l'œil » et destinés à donner aux tiers ou au tribunal l'impression qu’il existe entre les parties des droits et obligations juridiques autres que ceux et celles (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer. [...] si des actions ou des documents doivent constituer un « trompe‑l'œil », avec les conséquences juridiques qui en découlent, ceux qui y sont parties doivent tous bien entendre que les actes ou les documents ne créent pas les droits et les obligations juridiques qu'ils donnent l'impression de créer. Aucune intention non exprimée de l'auteur d'un « trompe‑l'œil » n'a d'effet sur les droits d'un tiers qu'il a dupé.

 

[62]La Cour d'appel fédérale a récemment eu l'occasion de faire certaines remarques au sujet de la notion de trompe‑l'œil. Dans l'arrêt Farragi, le juge Noël, après avoir fait une distinction entre le trompe‑l'œil et l'abus, a conclu qu'en droit canadien, le trompe‑l'œil exige un élément de tromperie qui se manifeste généralement par une fausse déclaration par les parties de la véritable opération qu'elles ont conclue entre elles. L'appelant a également invoqué la décision Shalson c. Russo[16] rendue par la Chancellerie anglaise, laquelle enseigne que le constituant et le fiduciaire doivent être tous deux parties au trompe‑l'œil. Voici ce que le juge Rimer avait à dire :

 

[traduction]

 

Le constituant peut avoir l’intention non exprimée selon laquelle les actifs doivent en fait être considérés comme les siens et que le fiduciaire doit, sur demande, satisfaire à toutes ses requêtes, mais si cette intention n'est pas au départ partagée par le fiduciaire (ou si elle n'est pas partagée par la suite), je ne puis voir comment la constitution de la fiducie peut être considérée comme un trompe‑l'œil. Une fois que les actifs ont été dévolus au fiduciaire, ils sont détenus dans le cadre de la fiducie déclarée, et le fiduciaire a le droit de les considérer comme étant ainsi détenus et de ne pas tenir compte des demandes du constituant quant à la façon de les gérer. Je ne puis comprendre sur quoi un tiers pourrait se fonder pour affirmer, en se reportant simplement aux intentions unilatérales du constituant, que la constitution de la fiducie constituait un trompe‑l'œil et que les actifs appartenaient encore au constituant.

 

[63]D'où la distinction entre une fiducie qui constitue un trompe‑l'œil et l'absence de fiducie. Je me suis déjà exprimé sur l'intention de M. Antle et j'ai conclu que, malgré le libellé de l'acte de fiducie, il n'a jamais voulu que M. Truss exerce un contrôle sur les actions : il n'y avait rien entre lui et la vente finale des actions en faveur de MI. Cependant, qu'en est‑il de M. Truss? Lorsqu’il a témoigné, M. Truss a certes dit tout ce qu'il convenait de dire – mais bien sûr, c'est ce qu'il devait faire. Il serait insensé que M. Antle ou M. Truss disent, dans leurs témoignages, autre chose que le fait qu'ils croyaient qu'une fiducie valide avait été établie. M. Truss a bel et bien effectué certaines recherches préalables en matière de droit des fiducies et il a bel et bien rédigé l'acte de fiducie et, en effet, il était un homme intègre qui ne se livrerait pas à une tromperie intentionnelle. Vous vous attendez sans aucun doute à ce que j'exprime certaines réserves : Qu'est‑ce qu'il a fait ou qu'il n'a pas fait?

 

[64]M. Truss a signé et remis à M. Antle des documents confirmant la vente des actions en faveur de Mme Antle et la distribution subséquente du capital avant même que M. Antle ait signé l'acte de fiducie. Les appelants soutiennent qu'il n'est pas clair que M. Antle ait en fait obtenu les documents signés de M. Truss avant de signer lui‑même l'acte de fiducie; cela revient à soutenir qu'il n'y avait tout simplement aucune garantie que M. Truss procéderait à la distribution. Cela valait garantie.

 

[65]Deuxièmement, M. Truss a affirmé que le fait de ne pas avoir à enquêter sur la valeur des actions ne l'inquiétait pas parce que l'unique bénéficiaire était l'acheteur des actions; pourtant, il n'a même jamais parlé au constituant ou au bénéficiaire. Certaines recherches auraient peut‑être révélé que les actions valaient initialement deux fois plus que le montant, mais que la moitié avait été retranchée pour un tiers; pourtant, M. Antle, le constituant, conservait le droit de revendiquer cette moitié. Quel était le droit que M. Truss croyait obtenir? M. Truss convenait d’accepter des actions du mari et à les détenir pour la femme, en supposant simplement que, parce que la femme, à qui il n'avait jamais parlé, avait signé un acte de vente pour la somme de 1,38 million de dollars, elle obtenait la pleine et juste valeur des actions.

 

[66]Troisièmement, rien n’indique que M. Truss avait vu la signature de M. Antle sur quelque document que ce soit censé transférer les actions en sa faveur. M. Truss n'a jamais parlé à M. Antle. Au mieux, il comptait sur d'autres personnes (M. DeVries et M. Brown) en vue de s’assurer que M. Antle lui avait, de quelque façon que ce soit, transféré les actions. Le seul élément de preuve aurait été le certificat d'actions de M. Antle, lequel avait antérieurement été endossé en blanc et remis à Stratos. Je ne dispose d'aucun élément de preuve montrant que ce certificat a été remis à M. Truss, et encore moins qu'il a été remis avant que celui‑ci signe les documents par lesquels ces actions étaient censées être vendues à Mme Antle.

 

[67]Quatrièmement, l'appelant soutient que rien ne montre que M. Truss croyait être tenu de vendre les actions. Cela n'est vraiment pas sincère. La stratégie exigeait que les actions soient vendues à Mme Antle, l'unique bénéficiaire. Il n'existe absolument aucune raison pour laquelle, compte tenu de sa recherche, M. Truss ne le ferait pas, comme il l'a lui‑même reconnu. M. Truss cherchait uniquement à ne pas méconnaitre la fiducie; or, comment pouvait‑il y avoir méconnaissance s'il vendait les biens de la fiducie à l'unique bénéficiaire? Je rejette l’idée que M. Truss ait disposé d’un véritable pouvoir discrétionnaire. Ces opérations étaient tout à fait planifiées d'avance. Un simulacre de pouvoir discrétionnaire était crucial pour le bon fonctionnement de la stratégie, mais je ne doute aucunement qu'il s'agissait dans ce cas‑ci d'un simulacre. Si M. Truss a reçu les actions, il les a reçues parce que l'unique bénéficiaire avait déjà convenu de les acheter. S'il remettait le produit de cette vente à l’unique bénéficiaire, il n'existait aucune possibilité que l'on s'en prenne à lui. L'arrangement ne comportait en soi effectivement aucun pouvoir discrétionnaire.

 

[68]Cinquièmement, les appelants attirent mon attention sur la décision de M. Truss de permettre que les fonds soient transmis par l'entremise du compte en fiducie de M. Chalker; cela indiquerait l'exercice par M. Truss de son pouvoir discrétionnaire. Cela découlait d'une conversation téléphonique qu'il avait eue avec son avocat canadien, M. DeVries, après que M. Antle eut exprimé des préoccupations au sujet du fait que les fonds étaient envoyés à la Barbade. Or, dans l'ensemble, cela n'a aucune importance.

 

[69]Sixièmement, dans la quittance remise par Stratos, rédigée par l'avocat de MI, il est uniquement fait mention d'un transfert des maris aux femmes, et non par l'entremise d'un fiduciaire.

 

[70]Septièmement, aucun certificat d'actions de M. Antle ne figure dans l'index joint aux documents de clôture. Stratos les a‑t‑il apportés lors de la clôture? Le dossier des documents de clôture de M. Pritchard renfermait uniquement des copies de certificats d'actions établis en fin de compte au nom de sa cliente, MI, et une copie d'un certificat d'actions au nom de M. Kapila, en fiducie.

 

[71]Le problème pour l'intimée est que, bien que toutes les circonstances indiquent un arrangement dont il était fait état d'une façon inexacte dans l'acte de fiducie, il n'y avait pas de tromperie délibérée, mais que, s'il y avait tromperie, c'était du fait de l'existence même de cette brillante stratégie d'évitement. M. Antle et M. Truss et, de fait, M. Brown, M. DeVries et M. Batallia pouvaient tous, de manière passablement légitime, dire qu'ils croyaient que le fiduciaire pouvait toujours, à sa discrétion, leur opposer son refus, mais je conclus qu'ils savaient tous avec une certitude absolue que le fiduciaire ne refuserait pas. Le montage était tel qu'il était insensé pour le fiduciaire de leur opposer son refus. L'appelant affirme qu'en l'absence d'une assurance à cet effet, je dois conclure à l'existence d'un pouvoir discrétionnaire et, par conséquent, à l'absence de tromperie et à l'absence de trompe‑l'œil. Cela revient à soutenir essentiellement que, parce que M. Truss croyait disposer d’un certain pouvoir discrétionnaire, le fait que personne, y compris M. Truss et M. Antle, ne s'attendait à ce qu'il fasse autre chose que ce qu'exigeait la stratégie montrait que l'intégrité de la fiducie était intacte. Il n’y a pas tromperie. L'appelant conclut que M. Truss a légalement détenu les actions en fiducie pour Mme Antle pendant quelques heures, le 14 décembre.

 

[72]Que faut-il conclure de ces éléments? Me Nitikman soutient qu'il ne suffit pas que je conclue au caractère artificiel de l'arrangement concernant la « fiducie » (voir la décision Asset Management Limited c. Commissioner of Inland Revenue[17]), ou qu'une série d'opérations planifiée d'avance constitue un trompe‑l'œil (voir The Queen c. Esskay Farms Limited[18]). En outre, une motivation d'ordre fiscal ne donne pas lieu à un trompe‑l'œil. La thèse des appelants, à savoir que les stratagèmes d'évitement ne constituent pas des trompe‑l'œil, est succintement exprimée par les observations suivantes tirées de la doctrine (Shipright ed., Tax Avoidance and The law[19]) :

 

[traduction]

 

[…] Il ne sera pas non plus de prime abord considéré que les participants, dans presque tous les cas d'évitement fiscal, ne sont pas le moindrement incités à créer un trompe‑l'œil. Pour que les stratégies soient efficaces, il faut que des mesures réelles soient prises [...] Étant donné qu'il n'est pas difficile de prendre des mesures artificielles, il ne sert à rien de ne pas les prendre, mais de se contenter de faire semblant de les prendre. De fait, il est avantageux sur tous les plans de les prendre; sinon, le stratagème ne fonctionnera assurément pas et il dépendra, pour être en fait efficace, de la perpétration d'une fraude criminelle qui est tout à fait inutile et dont la découverte donnera normalement lieu non seulement à la perception de l'impôt, qui est encore dû, mais aussi à de graves accusations contre les auteurs de la fraude.

 

[73]En fait, étant donné que le stratagème ne fonctionnera que si M. Antle et M. Truss ont l'intention de créer une véritable fiducie, il est déraisonnable de croire qu'ils auraient voulu autre chose. Cela est un raisonnement plutôt circulaire, puisque l'intention, du moins à coup sûr dans le cas de M. Antle, était d'éviter l'impôt sur la vente d'actions à un tiers. La fiducie de la Barbade au profit du conjoint aboutissait à ce résultat : M. Antle avait donc l'intention de créer la fiducie de la Barbade au profit du conjoint. Pourtant, leurs affaires ont été organisées de façon qu'il conserve le contrôle des actions. Selon Me Nitikman, il ne sert à rien de se fonder sur les observations de Lewin on Trusts[20] :

 

[traduction]

 

Dans la mesure où les fiducies visent à avoir effet selon leurs dispositions, le fait que le constituant conserve de larges pouvoirs ou une forte influence ne rend pas en soi une fiducie nulle pour le motif qu'il s'agit d'un trompe‑l'œil [...] Une fiducie est soit un trompe‑l'œil dans le sens indiqué aux paragraphes 4 à 19 et 20 ci‑dessus, soit une fiducie valide et exécutoire. Il n'y a pas d'autres possibilités qu'une fiducie valide d'une part et un trompe‑l'œil d'autre part. Si le constituant conserve le pouvoir de décider des placements, cela ne fait pas de la fiducie un trompe‑l'œil. De fait, le fait que les placements ont été effectués par l'entremise de la fiducie indique qu'il s'agit d'une véritable fiducie. Même si le constituant conserve en pratique le contrôle de l'ensemble de l'administration de la fiducie en exerçant une influence personnelle informelle sur les fiduciaires, cela ne permet pas pour autant à ses créanciers de « lever le voile de la fiducie ».

 

Selon l'appelant, il n'importe pas non plus que la fiducie ait été établie pour une période relativement brève (voir les décisions ATB Financial c. Apollo Trust[21] et Continental Bank of Canada c. Canada[22]).

 

[74]Je retiens les arguments de Me Nitikman sur chacun de ces points. Toutefois, il faut les examiner cumulativement et au regard du contexte. Je conclus qu'il existe certes un élément d'artificialité dans un arrangement où l'exercice du pouvoir discrétionnaire n'a plus aucun sens par suite de la nature même de la stratégie en tant que telle, qui consiste à suivre des étapes complexes qui sont planifiées d'avance, certaines et établies. Le fait que le fiduciaire a signé à l'avance les documents le montre particulièrement bien. Et comme je l'ai conclu, il y avait un motif et un seul motif à l’origine de la création de la fiducie – éviter les impôts : toute idée selon laquelle cette fiducie était utilisée à des fins de planification successorale n'est pas crédible. En outre, M. Antle a continué à tenir la queue de la poêle et il n'a jamais signé de document de transfert ni remis ses certificats d'actions à M. Truss en temps utile. Cumulativement, ces facteurs ne m'amènent toujours pas à conclure à l'existence d'une tromperie délibérée de la part de M. Antle et du fiduciaire justifiant un trompe‑l'œil, mais cela confirme certainement mon avis quant à la question de la création d'une fiducie valide.

 

Les DGAE

 

[75]Si je fais erreur, et si le libellé de l'acte de fiducie est suffisant pour établir la certitude d'intention et, malgré l'absence de transfert des biens, si les documents accessoires sont suffisants pour établir la certitude de l'objet, et si le pouvoir discrétionnaire de plein droit prévu dans l'acte de fiducie l'emporte sur l'absence de pouvoir discrétionnaire de fait du fiduciaire, ce genre de planification d'évitement contrevient‑il aux DGAE? Il me semble que la réponse est affirmative.

 

[76]Voici les textes pertinents :

 

245(1) « avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l'évitement ou le report d'impôt ou d'un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l'absence d'un traité fiscal ainsi que l'augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi qui découle d'un traité fiscal.

            […]

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

 

245(2)  En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

 

245(3) L'opération d'évitement s'entend :

 

a)         soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b)         soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

 

245(4) Le paragraphe (2) ne s'applique qu'à l'opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

 

a)         qu'elle entraînerait, directement ou indirectement, s'il n'était pas tenu compte du présent article, un abus dans l'application des dispositions d'un ou de plusieurs des textes suivants :

(i)         la présente loi,

(ii)        […]

(iii)       [...]

(iv)       un traité fiscal,

(v)        […]

b)         qu'elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l'application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

 

245(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d'une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l'avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d'une opération d'évitement :

 

a)         toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l'impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b)         tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d'un revenu, d'une perte ou d'un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c)         la nature d'un paiement ou d'un autre montant peut être qualifiée autrement;

d)         les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l'application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

 

[77]La Cour suprême du Canada s’est récemment exprimée au sujet de l'approche qu'il convient de suivre à l'égard des DGAE (Hypothèques Trustco Canada c. La Reine[23] et Lipson c. Canada[24]). Que nous a‑t‑elle appris? Ces jurisprudences enseignent que les DGAE comportent trois volets :

 

(i)                  il doit y avoir un avantage fiscal découlant d'une opération ou d'une série d'opérations au sens des paragraphes 245(1) et (2);

 

(ii)                l'opération doit constituer une opération d'évitement visée par le paragraphe 245(3), en ce sens qu'il n'est pas raisonnable de considérer qu'elle a été principalement effectuée pour des objets véritables – l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

 

(iii)               il doit y avoir évitement fiscal abusif visé par le par. 245(4), en ce sens qu'il n'est pas raisonnable de conclure qu'un avantage fiscal serait conforme à l'objet ou à l'esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

 

Il incombe au contribuable de réfuter les deux premiers volets et au ministre de réfuter le troisième. Quant au troisième point, la question de l'abus, la Cour suprême du Canada a fait les observations suivantes dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada[25] :

 

44        L’interprétation contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi invoquées par le contribuable et l’application des dispositions interprétées correctement aux faits d’une affaire donnée sont au cœur de l’analyse fondée sur le par. 245(4). Il faut d’abord interpréter les dispositions générant l’avantage fiscal pour en déterminer l’objet et l’esprit.  Il faut ensuite déterminer si l’opération est conforme à cet objet ou si elle le contrecarre.  L’analyse globale porte donc sur une question mixte de fait et de droit.  L’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de dispositions particulières de la Loi de l’impôt sur le revenu est essentiellement une question de droit, mais l’application de ces dispositions aux faits d’une affaire dépend nécessairement des faits.

 

45        Cette analyse aboutit à une conclusion d’évitement fiscal abusif dans le cas où le contribuable se fonde sur des dispositions particulières de la Loi de l’impôt sur le revenu pour obtenir un résultat que ces dispositions visent à empêcher.  Ainsi, il y a évitement fiscal abusif lorsqu’une opération va à l’encontre de la raison d’être des dispositions invoquées.  Un mécanisme qui contourne l’application de certaines dispositions, comme des règles anti‑évitement particulières, d’une manière contraire à l’objet ou à l’esprit de ces dispositions peut également donner lieu à un abus.  Par contre, l’existence d’un abus n’est pas établie lorsqu’il est raisonnable de conclure qu’une opération d’évitement au sens du par. 245(3) était conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions conférant l’avantage fiscal.

 

46        Une fois que les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu sont interprétées correctement, la question de fait à laquelle doit répondre le juge de la Cour de l’impôt est de savoir si, en supprimant l’avantage fiscal, le ministre a établi l’existence d’un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4).  Pourvu que le juge de la Cour de l’impôt se soit fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

 

47        La première partie de l’examen fondé sur le par. 245(4) exige que le tribunal aille au‑delà du simple texte des dispositions et adopte une méthode d’interprétation contextuelle et téléologique en vue de dégager un sens qui s’harmonise avec le libellé, l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu.  Cela n’a rien de nouveau.  Même lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes.  [traduction] « Après tout, le libellé ne peut jamais être interprété indépendamment de son contexte, et l’objectif législatif fait partie de ce contexte.  Il semblerait alors que la prise en compte de l’objectif législatif permette non seulement de dissiper les ambiguïtés manifestes, mais aussi de relever, à l’occasion, des ambiguïtés dans un libellé apparemment clair. » Voir P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (4e éd. 2002), p. 563.  Pour relever et dissiper toute ambiguïté latente du sens des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée.

 

[78]La Cour suprême du Canada a confirmé son approche dans l'arrêt Lipson; elle a notamment fait les observations suivantes :

 

 [40]                          Suivant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Trustco Canada, une opération d’évitement peut entraîner un abus dans l’application de la Loi de trois façons : a) elle donne lieu à un résultat que les dispositions invoquées visent à empêcher, b) elle va à l’encontre de la raison d’être de ces dispositions ou c) elle contourne l’application de certaines dispositions de manière à contrecarrer leur objet ou leur esprit (Trustco Canada, par. 45).  Une ou plusieurs de ces conditions peuvent être remplies dans un cas donné.  Il importe de rappeler que dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis, déterminer s’il y a eu abus ou non dans l’application de l’une ou l’autre des dispositions invoquées exige que chacun des avantages fiscaux soit considéré séparément, mais toujours dans le contexte de la série en entier et en gardant présent à l’esprit que chacune d’elles peut avoir des répercussions sur les autres.

 

(i)     Y avait-il un avantage fiscal?

 

[79]C’est le cas. Il est constant qu'il y avait des avantages fiscaux, sous la forme du roulement libre d'impôt prévu à l'alinéa 73(1)c) et du gain nul sur la vente d'actions par Mme Antle, à cause du coût de base élevé des actions dont bénéficiait Mme Antle. L'intimée invoque un avantage additionnel, soit le fait que la fiducie n'est pas imposée sur son gain en capital.

 

Y a-t-il eu opération d'évitement?

 

[80]L'appelant admet que la constitution de la fiducie à la Barbade constituait une opération d'évitement, mais une opération visant uniquement à tirer parti du paragraphe XIV(4) de l'Accord. Il soutient également que la vente d'actions par Mme Antle ne constitue pas une opération d'évitement. Je ne peux retenir cette thèse. La création de la fiducie constituait une opération d'évitement étant donné que je conclus qu'en se prévalant du roulement prévu au paragraphe 73(1), on cherchait uniquement à éviter l'impôt. En outre, la vente par la fiducie en faveur de Mme Antle, la vente par Mme Antle en faveur de MI et la distribution subséquente du capital de la fiducie constituent des opérations qui font partie d'une série d'opérations dont le seul but était l'obtention d'un avantage fiscal.

 

[81]L'appelant soutient que M. Antle et son avocat avaient eu auparavant des discussions au sujet de la constitution d'une fiducie familiale et il tente d'établir un lien avec la volonté de M. Antle de remercier la famille de sa femme de la générosité dont celle‑ci avait fait preuve en créant un patrimoine pour Mme Antle par l'entremise de la fiducie de la Barbade au profit du conjoint. Or, les faits ne vont tout simplement pas dans le sens de cette thèse. La fiducie de la Barbade au profit du conjoint ne comportait aucun objet véritable si ce n'est l'obtention de l'avantage fiscal. Je conclus que cette fiducie a été créée uniquement en vue d'éviter l'impôt, de sorte que Mme Antle aurait plus d'argent. Il n'y avait pas d'élément de planification successorale. M. Antle pouvait donner les actions à sa femme, payer l'impôt, laisser 1,1 million de dollars à sa femme, ou il pouvait créer une fiducie de la Barbade au profit du conjoint, ne payer aucun impôt et laisser 1,4 million de dollars entre les mains de sa femme. L'objet de l'opération est évident en soi.

 

[82]Quoi qu'il en soit, si les opérations sont prises une à une, il ressort clairement de l’enseignement de la Cour suprême du Canada dans la jurisprudence Trustco Canada que, si une seule opération dans une série d'opérations est une opération d'évitement, l'avantage fiscal qui résulte de la série peut être refusé en vertu des DGAE. Par conséquent, comme c'est souvent le cas lorsque les DGAE sont en jeu, le débat est axé sur la bonne application du paragraphe 245(4).

 

L'évitement fiscal constituait‑il un abus?

 

[83]Il est important de garder à l’esprit les observations que la Cour suprême a faites dans l'arrêt Trustco Canada en ce qui concerne l'approche globale à adopter aux fins de l'application du paragraphe 245(4)[26] :

 

41                              Les tribunaux ne peuvent chercher une politique prépondérante de la Loi qui n’est pas fondée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions en cause.  Premièrement, une telle recherche est incompatible avec le rôle du juge qui effectue un contrôle.  La Loi de l’impôt sur le revenu est un recueil de dispositions très détaillées et souvent complexes.  Demander aux tribunaux de chercher une politique globale quelconque pour ensuite se servir de cette politique pour passer outre au libellé des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu reviendrait à confier indûment à l’appareil judiciaire l’établissement de politiques fiscales, et à demander aux juges d’accomplir une tâche à laquelle ils ne sont pas habitués et qu’ils ne sont pas en mesure d’accomplir.  Le législateur a‑t‑il voulu que les juges établissent des politiques fiscales non fondées sur les dispositions de la Loi et qu’ils s’en servent pour passer outre aux dispositions précises de la Loi?  Malgré les problèmes d’interprétation que pose la RGAÉ, nous ne voyons aucune raison de conclure que le législateur a voulu s’écarter à ce point des normes de justice et d’interprétation. [Non souligné dans l’original.]

 

[84]Selon l’enseignement de la Cour suprême du Canada, il faut d’abord suivre une approche textuelle, contextuelle et téléologique en ce qui concerne l'interprétation des dispositions de la Loi ou de l'Accord que le contribuable invoque en vue d'obtenir l'avantage fiscal, et ce, afin de déterminer leur objet et leur esprit. Il faut donc en premier lieu désigner les dispositions invoquées. Si je suis l’enseignement des jurisprudences Lipson et Trustco Canada, selon lesquelles il y a trois façons dont une opération donnée peut constituer un abus, je conclus que je dois examiner non seulement les dispositions invoquées par M. Antle (article 73 et alinéas 94(1)c) et 110(1)f) de la Loi ainsi que paragraphe XIV(4) de l'Accord), mais aussi les dispositions que M. Antle a contournées, soit les règles d'attribution figurant aux articles 74.1 à 74.5.

 

[85]Avant de me pencher sur l'objet et l'esprit de ces diverses dispositions, je dois rechercher, comme le demande l'appelant, si les DGAE peuvent même s'appliquer à l'Accord avec la Barbade de 1980. En 2005, le paragraphe 245(4) a été modifié par l’ajout de la mention d'un traité fiscal : cette modification a été rendue rétroactive à l'année 1988. En même temps, l'article 4.1 a été ajouté à la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu :

 

4.1(1)               Malgré toute convention ou la loi y donnant effet au Canada, le droit du Canada est tel que l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu s'applique à tout avantage prévu par la convention.

 

           4.1(2)              Le paragraphe (1) s'applique relativement aux opérations conclues après le 12 septembre 1988.

 

[86]La plupart des lois de mise en œuvre des traités fiscaux auxquels le Canada est partie contiennent une disposition selon laquelle le traité l'emporte sur toute loi incompatible; toutefois, la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu l'emporte sur le traité. En fait, le Canada a modifié quelques lois anciennes de mise en œuvre de certains traités (par exemple, le traité entre le Canada et l'Allemagne) en vue de garantir que la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu l'emporte sur le traité. Cela n'a pas été fait dans le cas de l'Accord conclu avec la Barbade et l'appelant soutient donc que la Loi mettant en œuvre l'Accord avec la Barbade (la Loi de 1980 sur la Convention Canada‑Barbade en matière d'impôts sur le revenu) joue. Selon ce texte :

 

26(2)    Les dispositions de la présente partie et de l'Accord l'emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi ou règle de droit.

 

[87]Il s'agit de rechercher quel texte l’emporte sur quel texte. Je conclus que la mention précise, à l'article 4.1 de la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu, à savoir : « Malgré toute convention ou la loi y donnant effet au Canada » est plus précise, plus récente et tout à fait claire pour ce qui est de l'intention et de l'effet. C'est cette disposition qui l'emporte. Les DGAE peuvent s'appliquer à l'Accord.

 

[88]J'examinerai maintenant la première étape de l'analyse concernant l'abus; il s’agit d’interpréter les dispositions en vue de déterminer leur objet et leur esprit.

 

[89]Le Canada impose ses résidents sur les gains en capital réalisés par suite de la disposition d'actions détenues par ceux‑ci à titre d'immobilisations. Par conséquent, si M. Antle avait vendu les actions directement à MI, il aurait été imposé sur le gain en capital en résultant. Toutefois, le paragraphe 73(1) de la Loi permet le transfert d'actions libre d'impôt en faveur d'un conjoint – le roulement, et ce, parce que le bien est transféré au prix de base rajusté du conjoint. L'impôt sur le gain est reporté tant que le conjoint bénéficiaire du transfert ne dispose pas du bien en dehors de la cellule conjugale. Les conjoints peuvent opter d'être exclus de ce régime. Ainsi, le paragraphe 73(1) reconnaît la mutualité économique entre les conjoints, ou comme la Cour suprême du Canada l'a dit dans l'arrêt Thibaudeau[27], « l'unité que constitue le couple [...] afin de répondre à la réalité économique qui lui est particulière ».

 

[90]Dans l'arrêt Lipson, la Cour suprême du Canada s’est exprimée en ces termes au sujet des dispositions de roulement du paragraphe 73(1) :

 

                   31   Le paragraphe 73(1) facilite le transfert de biens entre époux sans conséquences fiscales immédiates. Il établit une exception à la règle générale selon laquelle l’aliénation d’un bien donne lieu à un gain ou à une perte en capital.  Selon le professeur Vern Krishna :

 

[traduction]  La raison pour laquelle il est permis au contribuable de transférer un bien en franchise d’impôt est qu’il serait inopportun, voire injuste, de prélever un impôt sur une opération qui n’entraîne pas de changement financier fondamental quant au droit de propriété, même s’il peut y avoir modification de la forme ou du montage juridique.

 

Dans Principles of Canadian Income Tax Law[28] (Hogg, Magee et Li), on trouve les observations suivantes :

 

[traduction]

 

Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la fiducie au profit du conjoint, la fiducie alter ego et la fiducie mixte au bénéfice du conjoint sont des exceptions aux règles concernant la disposition et l'acquisition réputées au moment du décès parce qu'il s'agit de roulement libres d'impôt d'actifs détenus dans ces fiducies. Les immobilisations qui sont transférées à une fiducie admissible sur la base d'un roulement, entre vifs ou au moment du décès, sont réputées avoir fait l'objet d'une disposition pour un produit de disposition égal au prix de base rajusté des biens. Cela donne lieu à un roulement, parce que cela veut dire qu'aucun gain ou qu'aucune perte en capital ne résulte du transfert du bien à la fiducie. La fiducie qui acquiert un bien par suite d'un roulement est réputée acquérir ce bien à son prix de base rajusté (le coût pour le constituant), et non à sa juste valeur marchande, de sorte que toute obligation fiscale est reportée tant que le fiduciaire ne dispose pas en fait du bien ou tant que les bénéficiaires de la fiducie ne sont pas décédés (dans le cas d'une disposition réputée). L'idée générale est d'éliminer les l’impact fiscal des opérations entre conjoints.

 

[91]L'objet et l'esprit du paragraphe 73(1) ne sont pas compliqués. Cette disposition n’impose pas le transfert d'une immobilisation entre conjoints, mais elle vise à reporter l’impôt tant que la cellule conjugale ne dispose pas du bien. Ce texte ne vise pas à permettre un évitement d'impôt permanent – il s'agit d'un report.

 

[92]Cependant, on ne saurait lire le paragraphe 73(1) isolément : il doit être lu de concert avec les règles d'attribution, qui portent sur l'effet des transferts de biens entre conjoints. Le paragraphe 74.2(1) de la Loi dispose que, lorsque le particulier a transféré le bien au conjoint ou à une fiducie au profit du conjoint, tout gain résultant de la disposition du bien est réputé être le gain de l'auteur du transfert; en effet, il est mis fin au report, et l'impôt devient exigible. Toutefois, en ce qui concerne les transferts à des fiducies au profit du conjoint, l'alinéa 74.3(1)b) limite le montant du gain imposable qui est attribuable au moindre du :

 

a) le montant attribué au conjoint, conformément au paragraphe 104(21), dans la déclaration de revenu de la fiducie pour l'année;


b) le montant des gains en capital imposables nets qui découlent, pour l'année, de la disposition par la fiducie du bien.

 

Par conséquent, ce n'est que si la fiducie décide de faire imposer le gain entre les mains du bénéficiaire qu'il y a attribution, à défaut de quoi la fiducie est imposable. En fait, l'utilisation d'une fiducie au profit du conjoint n'influe pas sur l'objet et l'esprit du régime de roulement‑attribution, qui est conçu pour que les gains soient imposés lorsque le bien ne fait plus partie de la cellule conjugale. Il importe de se rappeler qu'une fiducie est simplement un moyen de détenir des biens : il ne s'agit pas d'une personne juridique distincte de la cellule conjugale, et ce, quoique dise la Loi de l'impôt sur le revenu aux fins de l'impôt. La Loi peut assimiler la fiducie à un particulier aux seules fins fiscales, mais cela demeure une fiction. Le bien, dans la fiducie au profit du conjoint, n'a pas cessé de faire partie de la cellule conjugale. Comme on peut s'y attendre, ces dispositions ne prévoient pas le cas précis de la fiducie au profit du conjoint qui donne lieu au gain au moment de la disposition d'un bien au conjoint même pour lequel le bien est détenu – soit le cas dont je suis saisi.

 

[93]Avec les règles concernant les roulements, les règles d'attribution constituent le régime applicable aux conjoints aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les règles reconnaissent la possibilité d'un partage du revenu au sein de la cellule conjugale lorsque les taux marginaux applicables aux conjoints sont différents, de sorte que l'attribution garantit que le revenu ou les pertes, et notamment les gains ou les pertes en capital, soient encore ceux de l'auteur du transfert, alors qu'à toutes les autres fins, le transfert prend effet. Les règles (voir l'article 74.5) reconnaissent également que, si le transfert est d'une nature commerciale ordinaire, l'auteur du transfert peut décider d'être exclu de l'application des règles d'attribution.

 

[94]L'objet et l'esprit de ces dispositions, en ce qui concerne la cellule conjugale, sont clairs, mais quel est l'effet de l'alinéa 94(1)c) lorsque des conjoints sont en cause? Ce texte dispose que, lorsqu'un résident du Canada a transféré un bien directement ou indirectement à une fiducie discrétionnaire non‑résidente, dans laquelle une personne liée (le conjoint) est également bénéficiaire, la fiducie est réputée être un résident du Canada pour l'application de la partie I de la Loi. Selon les notes techniques publiées par le ministère des Finances en 1985, il s'agit d'une règle anti‑évitement qui vise à empêcher les résidents canadiens de reporter ou d'éviter l'impôt canadien en détenant des biens dans une fiducie non‑résidente établie au profit d'un résident canadien lié aux bénéficiaires. On a invoqué cette règle en l’espèce afin de tirer parti des dispositions de roulement du paragraphe 73(1), lesquelles, bien sûr, visent uniquement les résidents canadiens.

 

[95]Je conclus que le régime de la cellule conjugale pour les besoins de l'impôt, tel qu'il est énoncé dans les règles relatives au roulement et à l'attribution, est censé s'appliquer avec la fiducie canadienne réputée prévue à l'alinéa 94(1)c). Selon la politique intrinsèque de la Loi, la constitution d'une fiducie étrangère ne doit pas servir à échapper à l'obligation de payer l'impôt. Si ce n'était de l'Accord, la fiducie aurait été imposable au Canada. En d'autres termes, l'appelant soutient que ce n'est pas l'alinéa 94(1)c) qui donne lieu à un compte d'impôt moins élevé pour la fiducie. Cela est exact, mais vu l'objet et l'esprit de l'alinéa 94(1)c), de pair avec le régime de roulement et d'attribution, la cellule conjugale, par l'entremise d'une fiducie, ne doit pas échapper à l'imposition au Canada.

 

[96]Il faut maintenant juxtaposer des politiques de la Loi qui sont, selon moi, fort claires et l'application du paragraphe XIV(4) de l'Accord Canada‑Barbade et du sous‑alinéa 110(1)f)(i) de la Loi, prévoyant une déduction à l'égard d'un montant qui est exempté aux termes d'un traité.

 

Article XIV

            Gains provenant de l’aliénation de biens

            1.       Les gains provenant de l’aliénation de biens immobiliers sont imposables dans l’État contractant où ces biens sont situés.

            2.       Les gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers faisant partie de l’actif d’un établissement stable qu’une entreprise d’un État contractant a dans l’autre État contractant, y compris de tels gains provenant de l’aliénation globale de cet établissement stable (seul ou avec l’ensemble de l’entreprise) sont imposables dans cet autre État. Toutefois, les gains provenant de l’aliénation de navires et d’aéronefs exploités en trafic international ainsi que de biens mobiliers affectés à l’exploitation de tels navires ou aéronefs ne sont imposables que dans l’État contractant où ces biens sont imposables en vertu du paragraphe 3 de l’article XXIV.

            3.       a)       Les gains provenant de l’aliénation d’actions d’une société dont les biens sont constitués principalement de biens immobiliers situés dans un État contractant sont imposables dans cet État.

                      b)       Les gains provenant de l’aliénation d’une participation dans une société de personnes (partnership) ou dans une fiducie (trust) dont les biens sont constitués principalement de biens immobiliers situés dans un État contractant, sont imposables dans cet État.

            4.       Les gains provenant de l’aliénation de tous biens autres que ceux qui sont mentionnés aux paragraphes 1, 2 et 3 ne sont imposables que dans l’État contractant dont le cédant est un résident.

            5.       Les dispositions du paragraphe 4 ne portent pas atteinte au droit d’un État contractant de percevoir, conformément à sa législation, un impôt sur les gains provenant de l’aliénation d’un bien et réalisés par une personne physique qui est un résident de l’autre État contractant et qui :

                    a)       possède la nationalité du premier État ou a été un résident de cet État pendant au moins 10 ans avant l’aliénation du bien, et

                    b)       a été un résident du premier État à un moment quelconque au cours des cinq années précédant immédiatement l’aliénation du bien.

 

 

Loi de l'impôt sur le revenu

110(1) Pour le calcul du revenu imposable d'un contribuable pour une année d'imposition, il peut être déduit celles des sommes suivantes qui sont appropriées :

a)         […]

f)          toute prestation d'assistance sociale payée après examen des ressources, des besoins ou du revenu et incluse en application de la division 56(1)a)(i)(A) ou de l'alinéa 56(l)u) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année ou toute somme dans la mesure où elle a été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, représentant, selon le cas :

(i)                  une somme exonérée de l'impôt sur le revenu au Canada par l'effet d'une disposition de quelque convention ou accord fiscal avec un autre pays qui a force de loi au Canada,

 

Ces textes sont également clairs. Leur objet était d'exempter les gains réalisés par des résidents de la Barbade de l'impôt canadien sur la disposition d'immobilisations au Canada. Cependant, cette lecture ne doit pas faire abstraction de l’objectif général des traités fiscaux. Selon les travaux préparatoires de l'Accord fiscal Canada‑Barbade,  ce texte reflète le modèle de l'OCDE. La Cour suprême du Canada s’est exprimée de manière claire (The Queen c. Crown Forest Industries Limited[29]); il est acceptable, en interprétant les traités, de tenir compte du commentaire de l'OCDE. Or, le commentaire de l'OCDE concernant l'article premier indique que les conventions fiscales visent à empêcher l'évitement de l'impôt et l’évasion fiscale. Un exemple d'abus est même donné au paragraphe 9 du commentaire :

 

Tel serait le cas, par exemple, d’une personne (résident ou non d’un État contractant) qui agirait par l’entremise d’une entité juridique créée dans un État essentiellement pour obtenir les allégements d’impôts prévus dans les conventions conclues par cet État et auxquels cette personne n’aurait pas droit directement. Un autre cas serait celui d’une personne physique ayant dans un État contractant son foyer d’habitation permanent ainsi que tous ses intérêts économiques, notamment une participation importante dans une société de cet État, et qui, essentiellement en vue de vendre cette participation et d’échapper dans cet État à l’imposition de gains en capital provenant de cette aliénation (en vertu du paragraphe 5 de l’article 13), transférerait son foyer d’habitation permanent dans l’autre État contractant, où de tels gains sont peu imposés ou ne le sont pas du tout.

 

 

[97]L'appelant soutient que l'objet réel d'un traité est l’attribution de la compétence en matière d'impôt à l'égard de divers types de revenus entre deux pays, et non l’exclusion de la double non‑imposition. En renonçant à son droit d'imposer les résidents de la Barbade sur les gains en capital, le Canada aurait prévu une double non‑imposition. Par conséquent, l'appelant se demande comment cela peut constituer une violation de l'Accord. Il est possible de répondre dans une certaine mesure en se reportant au préambule de l'Accord lui‑même, dont voici le texte :

 

            Le Gouvernement du Canada et le Gouvernement de la Barbade, désireux de conclure un Accord tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, sont convenus des dispositions suivantes :

 

[98]L'argument de l'appelant ne constitue qu'un côté de la médaille – la fiducie. Le Canada a certes convenu de ne pas imposer les résidents de la Barbade, et notamment les fiducies, sur les gains en capital. Mais cette politique exclut-elle l'imposition d'un résident canadien particulier sur son gain en capital au Canada, lorsque des dispositions sont prises pour transmettre le gain à la fiducie de la Barbade? La réponse semble être négative. L'appelant a peut‑être dit correctement pourquoi il est difficile de conclure que la non‑imposition de la fiducie enfreint l'Accord, mais cela ne lui est d’aucun secours. L'objet et l'esprit de la législation canadienne telle qu'elle s'applique à un résident canadien ne doivent pas être rejetés du simple fait que la politique de l'Accord, telle qu'elle s'applique à une fiducie non‑résidente, pourrait protéger la fiducie, en particulier s'il est tenu compte de l'existence de la politique primordiale voulant que des traités soient conclus en vue d'empêcher l'évitement de l'impôt par les résidents canadiens.

 

[99]L'intimée soutient que les DGAE visent l'appelant, M. Antle, ainsi que la fiducie. Pour appliquer les DGAE à la fiducie elle‑même, il faudrait cerner l'esprit et l'objet de la disposition de l'Accord (l'article XIV) ou cerner la politique de cette disposition de l'Accord au regard dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu lues dans leur ensemble. La première question ne pose pas problème : en général, les gains réalisés par suite de la disposition d'une immobilisation meuble doivent être imposés dans le pays de résidence de l'aliénateur. Il n'y a pas d'autre objet à cerner – il ressort clairement de la disposition elle‑même. La deuxième question n'est pas aussi simple. De fait, elle ne se prête pas, selon moi, à une analyse. Soutenir qu'il est possible de dégager une politique quelconque sous‑tendant l'interaction entre l'article XIV de l'Accord et les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu en cause, c'est peut‑être donner matière à réflexion aux théoriciens, mais malgré tout le respect qui est dû aux auteurs de l'Accord et de la Loi, cela reviendrait à fabriquer de toutes pièces un objet et un esprit – une politique pour ainsi dire – là ou pareil esprit ou objet n'était pas conçu. À coup sûr, aucune politique de ce genre ne m'a été signalée. Le paragraphe XIV(4) est ce qu'il est.

 

[100]     L'appelant avance ensuite un certain nombre de moyens très précis en vue de tenter de jeter un éclairage différent sur la politique. J'examinerai chacun d’eux.

 

(i)     L'ancien article 94

 

[101]     L'appelant soutient que l'ancien article 94 aurait visé cette opération sans que l'Accord n'accorde d'allégement, étant donné que la fiducie aurait été réputée être une société étrangère et que les bénéficiaires auraient été réputés être des actionnaires. Mme Antle aurait été imposable sans avoir droit à l’exemption prévue par l'Accord, à titre de résidente canadienne. Selon la nouvelle règle, la fiducie est imposable et, en sa qualité de non‑résidente, elle peut bénéficier de l'exemption prévue par l'Accord. Je conviens que telles sont les règles, mais cela n'indique pas la politique sous‑jacente. À première vue, si le législateur permet à la fiducie qui est réputée être résidente en vertu de l'article 94(1)c) de tirer parti de l'alinéa 110(1)f) de la Loi, il vise à éviter la double imposition. Le problème est qu'étant donné qu'à la Barbade il n'y a pas d'impôt sur les gains en capital, cet objet est vide de sens et, de fait, il a pour effet de permettre la double non‑imposition. Même au vu de la modification de l'article 94, je ne saurais conclure à l'existence d'une nouvelle politique visant à promouvoir les placements à la Barbade du fait qu'il est permis au contribuable d'effectuer un roulement tout en se prévalant de la déduction relative à l'exemption prévue par l'Accord en vertu de l'alinéa 110(1)f). De fait, cela indique l'absence complète d'objet et d'esprit et donne lieu à une lacune non intentionnelle, bien que ce terme ne plaise pas à l'appelant.

 

(ii)    L'article 73 n'a été modifié qu'en l'an 2000

 

[102]     L'appelant soutient que puisque une règle [traduction] d'« absence de fiducie en vertu de l'article 94 » a été édictée aux fins du roulement prévu à l'article 73, cette règle prenant effet après l'année 1999, il était évident qu'auparavant, rien n’imposait que la fiducie soit créée au Canada. Or, telle n'est pas la question : la politique des règles de roulement et d'attribution n'est pas limitée aux fiducies. Le gouvernement du Canada a agi de toute évidence afin de combler ce qui était considéré comme une lacune. Or, ce n’est pas avec des lacunes que l’on dicte des règles de conduite. L'appelant rejette la réalité d’une lacune étant donné que la fiducie visée à l'alinéa 94(1)c) est une résidente canadienne aux fins de l'application de la partie I dans son ensemble, et non simplement de l'article 73. Il y a lacune non pas simplement en raison de cette seule disposition, mais en raison de l'interaction d'un grand nombre de dispositions. C’est à bon droit que l'appelant soutient que, selon la jurisprudence The Queen c. Imperial Oil Limited[30], le fait de tirer parti d’une lacune ne constitue pas un abus en soi : il faut rechercher si, ce faisant, on a contrecarré l'objet et l'esprit des dispositions en cause.

 

(iii)     Aucune restriction n'est imposée quant aux personnes qui peuvent constituer la fiducie

 

[103]     L'appelant soutient que rien dans l'Accord n’empêche le résident canadien de constituer une fiducie de la Barbade en vue de tirer parti de l'Accord. Par contre, le paragraphe IV(1) de la Convention Canada‑États‑Unis de 1980 définit la fiducie comme étant un résident des États‑Unis, en ce qui concerne un gain, seulement si son ou ses bénéficiaires sont imposables aux États‑Unis sur ce gain. Puisqu'il n'existe aucune disposition de ce genre dans l'Accord de la Barbade, l’intention du Canada était certainement que la fiducie de la Barbade au profit du conjoint continue de résider à la Barbade aux fins de l'Accord. Cela ne fait que confirmer que, en effet, la fiducie de la Barbade au profit du conjoint réside de fait à la Barbade. Cela n'ajoute rien à l'objet et à l'esprit de l'Accord qui ont déjà été dégager; les résidents de la Barbade doivent être assujettis au régime fiscal de la Barbade quant aux gains en capital. Il ne s'agit pas d'une politique qui vise le résident canadien.

 

(iv)     Absence de période minimale

 

[104]     L'appelant fait valoir que rien dans l'Accord n’exige que le résident de la Barbade y vive pour une période particulière afin d'être en mesure de tirer parti du paragraphe XIV(4). C’est exact, mais encore une fois, je n'ai pas l'impression que l'intimée soutient que telle ou telle politique explique pareille exigence, si ce n'est ce qui est énoncé au paragraphe XIV(5).

 

(v)     Absence de refus d'accorder les avantages prévus par l'Accord

 

[105]     Aux termes du paragraphe XXX(3) de l'Accord, le Canada prive des avantages prévus par l'Accord certains types de sociétés que le régime fiscal de la Barbade favorise. Les appelants relèvent que la fiducie de la Barbade ne fait l’objet d’une exclusion semblable. Je ne puis voir comment on pourrait tirer de ce constat un argument interprétatif ou téléologique et ainsi soutenir que le recours à la fiducie de la Barbade est compatible ou incompatible avec le principe voulant que l'Accord ne puisse pas être utilisé pour transformer le gain réalisé par un résident canadien en un gain non imposable d'une fiducie résidant à la Barbade. Cela confirme simplement que rien ne restreint le pouvoir de la Barbade, et non du Canada, d'imposer (ou de ne pas imposer) le résident de la Barbade sur un gain en capital. En effet. Toutefois, cela ne signifie pas, selon moi, que l'absence d'une telle exclusion constitue une invitation ouverte à solliciter l'Accord en vue de contourner le régime fiscal canadien en ce qui concerne l'imposition de gains réalisés par la cellule familiale.

 

(vi)     Absence de réserve quant aux articles 73 ou 94

 

[106]     Dans la même veine, l'appelant soutient qu'étant donné que le Canada s'est réservé le droit (paragraphe XXX(2)) d'appliquer les règles relatives au revenu étranger accumulé, tiré de biens (le REATB) en vertu de l'article 91 et de ne pas faire quelque chose de semblable dans le cas des fiducies qui sont réputées être résidentes en vertu de l'article 94, on ne peut dégager de l’Accord un principe selon lequel les autorités canadiennes ont le droit d'imposer indirectement une fiducie résidant à la Barbade. L'appelant m'a renvoyé à l’arrêt que la Cour d'appel fédérale a rendu dans l'affaire Landrus c. Canada[31], et plus précisément aux observation suivantes :

 

47        Je conviens avec l’appelante que le fait qu’il est avéré que des dispositions anti‑évitement précises ne s’appliquent pas à certaines situations ne prouve pas, en soi, que le résultat était celui souhaité par le législateur (Canada c. Central Supply Company (1972) Ltd., [1997] 3 C.F. 674 (C.A.F.). Cependant, lorsqu’il est possible de démontrer qu’une disposition anti-évitement a été soigneusement conçue de manière à inclure certaines situations et à en exclure d’autres, il est raisonnable d’inférer que le législateur a choisi de limiter sa portée en conséquence.

 

[107]     Vu le paragraphe XXX(2), lequel se rapporte aux dispositions relatives au REATB, il est clair que l'Accord ne change rien au régime canadien du REATB – c'est tout. J'estime qu'il s'agit au mieux d'une disposition de clarification. L'appelant insinue que le gouvernement du Canada savait qu'un résident canadien pouvait faire ce que M. Antle a fait; sinon, pourquoi le gouvernement canadien n'aurait‑il pas inséré la disposition précise de clarification? L'appelant dit, en fin de compte, que le gouvernement canadien savait que tout résident canadien pourrait échapper à l'obligation de payer un impôt sur les gains en capital parce que l'Accord de la Barbade invite les résidents canadiens à le faire, et ce, en toutes lettres. Ce raisonnement semble douteux et il est plus probable que le gouvernement canadien n'a jamais envisagé que les planificateurs fiscaux se livrent à une telle manœuvre, et amènent le fiduciaire non‑résident à « vendre » le bien à un bénéficiaire et distribuer immédiatement le produit à ce même bénéficiaire.

 

(vii)    Il n'y a qu'une seule règle anti-évitement qui s'applique aux gains en capital

 

[108]     Le paragraphe XIV(5) est la seule règle anti‑évitement figurant dans l'Accord en ce qui concerne les gains en capital. Cela découle en fait de l'argument antérieur qui a été invoqué par l'appelant. Si le gouvernement canadien devait incorporer une autre règle anti‑évitement à l'égard des gains en capital, c'est probablement là qu'il le ferait. Je suis d'accord pour dire qu'aucune règle n'y figure. Il s'agit de savoir si cela confirme qu'il n'existe aucun principe empêchant le contribuable de recourir à l'article XIV en afin d’annuler l’impôt sur les gains en capital réalisés par un résident canadien par une fiducie qui réside à la Barbade. Non, cela ne fait que confirmer que la fiducie qui réside à la Barbade n'est pas imposable au Canada.

 

(viii)   Le Canada encourage fortement les placements à la Barbade

 

[109]     L'appelant se fonde sur l'alinéa 5907(11.2)c) du Règlement, qui assujettit la société internationale de la Barbade à l'alinéa 113(1)a) de la Loi, permettant aux sociétés canadiennes qui sont des investisseurs de déduire des dividendes de la société internationale de la Barbade, à l'appui de la thèse selon laquelle le Canada encourage les placements à la Barbade. Cet argument ne réussit pas à me convaincre qu'un tel encouragement va jusqu'à annihiler la politique du Canada sur les gains en capital. Cela n'a aucun sens.

 

(ix)     Absence de clause limitant les avantages

 

[110]     Selon l'appelant, une disposition limitant les avantages est une règle anti‑abus visant à faire en sorte que les résidents visés par l'Accord soient [traduction] « réellement » des résidents visés par l'Accord. L'Accord ne renferme aucune disposition limitant les avantages, et il n'est pas approprié, selon l'appelant, au moyen des DGAE, et de dégager une telle disposition de l'Accord. Vu l'absence de disposition limitant les avantages, il n’est pas facile de définir l'objet et l'esprit de l'article XIV de l'Accord, ni la façon dont cette disposition était censée être conciliée avec l'alinéa 94(1)c), le paragraphe 73(1) et les règles d'attribution de la Loi.

 

[111]     L'argument de l'appelant est entièrement axé sur le fait que je dégagerais une politique de l'Accord, en feignant d’y voir des règles qui ne s'y trouvent pas. Or, telle n'est pas la question. Je conviens que l'Accord est clair : le texte est le texte, certaines dispositions y figurant et d'autres n'y figurant pas. Je conviens qu'il n'y a pas de disposition anti‑évitement précise portant sur les fiducies au profit du conjoint que je puisse signaler. L'Accord ne renferme aucune règle générale anti‑évitement explicite. Il renferme une disposition selon laquelle le résident de la Barbade n'est pas imposé sur les gains en capital au Canada. Cela est tout à fait clair. Y a‑t‑il donc quelque chose dans l'Accord qui indique que, vu l'esprit ou l'objet de quelque disposition de l'Accord ou que l'Accord dans son ensemble, il est interdit au contribuable de se fonder sur le paragraphe XIV(4) afin d'éviter un impôt sur les gains en capital au Canada? À part le préambule figurant dans le commentaire de l'OCDE dont il a ci‑dessus été fait mention, la réponse est négative. Mais, à l’inverse, on peut poser la question suivante : y a‑t‑il quelque chose dans l'Accord qui indique que, vu l'esprit ou l'objet de quelque disposition de l'Accord ou que l'Accord dans son ensemble, à le contribuable peut se fonder le paragraphe XIV(4) pour éviter l'impôt sur les gains en capital au Canada? La réponse est négative. Le paragraphe XIV(4) est simplement ce qu'il est.

 

(x)     Absence de récupération des gains non imposables

 

[112]     L'appelant soutient que les autorités canadiennes savaient que la Barbade n'imposait pas les gains en capital et qu'il a renoncé à sa compétence à cet égard en ce qui concerne les gains d'un résident de la Barbade réalisés au Canada. Elles ne peuvent pas maintenant se plaindre qu'il y a double non‑imposition; elles doivent l'avoir prévu. Je peux retenir cette idée pour ce qui est de l'imposition de la fiducie, mais, je suis d’avis que ce serait aller trop loin de dire que le Canada prévoyait que la cellule conjugale canadienne puisse échapper à l'impôt sur le gain en capital en transmettant le gain à une fiducie de la Barbade par le recours aux dispositions de roulement dont peut se prévaloir le résident réputé du Canada, en s’appuyant ensuite astucieusement sur le statut de résident de la Barbade de celle-ci afin d'échapper à l’imposition.

 

[113]     En outre, l'appelant soutient que, parce que l'Accord Barbade‑Royaume‑Uni (qui était en vigueur dix ans avant l'Accord Canada‑Barbade) comportait une disposition qui aurait empêché la fiducie de revendiquer une exemption à l'égard du gain si M. Antle avait résidé au Royaume‑Uni, il faut conclure que la Barbade n'a pas convenu que le Canada impose le gain même en vertu des DGAE, en violation de l'Accord. Je ne retiens pas ce raisonnement étant donné qu'en premier lieu, vu le libellé de la disposition Barbade‑Royaume-Uni, la Barbade imposait peut‑être les gains en capital en 1970, alors que la situation était peut‑être fort différente en 1980. Je n'ai entendu aucun témoignage sur ce point. En second lieu, les DGAE actuelles n'ont pris effet que bien après l'année 1980. Cet élément de l'argument de l'appelant ne me convainc pas de l'existence d'une intention plus étendue, pour ce qui est de l'article XIV, que celle que l’on peut déduire du libellé clair de ce texte.

 

(xi)     L'article 54.2 de la Loi permet le même traitement sur le plan interne

 

[114]     L'appelant soutient que l'objet de l'article 54.2 est de permettre aux contribuables de transformer un gain imposable au titre du revenu en un gain en capital, qui est visé par l'exonération cumulative des gains en capital, et que le recours à la fiducie pour transformer un gain en capital par ailleurs imposable en un gain exempté d'impôt permet d’atteindre le même but. Je ne crois pas pouvoir retenir cette thèse. L'article 54.2 prévoit expressément le transfert de la totalité ou de la presque totalité des actifs utilisés dans une entreprise active en échange d'actions, et ce, afin que soit assurée la nature de capital du bien, plutôt que de transformer un gain imputable au revenu en un gain en capital. De fait, si l'on tentait de transférer simplement l'inventaire, par exemple, cette disposition ne jouerait pas. Cette disposition n'aide pas à établir l'objet ou l'esprit des dispositions en question.

 

[115]     J'ai jugé nécessaire d'examiner le grand nombre de points que l'appelant a avancés en vue de décider si, cumulativement, ils peuvent m'amener à m'éloigner de la position que j'ai prise, à savoir que l'objet et l'esprit des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu sont d'assurer l'imposition des résidents canadiens sur les gains en capital découlant de la disposition d'une immobilisation en dehors de la cellule conjugale, notamment par le recours aux fiducies étrangères. L'Accord protège peut‑être la fiducie de la Barbade au profit du conjoint, mais rien ne m'amène à conclure qu'il vise à protéger le résident canadien de l'application des DGAE eu égard aux faits portés à ma connaissance.

 

[116]     J'examinerai maintenant le second élément de l'analyse, à savoir si les opérations d'évitement sont contraires à l'objet et à l'esprit des textes. J’examinerai l'application à M. Antle des DGAE. Comme la Cour suprême du Canada l'enseigne clairement par la jurisprudence Lipson, la Cour peut tenir compte de l'effet global d'une opération lorsqu'elle recherche si une opération a donné lieu à un abus, mais elle doit faire preuve de prudence en tenant compte de l'objet global. Dans l'arrêt Lipson, la Cour suprême du Canada n'a pas dit qu'il est possible de faire abstraction cas de l'objet, mais elle a fait les observations suivantes :

 

38        Il ressort [...] de l’arrêt Trustco Canada que la démarche appropriée pour l’application du par. 245(4) consiste à déterminer si l’opération contrecarre l’objet ou l’esprit des dispositions qui confèrent l’avantage fiscal.  Un objectif d’évitement est nécessaire pour qu’il y ait violation de la RGAÉ suivant le par. 245(3), mais son existence n’est pas décisive pour l’application du par. 245(4).  Ce n’est que dans la mesure où ils établissent que l’opération contrecarre ou non l’objet des dispositions pertinentes que la motivation, la fin et la raison d’être économique sont prises en compte pour les besoins du par. 245(4) (Trustco Canada, par. 57‑60).

 

[117]     Quel était l'effet global pour M. Antle? M. Antle n'a contracté directement aucune obligation de payer un impôt lors de la disposition de ses actions ni par application des règles d'attribution. Il a transmis le gain à une fiducie étrangère, résidant dans un ressort qui n'imposait pas les gains en capital. N’eût été de l'Accord et de l'alinéa 110(1)f) de la Loi, la fiducie aurait été imposée sur le gain au Canada ou, si elle avait fait un choix en vertu du paragraphe 104(21), M. Antle aurait été imposé sur le gain par suite des règles d'attribution. Dans un cas comme dans l'autre, l'objet et l'esprit des règles de roulement et d'attribution auraient été respectés. Cependant, lorsqu'il se fonde sur l'alinéa 94(1)c) pour soutenir que la fiducie est réputée être un résident canadien afin de tirer parti du roulement prévu au paragraphe 73(1), et qu'il cherche ensuite à échapper à l’imposition au Canada en invoquant l'alinéa 110(1)f), en raison de ce que j'appellerais la nature particulière du traitement fiscal des fiducies et des dispositions incompatibles de la Loi et de l'Accord en ce qui concerne le statut de résident, M. Antle viole de manière flagrante l'objet et l'esprit du régime de roulement et d'attribution. Cela correspond‑il à l'un des trois cas exposés dans l'arrêt Trustco Canada, et confirmés dans l'arrêt Lipson, qui donnent lieu à un abus? Il s'agit de rechercher si l'opération d'évitement :

 

(i)                donne lieu à un résultat que les dispositions invoquées visent à empêcher;

 

(ii)              va à l'encontre de la raison d'être des dispositions invoquées;

 

(iii)            contourne l'application de certaines dispositions de manière à violer leur objet et leur esprit.

 

Il faut répondre par l'affirmative. Il s'agit d'un résultat que le paragraphe 73(1), les règles d'attribution et l'alinéa 94(1)c) visaient expressément à exclure, c'est‑à‑dire que la cellule conjugale ne peut pas échapper à son obligation par le recours à une fiducie étrangère. Et, comme je l'ai expliqué, une fiducie au profit du conjoint fait encore partie intégrante de la cellule conjugale.

 

[118]     En outre, le résultat va également à l'encontre de la raison d'être de ces dispositions particulières et, de fait, de la politique des autorités canadiennes d'imposer les gains en capital en général. Les résidents canadiens et les résidents réputés doivent être imposés sur leurs gains en capital au Canada. Les règles visant le gain réalisé par suite de la disposition d'une immobilisation par la cellule conjugale, qui reflètent la politique canadienne, deviennent lettre morte si l'on trouve un fiduciaire accommodant de la Barbade.

 

[119]     L'appelant soutient que le Canada a renoncé à sa compétence d’imposition des gains en capital que les résidents de la Barbade réalisent au Canada et que c'est tout simplement ce qui s'est produit en l’espèce; par conséquent, il ne peut pas y avoir d'abus du système canadien d'imposition des gains en capital. Toutefois, le Canada n'a pas renoncé à son pouvoir d'imposer les résidents canadiens. Le tour de passe-passe par lequel une fiducie non‑résidente (qui n'est pas une entité juridique, mais qui est réputée être un particulier uniquement aux fins de l'impôt) vient s'établir au beau milieu de la cellule conjugale, qui réside au Canada, afin qu’il soit tiré parti du traitement fiscal du ressort même de la fiducie non‑résidente vise à contrecarrer la politique du Canada d'imposer les résidents sur leurs gains en capital. Soyons clairs : tout résident canadien marié qui n'a absolument aucun lien avec la Barbade peut se fonder sur ces dispositions en vue de contrecarrer la politique fiscale du Canada d'imposer son gain en capital. Si la fiducie au profit du conjoint est considérée comme faisant partie de la cellule conjugale, je suis d’avis que ce résultat constitue un abus. Je ne retiens pas la thèse de l'appelant selon laquelle rien dans le texte, dans le contexte ou dans l'objet des articles 73 et 94 ou dans le paragraphe XIV(4) n’indique que l'établissement d'une fiducie au profit du conjoint aux fins du transfert du patrimoine à un conjoint constitue un abus. Bien au contraire – tout indique que cela constitue un abus.

 

[120]     Si je considère l'article XIV de l'Accord comme faisant partie des dispositions invoquées, cela va‑t‑il à l'encontre de la raison d'être de cette disposition? Pas en ce qui concerne la fiducie. Cependant, qu'en est‑il dans le cas de M. Antle? M. Antle se fonde sur l'Accord afin d'éviter l'imposition, ce qui va directement à l'encontre d'un objectif général de l'Accord. La Loi de l'impôt sur le revenu et l'Accord Canada‑Barbade prévoient le paiement par les résidents canadiens de l'impôt canadien sur le gain résultant de la vente d'un bien détenu par la cellule conjugale canadienne. La Loi et l'Accord ne prévoient pas que l'on fasse passer le bien par la Barbade et qu'on le retourne à la cellule conjugale canadienne dans l’unique but  d'échapper au paiement de l'impôt canadien. Cela constitue un détournement de la Loi et de l'Accord, notamment au regard de l’effet combiné de ces textes.

 

Conclusion relative aux DGAE

 

[121]     Un grand nombre d'arguments techniques complexes ont été présentés quant à l'application des DGAE. L’enseignement de la Cour suprême du Canada comporte une analyse de l'abus à deux étapes et les parties ont avancé leurs arguments dans ce cadre minutieusement formulé. M. Antle a invoqué plusieurs dispositions de la Loi, ainsi que l'Accord Canada‑Barbade pour soutenir que la stratégie en cause ne constituait pas un évitement abusif de l'impôt, mais qu'il s'agissait plutôt d'une planification fiscale astucieuse d’évitement de l'impôt sur le gain en capital. Je ne puis retenir cette thèse. Cette stratégie est tellement contraire à l'objet, de l'esprit, la politique, quel que soit le terme employé, des lois fiscales canadiennes à l'égard des gains en capital, plus particulièrement dans la mesure où ils se rapportent à la cellule conjugale, ainsi qu'à l'essence même des traités internationaux, qu'elle pourrait devenir l’hypothèse d’école classique illustrant l’objet des DGAE.

 

[122]     Ayant conclu que les DGAE visent à M. Antle, quelle mesure puis‑je prendre en vertu des règles à son égard? Selon le paragraphe 245(2), je puis fixer les conséquences fiscales qui sont raisonnables eu égard aux circonstances, notamment, selon le paragraphe 245(5), le fait de ne pas lui imposer la dette fiscale qui découlerait par ailleurs des autres dispositions de la Loi. Somme toute, la loi me confère un pouvoir étendu. La solution fiscalement raisonnable consiste à refuser à M. Antle la capacité de tirer parti du roulement en faveur de la fiducie et à inclure le gain en capital imposable entre ses mains.

 

La résidence

 

[123]     Il est inutile d'examiner la question de la résidence, mais étant donné les conclusions que j'ai jusqu'à maintenant tirées, je veux simplement aborder brièvement un point ou deux. Il est intéressant de noter que l'intimée avance deux thèses : en premier lieu, la fiducie Antle est une fiducie non‑résidente aux termes du paragraphe 250(5) et elle ne peut donc pas se prévaloir des dispositions de roulement du paragraphe 73(1). À titre subsidiaire, la disposition déterminative (alinéa 94(1)c)) fait de la fiducie Antle un résident canadien pour l'application de l'Accord et, la fiducie peut donc être imposée à titre de résident canadien. Si j’avais été appelé à me prononcer, j’aurais rejeté ces thèses.

 

[124]     Quant à la première thèse, s'il existe une fiducie valide et si M. Truss est un fiduciaire légitime, l'intimée convient alors que la résidence de la fiducie est située à la Barbade. Toutefois, vu le sous‑alinéa 94(1)c)(i), la fiducie discrétionnaire est réputée résider au Canada pour l'application de la partie I. Le paragraphe 250(5) de la Loi dispose ensuite :

 

250(5)  Malgré le paragraphe (4) et, pour l'application de la présente loi, une société, à l'exception d'une société visée par règlement, est réputée ne pas résider au Canada à un moment donné si, par entente ou convention conclue entre le gouvernement du Canada et le gouvernement d'un pays étranger et ayant force de loi au Canada, elle n'était passible, à ce moment, d'aucun impôt en vertu de la partie I sur tout revenu qu'elle aurait pu tirer d'une source située à l'étranger. 

 

L'intimée soutient que le paragraphe 250(5) l'emporte sur le sous‑alinéa 94(1)c)(i) et que la fiducie est donc une fiducie non‑résidente qui ne peut pas se prévaloir de la disposition de roulement du paragraphe 73(1). L'appelant soutient que ce n'est pas ainsi qu'il faut interpréter le paragraphe 250(5). Selon Me Nitikman, cette disposition ne vise qu’un seul cas : lorsque, selon l'Accord, une personne réside dans les deux pays en même temps, et que selon les règles de départage de l'Accord, elle est réputée résider dans le pays étranger. Cette interprétation est étayée par les notes techniques du ministère des Finances concernant cette disposition. Le libellé de la disposition elle‑même justifie mieux cette interprétation que celle de l'intimée. Pour qu'une personne soit réputée être un non‑résident, deux conditions doivent être réunies :

 

(i)                si ce n'était du paragraphe 250(5) et d'un traité fiscal, la personne résiderait au Canada pour l'application de la Loi;

 

(ii)              en vertu d'un traité fiscal, la personne réside dans un autre pays et ne réside pas au Canada.

 

[125]     En l’espèce, il n'est satisfait à ni l'une ni l'autre condition. La fiducie ne réside pas au Canada selon le sous‑alinéa 94(1)c)(i) pour l'application de la Loi, mais uniquement pour l'application de la partie I. L'intimée ne fait aucune distinction entre les deux dans le cas d'une fiducie. Je ne peux retenir cette thèse. La fiducie visée à l'alinéa 94(1)c) ne serait pas imposable sur son revenu d'entreprise active étranger. L'intimée soutient qu'une fiducie se livrerait rarement à une telle activité, mais aussi rare que puisse être cette situation, la chose demeure possible; on ne saurait donc pas dire que la fiducie réside au Canada pour l'application de la Loi, étant donné qu'à une fin au moins, elle n'y réside pas. Quant à la seconde condition, il doit être conclu que la fiducie ne réside pas au Canada aux termes de l'Accord. Tel n'est pas le cas. Ce n'est pas l'Accord qui permet de déterminer que la fiducie ne réside pas au Canada : aucune règle de départage n'a été invoquée aux fins de cette détermination. Cette disposition ne joue pas.

 

[126]     Si l’on devait retenir la lecture de l’intimée du paragraphe 250(5), le sous‑alinéa 94(1)c)(i) serait vide de sens étant donné que selon le paragraphe 250(5), la fiducie visée au sous‑alinéa 94(1)c)(i) serait toujours unilatéralement réputée être un non‑résident.

 

[127]     Quant à la thèse selon laquelle, aux termes du sous‑alinéa 94(1)c)(i) et du paragraphe 2(1) de la Loi, la fiducie Antle est assujettie à l'impôt au Canada à titre de résident et qu'elle peut donc être considérée comme telle pour l'application de l'Accord, je conclus que l’enseignement de la jurisprudence Crown Forest constitue une réponse complète. En examinant une disposition similaire de la Convention Canada‑États‑Unis (article IV), le juge Iacobucci a conclu ce qui suit :

 

Les parties à la Convention voulaient seulement que les résidents de l'un des États contractants, qui, dans l'un des États contractants, sont assujettis à l'impôt sur leurs * revenus mondiaux +, soient considérés comme des * résidents + aux fins de la Convention. 

 

[128]     L'intimée a signalé avec raison les différences existant entre les faits de l'affaire Crown Forest et ceux de l'affaire dont je suis ici saisi; elle a fait valoir que, dans l'arrêt Crown Forest, l'accent était mis sur l'expression « assujettissement fiscal ». Toutefois, l’enseignement de la Cour suprême du Canada est incontournable. Étant donné que la fiducie Antle ne serait pas imposée sur son revenu de toutes provenances, elle n'est pas visée par l’enseignement fort clair de la Cour suprême au sujet du résident canadien pour l'application de l'Accord. Je conviens avec l'intimée qu'il serait inhabituel pour une fiducie d'avoir un revenu qui serait imposé en vertu d’un texte autre que la partie I, mais cela ne serait pas impossible. On a disserté et on pourrait disserter longuement à ce sujet, mais je ne le ferai pas, compte tenu de ce qui précède. Toutefois, je voulais informer les parties des conclusions que j’ai tirées au sujet de la question de la résidence.

 

[129]     Tels étaient les seuls arguments concernant la « résidence »; il s'est donc avéré inutile de se pencher sur la question plus générale de la définition de ce terme, au regard de la fiducie pour les besoins de l'impôt sur le revenu canadien.

 

Conclusion

 

[130]     L'appel interjeté par M. Antle est rejeté. L'appel de la fiducie Antle au profit du conjoint est annulé au motif qu'il n'y avait pas de fiducie. Les dépens sont adjugés à l'intimée.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de septembre 2009.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mars 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 465

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2005-1619(IT)G et 2005‑1620(IT)G

 

INTITULÉ :                                       PAUL ANTLE et FIDUCIE RENEE MARQUIS-ANTLE AU PROFIT DU CONJOINT

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

                                                          et Ottawa (Ontario)

 

DATES DES AUDIENCES :              Du 9 au 13 mars et du 27 au 30 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 septembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me Joel A. Nitikman

Me Michelle Moriartey

Avocats de l'intimée :

Me Robert Carvalho

Me Eric Douglas

Me Johanna Russell

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Joel A. Nitikman

 

                   Cabinet :                         Fraser Milner Casgrain LLP

                                                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Pièce AR‑1, volume 4, Réponse de l'appelant aux engagements – 31 juillet 2006, onglet 287, pages 33 et 34.

[2]           (Onglet 287 – pages 33 et 34).

[3]           Onglet 287, page 44.

[4]           Pièce AR‑1, volume 3, no 32.

[5]           Pièce AR‑1, volume 3, no 32.

[6]           2009 CAF 398.

[7]           84 DTC 6305 (C.S.C.).

 

[8]               (2e éd. 2005) page 39.

[9]           91 DTC 5123 (C.F. 1re inst.).

 

[10]          R.S.N.L. 1990, ch. C-36.

 

[11]          Voir par ex. Fenton v Whitties, 1977 26 NSR 2d 662.

[12]          3e éd. (Toronto : Thomson, 2005), page 149.

[13]          3e éd. (Toronto : Thomson, 2005), pages 26, 617, 167.

[14]          (1862) 4 De G.F. & G. 264 : ER 45 Ch 1185.

[15]          [1967] 1 All ER 5518 (C.A.).      

[16]          [2005] Ch 281 (11 juillet 2003).

[17]          [2007] NZCA 230.

[18]          72 DTC 6010 (C.F. 1re inst.).

[19]          1997 Key Haven Publications 27.

[20]          (18e éd., 2008).

 

[21]          45 B.L.R. (4th) 201 (C.S. Ont.).

[22]          94 DTC 1858 (C.C.I.).

[23]          [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54.

[24]          2009 CSC 1, paragraphe 41.

 

[25]          [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54.

[26]          2009 CSC 1, paragraphe 41.

[27]          [1995] 2 R.C.S. 627, paragraphe 93.

[28]          2e éd. (Scarborough Carswell 1992).

 

[29]          95 DTC 5389 (C.S.C.).

[30]          2004 DTC 6044 (C.A.F.).

 

[31]          2009 CAF 113.

 

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