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Dossier : 2008-2295(EI)

ENTRE :

MAISON BELFIELD,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

SAMUEL ESPIEDRA,

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Samuel Espiedra (2008-2562(EI)) le 16 février 2009, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Jean Dagenais

Avocate de l’intimé :

Me Sarom Bahk

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national datée du 12 mai 2008 à l’égard de la période du 2 janvier 2006 au 26 août 2007 est confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de mars 2009.

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip


 

 

 

 

Dossier : 2008-2562(EI)

ENTRE :

SAMUEL ESPIEDRA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MAISON BELFIELD,

intervenante.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de la Maison Belfield (2008-2295(EI)) le 16 février 2009, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Sarom Bahk

Avocat de l’intervenante:

Me Jean Dagenais

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi est annulé et la décision du ministre du Revenu national datée du 12 mai 2008 à l’égard de la période du 2 janvier 2006 au 26 août 2007 est confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de mars 2009.

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 129

Date : 20090311

Dossier : 2008-2295(EI)

ENTRE :

MAISON BELFIELD,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

SAMUEL ESPIEDRA,

intervenant,

et

Dossier : 2008-2562(EI)

ENTRE :

SAMUEL ESPIEDRA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MAISON BELFIELD,

intervenante.


 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Rip

 

[1]             La Maison Belfield interjette appel à l’encontre de la décision, dont l’avis est daté du 12 mai 2008, rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi, décision selon laquelle Samuel Espiedra exerçait un emploi assurable auprès de la Maison Belfield pendant la période du 2 janvier 2006 au 26 août 2007, étant donné qu’il était employé aux termes d’un contrat de louage de services. 

 

[2]             M. Espiedra est intervenu dans l’appel de la Maison Belfield seulement pour faire valoir que le salaire hebdomadaire qui lui était versé était de [traduction] « 700 $ NET (après impôt) et NON BRUT ». Du reste, M. Espiedra souscrit à la décision du ministre. M. Espiedra travaillait comme psychothérapeute à la Maison Belfield pendant toute la période en cause. Il a aussi interjeté appel de la décision rendue à son égard, également datée du 12 mai 2008, le motif de l'appel étant que son salaire était de 700 $ net par semaine. Son avis d'appel a été déposé le 11 août 2008, soit 91 jours après la date de la décision visée par l’appel.  

 

[3]             Les questions dont je suis saisi sont de savoir :

 

a)       si M. Espiedra était un employé de Maison Belfield ou bien un entrepreneur indépendant pendant la période en cause;

 

b)      si l’appel de M. Espiedra a été déposé dans les délais et si le salaire qu’il a reçu était un salaire brut ou un salaire net (après les retenues à la source, le cas échéant).

 

[4]             La Maison Belfield est tenue à Montréal par le Chabad Lubavitch, un organisme de bienfaisance et religieux juif. Il s’agit d’une résidence qui accueille, dans un environnement juif, des anciens détenus récemment libérés, des alcooliques et des toxicomanes, entre autres. La Maison Belfield compte sept lits. Les patients entrent volontairement à la Maison Belfield et peuvent en sortir quand ils le veulent. Le rabbin Joël Zushe Silberstein, directeur de la Maison Belfield, était et est toujours chargé du financement et du fonctionnement de la résidence.

 

[5]             Le rabbin Silberstein a 30 ans d’expérience de travail auprès de détenus et d’anciens détenus récemment libérés. Il fait encore régulièrement des visites dans des prisons.

 

[6]             M. Espiedra avait déjà travaillé à la Maison Belfield en 2003 et en 2004. Après avoir rencontré le rabbin Silberstein et avoir eu une entrevue avec le fils de ce dernier, M. Espiedra est retourné travailler à la Maison Belfield à la fin de 2005. Selon le rabbin Silberstein, M. Espiedra avait été embauché à titre de psychothérapeute professionnel afin d’aider dans l'accomplissement du travail qui se faisait à la résidence.

 

[7]             La Maison Belfield avait pour politique de n'admettre que des personnes qui ne représentaient pas un danger pour autrui, et le rabbin Silberstein a dit qu’il s’en remettait à un professionnel comme M. Espiedra pour l’évaluation des personnes en vue de leur admission. Toutefois, il ressort de la preuve que le rabbin Silberstein et M. Espiedra prenaient conjointement toute décision quant à l'admission.

 

[8]             Selon le rabbin Silberstein, le rôle de M. Espiedra était d’évaluer les problèmes personnels des gens et de leur changer la vie au moyen, notamment, de thérapie. M. Espiedra avait un diplôme universitaire de premier cycle et a en outre suivi des cours au campus de Longueuil de l’Université de Sherbrooke. Le rabbin Silberstein a dit qu’il faisait entièrement confiance à M. Espiedra.

 

[9]             M. Espiedra a produit en preuve un document qui, semble‑t‑il, décrit ses responsabilités ainsi que les objectifs de la Maison Belfield. Il a reçu ce document lorsqu’il a commencé à travailler à la Maison Belfield en 2005. Le document n’est pas très clair :

 

[traduction]

Bac

 

Période d’essai de six mois

 

À accomplir

 

Structure et ordre complet dans tout :

 

Dans la maison

Dans les dossiers

Dans les suivis

 

Établir des contacts pour des emplois

Trouver des possibilités de formation

Cours disponibles

Liste des possibilités de bénévolat

Cliniques

Médecins

Labos

 

RP

 

Toutes les institutions connexes devraient nous connaître

Prisons

Fédérales et provinciales

Maisons de transition

Centres sociaux

Centres de réadaptation

Centres de désintoxication

 

Inviter des agents de libération conditionnelle et des agents de probation

 

Concevoir un site Web convenable

 

Travailler à être connu des gouvernements

 

Établir une liste complète des anciens résidents et mettre sur pied des programmes spéciaux pour eux, avec eux.

 

[10]        M. Espiedra travaillait normalement en semaine, de 14 h 30 à 22 h 30, soit [traduction] « la meilleure période de la journée pour la thérapie », selon le rabbin Silberstein.  C’était à ces heures‑là, et surtout après le souper, que les services de M. Espiedra étaient nécessaires. La fin de semaine, y compris le vendredi soir et le samedi, les patients étaient le plus sensible et le temps était moins structuré, a affirmé le rabbin Silberstein. Pendant le sabbat, si je comprends bien, M. Espiedra avait des discussions avec les patients afin de leur permettre d'exprimer leurs sentiments de judaïcité.

 

[11]        En temps normal, il y avait trois ou quatre patients à la fois à la Maison Belfield, même si la résidence pouvait en accueillir jusqu’à sept. M. Espiedra devait téléphoner à la police ou à Urgence Santé si un patient avait une réaction violente provoquée par la drogue, par exemple. On l’appelait souvent tôt le matin pour qu’il se rende à la Maison Belfield. Il a estimé qu’il y travaillait 65 heures par semaine.

 

[12]        M. Espiedra traitait les patients de façon individuelle et en groupe. Il tenait un journal dans lequel il indiquait le progrès de chaque patient. Les patients étaient traités une ou deux fois par semaine, ou plus ou moins fréquemment que cela, selon les circonstances. M. Espiedra était le seul employé présent aux repas des résidents et c’est lui qui disait la prière avant le repas.  

 

[13]        M. Espiedra était plus qu’un psychothérapeute, à Maison Belfield. Il faisait les provisions pour la Maison Belfield et, les jeudis soirs, il préparait le souper des patients pour le vendredi soir et leurs repas pour le samedi. Selon lui, il était responsable de toutes les activités des patients à la Maison Belfield. Il ne recevait pas de rémunération supplémentaire pour ces autres services.

 

[14]        M. Espiedra a reconnu qu’il avait d’autres clients que ceux de la Maison Belfield. C’est le rabbin Silberstein qui lui envoyait ces clients et il n’était pas payé pour les services qu'il leur fournissait. Selon lui, il traitait ces personnes dans le cadre des fonctions pour lesquelles la Maison Belfield le rémunérait.

 

[15]        M. Espiedra a affirmé qu’il ne pouvait pas prendre de décisions de son propre chef et qu’il rédigeait des rapports quotidiens sur chaque patient et les remettait au rabbin Silberstein. En fait, a-t-il affirmé, il communiquait avec le rabbin Silberstein trois ou quatre fois par jour.

 

[16]        M. Espiedra a aussi produit en preuve un document intitulé [traduction] « Budget 2006 de la Maison Belfield ». La première entrée est [traduction] « Salaires », [traduction] « 2 employés à temps plein – 3 employés à temps partiel : 125 000 ». Le rabbin Silberstein a affirmé que cette entrée était erronée parce que M. Espiedra y était inclus. Lorsque je lui ai demandé si M. Espiedra y était inclus à titre d’employé à temps plein ou d’employé à temps partiel, il a refusé de dire si ce dernier était compris dans ces catégories. Il a insisté sur le fait que M. Espiedra était un entrepreneur indépendant. Son témoignage à cet égard était confus et n’était pas crédible.

 

[17]        Je fais remarquer que le fils du rabbin Silberstein, soit la personne avec qui M. Espiedra a eu l'entrevue au sujet du poste à la Maison Belfield, n’a pas témoigné. J’aurais bien voulu avoir sa version des conditions sur lesquelles lui et M. Espiedra ont pu s'entendre pendant l'entrevue. Le prédécesseur de M. Espiedra était un employé.

 

[18]        L’article 2085 du Code civil du Québec définit en ces termes le contrat de travail :

 

            Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

            A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes for a limited period to do work for remuneration, according to the instructions and under the direction or control of another person, the employer.

 

[19]        Nul doute que M. Espiedra effectuait son travail conformément aux instructions données par le rabbin Silberstein et sous la direction et le contrôle de ce dernier. M. Espiedra n’avait pas le libre choix des moyens d’exécuter ses tâches et il était manifestement subordonné au rabbin Silberstein et assujetti aux politiques et aux exigences de la Maison Belfield[1].

 

[20]        M. Espiedra a effectivement fourni des services professionnels. Me fondant sur ce que j’ai pu constater pendant le témoignage de M. Espiedra, je conclus que celui-ci est une personne honnête, mais peut‑être un peu naïve. Je crois que le rabbin Silberstein a peut‑être abusé de cette naïveté en demandant à M. Espiedra de faire les provisions, de manger avec les patients et d’effectuer d’autres tâches qu’un entrepreneur indépendant, dans de pareilles circonstances, n’aurait pas effectuées de façon régulière. Il est évident que M. Espiedra travaillait sous l’influence et la direction d’un supérieur.

 

[21]        Les avocats ont cité plusieurs décisions pour appuyer leurs positions respectives. L’avocat de la Maison Belfield a soutenu que les décisions suivantes appuient la position de sa cliente : Smith Estate c. M.R.N., [1986] T.C.J. No. 902 (QL), CCI, 86-51(UI), 1er octobre 1986, Martel et Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux, 2008 QCCRT 0045, Breton et Géo Tours inc., 2005 QCCRT 0080, 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries, [2001] 2 R.C.S. 983, Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87. L’avocate de l'intimé s'est appuyée sur 9041‑6868 Québec Inc. c. Canada, [2005] A.C.F. n° 1720 (QL), Rhéaume c. Canada, [2007] A.C.I. n° 453 (QL), et Lévesque c. Canada, [2005] A.C.I. n° 183 (QL). J’ai examiné ces décisions. En droit québécois, il y a trois caractéristiques essentielles d'un contrat de travail : un travail doit être effectué; l’employeur doit payer une rémunération pour le travail effectué; il doit exister un lien de subordination. C'est ce qu'explique Robert P. Gagnon[2], cité dans l'arrêt 9041-6868 Québec inc., précité, au paragraphe 11, et dans la décision Rhéaume, précitée, au paragraphe 25.

 

[22]        M. Espiedra a déposé son avis d'appel avec un jour de retard. Pour cette raison, son appel sera annulé. Cependant, même si son appel était valide, je serais contraint à le rejeter. La seule preuve qui m'a été présentée est que la Maison Belfield devait payer 700 $ par semaine à M. Espiedra. Si ce montant n’est pas « brut », on n’a rien présenté qui indique ce qu’est le montant « brut ». Comme je l’ai déjà dit dans les présents motifs, M. Espiedra a eu son entrevue initiale en vue d’obtenir l’emploi à la Maison Belfield avec le fils du rabbin Silberstein. On n'a produit aucune preuve concernant le salaire exact dont il a été discuté ou dont on a convenu. Dans les négociations et les discussions qui ont eu lieu entre M. Espiedra et le rabbin Silberstein, le salaire se chiffrait en centaines de dollars, soit 600 $ par semaine et 100 $ de plus pour les jours de fin de semaine. Dans sa demande de relevé d’emploi (le « RE ») et dans ses entretiens avec des fonctionnaires de l’ARC, M. Espiedra a indiqué que son revenu était un revenu « net ». Il a fait sa demande de RE après que son emploi auprès de la Maison Belfield eut pris fin. Ses déclarations de revenus, qui auraient peut-être fourni des renseignements plus fiables sur le montant du revenu brut, n’ont pas été déposées en preuve. Un doute raisonnable subsiste quant à savoir si l’entente prévoyait un montant « brut » ou bien un montant « net ». Dans les circonstances, j’aurais été contraint à rejeter l’appel de M. Espiedra.

 

[23]        Je suis convaincu que — pour n'évoquer qu'un des points mentionnés antérieurement dans les présents motifs — dans la prestation de ses services, M. Espiedra était subordonné au rabbin Silberstein. Par conséquent, M. Espiedra exerçait un emploi assurable auprès de la Maison Belfield.


 

[24]        L’appel interjeté par la Maison Belfield est rejeté. L’appel interjeté par M. Espiedra est annulé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de mars 2009.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip


RÉFÉRENCE :                                 2009 CCI 129

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2008-2295(EI) et 2008-2562(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MAISON BELFIELD c. M.R.N. et Samuel Espiedra

                                                          SAMUEL ESPIEDRA c. M.R.N. et MAISON BELFIELD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 11 mars 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante Maison Belfield :

Pour l'appelant Samuel Espiedra :

Me Jean Dagenais

 

L'appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Sarom Bahk

Pour l’intervenant  Samuel Espiedra :

Avocat de l'intervenante Maison Belfield :

L'intervenant lui-même

 

Me Jean Dagenais

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

                     Nom :                           Me Jean Dagenais

                 Cabinet :                          Orenstein & Associés, Services juridiques                            Orenstein Inc.

 

       Pour l’intimé :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]               Article 2099 du Code civil du Québec.

[2]               Le droit du travail du Québec, Éditions Yvon Blais, 2003, 5e édition, aux pages 66 et 67.

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