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Dossier : 2008-728(IT)I

 

ENTRE :

 

JUANITA L. MURPHY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 29 janvier 2009, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Mme Kathleen Quinn (représentante)

 

Avocat de l’intimée :

Me Robert Neilson

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel relatif aux décisions rendues par le ministre du Revenu national, en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, à l’égard de la prestation fiscale canadienne pour enfants et du crédit pour taxe sur les produits et services est admis, et les décisions sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelle décision, compte tenu du fait que l’appelante était un particulier admissible et que la fille de l’appelante était une personne à charge admissible pour la période qui a commencé au mois d’avril 2006.

 

Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

        Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de février 2009.

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d’avril 2009.

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


 

 

Référence : 2009CCI110

Date : 20090218

Dossier : 2008-728(IT)I

 

ENTRE :

 

JUANITA L. MURPHY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Woods

 

[1]     L’appelante, Juanita Murphy, interjette appel de décisions qui influaient sur le droit qui lui était accordé, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), à la prestation fiscale canadienne pour enfants et au crédit pour taxe sur les produits et services.

 

[2]     Ce sont les années de base 2004 et 2005 qui sont en cause en ce qui concerne la prestation fiscale canadienne pour enfants, et les années d’imposition 2004 et 2005 en ce qui concerne le crédit pour taxe sur les produits et services.

 

[3]     Les décisions ont été rendues aux mois de février et de mars 2007 et prévoyaient que Mme Murphy devait rembourser les prestations mensuelles qu’elle recevait depuis le mois d’avril 2006.

 

[4]     En rendant les décisions, le ministre a conclu que la fille de Mme Murphy n’était pas une « personne à charge admissible » à compter du mois d’avril 2006, parce qu’une allocation spéciale était versée à son égard en vertu de la Loi sur les allocations spéciales pour enfants. Les versements ont été effectués parce que la fille de Mme Murphy résidait chez des parents nourriciers depuis le mois de mars 2006.

 

[5]     Les dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoient qu’un enfant n’est pas une personne à charge admissible si une allocation spéciale est payable à son égard pour un mois pertinent conformément à la Loi sur les allocations spéciales pour enfants.

 

La position de l’appelante

 

[6]     Mme Murphy reconnaît qu’au cours de la période pertinente, sa fille résidait chez des parents nourriciers. Toutefois, elle demande à la Cour de tenir compte de la situation dans son ensemble.

 

[7]     Mme Murphy affirme avoir continué à prendre soin de sa fille après que celle‑ci eut été placée en foyer nourricier, et ce, tant sur le plan financier qu’autrement. De plus, sa fille venait régulièrement chez elle.

 

[8]     Un autre facteur qui doit être pris en considération, selon Mme Murphy, est qu’elle a continué à recevoir la prestation fiscale canadienne pour enfants pendant environ onze mois après que sa fille eut été placée en foyer nourricier. La prestation était utilisée, du moins en partie, pour prendre soin de sa fille. Mme Murphy a affirmé que personne ne lui avait dit qu’il pouvait être illégal de recevoir ces prestations, ou qu’elle était tenue de signaler le changement de circonstances à l’Agence du revenu du Canada.

 

[9]     En outre, Mme Murphy fait remarquer que les prestations ont été remboursées au complet et que cela lui a causé énormément de difficultés ainsi qu’à son fils, dont les prestations fiscales ont été utilisées en partie pour rembourser les prestations versées à l’égard de sa fille.

 

[10]    Mme Murphy déclare que, compte tenu des circonstances dans leur ensemble, il n’est pas équitable pour le gouvernement de récupérer rétroactivement onze mois de prestations.

 

La position de l’intimée

 

[11]    La position initiale de l’intimée, comme le montre la réponse, est que Mme Murphy n’a pas droit aux prestations pour les périodes pendant lesquelles le gouvernement fédéral versait des allocations en vertu de la Loi sur les allocations spéciales pour enfants.

 

[12]    Cette position a été modifiée à l’audience, apparemment par suite d’une décision récemment rendue par le juge Bowie dans l’affaire Jahnke c. La Reine, 2008 CCI 544, 2008 DTC 4939.

 

[13]    Dans la décision Jahnke, précitée, le juge a fait remarquer que ce n’est pas le paiement des allocations spéciales qui déclenche l’absence de droit à la prestation fiscale canadienne pour enfants. C’est plutôt parce que les allocations spéciales sont payables. Comme le juge le fait remarquer, cela ne revient pas au même.

 

[14]    Les dispositions légales pertinentes sont énoncées comme suit aux paragraphes 10 et 12 de la décision Jahnke, précitée :

 

[10]      […] Le paragraphe 3(1) de la LASE régit le paiement des allocations; il est libellé comme suit :

 

(1)        Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, sont versées, sur le Trésor, des allocations spéciales mensuelles dont le montant est fixé en application de l’article 8 pour chaque enfant :

 

a)         qui, résidant chez des parents nourriciers, dans un foyer de placement familial ou dans un établissement spécialisé, est à la charge :

 

(i)         soit d’un ministère ou d’un organisme fédéral ou provincial,

 

(ii)        soit d’un organisme chargé par une province – y compris une régie constituée en vertu des lois d’une province – d’appliquer la législation provinciale visant la protection et le soin des enfants, ou d’un organisme, y compris un office, chargé par une telle régie d’appliquer cette législation;

 

b)         qui est à la charge d’un établissement autorisé par permis ou autrement, aux termes de la législation provinciale, à assurer la garde ou le soin d’enfants.

            […]

[12]      L’expression « à la charge » est définie pour l’allocation de la LASE à l’article 9 du Règlement sur les allocations spéciales pour enfants, qui est libellé comme suit :

 

CHARGE D’UN ENFANT

 

9.              Pour l’application de la Loi, un enfant est considéré comme étant à la charge du demandeur pour un mois donné si, à la fin de ce mois, le demandeur est celui qui assure le soin, la subsistance, l’éducation, la formation et le perfectionnement de l’enfant dans une plus large mesure que tout autre ministère, organisme ou établissement, ou toute personne.

 

[15]    Selon l’intimée, il est satisfait en l’espèce aux exigences légales énoncées ci‑dessus.

 

[16]    De plus, l’avocat de l’intimée a soulevé un nouvel argument additionnel. Il affirme que l’appelante n’était pas admissible aux prestations après que sa fille eut été placée en foyer nourricier, parce que celle‑ci ne résidait pas avec elle. Cet argument n’était pas énoncé dans la réponse et aucune hypothèse de fait n’était mentionnée dans la réponse au sujet de la résidence.

 

Analyse

 

[17]    Dans le présent appel, la position prise par l’intimée est fort différente de celle qui est énoncée dans la réponse. Par conséquent, il se pose une question sérieuse d’équité procédurale.

 

[18]    À l’audience, l’avocat de l’intimée a fait preuve d’une grande franchise au sujet de la réponse défectueuse. Cependant, il soutient que dans un appel régi par la procédure informelle, la Cour devrait tenir compte de tous les arguments, et ce, même s’ils ne figurent pas dans les actes de procédure.

 

[19]    Je ne puis souscrire à ce que ce soit la norme applicable. En ce qui concerne les actes de procédure, l’équité procédurale doit toujours être prise en considération : Burton c. La Reine, 2006 CAF 67, 2006 DTC 6133.

 

[20]    À l’appui de la position prise par l’intimée, l’avocat m’a renvoyée à la décision rendue par le juge Miller dans l’affaire Stevens c. La Reine, 2008 CCI 47, 2008 DTC 2565.

 

[21]    Or, les circonstances de l’affaire Stevens, précitée, sont fort différentes de celles qui sont ici en cause.

 

[22]    L’affaire Stevens, précitée, se rapportait à une demande de déduction de frais d’intérêt fondée sur l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu. À l’audience, le ministre avait cherché à avancer un nouvel argument au sujet de la raison pour laquelle l’alinéa 20(1)c) ne s’appliquait pas et le juge C. Miller avait autorisé l’intimée à présenter ce nouvel argument.

 

[23]    La décision Stevens, précitée, met en évidence un problème particulier dans le cas des appels régis par la procédure informelle, qui ne prévoit pas la tenue d’interrogatoires préalables. Dans bien des cas, le ministre devrait avoir une certaine latitude lorsqu’il s’agit de répondre aux faits présentés par l’appelant à l’audience.

 

[24]    Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire que les actes de procédure ne sont pas pertinents, et ce, pour l’une ou l’autre partie, dans les instances régies par la procédure informelle. Chaque cas doit être tranché selon les faits qui lui sont propres.

 

[25]    La présente affaire se rapporte à l’absence de droit à la prestation fiscale canadienne pour enfants par suite des dispositions de la Loi sur les allocations spéciales pour enfants. Il s’agit d’une situation fort différente de celle qui existait dans l’affaire Stevens, précitée, où le contribuable demandait, dans sa déclaration, une déduction en se fondant sur des renseignements que lui seul connaissait.

 

[26]    En l’espèce, Mme Murphy faisait face à un désavantage important du fait que la réponse n’énonçait pas d’une façon appropriée les questions factuelles et juridiques pertinentes.

 

[27]    À son crédit, l’avocat de l’intimée a essayé de remédier à la situation en envoyant à Mme Murphy, peu de temps avant l’instruction, une lettre dans laquelle il soulignait la position prise par l’intimée et incluait les dispositions légales pertinentes.

 

[28]    Malheureusement, je conclus que la lettre renfermait fort peu de renseignements et qu’elle a été envoyée trop tard, puisque Mme Murphy ne l’a reçue qu’un jour avant l’audience.

 

[29]    J’aimerais également faire une brève remarque au sujet d’une question dont il n’a pas été fait mention à l’audience.

 

[30]    Il semble que l’allocation spéciale, en ce qui concerne la fille de Mme Murphy, n’était pas réellement « payable » au cours de la période en question, parce que l’organisme provincial n’avait pas présenté de demande appropriée en vue d’obtenir l’allocation. L’allocation n’est devenue payable qu’en 2007, après que la demande eut été présentée.

 

[31]    On ne m’a soumis aucun argument au sujet de la question de savoir si le caractère tardif de la demande allait influer sur le droit de Mme Murphy aux prestations prévues par la Loi. Cela n’influe peut‑être pas sur le résultat. Néanmoins, je mentionne la chose parce que ce renseignement, qui est uniquement connu du ministre, ne figurait pas dans la réponse. Cela montre jusqu’à quel point la réponse est importante lorsqu’il s’agit d’énoncer les faits et points pertinents.

 

[32]    J’aimerais également mentionner que, dans un appel où l’appelant n’est pas représenté par un avocat expérimenté, le juge se voit souvent imposer l’obligation additionnelle de veiller à ce que les questions appropriées soient avancées. Or, ce rôle peut être gravement compromis si la réponse est défectueuse.

 

[33]    Dans certains cas où les actes de procédure d’une partie ou de l’autre sont défectueux, il peut être approprié d’ajourner l’audience.

 

[34]    Or, dans ce cas‑ci un ajournement aurait posé de gros problèmes. La chose aurait probablement été difficile pour Mme Murphy, qui est atteinte de graves déficiences, cela aurait été peu commode pour les nombreux témoins qui se sont présentés à l’audience, et l’appel avait déjà été ajourné une fois parce que le rôle de la cour était complet.

 

[35]    Dans ces conditions, je conclus que les intérêts de la justice sont mieux servis si l’appel est admis.

 

[36]    Tel est le fondement de ma conclusion, mais j’aimerais également faire de brèves remarques au sujet du fond de l’affaire.

 

[37]    Toutes les personnes qui ont témoigné à l’audience étaient sincères et crédibles. Il était clair que des soins étaient fournis tant par la mère nourricière que par Mme Murphy. De plus, les deux femmes ont reçu des fonds du gouvernement pendant les onze mois en cause et elles estimaient toutes deux que ces fonds devaient être utilisés pour subvenir aux besoins de l’enfant.

 

[38]    Une meilleure preuve documentaire aurait pu être présentée au sujet de la garde. L’entente de garde qui a été produite en preuve prenait fin, selon les conditions qui y étaient énoncées, au bout de trois mois, et pendant la période en question, elle ne s’est appliquée que brièvement.

 

[39]    Si je devais statuer sur le fond, je conclurais probablement que Mme Murphy n’avait pas droit aux prestations pour le motif que sa fille était à la charge de l’organisme provincial, au sens de l’article 9 du Règlement sur les allocations spéciales pour enfants. Cette conclusion serait fondée sur la preuve restreinte qui a été présentée à l’audience.

 

[40]    Enfin, j’aimerais faire remarquer que Mme Murphy a demandé à la Cour de lui dire qui était tenu de l’informer de la perte possible de la prestation fiscale canadienne pour enfants lorsqu’elle a accepté de placer l’enfant en foyer nourricier, comme elle l’a fait.

 

[41]    Une représentante des Services à l’enfance a admis dans son témoignage qu’une erreur administrative avait peut‑être été commise dans ce cas‑ci, du fait que Mme Murphy n’avait pas été informée de la façon appropriée des effets qu’entraînait, sur la prestation fiscale canadienne pour enfants, le placement d’un enfant dans un foyer nourricier.

 

[42]    Il s’agit d’une situation malheureuse, mais cela ne constitue pas pour autant un motif permettant d’accueillir l’appel. Toutefois, il est utile de songer aux difficultés que peut occasionner le remboursement de prestations plusieurs mois après leur réception.

 

[43]    Pour les motifs susmentionnés, je conclus qu’il faut admettre l’appel et que les décisions doivent être renvoyées au ministre pour nouvelle décision, compte tenu du fait que Mme Murphy était un particulier admissible et que sa fille était une personne à charge admissible.

 

[44]    Aucuns dépens ne seront adjugés.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de février 2009.

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d’avril 2009.

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009CCI110

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-728(IT)I

 

INTITULÉ :                                       JUANITA L. MURPHY

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 29 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J. Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Mme Kathleen Quinn (représentante)

 

Avocat de l’intimée :

Me Robert Neilson

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             s/o

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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