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Dossier : 2006-3027(GST)G

ENTRE :

MANSHIP HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 10 juin 2008, à Fredericton (Nouveau‑Brunswick).

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

 

Me Andrew Rouse

Avocate de l’intimée :

Me Catherine McIntyre

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

L’appel de la cotisation établie le 6 juillet 2005 en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise à l’égard de la période allant du 1er janvier 2001 au 30 septembre 2004 est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de février 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juin 2009.

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

Référence : 2009CCI75

Date : 20090203

Dossier : 2006-3027(GST)G

ENTRE :

MANSHIP HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Il s’agit d’un appel d’une cotisation en date du 6 juillet 2005 établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») pour la période allant du 1er janvier 2001 au 30 septembre 2004 (la « période »). La période visée par l’appel débutait initialement le 1er octobre 2000, mais au début de l’audience, l’appelante a convenu que la période antérieure au 1er janvier 2001 était frappée de prescription conformément au paragraphe 298(1) de la Loi.

 

[2]              Pendant la période pertinente, l’appelante exploitait un salon de massage sous le nom Gentleman’s Massage Club, à divers endroits, au Nouveau‑Brunswick et en Nouvelle‑Écosse. Pour fournir ce service, l’appelante concluait des ententes verbales, appelées réservations, avec des masseuses. Ces soi‑disant réservations pouvaient être de quelques jours ou durer jusqu’à dix jours.

 

[3]              Au début de l’année 1998, l’appelante a demandé une interprétation au sujet de l’application de la taxe de vente harmonisée (la « TVH ») aux activités de ses salons de massage; en réponse, Revenu Canada, à son bureau des services fiscaux de Saint John, a rendu une décision selon laquelle les masseuses étaient des employées. L’interprétation subséquente donnée par le centre des services d’interprétation technique, région de l’Atlantique, était fondée sur cette donnée. Selon cette interprétation, la personne qui effectue la fourniture taxable perçoit la TVH et l’acquéreur de cette fourniture paie la TVH, au taux applicable sur la valeur de la contrepartie payée pour la fourniture.

 

[4]              Quant à la question de savoir si la TVH s’appliquait à la fraction de la contrepartie que l’appelante attribuait aux salaires des masseuses, il était répondu que l’appelante devait percevoir la TVH à l’égard de la contrepartie payée et qu’il importait peu que l’appelante eût attribué une fraction de cette contrepartie aux salaires des employées.

 

[5]              Pour la période en question, l’appelante a perçu et versé la TVH sur la valeur de la contrepartie payée par l’acquéreur pour les services qu’elle fournissait dans ses divers salons. Le tarif était fixé par l’appelante au taux de 70 $ la demi‑heure, de 120 $ l’heure et de 150 $ pour ce qui était appelé un bain turc. L’appelante conservait la moitié du montant en cause et les masseuses avaient droit à l’autre moitié. L’acquéreur payait les services en argent liquide; aucun reçu n’était remis et la TVH était incluse dans le tarif. L’appelante calculait la TVH sur le montant global demandé et elle versait la taxe en utilisant le montant qui lui revenait sur les montants reçus.

 

[6]              Au début de l’année 2005, l’appelante a modifié ses déclarations relatives à la TVH pour la période allant du 1er janvier 1995 au 30 septembre 2004 en réduisant le montant de la TVH payable compte tenu du fait que la TVH avait été perçue et versée par erreur sur la partie des frais revenant aux masseuses étant donné que, selon l’appelante, ces masseuses n’étaient pas ses employées. Le ministre a protégé le droit d’appel de l’appelante en enregistrant les déclarations modifiées dans son compte pour la période. L’enregistrement des déclarations modifiées a donné lieu à un remboursement en faveur de l’appelante, étant donné que le montant de la TVH perçue était ramené à un montant inférieur pour chacune des déclarations modifiées, sauf celles qui étaient antérieures au 1er janvier 2001. Cependant, le ministre a conclu que les remboursements auxquels avaient donné lieu les déclarations modifiées n’étaient pas valables et il a établi une cotisation à l’égard de l’appelante pour la période en question en apportant aux déclarations modifiées un rajustement correspondant aux déclarations initiales de l’appelante. Selon la thèse du ministre, les masseuses étaient régies par un contrat de louage de services et l’appelante était tenue de percevoir la TVH sur la contrepartie globale reçue pour les services qu’elle fournissait, de sorte qu’aucun montant n’avait été versé par erreur au titre de la TVH et qu’il ne pouvait donc pas y avoir de remboursement.

 

[7]              À l’audience, les parties ont convenu que le montant du remboursement pour la période en question s’élevait à 90 962,68 $.

 

[8]              La principale question en l’espèce est la suivants : les masseuses étaient-elles des entrepreneurs indépendants ou plutôt des employées? Cependant, la thèse de l’intimée est que la nature de l’opération conclue entre l’appelante et le client est également un élément important, en ce sens que c’est l’appelante qui est en fait le fournisseur des services, et ce, malgré la nature de la relation qu’elle entretient avec les masseuses. Subsidiairement, l’intimée soutient que seule la personne qui a l’obligation de payer la taxe a droit à un remboursement aux termes de l’article 261 de la Loi. L’intimée fait valoir que, lorsque l’appelante a versé le montant de la taxe, la taxe a été calculée en fonction du chiffre d’affaires global de son salon, comme il fallait le faire puisque c’était l’appelante qui effectuait la fourniture taxable. Par conséquent, il n’y a pas eu paiement en trop. L’intimée fait enfin valoir que le paragraphe 232(3) de la Loi ne conforte pas la thèse de l’appelante puisque cette disposition exige que la personne qui demande ou qui recueille un montant trop élevé établisse une note de crédit renfermant les renseignements prescrits et qu’en l’espèce, aucun montant trop élevé n’a été demandé ou recueilli.

 

[9]              Selon la thèse principale de l’appelante, il ressort clairement de la preuve que les masseuses étaient des entrepreneurs indépendants. Par conséquent, on peut qualifier ces opérations de fournitures multiples : l’appelante effectuait une fourniture au profit des masseuses en leur permettant d'utiliser des installations, les masseuses effectuaient une fourniture de services de massage aux clients, ou l’appelante effectuait la fourniture au profit des clients et les masseuses effectuaient la fourniture de leurs services au profit de l’appelante, ou encore l’appelante et les masseuses effectuaient toutes des fournitures distinctes en faveur des clients.

 

[10]         Je suis d'avis que la Cour est appelée à répondre à la question suivante : Qui est le fournisseur des services? Toutefois, il est uniquement nécessaire de répondre à cette question s’il est conclu que les masseuses étaient des entrepreneurs indépendants; en effet, si elles sont des employées, elles ne peuvent pas être des fournisseurs aux fins de la TVH.

 

[11]         Les salons exploités par l’appelante étaient composés de la réception, d’une salle d’attente ou d’un coin salon et de pièces dans lesquelles les services étaient rendus. Ces services sont définis comme des massages récréatifs non thérapeutiques et les clients pouvaient notamment prendre un bain turc. De plus, dans les locaux de l’appelante, mais à un autre étage, un logement gratuit était fourni aux masseuses pour qu’elles l’utilisent pendant leur quart de travail ou pendant la période pour laquelle elles avaient fait leur réservation.

 

[12]         L’appelante employait, dans chaque salon, une gérante qui était chargée de réserver les services des masseuses, d’accueillir les clients et, d’une façon générale, de gérer et de superviser le salon. Ces salons étaient ouverts sept jours sur sept, mais les heures d’ouverture étaient légèrement différentes et s’échelonnaient de midi à 3 h.

 

[13]         En général, les masseuses appelaient le salon pour réserver leurs jours de travail. Les réservations, au salon situé à Moncton (Nouveau‑Brunswick), duraient habituellement dix jours, alors qu’à Dartmouth (Nouvelle‑Écosse), elles duraient trois jours. Il arrivait parfois que le salon appelle une masseuse pour réserver ses services s’il fallait remplacer quelqu’un qui ne se présentait pas ou s’il n’y avait pas suffisamment de masseuses pour le nombre de pièces disponibles. Les masseuses pouvaient également effectuer des réservations à l’avance ou informer le salon des moments où elles étaient disponibles. Au cours d’une année, le salon, à Moncton (Nouveau‑Brunswick), pouvait faire des réservations pour 60 masseuses différentes, alors que le salon de Darmouth pouvait en faire pour 50 masseuses.

 

[14]         Les masseuses pouvaient annoncer leurs services à leur guise. Elles ne faisaient pas cette publicité sous le nom du salon, mais elles mentionnaient le salon où elles travaillaient. Elles informaient les clients de leurs dates de retour. Certaines masseuses exerçaient leurs activités à domicile à leur compte et elles avaient un site Web et des cartes professionnelles. Cependant, l’appelante n’autorisait pas les masseuses à donner aux clients du salon des renseignements au sujet de la façon d’obtenir leurs services ailleurs.

 

[15]         Une fois que le client avait choisi le service que la masseuse devait fournir, cette dernière remettait l’argent à la gérante qui était de service. En 2002, on a commencé à utiliser des fiches de présence. À la fin de chaque journée, l’appelante recueillait le fixe qui lui était dû selon ces fiches. Les masseuses n’étaient pas autorisées à demander plus que le double du tarif, mais elles pouvaient demander un montant inférieur en déduisant la différence de leur propre part. Si l’on se rendait compte qu’elles demandaient plus, on cessait de réserver leurs services. Les masseuses avaient en outre le droit de refuser un client. L’appelante n’imposait aucune amende aux masseuses.

 

[16]         Les masseuses n’étaient pas obligées de détenir un permis et elles n’étaient régies par nulle provinciale susceptible de restreindre leurs services. La réceptionniste‑gérante supervisait de fait les activités qui avaient lieu au salon et veillait à ce qu’il n’y ait pas de consommation d’alcool ou de drogues sur les lieux et à ce que les montants demandés ne soient pas supérieurs au tarif de l’appelante.

 

[17]         L’appelante avait le droit de mettre fin à la réservation d’une masseuse si celle‑ci ne respectait pas son horaire de travail ou si on la surprenait à voler un client ou à consommer des drogues ou de l’alcool. D’autre part, les masseuses étaient autorisées à quitter les lieux si aucun client ne faisait appel à leurs services. Les masseuses dont les services n’étaient pas retenus n’étaient pas rémunérées et elles ne devaient rien à l’appelante. Les masseuses bénéficiaient d’un horaire variable si elles le voulaient. Elles pouvaient également choisir les vêtements qu’elles porteraient au travail. L’appelante ne fournissait pas de vêtements, mais elle fournissait les instruments de travail, les fournitures et le matériel nécessaires. Les masseuses pouvaient à leur gré fournir leurs propres huiles ou autres accessoires.

 

[18]         Il n’y avait pas, dans les salons de coins précis que les masseuses pouvaient considérer comme leur propre espace de travail. Si une masseuse cessait d’être disponible ou s’il était impossible de la joindre, l’appelante trouvait une remplaçante pour s’occuper des rendez‑vous de la journée. Les masseuses ne touchaient pas d’indemnité de congé et elles n’avaient pas droit à des prestations de pension ou à l’assurance‑maladie.

 

Employés et entrepreneurs indépendants

 

[19]         L’arrêt de principe sur ce point est  671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, rendu par la Cour suprême du Canada, dans lequel était consacré le critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553, par la Cour d’appel fédérale. Les facteurs pertinents sont énoncés au paragraphe 47 de l’arrêt Sagaz :

 

Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante.  La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.  Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur.  Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

[20]         À l’appui de leurs thèses respectives, les parties ont cité plusieurs décisions de la Cour qui portaient sur des faits semblables à ceux de la présente espèce. En particulier, il a été fait mention des décisions Zivkovic v. R., [2000] G.S.T.C. 16, Maltais v. R., [2008] G.S.T.C. 122, et Vergara c. Ministre du Revenu national, 2004 CCI 263. Les avocats des parties ont fort habilement fait des distinctions à l’égard de ces décisions en vue de justifier leurs thèses respectives, mais il faut toujours se prononcer au cas par cas.

 

[21]         Le premier facteur, lorsqu’il s’agit d’analyser les faits d’une affaire, consiste à déterminer le degré de contrôle que l’employeur exerce sur le travailleur. En l’espèce, les masseuses informaient l’appelante de leur disponibilité et leurs réservations étaient organisées en conséquence. Il arrivait également parfois que l’horaire de travail soit établi de façon à convenir aux masseuses. Les masseuses avaient le droit de refuser un client, et même si elles ne pouvaient pas demander plus que le tarif de l’appelante, elles pouvaient à leur gré demander un montant inférieur, mais alors à leurs frais. L’appelante n’assurait aucune formation et ne supervisait pas les masseuses. De fait, l’appelante n’exerçait aucun contrôle sur la façon dont les services étaient fournis. S’il y avait contrôle, il était fort minime. Par conséquent, ce facteur crucial tend à indiquer que les masseuses étaient des entrepreneurs indépendants.

 

[22]         En ce qui concerne l’étendue des risques financiers ou la possibilité de profit et le risque de perte, les masseuses appelaient l’appelante pour réserver leurs horaires de travail en fonction de leur disponibilité. Elles pouvaient à leur gré avoir un horaire variable. La masseuse pouvait quitter les lieux si les affaires tournaient au ralenti, et elle ne gagnait rien si les clients ne la choisissaient pas. Elle pouvait à sa guise demander un montant inférieur pour ses services, mais à ses frais, et non à ceux de l’appelante. La masseuse qui rendait de bons services pouvait gagner plus d’argent. Les masseuses pouvaient en outre fournir leurs services à domicile si elles le voulaient, et certaines d’entre elles avaient des sites Web. Tous ces faits tendent également à indiquer que les masseuses étaient des entrepreneurs indépendants ou des personnes travaillant à leur compte.

 

[23]         L’appelante fournissait les locaux dans lesquelles les services devaient être fournis ainsi que le matériel et les fournitures nécessaires. La masseuse choisissait les vêtements qu’elle allait porter et elle pouvait, si elle le voulait, fournir ses propres huiles ou d’autres accessoires. Quant à la propriété des instruments de travail, il est clair que, pour être en mesure de fournir les services dans ses locaux, l’appelante devait disposer des locaux susmentionnés et les fournir, de sorte que les masseuses puissent accomplir leur travail à son salon. Ces éléments tendent à indiquer que les masseuses étaient des employées, mais ils ne sont pas concluants.

 

[24]         Dans l'affaire Zivkovic, précitée, le juge Mogan a conclu qu’étant donné que les masseuses en question devaient être titulaires d’un permis et qu’elles pouvaient uniquement fournir leurs services dans un établissement agréé, elles devaient être considérées comme des employées. Tel n'est pas le cas en l’espèce. Je conclus donc que, en l'occurrence, les masseuses étaient des entrepreneurs indépendants.

 

Fourniture unique ou fournitures multiples

 

[25]         Compte tenu de la conclusion susmentionnée, il faut maintenant se demander qui était tenu de percevoir la TVH. La réponse à cette question dépend de la nature du service fourni, à savoir si ce qui a été effectué constituait une fourniture unique ou s’il s’agissait plutôt de fournitures multiples.

 

[26]         L’obligation de perception est énoncée au paragraphe 221(1) de la Loi, qui dispose que :

 

221 (1) La personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe payable par l’acquéreur en vertu de la section II.

 

[27]         La fourniture taxable est définie au paragraphe 123(1) et s’entend d’une fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale, et le fournisseur, à l’égard d’une fourniture, s’entend de la personne qui effectue la fourniture. La fourniture est définie comme suit :

 

« fourniture » Sous réserve des articles 133 et 134, livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.

 

[28]         La question de la fourniture unique et des fournitures multiples a été analysée dans une abondante jurisprudence de la Cour et de la Cour d’appel fédérale. La décision la plus souvent citée a été rendue par le juge Rip (tel était alors son titre) dans l'affaire O. A. Brown Ltd. v. Canada, [1995] G.S.T.C. 40. Après avoir examiné les principes applicables au Royaume‑Uni à l’égard de la taxe sur la valeur ajoutée, le juge Rip a résumé comme suit la question cruciale à trancher :

 

En tranchant cette question, il est d’abord nécessaire de décider ce qui a été fourni en contrepartie du paiement. Il faut alors se demander si la fourniture globale est composée d’une seule fourniture ou de plus d’une fourniture. Le critère qui ressort de la jurisprudence anglaise est de savoir si, au fond et en réalité, la présumée fourniture séparée fait partie intégrante ou est un élément constitutif de la fourniture globale. Il faut examiner la nature véritable de l’opération pour en déterminer les attributs fiscaux. Le critère a été énoncé par le Value Added Tax Tribunal de la façon suivante :

 

[traduction]

À notre avis, lorsque les parties concluent une opération en vertu de la laquelle une partie remet une fourniture à l’autre, la taxe (le cas échéant) exigible à cet égard doit être déterminée par rapport au fond de l’opération, mais le fond de l’opération doit être déterminé par rapport au caractère réel des accords conclus entre les parties.

 

Un facteur à prendre en considération est de savoir s’il est possible, en réalité, d’enlever de la fourniture globale la présumée fourniture séparée. Ce facteur n’est pas concluant, mais il aide à déterminer le fond de l’opération. Cette position a été formulée dans les termes suivants :

 

[traduction]

Ce qui devrait constituer une fourniture unique de services, par opposition à deux fournitures séparées, n’est pas établi expressément par les textes législatifs concernant la taxe sur la valeur ajoutée. Il serait donc erroné de tenter de proposer une définition stricte et précise non fondée sur la loi. Il nous semble qu’il faut simplement appliquer le libellé de la loi, en interprétant les termes qui y sont employés, dans la mesure où le sens ordinaire des mots le permet, de façon à faire du régime légal de la taxe sur la valeur ajoutée un régime pratique qui fonctionne bien. À cette fin, il faudrait se demander dans quelle mesure les services qui constitueraient apparemment une fourniture unique sont liés les uns aux autres, quelle est l’étendue de leur interdépendance et de leur enchevêtrement, et si chaque service fait partie intégrante d’un ensemble complet ou en constitue un élément. Il faut se demander si les services sont rendus en vertu d’un seul contrat, ou pour une seule contrepartie non divisée, mais, pour les motifs susmentionnés, ce facteur n’est pas concluant. Compte tenu de la nature, du contenu et de la méthode d’exécution des services, et de toutes les circonstances, par rapport à l’historique du régime de la taxe sur la valeur ajoutée et, en particulier, des méthodes employées pour comptabiliser et payer la taxe, s’il est jugé que les services sont si interdépendants et si enchevêtrés qu’ils font partie intégrante d’un ensemble complet ou en constituent de simples éléments ou composantes à un point tel qu’ils ne peuvent pas, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, être raisonnablement considérés comme des fournitures séparées de services, il faut considérer qu’en adoptant le régime de la taxe sur la valeur ajoutée, le Parlement a voulu le traiter comme un régime unique; autrement, ces services devraient être considérés, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, comme des fournitures séparées.

 

Le fait que des frais sont exigés séparément à l’égard d’un élément d’une fourniture mixte ne modifie pas les attributs fiscaux de celui-ci. La question de savoir si la taxe est exigée est régie par la nature de la fourniture. Dans chaque cas, il est utile de se demander s’il serait possible d’acheter chacun des divers éléments séparément et d’obtenir néanmoins un article ou service utile. Car si cela n’est pas possible, il faut alors nécessairement conclure qu’une fourniture mixte qui ne peut pas être divisée aux fins de la taxe est en cause.

 

[29]         Un autre passage intéressant est celui dans lequel le juge Rip cite les observations de lord Widgery, J.C. dans la décision Customs and Excise Commissioners v. Scott, [1978] S.T.C. 119 (R.‑U.), au paragraphe 28 :

 

[traduction] […] je crois qu’il serait fort malheureux qu’on laisse ce sujet devenir trop légaliste et trop encombré d’arrêts lorsque, à mon avis, une fois qu’on s’est posé la question, il est possible d’y répondre en faisant appel à un petit peu de bon sens et en se préoccupant de ce qui se passe en réalité […].

 

[30]         Dans l’affaire O. A. Brown, l’appelante se livrait à des d’achats de bétail pour des clients, ce qui était une fourniture détaxée. Ce faisant, elle engageait des frais pour d’autres fournitures, comme les aliments, les vaccins, le transport et les assurances. Afin de couvrir ces frais, l’appelante majorait le montant facturé. Selon l’intimé, chaque somme déboursée pour ces articles était une fourniture distincte et la taxe sur les produits et services aurait dû être facturée. L’appelante a soutenu qu’il y avait une seule fourniture détaxée de bétail et que les débours étaient inclus dans cette fourniture unique. En se prononçant en faveur de l’appelante, le juge Rip a fait l'observation suivante, au paragraphe 31 :

 

[...] Il est difficile de considérer ces activités d’achat comme des fournitures distinctes, indépendantes de l’activité dans son ensemble. Elles ne forment un service utile que si elles sont considérées ensemble. Au fond et en réalité, la présumée fourniture séparée, soit un service d’achat, fait partie intégrante de la fourniture globale, à savoir la fourniture de bétail. Il n’est pas possible, en réalité, d’enlever de la fourniture globale les présumées fournitures séparées car celles-ci constituent en fait l’essence de cette fourniture. Les présumées fournitures séparées sont liées à la fourniture de bétail à un point tel qu’elles font partie intégrante de l’ensemble au complet. Les services sont rendus en vertu d’un seul contrat, pour une contrepartie unique, quoique la facture soit détaillée. L’appelante effectue une fourniture unique de bétail et la commission et les débours exigés font partie intégrante de la contrepartie y afférente. Ils n’équivalent pas à des fournitures séparées. C’est simplement une question de sens commun. Aucune TPS ne peut être perçue sur la commission exigée et sur les débours.

 

 

[31]         L’approche préconisée par le juge Rip a été suivie dans un grand nombre de décisions de la Cour de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale (voir Oxford Frozen Foods Ltd. v. Canada, [1996] G.S.T.C. 76, Club Med Sales Inc. v. R., [1997] G.S.T.C. 28, Hidden Valley Golf Resort Assn. v. R., [2000] G.S.T.C. 42, et Camp Mini-Yo-We Inc. v. R., [2006]G.S.T.C. 154).

 

[32]         Dans la décision Gin Max Enterprises Inc. c. La Reine, 2007 CCI 223, le juge McArthur, de la Cour, a résumé la thèse de l’Agence du revenu du Canada au sujet de la nature des fournitures, comme le montre l’énoncé de politique P‑077R2; il a conclu que, compte tenu de la jurisprudence, la nature véritable de l’opération était une question de fait: il fallait dire si, au fond, les deux opérations en cause étaient si enchevêtrées et si interdépendantes qu’elles devaient être effectuées ensemble. Le juge a cité le juge Hershfield, de la Cour, qui a fait les observations suivantes dans la décision 1219261 Ontario Inc. v. R., [2004] G.S.T.C. 4 :

 

[…] Comme il a été reconnu dans les décisions anglaises qui ont été citées dans la décision O.A. Brown, précitée, il serait erroné, en l’absence d’un pouvoir conféré par la loi, de tenter de proposer une définition stricte précise de la fourniture unique (la fourniture mixte). Les facteurs à appliquer sont notamment les suivants : le point auquel les éléments constitutifs d’une fourniture sont liés les uns aux autres, le degré d’interdépendance et la question de savoir si chaque élément fait partie intégrante ou est un élément d’un ensemble mixte. Il importe de se demander si les services sont rendus aux termes d’un seul contrat, ou moyennant une seule contrepartie indivise, mais cela n’est pas concluant. Comment pourrait‑il en être ainsi? Cela voudrait dire que le ministre ne pourrait jamais établir de cotisation à l’égard d’une fourniture taxable séparée qui est associée à une fourniture non taxable en vertu d’un seul contrat comportant un seul prix.

 

[33]         Selon l’énoncé de politique P-077R2 de l’ARC, en date du 26 avril 2004, elle suit les principes lorsqu'elle est appelée à dire si une opération comportant plusieurs éléments doit être considérée comme une fourniture unique ou si elle doit plutôt être considérée comme des fournitures multiples :

 

·        Chaque fourniture doit être considérée comme distincte et indépendante.

·        La fourniture qui est une fourniture unique du point de vue économique ne devrait pas être une fourniture fractionnée artificiellement.

·        Il y a fourniture unique lorsqu’un élément ou plus constituent la fourniture et que tout élément restant sert seulement à améliorer la fourniture.

 

[34]         En l’espèce, la fourniture du massage ainsi que la fourniture des locaux constituent-elles une fourniture unique ou des fournitures multiples? Est‑il possible ou réaliste d’omettre un élément de la fourniture globale? Eu égard aux faits, l’appelante ne pouvait pas fournir ou offrir les services de massage sans que les locaux soient utilisés ou indépendamment de l’utilisation des locaux; les deux éléments sont donc fortement liés entre eux et interdépendants. La nature véritable de l’opération pour laquelle une contrepartie a été payée était la fourniture du massage qui, dans ce cas‑ci, ne peut pas être pratiqué sans que les locaux de l’appelante soient utilisés. On ne saurait considérer isolément la fourniture des locaux aux clients ou en faire abstraction dans le cadre de la fourniture du massage dans son ensemble. En d’autres termes, nulle personne ne pourrait acheter chacune des fournitures ou chacun des éléments séparément tout en obtenant un service utile. Le résultat final est qu’en l’espèce, la fourniture est une fourniture mixte dont les éléments ne peuvent pas être disjoints sur le plan fiscal.

 

[35]         Vu sous cet angle, et il n'est alors pas nécessaire de dire si le contrat existant entre l’appelante et les masseuses était un contrat de louage de services ou un contrat d’entreprise, je suis conforté dans l’avis que j’ai exprimé, à savoir que les clients ne s’adresseraient pas à l’appelante si ce n’était des services de massage qu’elle offre. Sur le plan commercial, l’appelante fournit un service de massage dans un salon, et la fourniture des locaux constitue un élément de ce service.

 

[36]         L’appelante fournissait les locaux, les pièces et les fournitures et elle organisait les rendez‑vous, mais les masseuses pouvaient à leur gré utiliser leurs propres huiles et pouvaient également prendre des rendez‑vous. Il y avait un bureau de réception où l’on accueillait les clients et une gérante assurait la supervision, veillait à ce qu’il n’y ait pas de drogues et d’alcool qui soient consommés, recueillait les fiches de présence et enregistrait le montant du tarif revenant aux masseuses et le montant revenant à l’appelante. Les masseuses étaient rémunérées en fonction du temps qu’elles passaient à fournir des services aux clients de l’appelante. Une masseuse ne devait rien à l’appelante si personne n’avait recours à ses services pendant qu’elle était présente dans les locaux de l’appelante. C’était l’appelante qui trouvait des remplaçantes. Sans les services offerts, personne ne serait allé dans les locaux de l’appelante. À mon avis, l’appelante effectuait une seule fourniture de services à ses clients, qui payaient afin d’obtenir un massage. L’appelante était donc tenue de percevoir et de verser la TVH sur le montant global reçu des clients. La TVH n’a donc pas été versée par erreur et l’appelante n'a pas droit à un remboursement.

 

[37]         L’appel sera rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5jour de février 2009.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juin 2009.

 

 

 

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2009CCI75

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-3027(GST)G

 

INTITULÉ :                                       Manship Holdings Ltd.

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 10 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

 

Me Andrew Rouse

Avocate de l’intimée :

Me Catherine McIntyre

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Me Andrew Rouse

 

                   Cabinet :                         Mockler Peter Oley Rouse

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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