Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2008-46(EI)

2008-628(EI)

ENTRE :

 

CLAUDE MORIN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Appels entendus sur preuve commune le 22 octobre 2008,

à Chicoutimi (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Pierre Hébert

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

 

JUGEMENT

        Les appels sont rejetés, et les décisions que le ministre du Revenu national a rendues le 12 juillet 2007 pour les périodes du 15 janvier au 6 avril 2001, du 25 février au 31 mai 2002, du 24 février au 16 mai 2003, du 28 juin au 3 septembre 2004 et du 28 novembre 2005 au 17 février 2006, et le 26 novembre 2007 pour la période du 22 janvier au 27 avril 2007, en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi sont confirmées, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 2009.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan


 

 

 

Référence : 2009 CCI 46

Date : 20090122

Dossiers : 2008-46(EI)

2008-628(EI)

ENTRE :

 

CLAUDE MORIN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Hogan

 

[1]              L’appelant a interjeté appel des décisions du ministre du Revenu national (le « ministre ») dans les causes 2008-46(EI) et 2008-628(EI) selon lesquelles l’emploi exercé par l’appelant du 15 janvier au 6 avril 2001, du 25 février au 31 mai 2002, du 24 février au 16 mai 2003, du 28 juin au 3 septembre 2004, du 28 novembre 2005 au 17 février 2006 et du 22 janvier au 27 avril 2007 pour Entreprises de Construction Gaston Morin (1979) ltée (la « société payeuse ») n’était pas assurable. Les deux causes ont été entendues sur preuve commune.

 

[2]              Les décisions du ministre étaient fondées sur le fait que l’emploi de l’appelant était exclu, le ministre ayant conclu que l’appelant et la société payeuse n’auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance entre eux. Le ministre en est arrivé à cette conclusion en se basant sur les circonstances suivantes qui ont été tenues pour acquises dans la réponse à l’avis d’appel :

 

2008-46(EI)

 

8.a)   au cours des périodes en litige, M. Gaston Morin était l’unique actionnaire du payeur; (admis)

 

b)   l’appelant est le frère de M. Gaston Morin; (admis)

 

c)   l’appelant était lié à une personne qui contrôlait le payeur. (admis)

 

2008-628(EI)

 

7.c)   le payeur embauchait environ 20 employés pour effectuer le déneigement; (admis)

 

d)   une dizaine d’employés travaillaient au déneigement du parc de Chibougamau et étaient rémunérés à salaire fixe; (admis)

 

e)   les autres travailleurs faisaient du déneigement selon le secteur attribué par le payeur et étaient rémunérés à l’heure, soit entre 12 $ et 16 $ de l’heure selon leur expérience; (admis)

 

f)    en 2003, l’appelant a prêté 35 000 $ au payeur, sans modalité de remboursement et, durant la période en litige, cette somme lui était toujours redevable; (admis)

 

g)   durant la période en litige, l’appelant aurait principalement travaillé à faire du déneigement pour la paroisse Ste-Jeanne-D’Arc et un peu dans les paroisses de St-Augustin et Péribonka; (admis)

 

h)   l’appelant aurait aussi fait un peu d’entretien de la machinerie du payeur et, en avril, il aurait remis la machinerie en ordre; (admis)

 

i)    dans le cadre de son travail, l’appelant utilisait la machinerie du payeur, soit un camion et une niveleuse; (admis)

 

j)    contrairement aux autres employés du payeur, l’appelant n’avait pas à inscrire ou comptabiliser ses heures de travail sur une feuille de temps; (admis)

 

k)   durant la période, soit 14 semaines consécutives, l’appelant prétend qu’il faisait toujours 45 heures de travail et ce, sans égard aux précipitations de neige; (admis)

 

l)    il recevait une rémunération fixe de 720 $ par semaine, soit 45 heures à 16 $ de l’heure; (admis)

 

m)  il était rémunéré par chèque à chaque semaine; (admis)

 

n)   depuis le 9 mai 2004, l’appelant exploitait lui-même une entreprise de services en déneigement; (admis)

 

o)   le contrat de déneigement avec la municipalité de Ste-Jeanne-D’Arc était au nom de l’appelant; (admis)

 

p)   l’appelant prétend qu’il servait de prête-nom au payeur sur ce contrat car son frère était le maire de la ville et que son mon [sic] ne pouvait apparaître officiellement au contrat; (admis)

 

q)   une des clauses du contrat liant l’appelant à la municipalité de Ste‑Jeanne‑D’Arc spécifiait :

 

« l’entrepreneur s’engage, sous peine d’annulation de contrat, à ne pas céder ou autrement, à transférer en tout ou en partie son contrat à un sous-traitant ou toutes autres personnes sans le consentement exprès et par écrit (résolution) de la municipalité de Ste-Jeanne-D’Arc. »; (admis)

 

r)    l’appelant a débuté son travail pour le payeur que le 22 janvier 2007 alors que, selon Environnement Canada, il était tombé 56,3 cm. de neige en décembre 2006 et 55 cm. avant le 22 janvier 2007; (passé outre)

 

s)   l’appelant prétend qu’il faisait toujours 45 heures par semaine alors que, selon Environnement Canada, il est tombé 29 cm. de neige en février, 49 cm. en mars et 16 cm. en avril 2007; (passé outre)

 

t)    la période d’embauche de l’appelant, pour effectuer du déneigement, ne correspond pas avec la période de précipitations de neige dans la région. (passé outre)

 

[3]              L’appelant a fait entendre deux témoins et il a lui-même témoigné.

 

[4]              Sa nièce, Mme Louise Morin, a expliqué à la Cour qu’elle était la directrice administrative de la société payeuse et qu’elle occupait le poste depuis 2000. Elle était responsable de tous les aspects financiers et administratifs de l’entreprise. Elle était également responsable des six à huit employés de bureau. Un de ses frères, M. Michel Morin, était responsable de la gestion des opérations et son autre frère, M. Jean Morin, était responsable des activités liées aux réparations mécaniques de la société payeuse. Mme Morin a expliqué que son père, M. Gaston Morin, a conféré l’administration de la société payeuse à ses trois enfants en 2000. Avant cette date, l’appelant était le directeur de la société payeuse.

 

[5]              La société payeuse avait un chiffre d’affaires d’environ 6 à 7 millions de dollars dans les années qui correspondent aux périodes en question. La société gagnait un revenu brut d’environ 2,5 millions de dollars pour le déneigement des routes. La société pouvait également gagner de 2 à 7 millions de dollars par année pour le transport du bois coupé et la préparation des routes forestières. La société faisait le transport de bois pour une compagnie liée qui exploitait une scierie jusqu’à ce que cette compagnie soit vendue en 2005.

 

[6]              Mme Morin a expliqué à la Cour que la société comptait un effectif de 200 à 250 employés dont environ 30 employés étaient affectés au déneigement.

 

[7]              Elle a témoigné que l’appelant faisait du déneigement l’hiver et des travaux connexes puisqu’il n’avait pas de permis pour faire de la construction routière. Il avait toutefois un permis de classe 3 qui lui permettait de conduire un chasse-neige et d’autre matériel roulant de la société payeuse.

 

[8]              Mme Morin a témoigné que M. Dany Gaudreault était le contremaître responsable de la supervision des activités de l’appelant. M. Gaudreault était responsable de déterminer les tâches, le lieu et l’horaire de travail de l’appelant. Elle a dit qu’elle ne se souvenait pas d’avoir rencontré l’appelant pour établir son salaire.

 

[9]              Mme Morin a témoigné qu’elle avait demandé à l’appelant de prêter 35 000 $ à la société payeuse. Elle a expliqué que l’entreprise de sciage de bois avait des difficultés financières importantes à la suite de la chute du prix du bois d’œuvre en conséquence de l’imposition de droits importants par le gouvernement américain. Un problème de trésorerie l’avait conduite à demander à l’appelant de prêter de l’argent à la société payeuse.

 

[10]         Elle a expliqué à la Cour que ce n’était pas la première fois que l’appelant avait prêté de l’argent à la société payeuse. Lorsqu’elle fut mise en charge des aspects financiers et administratifs de la société payeuse, elle avait constaté que la société avait une dette de 30 020 $. Cette somme comportait un taux d’intérêt de 6 %. Pour rembourser le prêt de l’appelant, la société payeuse a convenu de payer des biens et services qui avaient été achetés par l’appelant.

 

[11]         Me Hébert, l’avocat de l’appelant, a demandé à Mme Morin d’expliquer en ses propres termes un contrat de déneigement signé par l’appelant et la municipalité de Ste-Jeanne-d’Arc. Ce contrat figure à la pièce A-3 produite en preuve. Mme Morin a témoigné que son père était maire de la municipalité de Ste‑Jeanne‑d’Arc et que les règles sur les conflits d’intérêts empêchaient l’octroi du contrat directement à la société payeuse. Le père de Mme Morin, à titre de maire, a donc décidé de conclure le contrat directement avec l’appelant. Ce dernier a conclu un contrat de sous-traitance identique avec la société payeuse.

 

[12]         Me Hébert a produit des chèques et des factures en liasse à la pièce A-4. Ces chèques et factures se rapportent à l’année 2007 et prouvent que, lorsque la municipalité de Ste-Jeanne-d’Arc émettait un chèque enregistré à l’appelant, celui-ci émettait un chèque identique à la société payeuse.

 

[13]         Mme Morin a déclaré se rappeler que l’appelant avait conduit un chasse-neige principalement pour la municipalité de Ste-Jeanne-d’Arc, mais que M. Dany Gaudreault était plus au courant de ces activités. Elle a expliqué que M. Dany Gaudreault pouvait également conduire un chasse-neige sur les routes de cette municipalité, ainsi que M. Henry Morin.

 

[14]         Finalement, Mme Morin a témoigné que l’appelant ne remplissait pas de feuilles de temps, ne poinçonnait pas et n’inscrivait pas ses heures. Néanmoins, selon Mme Morin, M. Dany Gaudreault dictait au service de paye de verser un salaire à l’appelant pour ses heures de travail hebdomadaires.

 

[15]          En contre-interrogatoire, Me Landry, l’avocate de l’intimé, a posé plusieurs questions à Mme Morin. Dans un premier temps, elle lui a demandé si les tâches de l’appelant consistaient principalement à effectuer du déneigement. Mme Morin a répondu que oui.

 

[16]         Elle a demandé au témoin de préciser les heures travaillées par l’appelant. Mme Morin a expliqué que l’appelant travaillait de 40 à 45 heures par semaine. L’avocate de l’intimé a demandé à Mme Morin d’expliquer comment se faisait la gestion du temps de travail pendant les grosses tempêtes. Mme Morin a dit ne pas le savoir dans les détails et a suggéré à Me Landry de poser la question à M. Dany Gaudreault qui connaissait le fonctionnement des activités de déneigement.

 

[17]         L’avocate de l’intimé a demandé au témoin d’expliquer pourquoi l’emploi de l’appelant ne durait jamais plus de trois mois. Mme Morin a répondu qu’elle ne savait pas pourquoi. Me Landry a demandé pourquoi l’appelant ne travaillait pas pendant les périodes de grosses tempêtes. Mme Morin n’a pas répondu de façon précise à cette question.

 

[18]          Me Landry a également demandé au témoin d’expliquer pourquoi l’appelant a travaillé au cours de la période du 28 juin au 3 septembre 2004 et d’expliquer ses tâches. Le témoin a indiqué que l’appelant pouvait faire l’épandage de gravier de stabilisation des berges et d’autres travaux similaires, mais a répété que l’avocate devrait poser la question directement à Dany Gaudreault.

 

[19]         L’avocate de l’intimé a questionné le témoin sur les pages manuscrites tirées des registres comptables de la société payeuse et produites à la pièce I-1. Mme Morin a expliqué que les premières pages représentaient les soldes dus à l’appelant en 2000 lorsqu’elle a pris en charge l’administration de la société. Dans la colonne « description » étaient indiqués les achats faits par l’appelant sous l’en‑tête « débits ». Ces achats réduisaient le solde du prêt. Elle a expliqué que ce prêt qui avait été contracté par son père, Gaston Morin, au nom de la société payeuse, portait intérêt à 6 % et qu’il n’y avait aucun document écrit établissant les modalités du prêt.

 

[20]         Me Landry a demandé au témoin d’expliquer les autres feuilles de registres produites en liasse. Ces feuilles indiquaient à la colonne « heures payées » que l’appelant avait été payé pour 50 heures de travail par semaine pendant les périodes en question. Aucune heure n’était inscrite à la colonne « heures travaillées ». Au début de la période débutant le 20 janvier 2001, à la colonne « heures accumulées » était inscrit le nombre 600. Ce nombre était réduit à zéro selon le nombre d’heures payées pour les semaines allant de la période du 20 janvier au 7 avril 2001. L’avocate a demandé au témoin si l’appelant se faisait créditer des heures comme s’il s’agissait d’heures accumulées. Le témoin a répondu non et a dit ignorer la raison pour laquelle 600 heures accumulées étaient indiquées au registre pour le début de la période d’emploi de l’appelant. Elle ignorait également pourquoi le solde de ces heures accumulées avait été porté à zéro lorsque l’appelant avait été payé par la suite pour la période allant du 20 janvier au 7 avril 2001. De plus, le témoin ignorait pourquoi des heures n’avaient pas été inscrites à la colonne « heures travaillées », mais avaient plutôt été inscrites à la colonne « heures payées ».

 

[21]         En contre-interrogatoire, Mme Morin a expliqué que le prêt de 35 000 $ qu’elle a contracté au nom de la société payeuse avec l’appelant n’était assujetti à aucune modalité de remboursement et que les deux parties ne se sont pas entendues sur le paiement d’intérêts. Elle a expliqué que son père n’était pas au courant de ce prêt lorsqu’il fut contracté, mais qu’elle l’a mis au courant plus tard. Elle a indiqué que son père lui avait délégué la responsabilité des opérations financières et que, par conséquent, elle n’était pas obligée de demander son autorisation pour contracter le prêt au nom de la société.

 

[22]         Me Landry a invité le témoin à regarder la pièce I-4 qui était une lettre attestant l’hospitalisation de l’appelant pendant trois périodes allant du 11 au 16 octobre 2000, du 17 novembre au 24 novembre 2000 et du 3 au 4 avril 2001. Une deuxième lettre produite en liasse indiquait que l’appelant avait été hospitalisé du 16 octobre au 2 novembre 2000 à l’unité de soins aigus, incluant un séjour aux soins intensifs du 16 au 19 octobre 2000. Me Landry a demandé à Mme Morin d’expliquer comment l’appelant aurait pu travailler pendant la période du 15 janvier au 6 avril 2001 après avoir subi des blessures importantes pour lesquelles il a été hospitalisé jusqu’au 24 novembre 2000 et pour lesquelles il a été hospitalisé de nouveau les 3 et 4 avril 2001 à cause d’infections importantes aux poumons. Le témoin a répondu que, si l’appelant était payé, c’est parce qu’il avait travaillé.

 

[23]         M. Dany Gaudreault a été appelé à la barre. Ce témoin a expliqué qu’il était contremaître pour la société payeuse depuis 15 ans.

 

[24]         M. Gaudreault a témoigné que l’appelant avait travaillé principalement sur les routes de la municipalité de Ste-Jeanne-d’Arc et qu’il avait pu parfois être appelé à travailler ailleurs. L’appelant pouvait commencer au milieu de la saison hivernale puisqu’il s’occupait également des activités de déneigement dans la municipalité de St-Augustin. L’appelant remplaçait M. Gaudreault au milieu de la saison hivernale lorsque ce dernier était appelé à commencer la planification de la saison estivale.

 

[25]         M. Gaudreault a témoigné qu’il notait les heures travaillées par l’appelant dans un cahier qu’il gardait dans sa poche. Il a indiqué à la Cour qu’il avait détruit le cahier ce qui explique pourquoi il n’a pas été produit en preuve. Il a expliqué que Mme Morin déterminait le nombre d’heures que l’appelant devait travailler et que cela devait se situer à environ 40 à 50 heures par semaine. Il se souvenait que c’était Mme Morin qui avait fixé le salaire de l’appelant. Le témoin a indiqué qu’il s’occupait seulement des heures, du lieu et de l’horaire de travail de l’appelant.

 

[26]         Il a témoigné que l’appelant pouvait aussi faire l’entretien mécanique de l’équipement qui se trouvait dans une grange située près de sa propriété. L’appelant lui téléphonait au début et à la fin de son quart de travail pour l’informer des heures travaillées.

 

[27]          L’avocat de l’appelant a questionné le témoin sur le fait que l’appelant n’a pas travaillé au cours de l’hiver 2004 et a plutôt travaillé du 28 juin au 3 septembre 2004. Le témoin a expliqué que l’hiver n’étant pas rigoureux, il avait seul suffi à la tâche pour le travail de déneigement. Il a témoigné que M. Gaston Morin voulait que les employés de la société payeuse s’occupent de la réfection des écuries et de la préparation des routes à gravier. M. Gaudreault a confié ce travail à l’appelant.

 

[28]         Lors de l’interrogatoire en chef, l’appelant a raconté qu’il a commencé à travailler pour la société payeuse en 1963. Il fut vite promu au poste de contremaître et, par la suite, a occupé un poste à la direction générale de la société payeuse jusqu’à la fin de 1999. À cette époque, son frère lui a indiqué qu’il voulait que ses propres enfants prennent la relève de la gestion et des activités de la société. L’appelant a témoigné avoir demandé à Dany Gaudreault s’il avait besoin de ses services en janvier 2001. Il a expliqué que sa tâche principale était de conduire un chasse-neige, de répandre le sable sur les routes et de faire les réparations mécaniques. Il a affirmé que, le plus souvent, c’est M. Gaudreault qui l’appelait pour lui demander de faire du déneigement. D’autres employés pouvaient l’appeler en l’absence de M. Gaudreault.

 

[29]          L’appelant a expliqué les causes qui ont mené à son hospitalisation à plusieurs reprises en 2000 et en 2001. Il a témoigné s’être cassé plusieurs côtes au cours d’une chute subite en octobre 2000. Il n’a pas reçu de prestations d’assurance-emploi pendant sa première période d’hospitalisation. Il est retourné au service de la société payeuse pendant la période du 15 janvier au 6 avril 2001 puisqu’il était apte à travailler. Il a constaté, vers la fin de cette période, qu’il avait une nouvelle douleur aux côtes et il s’est rendu à Montréal pour se faire hospitaliser de nouveau puisqu’un abcès important s’était formé à la suite de l’intervention chirurgicale. Le témoin a par la suite expliqué les tâches accomplies au sein de la société payeuse pendant les périodes où il allègue avoir été à l’emploi de cette dernière. Il a expliqué à la Cour qu’il s’est trouvé pendant plusieurs périodes sans prestations et sans emploi.

 

[30]         Il a témoigné qu’il a fait un premier prêt de 23 000 $ à la société le 6 juillet 1993 et que, lorsque sa nièce a pris contrôle des finances de la société, ce montant fut augmenté à 30 000 $. Le prêt portait intérêt à 6 %. La société payeuse remboursait le prêt en payant des achats effectués par l’appelant.

 

[31]         En contre-interrogatoire, le témoin a expliqué qu’il commençait tardivement au cours de la saison hivernale à faire le déneigement puisque Dany Gaudreault et lui pouvaient s’occuper seuls du déneigement de la municipalité de Ste‑Jeanne‑d’Arc. L’avocate de l’intimé a demandé pourquoi, à chaque période d’emploi, il n’avait travaillé que le nombre de semaines requises pour avoir droit à des prestations. Il a répondu que ses semaines de travail étaient établies par M. Gaudreault. L’avocate de l’intimé a demandé à l’appelant d’examiner l’extrait des registres comptables produit à la pièce I-1 et d’expliquer pourquoi 600 heures avaient été inscrites comme accumulées à son compte au début de 2001. La seule explication qu’il a offerte est que c’était probablement une erreur du comptable de la société payeuse.

 

[32]          L’avocate de l’intimé a demandé au témoin pourquoi il avait mis fin prématurément à son entrevue avec l’enquêteur de Développement des ressources humaines Canada (le « DRHC », maintenant Ressources humaines et Développement social Canada). Il a expliqué qu’il avait eu peur de se tromper et qu’il ne se rappelait pas des dates exactes de son hospitalisation. Il avait eu peur que l’enquêteur l’induise en erreur. Par conséquent, il avait refusé de poursuivre l’entrevue et de signer la déclaration.

 

[33]         L’avocate de l’intimé a appelé M. Réal Couture à témoigner. M. Couture occupait le poste de spécialiste en enquêtes majeures auprès de DRHC pendant les périodes en question. Il a expliqué à la Cour qu’il était chargé de mener une enquête majeure auprès de la société payeuse. Avec l’aide de la Gendarmerie royale du Canada, il a procédé à une saisie de documents importants auprès de la société payeuse. Après vérification des documents saisis, il a pu constater qu’à peu près 180 employés avaient commis des infractions à la loi. Dans la plupart des cas, les employés étaient appelés à travailler pendant des périodes au cours desquelles ils recevaient des prestations. Ils ne recevaient pas de paye pour leurs heures de travail, mais celles-ci étaient créditées à leur compte à titre d’heures accumulées. Ces heures étaient payées et déclarées comme heures travaillées pendant les périodes où ils n’étaient pas bénéficiaires de prestations.

 

[34]          M. Couture a expliqué les circonstances de l’entrevue avec l’appelant. Le but de cette rencontre était de prendre connaissance des faits qui permettraient au ministre de prendre une décision dans le dossier de l’appelant. Il a expliqué qu’au début l’appelant a coopéré et a répondu aux questions qui lui étaient posées. Plus tard pendant la rencontre, l’appelant a adopté une attitude belligérante en déclarant que cela allait chauffer. Par la suite, l’appelant a demandé à M. Couture s’il répondrait aux questions posées s’il était à sa place. M. Couture a répliqué qu’il répondrait aux questions s’il n’avait rien à cacher. C’est à ce moment-là que l’appelant a souri et a mis fin à l’entrevue.

 

[35]         L’avocate de l’intimé a déposé en preuve la pièce I-6 préparée par M. Couture. Cette pièce indiquait que l’appelant travaillait seulement pendant le nombre de semaines qui lui étaient nécessaires afin d’avoir droit aux prestations. Par la suite, il arrêtait de travailler et avait droit à des prestations pour de longues périodes. Selon l’enquêteur, ce comportement indique que le travailleur était de connivence avec la société pour satisfaire aux exigences minimums requises par la loi, du moins en apparence. L’enquêteur a expliqué qu’il avait examiné en détail les registres comptables de la société payeuse ainsi que la pièce I-1. Il a cherché vainement la raison d’être du nombre de 600 heures indiqué comme des heures accumulées par l’appelant au début de la période de 2001. Il n’a trouvé aucune explication pour ces heures accumulées, mais il soupçonnait qu’il s’agissait d’un crédit fait par la société payeuse, en contrepartie des prêts que l’appelant a fait à la société payeuse, afin de le rendre admissible à l’assurance-emploi.

 

[36]         Mme Lyne Courcy, l’agente des appels de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a donné les raisons qui l’ont amenée à conclure que l’emploi de l’appelant n’était pas un emploi assurable. Elle a expliqué en premier lieu qu’elle doutait que l’appelant ait véritablement travaillé pendant les périodes en question. Elle trouvait étonnant que l’appelant ait pu reprendre ses fonctions auprès de la société payeuse en janvier 2001, après avoir subi des blessures majeures à la fin de 2000. En deuxième lieu, l’appelant, contrairement à tous les autres employés de la société, n’était pas obligé de justifier le nombre d’heures travaillées, et la société payeuse ne prenait pas en note ses heures travaillées et n’exerçait aucun suivi à ce sujet. Mme Courcy a témoigné que la société payeuse avait accepté de ne pas contrôler les heures travaillées de l’appelant seulement parce que celui-ci était lié à l’actionnaire et aux dirigeants de la société payeuse. Finalement, elle a expliqué que tous les autres travailleurs faisaient leurs tâches pendant les périodes où il y avait de fortes chutes de neige alors que l’appelant n’était appelé à travailler qu’une fois les fortes précipitations terminées. Pour ces raisons, Mme Courcy a conclu que l’emploi de l’appelant n’était pas assurable au motif que ses conditions de travail n’étaient pas semblables à celles d’une personne qui n’avait pas de lien de dépendance avec la société payeuse.

 

I. Position des parties

 

[37]         L’avocat de l’appelant argumente que le cas de l’appelant est distinct de celui des autres employés de la société payeuse qui auraient commis des infractions en collaboration avec cette dernière. Dans les autres cas, les travailleurs auraient accumulé des heures de travail pendant la période où ils recevaient des prestations d’assurance-emploi et ils auraient reçu une rémunération pour ces heures lorsqu’ils n’étaient plus admissibles aux prestations. L’avocat de l’appelant fait premièrement valoir que M. Couture n’a fourni aucune preuve que les heures indiquées comme étant accumulées au dossier de l’appelant étaient des heures qui ont été créditées à son compte afin d’être touchées plus tard. Deuxièmement, il soutient que le ministre n’aurait pas dû tenir compte du prêt en rendant sa décision. Il prétend que trois témoins, incluant l’appelant, ont affirmé que ce dernier avait bel et bien travaillé pour la société pendant les périodes en question et qu’il avait gagné un salaire de 16 $ l’heure comparable à celui des autres employés de la société. Il soutient que les infractions qu’auraient commises les autres travailleurs, et qui n’ont rien à voir avec le dossier de son client, ont indûment influencé la décision du ministre. Il affirme que le ministre a fondé sa décision sur des impressions ou des soupçons et non sur les faits pertinents des conditions d’emploi de son client.

 

[38]         L’avocate de l’intimé soutient que l’appelant, par ses agissements, est responsable des décisions négatives prises dans son dossier. D’une part, l’appelant a refusé de coopérer lors de l’enquête. D’autre part, Me Landry prétend que, si le travail de l’appelant était si important, il aurait dû travailler pendant les périodes de fortes précipitations de neige. S’il ne l’a pas fait, c’est parce que son travail n’était pas important et que ses conditions d’emploi étaient établies simplement pour le rendre admissible à des prestations d’assurance-emploi. Les autres employés de la société ont effectué du déneigement pendant les tempêtes de neige. L’appelant travaillait plutôt quand il faisait plus doux. L’avocate doute fort que l’appelant ait travaillé pendant toute la période indiquée et qu’il ait pu reprendre ses fonctions auprès de la société après son hospitalisation en 2000.

 

[39]         De plus, l’avocate de l’intimé a fait valoir que tous les autres employés non liés à la société payeuse étaient appelés à rendre compte des heures travaillées pour le compte de la société et que ces heures avaient été consignées dans les registres de la société. Le cahier de notes de M. Gaudreault a été jeté. L’appelant a affirmé qu’il tenait lui-même compte de ses heures et les inscrivait dans un cahier à la maison qu’il n’a pas jugé bon de présenter en preuve. L’avocate de l’intimé soutient que le seul fait de ne pas avoir à comptabiliser ses heures distingue l’appelant des employés qui n’avaient pas de lien de dépendance avec la société payeuse. Elle soutient que la décision du ministre n’était ni déraisonnable ni capricieuse, mais qu’elle était fondée sur le fait que les conditions d’emploi de l’appelant n’étaient pas similaires à celles des autres employés de la société payeuse.

 

II. Analyse

 

[40]         La décision du ministre est fondée sur les alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi sur l’assurance-emploi qui se lisent comme suit :

 

5(2)   N’est pas un emploi assurable :

 

[…]

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

5(3)   Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

           

[…]

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[41]         L’appelant a admis qu’il était lié à la société payeuse. Il conteste toutefois la décision du ministre selon laquelle il n’est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment les modalités d’emploi, que la société payeuse et l’appelant auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[42]         Au cours de l’argumentation, l’avocate de l’intimé a bien résumé l’état de droit sur cette question. Elle a cité, entre autres, la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Légaré c. Canada, [1999] A.C.F. no 878 (QL), où cette question a été examinée en profondeur. Le juge Marceau a rendu sa décision au nom des deux autres juges et a dit au paragraphe 4 de l’arrêt :

 

4          La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L’expression utilisée introduit une sorte d’élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu’il s’agit sans doute d’un pouvoir dont l’exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n’est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l’impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

 

Elle a aussi cité le paragraphe 5 du jugement rendu par le juge en chef Richard de la Cour d’appel fédérale, auquel ont souscrit les juges Létourneau et Noël, dans l’arrêt Denis c. Canada, 2004 CAF 26 :

 

5          Le rôle du juge de la Cour canadienne de l’impôt dans un appel d’une détermination du ministre sur les dispositions d’exclusion contenues aux paragraphes 5(2) et (3) de la Loi est de s’enquérir de tous les faits auprès des parties et les témoins appelés pour la première fois à s’expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre paraît toujours raisonnable. Toutefois, le juge ne doit pas substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus (voir Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2000 A.C.F. no 310, 10 mars 2000).

 

[43]         Ma compréhension de la présente cause est que le rôle de la Cour canadienne de l’impôt consiste à mener un procès au cours duquel les deux parties peuvent produire des éléments de preuve concernant les modalités d’emploi de l’appelant et les modalités d’emploi des personnes non liées à la société payeuse afin d’établir si la décision du ministre était raisonnable dans les circonstances. La Cour doit trancher cette question à la lumière de tous les éléments de preuve compte tenu de la crédibilité des témoins.

 

[44]         À cet égard, la Cour n’a pas trouvé le témoignage de Mme Morin crédible. À plusieurs reprises, elle tentait d’éviter de répondre aux questions en demandant à l’avocate de l’intimé de poser ces mêmes questions à M. Dany Gaudreault. Selon moi, Mme Morin connaissait les conditions d’emploi de l’appelant, mais elle a refusé de témoigner de façon franche. D’autre part, je dois tirer une inférence négative du fait que Mme Morin était directement mêlée aux infractions commises par à peu près 180 autres employés de la société payeuse. La pratique d’accumuler des heures afin de les payer lorsque les bénéficiaires n’ont plus le droit de recevoir des prestations est, il va sans dire, une pratique trompeuse qui dénote une certaine insouciance du témoin quant au respect de la Loi. De plus, je note les contradictions entre le témoignage de Mme Morin et celui de M. Dany Gaudreault. Ce dernier a témoigné qu’il appelait Mme Morin pour l’informer des heures travaillées par l’appelant. Mme Morin a pour sa part témoigné que M. Gaudreault faisait rapport des heures directement au service de paye. Elle n’a pu fournir aucune explication crédible pour justifier la raison pour laquelle les heures de travail de l’appelant n’étaient pas indiquées dans les registres de la société payeuse contrairement à ce qui se faisait dans le cas de tous les autres employés de la société. Sa seule explication est que l’appelant n’était pas un employé comme les autres puisqu’il avait autrefois occupé le poste de directeur général de la société et qu’il avait des liens de parenté avec sa famille. Par rapport aux autres employés, il avait plus de liberté d’agir.

 

[45]         Ce sont exactement ces faits que le ministre reproche à l’appelant. Tous les employés de la société étaient soumis à un contrôle des heures travaillées, sauf l’appelant. À mon avis, ceci en soi est suffisant pour conclure que les conditions de travail de l’appelant n’étaient pas semblables à celles des autres employés. Aucune explication n’a été donnée au sujet des heures accumulées qui ont été créditées au compte de l’appelant au début de la période de 2001. Mme Morin a expliqué que cela devait être une erreur commise par le comptable qui n’est plus à l’emploi de la société. La Cour doit se poser la question suivante : pourquoi l’appelant ou son avocat n’ont-ils pas jugé bon de demander au comptable de témoigner?

 

[46]          Je note que la société a demandé un crédit d’impôt pour intrants sur les achats de biens et de services personnels faits par l’appelant. Cette pratique indique évidemment une grande insouciance de la société quant au respect des lois fiscales.

 

[47]         Quant au témoignage de l’appelant, la Cour ne l’a pas non plus jugé crédible. Celui-ci s’est contenté de lire des notes manuscrites qu’il avait préparées et il n’a pas témoigné de façon franche. Son comportement lors de l’entrevue avec M. Couture indique qu’il avait quelque chose à cacher.

 

[48]         La Cour a déjà noté les contradictions entre le témoignage de M. Dany Gaudreault et celui de Mme Louise Morin. La Cour doute que M. Gaudreault ait déterminé les heures travaillées par l’appelant et qu’il ait fait un contrôle de ses heures.

 

[49]         Par conséquent, la Cour conclut que la décision du ministre dans les circonstances était raisonnable et les appels sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 2009.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 46

 

Nº DES DOSSIERS DE LA COUR :  2008-46(EI), 2008-628(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              CLAUDE MORIN c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Chicoutimi (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 22 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 22 janvier 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Pierre Hébert

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

 

       Pour l'appelant :

 

                     Nom :                            Me Pierre Hébert

 

                 Cabinet :                           Simard, Boivin, Lemieux, avocats

                                                          Dolbeau-Mistassini (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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