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Dossier : 2007-606(GST)G

ENTRE :

MAXI-MAG INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 17 novembre 2008, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Benoit Tremblay

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Martine Bergeron

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont le premier avis est daté du 20 octobre 2005, portant le numéro 03110101038, pour la période du 1er février 2003 au 31 janvier 2005 et le deuxième avis est daté du 8 février 2006, ne portant pas de numéro, pour les périodes du 1er février 2005 au 30 avril 2005 et du 1er août 2005 au 31 octobre 2005, sont rejetés.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 3e jour de décembre 2008.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 663

Date : 20081203

Dossier : 2007-606(GST)G

ENTRE :

MAXI-MAG INC.,

appelante,

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Lamarre

 

[1]              L’appelante en appelle de cotisations établies par le ministre du Revenu du Québec (ministre) en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) pour les périodes du 1er février 2003 au 31 janvier 2005, du 1er février 2005 au 30 avril 2005 et du 1er août 2005 au 31 octobre 2005. En établissant ces cotisations, le ministre réclamait à l’appelante des montants de taxe, incluant intérêts et pénalités, de 47 188,29 $ et de 1 461,62 $ relativement à des ventes de cigarettes non déclarées pour les périodes visées. L’appelante était autorisée à vendre des produits du tabac de marques économiques (Suprême, Baileys, Tabec, Pulsar, Trad-A, La Percée) à des détaillants, et pour ce faire, possédait un permis d’agent percepteur en vertu de la Loi concernant l’impôt sur le tabac (Loi sur le tabac), depuis février 2000. L’appelante conteste les cotisations au motif qu’elle a déclaré toutes ses ventes de tabac et que les ventes additionnelles qui lui sont imputées par le ministre, sont erronées.

 

[2]              L’appelante a été constituée par M. Patrick Lavallée. C’est son père, Yves Lavallée, qui exploite cette entreprise. Il s’occupe de l’achat et de la livraison du tabac par l’appelante. Yves Lavallée exploite aussi une tabagie et avait demandé personnellement un permis de distribution de tabac, qui lui avait été refusé. Son fils a accepté de l’aider en demandant lui-même un permis au nom de l’appelante.

 

[3]              M. Jean-Guy Brûlé, vérificateur fiscal pour Revenu Québec, a procédé à la vérification qui a mené aux cotisations sous appel. Il s’est d’abord rendu à l’endroit où l’appelante entreposait son inventaire de tabac. Il s’agissait d’un local que lui prêtait gratuitement M. Marcel Guérin, président de l’entrepôt A-1 Inc., qui entreposait de la marchandise provenant de pays étrangers, en attente de dédouanement. M. Guérin est un ami de monsieur Yves Lavallée. Il a expliqué qu’il laissait M. Lavallée entreposer ses caisses de cigarettes dans son entrepôt, à sa convenance, sans que lui-même n’intervienne.

 

[4]              Lorsque M. Brûlé s’est présenté à l’impromptu à l’entrepôt le 23 novembre 2004, ni M. Guérin, ni M. Lavallée, n’étaient présents. Il n’y avait que deux employés de M. Guérin sur place qui ont montré deux caisses de cigarettes seulement laissées à l’entrepôt. Le même jour, M. Brûlé a téléphoné M. Guérin, pour vérifier l’exactitude de l’inventaire de l’appelante laissé dans son entrepôt ce jour là. M. Guérin a confirmé qu’il n’y avait que deux caisses. Ce dernier a dit en cour qu’il avait toujours présumé que M. Lavallée laissait tout l’inventaire au même endroit. Selon lui, si ce jour là, il y avait des caisses ailleurs dans l’entrepôt, c’était possiblement la première fois que cela arrivait. Le même jour, par téléphone, M. Lavallée a dit à M. Brûlé qu’il transportait aussi de l’inventaire dans son camion. M. Brûlé lui a alors demandé de lui fournir les manifestes de transport indiquant la quantité de tabac achetée lors de chaque chargement de tabac. M. Lavallée lui aurait répondu qu’il ne conservait par ces manifestes. M. Brûlé lui a alors demandé de les conserver à l’avenir et de les lui faire parvenir. M. Lavallée aurait envoyé par la suite à M. Brûlé sept manifestes, entre le 25 novembre 2004 et le 2 décembre 2004, portant les numéros 1 à 7 (pièce I-11). Toutefois, ces manifestes indiquaient les ventes effectuées par l’appelante et non les achats. M. Brûlé a expliqué que ce sont les achats qu’il faut constater sur les manifestes afin d’établir que le tabac a été acheté en toute légalité d’agents percepteurs autorisés. À partir de ces manifestes, on peut ensuite vérifier l’inventaire. De plus, M. Brûlé a trouvé étonnant que la numérotation de ces manifestes commence au chiffre 1, étant donné que M. Lavallée lui avait dit qu’il avait toujours complété des manifestes dans le passé, sans toutefois les conserver.

 

[5]              Par ailleurs, M. Brûlé est retourné le 30 novembre 2004 à l’entrepôt sans s’annoncer. Cette fois, M. Guérin était présent et il y avait un nombre plus important de caisses de tabac que la fois précédente, soit une trentaine (pièce A-1).

 

[6]              M. Brûlé a ensuite tenté de concilier les inventaires, à partir de ce qui avait été déclaré par l’appelante le 5 décembre 2003 (date où il y a eu une augmentation de la taxe sur le tabac obligeant ainsi les vendeurs autorisés de tabac à établir leur inventaire à cette date). M. Brûlé a ajouté à cet inventaire du 5 décembre 2003, les achats de cigarettes par l’appelante entre le 5 décembre 2003 et le 23 novembre 2004, date de sa première visite surprise a l’entrepôt. Il a ensuite retranché de ce total les ventes déclarées de cigarettes pour la même période. Les achats et les ventes ont été établis à partir du journal des achats et des ventes de l’entreprise. En faisant cette réconciliation, M. Brûlé a constaté qu’il y avait une quantité importante de tabac qui aurait dû se retrouver à l’entrepôt, selon la quantité de tabac non vendue. Or, lors de sa visite surprise du 23 novembre 2004, il n’y avait que deux caisses de tabac, soit 100 cartouches de 200 cigarettes. Selon l’inventaire reconstitué, il aurait dû y en avoir 1 726 cartouches (si l’on additionne l’inventaire reconstitué pour chaque marque de tabac que l’appelante était autorisée à vendre) (pièce I-8).

 

[7]              Par ailleurs, aux dires de M. Brûlé, entre le 23 novembre 2004 et le 30 novembre 2004, il n’y a eu aucun achat déclaré aux livres de l’appelante. Selon les manifestes envoyés par M. Lavallée à M. Brûlé, à la demande de ce dernier, pour la période du 25 novembre au 2 décembre 2004, le stock contenu dans le camion ne pouvait contenir tout l’inventaire manquant. D’ailleurs, M. Lavallée a reconnu en contre-interrogatoire que son camion ne pouvait contenir plus de 15 caisses de 50 cartouches chacune, soit 750 cartouches. De plus, il n’était pas assuré pour le transport des cigarettes et M. Lavallée a reconnu qu’il gardait un minimum de caisses dans son camion, qu’il livrait le jour même. Or, entre le 18 et le 25 novembre 2004, selon M. Brûlé, le journal des ventes n’indiquait aucune vente, ce qui faisait douter ce dernier que M. Lavallée entreposait des caisses dans son camion au cours de cette période.

 

[8]              De plus, M. Lavallée avait déjà fait l’objet d’un rapport d’inspection en décembre 2003 en vertu de la Loi sur le tabac, dans lequel on le dénonçait pour avoir transporté des produits du tabac qu’il n’était pas autorisé à vendre, et pour lesquels il ne détenait aucun manifeste de transport démontrant où ces produits du tabac avaient été achetés. Son cas a été traité par les Enquêtes Spéciales, et il a plaidé coupable pour des infractions commises en 2000 et en 2003 en contravention de la Loi sur le tabac, pour lesquelles il a payé des amendes allant jusqu’à 8 000 $.

 

[9]              Finalement, l’inventaire permanent de l’appelante montrait déjà en 2001 des inventaires négatifs (pièce I-10), laissant présager que certains achats n’étaient pas comptabilisés. M. Gmora, le comptable de l’appelante, dans un témoignage laconique, a tenté d’expliquer ceci par le fait que les achats étaient comptabilisés après les ventes.

 

[10]         Avec toutes ces informations, M. Brûlé a présumé qu’il y avait eu des ventes de tabac non déclarées, et a préparé un premier projet de cotisation, établissant la taxe sur les produits et services (TPS) non remise sur des ventes non déclarées. (pièce I-8)

 

[11]         Après la présentation de ce premier projet de cotisation basé sur la réconciliation d’inventaires, M. Brûlé et son chef d’équipe, M. Denis Perron, ont rencontré M. Lavallée et son comptable en mai 2005. M. Lavallée a alors mentionné que le 23 novembre 2004, il y avait d’autres caisses (entre 7 et 9) à l’arrière de l’entrepôt que M. Guérin n’avait pas vu. M. Lavallée aurait également dit à M. Brûlé qu’à partir du 25 novembre 2004, tout son inventaire se trouvait près de la porte d’entrée de l’entrepôt. M. Lavallée a également insisté sur le fait que ce projet de cotisation ne tenait pas compte de l’inventaire dans le camion et qu’à ce titre, le projet contenait des erreurs (voir rapport de vérification, pièce I-9, p.1.5). Suite à cette réunion, M. Brûlé et M. Perron, ont décidé de réévaluer le dossier sur une base complètement différente. Ils ont demandé à M. Lavallée de produire « l’ensemble des factures de ventes manuelles émises [aux clients] [de même que] celles non utilisées de façon à établir la suite numérique de ces factures » (voir demande péremptoire en date du 21 juin 2005, pièce I-2).

 

[12]         En effet, M. Lavallée a expliqué dans son témoignage qu’il donnait une première facture aux clients, sur laquelle il inscrivait manuellement la quantité de tabac achetée par le client et le prix d’achat incluant la TPS. M. Lavallée se faisait payer sur le champ au moment de l’émission de cette facture manuelle. Le soir ou le lendemain, M. Lavallée retranscrivait sur une facture informatique le contenu de la facture manuelle, et envoyait la copie informatisée aux clients (voir un exemple, pièce A-4). M. Lavallée a remis à M. Brûlé, lors de la vérification, toutes les factures informatisées qu’il avait en sa possession, auxquelles étaient attachées les factures manuelles correspondantes (une telle facture par année a été déposée en preuve à titre d’exemple, pièce I-1).

 

[13]         M. Brûlé a réalisé que les factures informatisées se suivaient dans la séquence des numéros, mais étrangement, il n’en était pas de même pour les factures manuelles correspondantes. De fait, il a réalisé qu’il y avait une douzaine de factures manuelles portant le numéro 1, ou le numéro 2, ou le numéro 41 par exemple. M. Lavallée a expliqué qu’il utilisait plusieurs petits livrets de factures lorsqu’il faisait ses ventes et qu’il ne portait pas attention à la séquence des numéros.

 

[14]         M. Brûlé a toutefois constaté qu’il y avait beaucoup trop d’écarts entre les numéros séquentiels des factures manuelles attachées aux factures informatiques. Il a également constaté que les factures manuelles ne portaient pas de numéro au‑delà du chiffre 50. Il en a donc déduit que M. Lavallée utilisait des livrets de 50 factures manuelles et a calculé que M. Lavallée avait dû utiliser une moyenne de 12 livrets de 50 factures (puisqu’on retrouvait une douzaine de fois certains numéros sur les factures manuelles).

 

[15]         Par la suite, M. Brûlé a établi une moyenne de cartouches vendues par facture, selon les factures informatisées qu’on lui avait fournies. Il a ensuite calculé à partir de cette moyenne le total de cartouches vendues, en tenant pour acquis que l’appelante avait dû effectuer au moins 600 factures (50 factures fois 12 livrets) entre le 1er avril 2003 et le 5 décembre 2003 et entre le 6 décembre 2003 et le 13 janvier 2005 (pièce I-9, pp. 3.15 et 3.83). De ce total, M. Brûlé a déduit les ventes de cartouches achetées d’agents percepteurs autorisés (l’appelante étant autorisée à acheter du tabac de ces agents percepteurs seulement). Il a conclu que la différence provenait de cartouches achetées illégalement, d’autres sources que les agents percepteurs. D’ailleurs, tel que mentionné plus haut, M. Lavallée avait déjà été arrêté et condamné en 2000 et en 2003 en vertu de la Loi sur le tabac, pour avoir eu en sa possession des cartouches de tabac qu’il n’était pas autorisé à revendre. C’est d’ailleurs pour cette raison que c’est son fils qui est propriétaire de l’appelante. M. Yves Lavallée a refusé de verser la caution de 100 000 $ demandée pour avoir son permis, compte tenu des infractions à la loi qu’il a commises.

 

[16]         M. Brûlé a donc établi un prix de vente moyen pour ces cartouches de tabac achetées illégalement, et a calculé la TPS sur ces ventes non déclarées, ce qui fait l’objet des cotisations présentement en appel.

 

 

 

Arguments des parties

 

[17]         L’avocat de l’appelante soutient que les ventes additionnelles qui lui sont imputées sont basées sur des soupçons et ne sont aucunement réalistes. Il a déposé sous la pièce A-3, une lettre provenant du service de vérification des taxes du ministère du Revenu du Québec, en date du 5 avril 2002, suite à une vérification pour la période du 1er novembre 1999 au 31 juillet 2001, dans laquelle on demandait à l’appelante d’apporter des correctifs à sa facturation afin de se conformer aux exigences de la Loi sur le tabac, et d’indiquer séparément l’impôt sur le tabac du prix de vente sur toute facture.

 

[18]         Dans une lettre précédente du 22 mars 2002, le ministre n’apportait aucun ajustement relativement aux déclarations de TPS, taxe de vente du Québec (TVQ) et impôt sur le tabac, faites par l’appelante pour cette même période (pièce A-3).

 

[19]         Or, M. Lavallée a expliqué qu’il a toujours utilisé la même méthode de facturation. Il inscrit sur une facture manuelle le tabac vendu et retranscrit la vente sur une facture informatisée qu’il envoie aux clients. Selon lui, le fait que la séquence des numéros sur les factures manuelles ne soit pas consécutive, n’est pas pertinent. En effet, il a expliqué qu’il avait plusieurs livrets de factures manuelles avec lui et qu’il ne portait pas attention aux factures qu’il utilisait lorsqu’il faisait une vente à un client.

 

[20]         De plus, l’avocat de l’appelante insiste sur le fait que la prise d’inventaire par M. Brûlé, au 23 novembre 2004, ne pouvait correspondre à la réalité. En effet, déjà au 30 novembre 2004, M. Brûlé a pu constater qu’il y avait une trentaine de caisses à l’entrepôt. S’il n’y a pas eu d’achats entre le 23 novembre et le 30 novembre 2004, il est impossible qu’il n’y ait eu que deux caisses lors de la première visite de M. Brûlé, le 23 novembre. Il considère que le ministre n’est pas justifié d’attribuer toutes ces ventes non déclarées à l’appelante, car celles-ci ne s’appuient que sur des estimés et non sur une preuve réelle d’achat de produits du tabac de personnes ne possédant pas de permis d’agent percepteur.

 

[21]         De son côté, l’avocate de l’intimée plaide que les cotisations reposent sur plusieurs faits. En premier lieu, elle trouve étonnant que l’on mette en doute le constat de M. Guérin, le propriétaire de l’entrepôt, qu’il ne s’y trouvait que deux caisses le 23 novembre 2004. Selon elle, il ressort du témoignage de M. Guérin qu’il n’avait aucune raison de penser qu’il pouvait y en avoir ailleurs. Quant à la marchandise qui devait se trouver dans le camion de M. Lavallée, elle constate qu’il n’a pu montrer aucun manifeste attestant que l’inventaire se trouvait dans le camion le 23 novembre 2004.

 

[22]         De plus, il n’y a eu aucun achat inscrit aux livres de l’appelante entre le 23 novembre et le 30 novembre 2004. Elle en infère que la différence d’inventaire physique à l’entrepôt entre le 23 et le 30 novembre 2004, provenait possiblement d’achats d’autres sources que des agents percepteurs autorisés. M. Lavallée a reconnu avoir possédé du tabac qu’il n’était pas autorisé à revendre. Il a plaidé coupable à des infractions commises en vertu de la Loi sur le tabac. Avec ces faits, il est normal dit-elle, d’avoir des doutes sur la totalité des ventes de tabac déclarées par l’appelante.

 

[23]         L’avocate de l’intimée souligne que le ministre, après avoir constaté une déficience dans les inventaires, a adopté une toute autre approche avant d’émettre des cotisations. Cette fois, il a constaté un manque flagrant de factures manuelles. Il y aurait eu au total 364 factures informatisées (selon le rapport de vérification, pièce I-9, pp. 3.14 et 3.22), auxquelles étaient attachées des factures manuelles dont les numéros allaient dans tous les sens. M. Brûlé a estimé qu’il y avait eu environ 600 factures manuelles. La différence est grande. Selon elle, M. Lavallée est l’auteur de sa propre tourmente. S’il n’avait pas été intercepté en possession de tabac qu’il avait acquis de personnes ne détenant pas de permis d’agent percepteur, s’il n’y avait pas eu de problèmes dans la conciliation des inventaires de l’appelante, s’il avait conservé ses manifestes de transport prouvant la quantité de tabac achetée, la vérification n’aurait sans doute pas donné le même résultat. Selon elle, l’appelante n’a pas su renverser la présomption de validité des cotisations, et celles-ci devraient être confirmées.

 

Analyse

 

[24]         L’avocat de l’appelante s’est appuyé sur l’une de mes décisions, rendue dans un tout autre contexte, pour argumenter que c’est à l’intimée de démontrer selon la prépondérance de preuve, que les cotisations sont bien fondées. Dans l’affaire Lavie c. La Reine, [2006] A.C.I. no 521 (QL), j’avais décidé que l’intimée ne pouvait se contenter de justifier sa cotisation par des présomptions que le contribuable n’avait peu ou pas de moyens de réfuter. Dans cette cause, le ministre avait établi par présomptions, fondées sur des inférences tirées d’enquêtes policières, que le contribuable, personnellement, avait tiré des revenus du trafic de la cocaïne, et lui réclamait la TPS sur ces revenus présumés. J’avais alors jugé qu’il s’agissait d’un cas où, à mon avis, le fardeau de preuve reposait sur le ministre. Cette décision n’a pas été portée en appel.

 

[25]         Dans le cas présent, je crois important de reprendre les principes établis quant au fardeau de preuve, que j’avais d’ailleurs reproduits dans Lavie. La Cour d’appel fédérale en parle précisément dans l’arrêt Voiture Orly c. Canada, [2005] A.C.F. No 2116 (QL), au paragraphe 20 :

 

20        En résumé, nous ne trouvons aucun mérite aux prétentions de l’appelante selon lesquelles celle-ci n’a plus la charge de réfuter les hypothèses faites par le ministre. Nous souhaitons réaffirmer fermement et fortement le principe selon lequel le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement. L’attribution du fardeau de la preuve au contribuable repose sur un motif très simple et concret énoncé il y a plus de 80 ans dans les arrêts Anderson Logging Co. C. British Columbia, [1925] R.C.S. 45; Pollock c. Canada (Ministre du Revenu National) (1993), 161 N.R. 232 (C.A.F.); Vacation Villas of Collingwood Inc. c. Canada (1996) 133 D.L.R. (4th) 374 (C.A.F.); Anchor Pointe Energy Ltd. c. Canada, 2003 CAF 294. Ce motif est qu’il s’agit de l’entreprise du contribuable. C’est lui qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle. Le système fiscal est fondé sur l’autocotisation. Tout renversement de la charge du contribuable de fournir et de rapporter les renseignements dont il a connaissance ou qu’il contrôle peut mettre en danger l’intégrité, le caractère contraignant et, par conséquent, la crédibilité du système. Ceci dit, nous reconnaissons que dans certaines circonstances le renversement du fardeau de la preuve peut être justifié, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[26]         Dans le cas qui nous préoccupe ici, l’appelante est cotisée sur les revenus de son entreprise. Seul M. Lavallée sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. L’appelante aurait pu éviter une cotisation arbitraire en conservant ses manifestes d’achat, et en régularisant ses inventaires avec ses journaux d’achats et de ventes. L’appelante possédait ces renseignements sur lesquels elle exerçait un contrôle. Renverser le fardeau de preuve et ne plus exiger de l’appelante de fournir et de rapporter les renseignements dont elle avait connaissance, et imposer le fardeau au ministre, mettrait en danger, dans ce cas-ci, « l’intégrité, le caractère contraignant et la crédibilité du système fiscal qui est fondé sur l’autocotisation ». C’est pourquoi, je suis d’avis que le cas présent diffère de l’affaire Lavie et il revient à l’appelante de démontrer que les cotisations sont mal fondées.

 

[27]         M. Yves Lavallée, sur qui repose l’entreprise, par son attitude dans le passé et au cours de la période en litige, de même que par ses contradictions, jette un doute sérieux sur les prétentions de l’appelante qu’elle a déclaré toutes ces ventes au cours de la période en litige. En 2000 et 2003, il a reconnu avoir possédé des produits de tabac qu’il n’était pas autorisé à revendre. Au cours de la période en litige, il n’a pas conservé les manifestes d’achat, alors qu’il aurait dû savoir qu’il était de son devoir de le faire, particulièrement après avoir dû payer des amendes relativement à des infractions commises en vertu de la Loi sur le tabac.

 

[28]         La disparité entre le journal des achats et des ventes, et l’inventaire en entrepôt, est également attribuable à son comportement. C’est lui seul qui était au courant des achats et des ventes et qui avait pour obligation de retranscrire fidèlement toutes les transactions effectuées. Ses explications au vérificateur fiscal n’ont pas contribué à justifier les écarts. En effet, bien que M. Brûlé n’ait constaté l’existence que de deux caisses à l’entrepôt le 23 novembre 2004, M. Lavallée a parlé de sept ou neuf caisses. Même si cette dernière version était exacte, il n’avait rien pour justifier qu’il transportait une quinzaine de caisses ce jour-là dans son camion. Sachant qu’il n’était pas assuré, et qu’il n’a déclaré aucune vente au cours de cette semaine là, il est très peu probable qu’il transportait avec lui le solde de l’inventaire. À l’audience, il nous a dit que la présence de 30 caisses à l’entrepôt le 30 novembre 2004 démontre qu’elles étaient probablement déjà là le 23 novembre puisqu’il n’y a eu aucun achat entre le 23 et le 30 novembre 2004. Les versions de Yves Lavallée divergent et sa crédibilité en est certainement entachée.

 

[29]         Le ministre a utilisé deux approches pour arriver à la conclusion que l’appelante ne déclarait pas toutes ses ventes. Ce que j’ai relaté plus haut dans mes motifs, a été tenu en compte dans les présomptions du ministre pour établir les cotisations. Il y avait déficience au niveau des inventaires et au niveau de la facturation. Le fait que dans le passé, le ministre n’ait pas questionné l’appelante sur sa facturation ne peut servir de fondement à l’appelante pour justifier son laxisme.

 

[30]         Bien que les méthodes utilisées par le ministre pour reconstituer les revenus non déclarés ne peuvent jamais être précises, et par définition sont arbitraires, je considère que l’appelante ne m’a pas démontré de façon prépondérante que la méthode utilisée dans le cas présent était déraisonnable. Le ministre a pu constater par deux approches différentes que l’appelante ne déclarait pas tous ses revenus. Il revenait à cette dernière de prouver que l’estimé des revenus non déclarés ne se justifiait aucunement. L’appelante n’a pas réussi à faire une telle démonstration. Sa preuve était à mon avis insuffisante à cet égard. Pour ces raisons, les appels sont rejetés et les cotisations sont confirmées.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 3e jour de décembre 2008.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 663

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-606(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              MAXI-MAG INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 17 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 3 décembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Benoit Tremblay

Avocate de l'intimée :

Me Martine Bergeron

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Benoit Tremblay

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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