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Dossier : 2008-326(EI)

ENTRE :

RÉMY ARSENAULT,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

Appel entendu le 13 août 2008, à Sept-Îles (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Benoit Mandeville

 

 

JUGEMENT

        L’appel est rejeté et la décision que le ministre du Revenu national a rendue le 10 décembre 2007 en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2008.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 614

Date : 20081110

Dossier : 2008-326(EI)

ENTRE :

RÉMY ARSENAULT,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

[1]              Le point soulevé dans le présent appel est celui de savoir si l’appelant avait des heures d’emploi assurable durant la période visée par l’avis, c’est-à-dire du 4 septembre 2006 au 3 novembre 2006 (la « période visée par l’avis »).

 

Les faits

 

[2]              L’appelant a témoigné qu’il était un mécanicien industriel qui travaillait pour l’unité de production d’énergie thermique de l’usine de papier de Produits Forestiers Arbec inc. (le « payeur ») depuis mars 1998. Le 3 juin 2006, la société a fermé l’usine de papier et a temporairement mis à pied 55 employés, dont l’appelant. Selon la convention collective, l’appelant avait droit au maintien de ses prestations de maladie durant les trois premiers mois suivant la mise à pied.

 

[3]              Le 26 juillet 2006, l’appelant fut informé de la fermeture définitive de l’usine de papier et fut licencié d’une façon permanente par la société. La société devait, selon la Loi sur les normes du travail du Québec, donner un préavis de huit semaines aux employés. Elle a choisi l’autre solution et a payé à l’appelant une somme totale de 9 302,78 $ tenant lieu de préavis. Cette somme fut payée en versements hebdomadaires de 1 033,60 $ au cours de la période en question, du 4 septembre 2006 au 3 novembre 2006. Des primes d’assurance-emploi furent prélevées sur ces sommes.

 

[4]              L’appelant n’a pas fourni de services au payeur à la suite de l’avis de fermeture, à l’exception de la semaine allant du 8 octobre 2006 au 14 octobre 2006, pour laquelle il a reçu une rémunération de 1 042 $ pour 40 heures de travail, assurant l’entretien de l’unité de production d’énergie thermique qui alimentait la scierie exploitée par une société sœur. La convention collective conclue par la société et le syndicat prévoit un ordre de rappel fondé sur l’ancienneté. À la suite du licenciement et après la période visée par l’avis, l’appelant fut rappelé à plusieurs reprises pour l’exécution de travaux d’entretien sur l’unité de production d’énergie qui alimentait la scierie.

 

Analyse

 

[5]              L’appelant a fait valoir que la relation d’emploi existe encore puisque la convention collective était applicable pour encore trois années. Par ailleurs, selon lui, le payeur avait déduit, de la somme de 9 302,78 $ qu’il avait reçue à titre de salaire tenant lieu d’avis, les primes applicables d’assurance-emploi, et ce salaire devrait donc être considéré comme étant versé pour un emploi assurable, pendant le nombre d’heures de travail que l’appelant aurait normalement effectuées et pour lesquelles il aurait en principe été rétribué.

 

[6]              L’intimé a fait valoir qu’à l’exception de l’unique semaine durant laquelle l’appelant avait travaillé au cours de la période visée par l’avis, la somme de 9 302,78 $ reçue à titre de préavis durant la période en cause ne correspondait pas à des heures d’emploi assurable selon l’article 9.1 du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement »), l’intimé ajoutant que l’appelant n’était pas un employé à l’époque et qu’en fait il ne travaillait pas, puisque l’usine de papier avait été fermée définitivement.

 

[7]              L’expression « emploi assurable » est définie à l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »), L.C. 1996, ch. 23 :

 

5(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

Les méthodes servant à calculer les heures d’emploi assurable sont décrites dans le Règlement, DORS/96-332, qui dispose ce qui suit :

 

9.1 Lorsque la rémunération d’une personne est versée sur une base horaire, la personne est considérée comme ayant exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures qu’elle a effectivement travaillées et pour lesquelles elle a été rétribuée.

 

Il y a aussi le paragraphe 10.01(1) du Règlement :

 

10.01(1) Si, aux termes de son contrat de travail, une personne est tenue par son employeur de demeurer disponible pendant une certaine période de temps dans l’éventualité où ses services seraient requis, les heures comprises dans cette période sont réputées être des heures d’emploi assurable si la personne est payée pour ces heures à un taux de rémunération équivalent ou supérieur au taux qu’elle aurait touché si elle avait effectivement travaillé durant cette période.

 

[8]              On peut lire, à l’article 9.1 du Règlement, que « […] la personne est considérée comme ayant exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures qu’elle a effectivement travaillées […] ». [Je souligne.]

 

[9]              Dans la décision Gagné c. Canada (ministre du Revenu national), [1997] A.C.I. no 1357 (QL), on a précisé au paragraphe 15 ce qu’il fallait entendre par le mot « travail » :

 

Par travail ou prestation de travail, l’on entend généralement l’accomplissement d’actions physiques et/ou intellectuelles dont l’exécution est utile et contributive d’un résultat souhaité et recherché par le payeur, donneur d’ouvrage. […]

 

[10]         À l’exception de la semaine allant du 8 octobre 2006 au 14 octobre 2006, l’appelant n’a pas travaillé durant la période visée par l’avis.

 

[11]         Pour qu’une personne ait droit à des prestations d’assurance‑emploi, elle doit satisfaire à des conditions, qui sont énoncées au paragraphe 7(2) de la Loi :

 

7(2) L’assuré autre qu’une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises si, à la fois :

 

a) il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi;

 

b) il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins le nombre d’heures indiqué au tableau qui suit en fonction du taux régional de chômage qui lui est applicable.

 

[12]         L’article 9.1 du Règlement et le paragraphe 7(2) de la Loi prévoient donc explicitement que le prestataire doit avoir accumulé le nombre requis d’heures d’emploi assurable. Il ne suffit pas de démontrer que le prestataire pouvait se trouver dans une relation d’emploi d’une forme ou d’une autre.

 

[13]         L’intimé dit qu’à la date du licenciement définitif de l’appelant, l’emploi de ce dernier a pris fin. À l’exception d’une semaine en octobre, il n’a en réalité exécuté aucun travail au cours de la partie restante de la période visée par l’avis. Je souscris à l’argument de l’intimé selon qui, d’après l’article 9.1 du Règlement, l’appelant ne satisfaisait pas au critère du nombre d’heures effectivement travaillées durant la période visée par l’avis.

 

[14]         L’appelant a fait valoir qu’il a sans doute des heures d’emploi assurable selon le paragraphe 10.01(1) du Règlement. Cette disposition considère comme heures d’emploi assurable les heures durant lesquelles une personne doit demeurer disponible en vertu de son contrat de travail.

 

[15]         Le paragraphe 10.01(1) est entré en vigueur le 24 octobre 2002. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation indique que l’objet de la disposition relative à la disponibilité est :

 

a)  d’aider à réduire la discrimination à l’égard des femmes et des travailleurs du domaine de la santé;

b)  de reconnaître que puisque l’employeur exerce un contrôle sur l’employé lorsqu’il est en disponibilité, ces heures font partie intégrante du contrat de travail de l’employé et devraient ainsi être considérées comme étant assurables[1].

 

[16]         L’article 10.01 fut ajouté à la suite de l’arrêt R. c. Murphy, no A-402-99, 5 octobre 2000, dans lequel la Cour d’appel fédérale confirmait un jugement de la Cour canadienne de l’impôt, 1999 CarswellNat 3238. Dans l’affaire soumise à la Cour de l’impôt, le mode de calcul des heures d’emploi assurable était contesté. La Cour de l’impôt avait jugé que les heures pendant lesquelles un employé doit demeurer disponible sont des heures d’emploi assurable si elles sont rémunérées, même si l’employé ne travaille pas. Dans l’affaire Murphy, l’appelante travaillait comme technicienne en radiographie dans un hôpital. Outre ses fonctions habituelles, elle devait aussi chaque nuit demeurer disponible. Lorsqu’un employé était en disponibilité, il devait :

 

a)  rester à proximité d’un téléphone et tenir l’hôpital informé du numéro auquel il pouvait être joint;

b)  demeurer suffisamment près de l’hôpital pour être en mesure de s’y rendre en un maximum de 25 minutes.

 

La Cour avait relevé que, tant qu’il était en disponibilité, un technicien était payé 2,50 $ l’heure pour chaque heure de disponibilité s’il n’était pas appelé. Cependant, s’il était appelé, le technicien avait droit à un taux plus élevé. Le ministre avait fait valoir que l’appelante était libre de faire ce qu’elle voulait durant ses heures de disponibilité, par exemple rester chez elle, s’occuper de ses enfants, dormir le soir, et, selon lui, ces heures ne comptaient pas en réalité comme des heures « effectivement » travaillées. L’appelante affirmait qu’elle fournissait des services durant ses heures de disponibilité, par exemple en restant à proximité du téléphone et en demeurant à une distance d’au plus 25 minutes de l’hôpital. La Cour de l’impôt avait jugé que l’appelante faisait ce qui était légalement exigé d’elle par l’employeur. Les heures de disponibilité devraient donc compter comme heures d’emploi assurable.

 

[17]         Les paragraphes 10.01(1) et (2) du Règlement prévoient ce qui suit :

 

10.01(1) Si, aux termes de son contrat de travail, une personne est tenue par son employeur de demeurer disponible pendant une certaine période de temps dans l’éventualité où ses services seraient requis, les heures comprises dans cette période sont réputées être des heures d’emploi assurable si la personne est payée pour ces heures à un taux de rémunération équivalent ou supérieur au taux qu’elle aurait touché si elle avait effectivement travaillé durant cette période.

 

(2) Malgré le paragraphe (1), si, aux termes du contrat de travail, l’employeur exige d’une personne qu’elle soit présente sur les lieux de travail en attendant que ses services soient requis, ces heures d’attente sont réputées être des heures d’emploi assurable si elles sont rémunérées.

 

[18]         Durant la période visée par l’avis, l’appelant a effectivement travaillé pour le payeur durant la semaine du 8 octobre 2006 au 14 octobre 2006. En outre, les états de paiement montrent qu’il a travaillé pour le payeur durant une semaine en novembre 2006, et aussi durant un total de six semaines au cours de divers mois en 2007. Le fait que l’appelant ait travaillé pour le payeur après son licenciement définitif donne à penser que la relation d’emploi entre lui et le payeur a subsisté, même après le congédiement général.

 

[19]         Ainsi que l’expliquait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Sirois, [1999] A.C.F. n523 (QL), même si une employée ne travaille plus, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il n’y a alors plus de contrat de louage de services. La relation d’emploi peut subsister même si le travailleur ne fournit plus de services à son employeur. Dans l’arrêt Sirois, la Cour d’appel a jugé que l’intimée avait encore exercé un emploi assurable après avoir été licenciée.

 

[20]         L’espèce Sirois doit être distinguée de la présente espèce. Dans ce précédent, le règlement applicable avait eu pour effet de mettre la défenderesse Sirois en disponibilité durant son congé de préretraite, et il n’y avait donc pas eu rupture de la relation d’emploi. En revanche, dans la présente affaire, aucun règlement n’a eu pour effet de mettre l’appelant en disponibilité.

 

[21]         L’intimé dit que la relation d’emploi entre l’appelant et le payeur a été rompue le 25 août 2006 et que tous les rappels ultérieurs constituaient de nouveaux contrats conclus avec l’employeur. C’est là un argument valide, mais la prémisse n’est pas nécessairement exacte ou correcte. La réalité de la situation de l’appelant était telle que le lien entre lui et son employeur ne fut pas totalement rompu durant la période litigieuse, puisque l’appelant a fourni ses services au payeur à diverses époques après son licenciement, comme on l’a vu plus haut.

 

[22]         Par ailleurs, l’appelant écrivait, dans son avis d’appel administratif daté du 2 novembre 2007, qu’il travaillait à temps partiel pour le payeur à cette date. Même si la situation d’emploi a pu évoluer d’un emploi à temps plein à un emploi à temps partiel, cela ne veut pas nécessairement dire que la relation d’emploi a été rompue.

 

[23]         Le raisonnement de l’intimé selon lequel le contrat de travail entre le payeur et l’appelant a été rompu par suite du licenciement, et selon lequel les rappels ultérieurs constituaient de nouveaux contrats entre le payeur et l’appelant, ne trouve pas appui dans la jurisprudence. En dépit du caractère officiel de l’avis de licenciement, le raisonnement est pour le moins discutable puisque les « nouveaux » contrats étaient pour l’essentiel identiques au contrat « initial » : mêmes parties, même travail, même rémunération, mêmes tâches et fonctions, même endroit, etc. Il n’y a rien, ou presque rien, dans les faits ou dans la jurisprudence qui permette d’affirmer que chaque rappel subséquent constituait un nouveau contrat de travail.

 

[24]         L’appelant s’est exprimé ainsi :

 

[J]e savais pertinemment très bien, clairement, en dedans de moi que j’allais être rappelé un jour ou l’autre pour travailler dans cette usine-là considérant que la bouilloire était encore en fonction et que moi, j’étais attitré à la bouilloire durant les années d’opération de l’usine, que je savais très bien que j’allais être rappelé au travail parce que la centrale thermique était encore en fonction. À ce niveau-là, je le savais puis la compagnie aussi le savait[2].

 

[25]         Si le payeur avait voulu véritablement mettre fin à la relation d’emploi avec l’appelant au moment du licenciement, alors les rappels n’auraient pas eu lieu.

 

[26]         On peut affirmer que le contrat de travail conclu par le payeur et l’appelant a persisté durant la période litigieuse, et la première condition du paragraphe 10.01(1) du Règlement est donc satisfaite.

 

[27]         La deuxième condition prévue par le paragraphe 10.01(1) du Règlement est la suivante : « aux termes de son contrat de travail, une personne est tenue par son employeur de demeurer disponible pendant une certaine période de temps dans l’éventualité où ses services seraient requis ».

 

[28]         Cependant, pour que l’appelant obtienne gain de cause, il doit être en mesure de prouver que son employeur l’obligeait à demeurer disponible et à se présenter à nouveau au travail rapidement durant la période visée par l’avis.

 

[29]         La convention collective prévoyait une possibilité de rappel des employés licenciés, en fonction de leur ancienneté. Cependant, cela n’est pas la même chose qu’une mise en disponibilité. Au moment d’un licenciement, il n’est pas sûr que le même genre de contrôle puisse être exercé sur l’employé. À la suite du licenciement massif, l’appelant était libre de trouver un autre emploi. Il n’était nullement tenu de demeurer disponible, c’est-à-dire de se tenir prêt à agir, à réagir ou à se présenter immédiatement, par exemple en se tenant près du téléphone, en portant un téléavertisseur ou en restant à l’intérieur d’une zone bien définie. Par conséquent, je suis d’avis que l’appelant n’était pas en disponibilité durant la période visée par l’avis.

 

[30]         Pour les motifs énoncés, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2008.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 614

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-326(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              RÉMY ARSENAULT c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Sept-Îles (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 13 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 10 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Benoit Mandeville

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]       Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Gaz. C. 2002.II.2323, DORS/2002-377.

[2]       Transcription, page 38, lignes 10 à 19.

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