Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Contenu de la décision

 

 

 

 

2000-3668(CPP)

 

ENTRE :

 

BETH MCMORRAN S/N MCMORRAN & ASSOCIATES,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé,

et

 

PAULINE BAKKEN,

 

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Beth McMorran s/n McMorran & Associates (2000-3667(EI), 2001-2467(EI), 2001-2468(EI), 2001‑2465(CPP), 2001-2469(CPP)) et Pauline Bakken (2000-3669(EI) et 2000‑3670(CPP)) les 8, 9 et 10 avril 2002, à Edmonton (Alberta), par

 

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :  Me R. Tim Hay

 

Avocate de l'intimé :  Me Margaret McCabe

 

Avocat de l'intervenante :  Me R. Tim Hay

 

 

JUGEMENT

 

  L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 21e jour d'octobre 2002.

 

 

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

2000-3667(EI)

 

ENTRE :

 

BETH MCMORRAN S/N MCMORRAN & ASSOCIATES,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé,

et

 

PAULINE BAKKEN,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Beth McMorran s/n McMorran & Associates (2001-2467(EI), 2001-2468(EI), 2000-3668(CPP), 2001‑2465(CPP), 2001-2469(CPP)) et Pauline Bakken (2000-3669(EI) et 2000‑3670(CPP)) les 8, 9 et 10 avril 2002, à Edmonton (Alberta), par

 

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :  Me R. Tim Hay

 

Avocate de l'intimé :  Me Margaret McCabe

 

Avocat de l’intervenante :   Me R. Tim Hay

 

 

JUGEMENT

 

  L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 21e jour d'octobre 2002.

 

 

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

2001-2467(EI)

2001-2468(EI)

 

ENTRE :

 

BETH MCMORRAN S/N MCMORRAN & ASSOCIATES,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Beth McMorran s/n McMorran & Associates (2000-3667(EI), 2000-3668(CPP), 2001‑2465(CPP), 2001-2469(CPP)) et Pauline Bakken (2000-3669(EI) et 2000‑3670(CPP)),

les 8, 9 et 10 avril 2002, à Edmonton (Alberta), par

 

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :  Me R. Tim Hay

 

Avocate de l'intimé :  Me Margaret McCabe

 

 

JUGEMENT

 

  Les appels sont admis et les évaluations sont annulées selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 21e jour d'octobre 2002.

 

 

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

2001-2465(CPP)

2001-2469(CPP)

 

ENTRE :

 

BETH MCMORRAN S/N MCMORRAN & ASSOCIATES,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Beth McMorran s/n McMorran & Associates (2000-3667(EI), 2000-3668(CPP), 2001‑2467(EI), 2001‑2468(EI)) et Pauline Bakken (2000-3669(EI) et 2000‑3670(CPP)),

les 8, 9 et 10 avril 2002, à Edmonton (Alberta), par

 

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :  Me R. Tim Hay

 

Avocate de l'intimé :  Me Margaret McCabe

 

JUGEMENT

 

  Les appels sont admis et les évaluations sont annulées selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Calgary (Alberta), ce 21e jour d'octobre 2002.

 

 

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2004.

 

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

Date : 20021021

Dossiers : 2000-3667(EI)

2000-3668(CPP)

 

ENTRE :

 

BETH MCMORRAN S/N MCMORRAN & ASSOCIATES,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé,

et

 

PAULINE BAKKEN,

 

intervenante,

ET

Dossiers :  2000-3669(EI)

2000-3670(CPP)

 

PAULINE BAKKEN,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé,

et

 

BETH MCMORRAN S/N MCMORRAN & ASSOCIATES,

 

intervenante,

ET

Dossiers : 2001-2465(CPP)

2001-2467(EI)

2001-2468(EI)

2001-2469(CPP)

 

BETH MCMORRAN S/N MCMORRAN & ASSOCIATES,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

 

Introduction

 

[1]  Les huit présents appels ont été entendus sur preuve commune avec le consentement des parties à Edmonton, en Alberta, les 8, 9 et 10 avril 2002.

 

[2]  Les appelantes ont interjeté appel et sont intervenues dans les appels l’une de l’autre devant cette cour à l’encontre des décisions du ministre du Revenu national (ci-après le « ministre ») confirmant une évaluation établie le 13 septembre 2000 à l’endroit de Beth McMorran (ci-après « McMorran »), concernant des cotisations de 4 004,30 $ au Régime de pensions du Canada et des cotisations d’assurance-emploi de 7 033,72 $ en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, auxquelles s’ajoutent des pénalités et des intérêts, relativement aux travailleuses dont le nom figure à l’annexe A des présents motifs, pour la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 1999, y compris, en particulier, Pauline Bakken pour la période du 1er janvier 1999 au 1er novembre 1999. McMorran avait déjà porté en appel l'évaluation du ministre qui, hormis quelques petites variations, a confirmé l'évaluation par lettre du 27 mars 2001 en donnant les raisons suivantes :

 

  [TRADUCTION]

...Ces travailleuses étaient engagées en vertu de contrats de louage de services et, par conséquent, étaient des employées.

 

Malgré cela, l’emploi de ces travailleuses […] serait également assurable et ouvrirait droit à pension en vertu du règlement portant sur les agences de placement, car ces travailleuses étaient placées par vous en vue de la prestation de services pour vos clients, sous leur direction et leur contrôle, et elles étaient payées par vous pour ces services.

 

Les décisions ont été rendues conformément à l'article 93 de la Loi sur l’assurance-emploi et à l'article 27.2 du Régime de pensions du Canada, et elles sont basées sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, l'alinéa 6g) du Règlement sur l'assurance-emploi, les alinéas 6(1)a) et 12(1)c) du Régime de pensions du Canada et l'article 34 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada.

 

[3]  Les appelantes ont également interjeté appel des décisions du ministre qui confirmaient une évaluation établie le 6 février 2001 à l’égard de McMorran, à part de légères variations encore, pour les montants de 272,80 $ relativement à des cotisations au Régime de pensions du Canada et de 562,97 $ en cotisations d’assurance-emploi, plus pénalités et intérêts, concernant les travailleuses dont le nom figure à l’annexe B des présents motifs, pour la période du 1er janvier 2000 au 30 septembre 2000. Le ministre a donné des motifs identiques à ceux décrits ci-dessus.

 

[4]  D’après les faits pertinents, pendant les périodes en question, Bakken et les autres travailleuses (collectivement les « travailleuses ») étaient engagées par McMorran pour faire des démonstrations de produits alimentaires chez Safeway et d’autres supermarchés de la région d’Edmonton, avec lesquels McMorran avait signé des contrats en vue réaliser de telles démonstrations. La première question en litige est facile à énoncer : les travailleuses étaient-elles engagées comme employées en vertu de contrats de louage de services ou comme entrepreneurs indépendants en vertu de contrats d’entreprise? Dans la première éventualité, il s’agit clairement d’un emploi assurable ouvrant droit à pension. La deuxième question en litige, qui ne se pose que si elles sont des entrepreneurs indépendants, est de savoir si elles relèvent des règlements sur les agences de placement en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada. Chacun des appels tourne d’une façon ou d’une autre autour de ces deux questions. On peut dire, sans crainte de se tromper, que toutes les travailleuses sont dans le même bain. Il n’existe pas de différence notable entre leurs rapports de travail respectifs avec McMorran.

 

[5]  J’ajouterai qu’au cours de ma réflexion préalable à ma décision sur ces questions, tout en m'appuyant sur la preuve qui m’a été présentée et sur ma compréhension de la loi, j’ai donné beaucoup de poids à la décision du juge Bell de cette cour dans l’affaire Sara Consulting & Promotions c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2001] A.C.I. n° 773. Cette affaire, à toutes fins utiles, traite essentiellement de la même situation que celle à l’instance. D’ailleurs, plusieurs travailleuses de McMorran avaient également participé au même programme de dégustation de viande chez Safeway que les travailleuses visées par l’affaire Sara Consulting. Même si la décision Sara Consulting n’est pas une cause type, je ne peux m’empêcher d’entendre l’écho des paroles du juge Bell dans l’appel devant moi.

 

[...] Toutefois, l'envie de continuer d'exploiter le même filon n'est pas quelque chose que l'intimé ne connaît pas [...]

 

[6]  Au cours des procédures, il m’est clairement apparu que le ministre est effectivement en train d’exploiter le même filon. Le juge Teskey, dans l’affaire T.S.S. - Technical Service Solutions Inc. c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2002] A.C.I. n° 101, a cité Sara Consulting en approuvant cette décision, et il est donc peut être temps pour le ministre d’abandonner ce filon.

 

[7]  Bien que je sois appelé à former ma propre vision des faits, j’ai à l’esprit les paroles du juge Bowie dans l’affaire Lord c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.I., n° 95 :

 

[…] je crois en l'adhésion déférente entre juges d'une même cour et entre tribunaux. Notre système de jurisprudence exige, dans la mesure du possible, une certaine uniformité et prévisibilité dans le processus de prise de décisions judiciaires. [...]

 

[8]  En l’absence d’un appel, on peut espérer que ce type de litige sera désormais abandonné et que d'autres appelants n’auront pas à subir les pressions économiques et sociales imposées à McMorran. Dans ses conclusions finales, l’avocate du ministre a indiqué que, même si ce n’est pas une cause type, les pontes de l’Agence des douanes et du revenu du Canada tiendraient définitivement compte du résultat.

 

La loi

Contrats de louage de services / Contrats d’entreprise

 

[9]  La façon dont la Cour doit procéder pour déterminer s'il s'agit d'un emploi exercé aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, d'une relation employeur-employé, ou aux termes d'un contrat d'entreprise et, par conséquent, d'une relation qu'établissent entre eux des entrepreneurs indépendants, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.(C.A.F.), [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). Le raisonnement dans cette affaire a été amplifié et mieux expliqué dans certains litiges relevant de cette cour, c’est-à-dire les affaires Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. Le ministre du Revenu national, C.A.F., n° A-531-87, 15 janvier 1988 (88 DTC 6099), Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.F. n° 1337, et Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, C.A.F. n° A-376-98, 11 mai 1999 (249 N.R. 1), toutes des références pour guider la Cour dans sa décision.

 

[10]  La Cour suprême du Canada a maintenant abordé cette question dans l’affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] A.C.S. no 61 (2001 SCC 59, 274 N.R. 366). La question en litige dans cette affaire concernait la responsabilité du fait d’autrui. Toutefois, la Cour a reconnu que les mêmes critères s’appliquaient dans bien d’autres situations, y compris celles relevant de la législation sur l’emploi. Le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour, a approuvé l’approche adoptée par le juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door (précité), où il avait analysé la jurisprudence canadienne, anglaise et américaine, et, en particulier, renvoyé à quatre critères pour parvenir à une telle détermination, citant lord Wright dans City of Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 à 169-70. Le juge MacGuigan conclut, à la page 560 (DTC : à la page 5028) :

 

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, possibilité de profit, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties ». Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

 

À la page 562 (DTC : à la page 5029) il a dit ceci :

 

[... ] Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci-dessus « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations », et ce, même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

(J'ai ajouté les italiques.)

 

À la page 563 (DTC : à la page 5030) il avait ceci à dire :

 

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles. [...]

 

Il a également observé :

 

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, […]

 

[11]  Le juge Macguigan a également dit ceci :

 

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

 

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte ». Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

 

[12]  Dans l’affaire Kinsmen Flying Fins Inc., ci-dessus, la Cour d’appel fédérale a dit ceci :

 

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

 


[13]  Les critères mentionnés par la Cour d'appel fédérale peuvent se résumer ainsi :

 

a)  le degré de contrôle exercé par le présumé employeur;

b)  la propriété des instruments de travail;

  • c) la possibilité de profit;

  • d) le risque de perte;

 

En outre, la Cour doit considérer la question de l’intégration, le cas échéant, du travail du présumé employé dans l’entreprise du présumé employeur.

 

[14]  Dans l'affaire Sagaz (plus haut), le juge Major a dit ceci :

 

[…] Le contrôle n'est toutefois pas le seul facteur à considérer pour décider si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. […]

 

[15]  Il a soulevé l'insuffisance du critère du contrôle en approuvant de nouveau les paroles du juge MacGuigan, encore dans l’arrêt Wiebe Door (précité), comme suit :

 

Ce critère [le contrôle] a le grave inconvénient de paraître assujetti aux termes exacts du contrat définissant les modalités du travail : si le contrat contient des instructions et des stipulations détaillées, comme c'est chose courante dans les contrats passés avec un entrepreneur indépendant, le contrôle ainsi exercé peut être encore plus rigoureux que s'il résultait d'instructions données au cours du travail, comme c'est l'habitude dans les contrats avec un préposé, mais une application littérale du critère pourrait laisser croire qu'en fait, le contrôle exercé est moins strict. En outre, le critère s'est révélé tout à fait inapplicable pour ce qui est des professionnels et des travailleurs hautement qualifiés, qui possèdent des aptitudes bien supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger.

 

[16]  Il a ajouté :

 

À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l'arrêt Stevenson Jordan, précité, qu'il peut être impossible d'établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [TRADUCTION] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d'apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416). Je partage en outre l'opinion du juge MacGuigan lorsqu'il affirme -- en citant Atiyah, op. cit., p. 38, dans l'arrêt Wiebe Door, p. 563 -- qu'il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

[TRADUCTION] [N]ous doutons fortement qu'il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d'identifier les contrats de louage de services [...] La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

[17]  Je m’appuie également sur les propos du juge d’appel Décary dans l’affaire Charbonneau (précitée) quand, au nom de la Cour d’appel fédérale, il a dit ceci :

 

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il [...] y a [...] un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service. [...]. En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout. (Je souligne.)

 

[18]  Je me réfère également aux propos du juge Létourneau dans l'affaire Vulcain Alarme (précitée), où il a dit ceci :

 

[…] Ces critères jurisprudentiels sont importants mais, faut-il le rappeler, ils ne sauraient compromettre le but ultime de l'exercice, soit d'établir globalement la relation entre les parties [Voir Note 1 ci-dessous]. Cet exercice consiste à déterminer s'il existe entre les parties un lien de subordination tel qu'il faille conclure à l'existence d'un contrat de travail au sens de l'article 2085 du Code civil du Québec ou s'il n'existe pas plutôt entre celles-ci ce degré d'autonomie qui caractérise le contrat d'entreprise ou de service. [...]

 

[19]  En outre, je sais qu'à la suite des décisions récentes de la Cour d’appel fédérale dans les affaires Wolf c. Canada (C.A.), [2002] A.C.F. n° 375, et Precision Gutters Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2002] A.C.F. n° 771, un degré considérable de latitude semble maintenant exister dans la jurisprudence, ce qui permet aux consultants d’être engagés de façon à ne pas être considérés comme des employés comme ils l’auraient été auparavant. J’ai particulièrement à l’esprit les propos du juge Décary dans cette décision, où il a dit :

 

De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l'embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n'est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l'on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d'emploi, le peu d'égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité. (Je souligne.)

 

[20]  Il semble donc à cette cour que le mouvement du pendule tend vers une plus grande latitude pour les parties de régir leurs affaires dans le domaine de la consultation, leur permettant plus facilement de se considérer, sans interférence de la part des tribunaux ou du ministre, comme des entrepreneurs indépendants au lieu d’employés régis par un contrat de louage de services.

 

[21]  Pour conclure, il n’existe pas de formule bien établie. Tous ces facteurs entrent en considération et, comme le juge Major l’a dit dans l’affaire Sagaz (précitée), le poids de chacun dépend des faits et circonstances en l’espèce. Certains critères peuvent être neutres et s’appliquer également aux deux types de situations. Dans ce cas, il faut prendre au sérieux l'intention des parties, ce qui relève de la responsabilité du juge d’instance.

 

Agences de placement

 

[22]  Il faut noter que le libellé des deux textes législatifs (Loi sur l’assurance-emploi et Régime de pensions du Canada) diffère quelque peu. L’un n’est donc pas nécessairement inclusif de l’autre, même s’il existe des traits communs. Les règlements en question se lisent comme suit :

 

6.  Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

 

[…]

 

g)  l'emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l'agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l'agence.

 

Article 34 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada.

 

34(1) Lorsqu'une personne est placée par une agence de placement pour la fourniture de services ou dans un emploi auprès d'un client de l'agence, et que les modalités régissant la fourniture des services et le paiement de la rémunération constituent un contrat de louage de services ou y correspondent, la fourniture des services est incluse dans l'emploi ouvrant droit à pension, et l'agence ou le client, quel que soit celui qui verse la rémunération, est réputé être l'employeur de la personne aux fins de la tenue de dossiers, de la production des déclarations, du paiement, de la déduction et du versement des contributions payables, selon la Loi et le présent règlement, par la personne et en son nom.

 

(2) Une agence de placement comprend toute personne ou organisme s'occupant de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération.

 

[23]  Il faut noter qu'une « agence de placement » est définie dans le but d’assujettir certaines situations au Règlement sur le Régime de pensions du Canada. Cette définition ne s'applique pas partout. Il n’existe aucune définition de l'expression dans le Règlement sur l’assurance-emploi.

 

[24]  Dans l’affaire Computer Action Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1990] A.C.I. n° 101, le juge Bonner, C.C.I., a dit que l'expression devrait recevoir son sens ordinaire et être lue dans le contexte d' :

 

[...] un organisme s'occupant de faire correspondre des demandes de travail à des demandes de travailleurs. [...]

 

[25]  Le juge Teskey, C.C.I., dans l’affaire Rod Turpin Consulting Ltd. (Tundra Site Services) c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1997] A.C.I. n° 1052, a dit ceci :

 

L'appelante soutient qu'elle n'est pas une agence de placement et qu'il convient plutôt de la considérer comme un entrepreneur général. Je ne saurais accepter cela. Habituellement, aux termes des contrats qu'ils concluent avec des clients, les entrepreneurs généraux ont envers le client la responsabilité de mener à bien, d'une manière professionnelle, le projet prévu au contrat. Dans l'affaire qui nous intéresse, la seule responsabilité que l'appelante avait envers la Cominco était de fournir des travailleurs qualifiés, selon les stipulations de la Cominco.

L'appelante agissait comme une agence de placement en ce qui concerne ce travailleur. On demandait à l'appelante de fournir les services d'un compagnon électricien, ce qu'elle faisait. L'appelante payait l'électricien et imputait le salaire à la Cominco, ainsi que des honoraires.

 

[26]  Dans l'affaire Dyck c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. n° 852, j’ai statué ce qui suit :

 

Selon la thèse du ministre, Bigknife a agi dans cette situation comme agence de placement ou d'emploi. Le Règlement sur l'a.-e. en question a été modifié en 1997 et, par conséquent, la jurisprudence antérieure n'est pas particulièrement utile. Cependant, la logique du juge Teskey, dans l'arrêt Rod Turpin Consulting Ltd. [...] semble aussi pertinente aujourd'hui qu'elle l'était alors. Bigknife n'était pas un entrepreneur général. Elle n'était chargée que de fournir du personnel compétent. Il n'y avait pas d'honoraires individuels pour les différentes personnes embauchées, mais nul doute que cela était prévu dans le contrat général. M. Dyck se trouve donc à être assujetti à la direction et au contrôle de Fletcher dans la mesure où cela était nécessaire pour assurer ses services. La compagnie avait le droit de contrôler son travail. À mon avis, l'alinéa 6g) du Règlement sur l'a.-e. et l'article 34 du Règlement sur le RPC s'appliquent chacun à cette situation.

 

[27]  Je suis d’avis que, dans ces litiges, il existe un principe fondamental qui devrait vraiment simplifier la question pour les parties. J’ai traité de cela dans l’affaire Dataco Utility Services Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N., [2001] A.C.I. n° 372, dont je reprends maintenant le raisonnement. Il me semble que l’intention ou l’« essence » des règlements est de placer dans le panier des deux dispositifs sociaux créés par le Parlement les travailleurs (qu’ils soient employés en vertu d’un contrat de louage de services ou entrepreneurs indépendants en vertu d’un contrat d’entreprise), qui ont simplement conclu un contrat avec l’entité A prévoyant le versement d'honoraires ou d'une autre forme de rémunération, afin de faire du travail ou d'être placés dans un emploi sous la direction et le contrôle d’une entité tierce B. Par conséquent, ces travailleurs n’ont pas de contrat avec l’entité A pour faire du travail pour l’entité A dans le cadre de l’entreprise de celle-ci. En outre, l’entité A n’a pas de contrat avec l’entité B pour faire du travail pour l’entité B, à part lui fournir des effectifs en contrepartie d’honoraires ou d'une autre rémunération.

 

[28]  Cette situation me semble exclure de façon absolue et mutuelle tout arrangement par lequel un travailleur est engagé pour exécuter des services pour l’entité A dans le cadre de l’entreprise de celle-ci, ou par lequel l’entité A passe un contrat avec l’entité B pour exécuter des services pour l’entité B. Dans une telle situation, l’entité A ne fournit pas ou ne place pas d'effectifs, mais s’acquitte de son obligation contractuelle d’offrir ces services à l’entité B.

 

[29]  Par conséquent, la première question à se poser est celle de savoir si le travailleur s’acquitte de services pour l’entité A dans le cadre de l’entreprise de celle-ci, même si une partie de cette entreprise peut être pour l’entité A de fournir un service à l’entité B en vertu d'un contrat, ou si l’entité A fait simplement l'acquisition de personnel comme entreprise en tant que telle, sans aucun contrat d’entreprendre quoi que ce soit à part envoyer le travailleur à l’entité B pour traiter les affaires de l’entité B, quelles qu’elles soient. Il faut simplement se demander ceci : l’entité A s’est-elle engagée à fournir un service à l’entité B à part simplement fournir du personnel? L’entité A est-elle tenue de s’acquitter d’un service hormis fournir du personnel? Si la réponse est affirmative, c’est clairement une entreprise indépendante, tout comme un entrepreneur général dans un chantier, et le travailleur n’est couvert par le Règlement d’aucune des deux lois. Si, toutefois, la réponse est négative, c’est-à-dire qu’elle n’est pas tenue de prodiguer un service autre que de fournir du personnel, le travailleur dans cette situation est couvert par le Règlement en vertu des deux lois, cela est clair.

 

[30]  La question telle que je la conçois n'est pas seulement de savoir qui est le récipiendaire ultime du travail ou des services fournis, car cela engloberait toutes les situations possibles de sous-traitance, mais plutôt de savoir qui s’est engagé à fournir le service. Si l’entité qui est prétendument l’agence de placement s’est engagée à fournir un service en dehors de la fourniture de personnel, elle ne place pas des effectifs mais fournit ce service, situation qui n’est pas prévue par le Règlement.

 

[31]  Je renvoie à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, C.A.F., n° A-376-98, 11 mai 1999 (249 N.R. 1) où je trouve une analogie, puisque le même principe est clairement énoncé relativement à la question de savoir si un sous-entrepreneur devient un employé dans certaines situations. Le juge Létourneau a dit ceci :

 

[...] Un entrepreneur par exemple qui travaille en sous-traitance sur un chantier ne dessert pas ses clients, mais ceux du payeur, i.e., l'entrepreneur général qui a retenu ses services. Le fait que M. Blouin ait dû se présenter chez la demanderesse une fois par mois pour prendre ses feuilles de service et ainsi connaître la liste des clients à servir et, conséquemment, le lieu d'exécution de la prestation de ses services n'en fait pas pour autant un employé. L'entrepreneur qui exécute des tâches pour une entreprise, tout comme l'employé dans un contrat de travail, doit connaître les lieux où ses services sont requis et leur fréquence. La priorité d'exécution des travaux requise d'un travailleur n'est pas l'apanage d'un contrat de travail. Les entrepreneurs ou sous-entrepreneurs sont aussi souvent sollicités par divers clients influents qui les forcent à établir des priorités quant à leur prestation de services ou à se conformer à celles qu'ils dictent.

 

[32]  Le simple fait que les sous-entrepreneurs qui concluent un contrat avec l’entité A doivent se conformer aux exigences de l’entité B ne met pas en soi ces personnes sous la direction et le contrôle de l’entité B, non plus qu’il ne fait de l’entité B un client de ces personnes.

 

[33]  Dans l’arrêt Wolf (précité), je note que les déductions obligatoires étaient faites pour le Régime de pensions du Canada et l’assurance-emploi et que, même s'il est tout à fait clair que Kirk‑Mayer était une agence de placement, la décision était fondée sur l’obligation fiscale du travailleur appelant et ne renvoyait pas aux règlements relativement à la façon de classer le travail du point de vue de l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, exclusion faite de toute question d’obligation fiscale en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Autrement dit, les arrangements pour les déductions obligatoires en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada ne semblent pas avoir été infirmés par la Cour d’appel fédérale dans cet arrêt.

 

[34]  Par conséquent, pour résumer mon opinion, il n’est pas important de savoir si la situation vise un contrat de louage de services ou un contrat d’entreprise. Si le travailleur est placé par l’agence de placement sous le contrôle du client ou accomplit une tâche dont les conditions sont analogues à celles d’un contrat de louage de services pour le client, même si l’arrangement passe pour un contrat d’entreprise, ce travail est, selon moi, couvert par les règlements de telle sorte qu’il relève des dispositifs sociaux mis en place par les Lois, c’est-à-dire que c’est un emploi assurable ouvrant droit à pension. Si, toutefois, l’entité A passe un contrat avec l’entité B afin de fournir un service (à part fournir du personnel) et puis passe un contrat en sous-traitance avec un travailleur pour fournir l’ensemble ou une partie de ce service pour lequel l’entité A est responsable, le travailleur est assujetti aux règlements.

 


Les faits

 

[35]  Pour parvenir à ses diverses décisions, le ministre s’est apparemment fondé sur les faits suivants dans les réponses respectives aux avis d’appel (extraits du dossier no 2001-2468(EI), l’appel de McMorran), auxquels j’ai ajouté entre parenthèses si les appelantes étaient d’accord ou non. Voici les hypothèses de fait :

 

  [TRADUCTION]

 

13(a)  L’appelante exploite une entreprise qui s’occupe de fournir du personnel pour des dégustations de produits. (Convenu)

 

(b)  L’appelante a obtenu des contrats de fabricants de produits (ci-après « le client ») afin de faire déguster leurs produits dans les magasins. (Convenu)

 

(c)  Le client fixait le lieu, la date et l’heure de la démonstration. (Convenu dans la mesure où le contrat établissait la date, l’heure et le lieu avec McMorran)

 

(d)  Les travailleuses étaient engagées comme démonstratrices de produits, et elles avaient pour tâche, notamment, d’installer des tables de dégustation dans le magasin, de découper le produit à essayer, de distribuer des échantillons, de donner conseils aux clients sur le produit et de distribuer des bons d’achat. (Convenu)

 

(e)  Les travailleuses s’acquittaient de ces services à différents magasins. (Convenu)

 

(f)  Le client était en contact avec les magasins et déterminait l’emplacement du travail. (Convenu; dans le cas du programme de Safeway, le client était propriétaire des magasins)

 

(g)  Le client décidait combien de temps démontrer chaque produit. (Convenu; il établissait la fourchette horaire, et la travailleuse allait et venait à sa guise pendant cette période)

 

(h)  L’appelante obtenait et distribuait le travail. (Convenu)

 

(i)  Les travailleuses ne contrôlaient pas leurs journées et leurs heures de travail. (Contesté)

 

(j)  Les travailleuses devaient prendre note de leurs heures et soumettre à l’appelante un rapport de dégustation des produits. (Partiellement convenu; les travailleuses soumettaient un rapport de dégustation des produits à l’appelante pour confirmer que la séance avait eu lieu de telle à telle heure correspondant à l’horaire convenu par contrat entre McMorran et le client et entre McMorran et la travailleuse.)

 

(k)  Les travailleuses recevaient un montant selon un taux horaire fixe. (Convenu)

 

(l)  Les travailleuses recevaient un montant horaire supplémentaire si elles fournissaient leurs propres appareils. (Convenu)

 

(m)  L’appelante établissait le salaire des travailleuses. (Contesté; c’était négocié entre McMorran et la travailleuse au cas par cas.)

 

(n)  Les travailleuses étaient payées par chèque une fois par semaine. (Convenu et contesté. Les travailleuses étaient payées après avoir soumis leurs rapports respectifs.)

 

(o)  Les travailleuses ne facturaient pas l’appelante. (Convenu)

 

(p)  Les travailleuses ne se faisaient pas remplacer et n’engageaient pas d’aides. (Convenu, mais d’après la preuve, elles avaient le droit de le faire si elles le voulaient.)

 

(q)  L’appelante rendait des comptes au client. (Convenu)

 

(r)  Le client remettait aux travailleuses des fiches d’information sur les produits. (Convenu)

 

(s)  Le gérant du magasin pouvait passer en revue le travail des travailleuses. (Contesté)

 

(t)  L’appelante et/ou le client pouvait également passer en revue le travail des travailleuses. (Convenu)

 

(u)  Les travailleuses devaient se conformer au code vestimentaire du magasin. (Partiellement convenu; dans certains cas, il y avait un code vestimentaire, comme celui du programme de dégustation de viande chez Safeway. Dans d’autres cas, McMorran exigeait, dans ses instructions aux démonstratrices, le port du chemisier blanc, du pantalon noir et des chaussures noires, et interdisait les souliers de course.)

 

(v)  Les travailleuses ne décidaient pas du lieu de travail. (Convenu)

 

(w)  Le client fournissait le produit. (Convenu)

 

(x)  Les travailleuses fournissaient leur propre outillage comme les bols, pichets, ustensiles, assiettes, ouvre-boîte, planches à découper, chiffons à vaisselle, produits de nettoyage et tables de démonstration. (Convenu)

 

(y)  Parfois, les travailleuses fournissaient leurs propres appareils électroménagers, par exemple un four grille-pain, auquel cas elles recevaient une rémunération en sus. (Convenu)

 

(z)  Parfois, le client faisait installer une table de démonstration spéciale ou un four à micro-ondes. (Convenu)

 

(aa)  Les travailleuses n’avaient aucun risque de perte. (Contesté)

 

(bb)  Les travailleuses n’avaient aucune possibilité de profit. (Contesté)

 

(cc)  Les travailleuses ne faisaient pas payer la TPS à l’appelante. (Convenu; elles ne gagnaient pas assez d’argent pour avoir un numéro de TPS.)

 

(dd)  L’appelante plaçait les travailleuses afin qu'elles accomplissent des services pour les clients de l'appelante. (Contesté)

 

(ee)  Les travailleuses étaient sous la direction et le contrôle des clients de l’appelante. (Contesté)

 

(ff)  L’appelante payait les travailleuses. (Convenu)

 

(gg)  Le salaire payé par l’appelante aux travailleuses pour la période [l’objet de ces appels] est indiqué en détail dans les Annexes qui accompagnent les réponses aux avis d’appel et en font partie. (Convenu à condition de dire qu’il s’agit de rémunération et non de salaire.)

 

[36]  Il y avait une hypothèse de fait additionnelle dans l'appel de Pauline Bakken, c'est-à-dire :

 

11(e)  L’appelante travaillait pour la payeuse depuis 1985. (Convenu)

 

[37]  McMorran a témoigné en son propre nom. Je ne doute pas qu’il s’agisse d’un témoin foncièrement sincère et crédible. C’est de toute évidence une personne intègre. Certaines des travailleuses ont également témoigné et, ici encore, même si certaines d’entre elles ne savaient pas exactement comment interpréter leurs situations respectives, il s’agissait en tous cas de témoins sincères et crédibles.

 

[38]  Dans une grande mesure, le témoignage de vive voix était compatible avec les hypothèses de fait formulées par le ministre. McMorran contestait certaines d’entre elles. Elle a pu préciser considérablement son opposition, tout comme les autres témoins, mais, en fait, les parties ne sont pas foncièrement en désaccord sur les faits, mais plutôt sur les conclusions qu’il convient d’en tirer.

 

[39]  Je rends particulièrement hommage aux deux avocats qui ont résumé les faits dans leurs conclusions de façon concise et admirable, l’avocat des appelantes dans son mémoire écrit et l’avocate du ministre dans son sommaire oral cohérent.

 

[40]  McMorran a témoigné qu’elle était propriétaire unique de cette entreprise depuis 22 ans. Ce n’est pas une grande entreprise, mais j’ai l’impression qu’elle est stable depuis des années. Quand elle a reçu son évaluation pour l’année 1999, elle a vu qu’elle représentait 20 % de son revenu pour l’année, ce qui l’a grandement inquiétée.

 

[41]  Elle a expliqué que, dans le cadre de son entreprise, elle négociait des contrats en vue de mettre sur pied des séances de dégustation d’échantillons de nourriture dans plusieurs supermarchés d’Edmonton. Elle négociait ces contrats, parfois avec les producteurs alimentaires eux-mêmes, ou avec leurs courtiers, parfois directement avec les magasins, comme dans le programme de dégustation de viande chez Safeway, et parfois avec d’autres agences de démonstrations, comme Sara Consulting & Promotions Inc. En effet, 50 % de ses affaires en 1999 représentaient le fruit d’une collaboration avec Sara Consulting dans le cadre du programme de dégustation de viande chez Safeway, objet de la décision Sara Consulting du juge Bell (précitée).

 

[42]  En termes de pourcentages, 25 % de son temps était consacré à ces négociations, notamment trouver de bons produits à promouvoir et de bons emplacements pour les séances de dégustation. Elle obtenait des renseignements au sujet du produit pour répondre aux questions éventuelles des clients. Le reste du temps (75 %), elle organisait des séances de dégustation des produits par les travailleuses aux emplacements qu’elle réservait.

 

[43]  À cet égard, elle avait engagé les travailleuses qui sont visées par cette affaire. Elle avait dressé une longue liste de personnes pouvant effectuer ce travail pour elle, qui lui étaient pour la plupart référées par le bouche-à-oreille. Une centaine de personnes ont travaillé pour elle pendant cette période de deux ans. Elle ne passait pas d’annonces pour les recruter. Elle travaillait de son bureau à la maison. Quand elle engageait les travailleuses, elle leur donnait le nom du produit et l’adresse du magasin. La plupart d’entre elles avaient de l’expérience et savaient comment obéir aux instructions. Elles se rendaient au magasin à l’heure convenue. Au magasin, on savait en général d’avance qu’une séance de dégustation allait avoir lieu. Les travailleuses s’adressaient au chef du rayon approprié, qui mettait à leur disposition le produit en question. Elles comptaient leur stock au début et à la fin de chaque séance pour que le magasin sache combien de produit avait été utilisé et puisse le débiter en conséquence. Le magasin, de toute évidence, avait intérêt à promouvoir le produit, car cela augmentait ses ventes tout comme celles du producteur. Par conséquent, le chef de rayon et la travailleuse collaboraient pour trouver l’emplacement le plus favorable. D’après la preuve, j'estime que ce n'était pas exactement une question de contrôle, mais de bon sens et de coopération, de travailler ensemble pour atteindre la meilleure efficacité possible.

 

[44]  Quand les travailleuses étaient engagées par McMorran pour la première fois, elle les rencontrait, leur expliquait le processus de la démonstration et leur faisait signer un contrat type qui variait parfois un peu, mais qui, en 1999, contenait les éléments de base suivants (pièce A-1) : 

 

[TRADUCTION]

 

1.  À titre de personne travaillant à mon compte, j’offre mes services selon les besoins.

 

2.  Je recevrai une rémunération horaire et je serai responsable de la tenue de dossiers pour le fisc et aux fins du Régime de pensions du Canada.

 

3.  Je ne recevrai pas d’avantages sociaux.

 

4.  Puisque je travaille à mon compte, je ne suis pas admissible à l’assurance-chômage.

 

5.  McMorran & Associates Demonstration Agency n’est pas inscrite à la commission des accidents du travail.

 

6.  McMorran & Associates Demonstration Agency

 

-  indique les lieux de travail

-  fournit l’information nécessaire

-  verse une rémunération pour le travail effectué.

 

7.  Je fournirai des formulaires remplis et signés par une personne responsable à l'emplacement du travail et je retournerai ces formulaires selon les modalités prévues. Je me munirai d’un ensemble de démonstration contenant les fournitures requises : carnet de notes, stylo, ruban, ciseaux, et l’équipement de cuisson requis pour la démonstration.

 

8.  Le cas échéant, je devrai passer prendre ou déposer les matériaux ou fournitures.

 

9.  J'ai suivi ou je suivrai le cours de manipulation des aliments.

 

10.  Je dois me conformer au code de comportement et au code vestimentaire de McMorran and Associates Demonstration Agency.

 

[45]  Au moment de signer le contrat, d'après ce qu'elle a dit, les travailleuses pouvaient poser des questions à son sujet, et elles le signaient toutes, soit à son bureau, soit plus tard, après l’avoir examiné chez elles. D’après les témoignages, il semble que les travailleuses n’ont pas subi de pressions à cet égard. McMorran n’est visiblement pas ce genre de personne. Toutefois, elle leur a fait clairement comprendre que c’était là les modalités selon lesquelles elle entendait retenir leurs services. De toute évidence, elle avait l’intention de passer des contrats d’entreprise avec des entrepreneurs indépendants.

 

[46]  McMorran fournissait également aux travailleuses une liste intitulée « Demonstrator Instructions » (Pièce A-2), expliquant ce qu’on attendait d’elles pendant la séance de dégustation. D’après moi, il s’agit tout simplement d’établir ce qu’elles devaient faire pour se conformer à ses obligations contractuelles envers le client, avec quelques renseignements standard pouvant sans doute aider les nouvelles démonstratrices. À mon avis, c’est comparable aux plans que l’entrepreneur général remet à un sous-entrepreneur sur un chantier.

 

[47]  Même si les contrats standard tels que celui-là ont été parfois condamnés par cette cour comme étant fictifs, le juge Mogan, dans l’affaire Shaw Communications Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.I. n° 314, s’est exprimé ainsi :

 

Le libellé de ce paragraphe laisse transparaître la puissance d'une grande société qui exigeait qu'un groupe de personnes signent un document type (rédigé par la société) avant qu'elles soient autorisées à lui fournir des services et à être payées par elle. Les modalités de l'accord n'ont pas été négociées entre Shaw et un propriétaire-exploitant potentiel. Chaque propriétaire-exploitant potentiel devait signer le document et n'avait d'autre choix que de le considérer comme un fait accompli. Il n'existait pas d'égalité au niveau de la négociation entre Shaw et un propriétaire-exploitant potentiel.

La déclaration relative au statut dans les accords de propriétaire-exploitant sert les intérêts de Shaw, qui a rédigé le document, mais le statut déclaré d'« entrepreneur indépendant » n'est pas étayé par beaucoup d'éléments de preuve. La majorité de la preuve laisse entendre qu'il existait une relation employeur-employé. Selon moi, les accords de propriétaire-exploitant figurant sous la cote A‑2 représentent collectivement un camouflage ou une façade, qui visaient à faire passer un groupe de personnes pour des entrepreneurs indépendants alors qu'elles étaient en réalité des employés de Shaw. Ces accords font plus de mal que de bien à l'appel en l'instance de Shaw.

 

Dans l’affaire qui nous occupe, il est clair que ce n’était pas le cas, mais qu’il s’agit simplement de l’énoncé des principes selon lesquels McMorran voulait engager ses travailleuses.

 

[48]  Les témoignages des travailleuses dans cette affaire font clairement ressortir qu’elles comprenaient et acceptaient les termes du contrat. Il ne s’agit pas d’une grande société, et il n’y avait pas de déséquilibre des pouvoirs de négociation entre les parties. L’une des travailleuses ne comprenait pas bien sa situation, et l’autre pensait qu’elle était une employée. Je parlerai de leurs témoignages plus loin dans ces motifs. Toutefois, je suis convaincu que les travailleuses ne subissaient pas de pressions déraisonnables. Tout simplement, des conditions d’engagement étaient offertes aux travailleuses et, pour la plupart, elles étaient tout à fait disposées à offrir leurs services selon ces modalités. Je comprends bien que la plupart d’entre elles n’ont pas de connaissances poussées dans le domaine des contrats d’entreprise, mais je pense qu’elles avaient toutes une bonne idée de leurs conditions d’engagement à titre de personnes travaillant à leur compte et que cela leur convenait.

 

[49]  Elles n’avaient besoin que de très peu de formation, voire pas du tout. Le bureau d’hygiène local exigeait qu’elles obtiennent un certificat sur la manipulation des aliments, les obligeant à suivre un cours de brève durée. Il semble que les travailleuses aient suivi ce cours à leurs frais.

 

[50]  Quand une travailleuse était affectée à une séance de dégustation, elle était pas mal laissée à ses propres moyens. C’était à elle de décider comment structurer sa présentation, compte tenu des préférences de chaque magasin. Elle apportait ses menus articles, par exemple une poêle à frire, un four grille-pain, des cuillères et spatules, des serviettes, un ouvre-boîte, des gants en plastique, des planches à découper, des assiettes, des plats, du savon, des stylos et des crayons, matériel dont la valeur pouvait atteindre quelque 300 $. McMorran ne remboursait pas le prix de ces articles. Si McMorran fournissait des articles plus importants, comme un four ou une grande poêle électrique, c’était directement facturé au client ou prêté par lui. Les travailleuses pouvaient déterminer l’heure de la pause pour elles-mêmes au magasin, et même s’il leur fallait passer toute la journée sur les lieux, elles pouvaient aller et venir à leur guise. Elles pouvaient également modifier les heures de dégustation si cela leur semblait bon, et il leur suffisait de prévenir le chef du rayon. Le gérant du magasin ou le chef du rayon leur demandait de temps à autre si tout allait bien, mais je ne pense pas que ce soit là de la supervision, mais plutôt une façon de garder le contact avec la travailleuse. De même, McMorran pouvait se rendre occasionnellement à un magasin pour y voir une démonstratrice. Ici encore, je ne pense pas que ce soit une façon de contrôler les travailleuses, mais plutôt une manière d’entretenir ses rapports avec elles.

 

[51]  D’après McMorran, une travailleuse pouvait se faire remplacer, mais je pense qu’à cet égard, son témoignage n’est pas très convaincant. En effet, la travailleuse devrait alors trouver dans la liste de McMorran une autre personne qui serait rémunérée par McMorran. Les travailleuses n’étaient pas vraiment en mesure d’embaucher leurs propres travailleuses ou de céder le travail en sous-traitance selon la véritable acception du mot.

 

[52]  De toute évidence, les travailleuses étaient libres d’accepter ou de refuser des séances de dégustation à leur gré. Le fait qu’elles pouvaient faire ce choix signifie qu’elles étaient responsables de la gestion de leur temps. Elles pouvaient également travailler pour d’autres agences en même temps que pour McMorran et, en fait, certaines d’entre elles le faisaient.

 

[53]  Pour confirmer que la démonstration avait eu lieu, on demandait à un préposé du magasin de remplir le rapport de démonstration. Il fallait également que McMorran et le magasin comptabilisent les produits utilisés au cours de la démonstration, et la travailleuse avait un chèque en blanc de McMorran pour rembourser cette dépense.

 

[54]  McMorran n’exigeait pas que les travailleuses portent un uniforme comme c'était le cas dans l'affaire Sara Consulting. Il pouvait arriver qu’un magasin demande que les démonstratrices s’habillent toutes de la même façon, par exemple en pantalon noir et chemisier blanc, avec un nœud papillon, etc. Il est bon de remarquer que, dans le cadre du programme conjoint de dégustation de viande chez Safeway, mené en collaboration avec Sara Consulting, toutes les démonstratrices, y compris celles engagées par McMorran, portaient des tabliers arborant le nom Sara Consulting. Tous les magasins demandaient que les démonstratrices portent des insignes permettant de les identifier. Cette exigence faisait partie du contrat avec McMorran. En outre, McMorran demandait, dans les instructions aux démonstratrices, que ces dernières portent un pantalon noir, un chemiser blanc et des chaussures noires. D’après moi, il ne s'agit pas d’un élément de contrôle, mais d’un aspect de la tenue professionnelle à laquelle s’attendaient les clients qui passaient des contrats avec McMorran.

 

[55]  Il ressort également du témoignage de McMorran que, si elle n’était pas satisfaite de la prestation d’une démonstratrice, elle ne faisait bien simplement plus appel à ses services. Elle n’avait pas besoin de la mettre à la porte, seulement de ne plus avoir recours à ses services. Les travailleuses n’avaient donc aucune sécurité d’emploi.

 

[56]  L’ensemble des témoignages fait ressortir qu’en général, les travailleuses recevaient leur rémunération deux semaines après chaque démonstration. Conformément au contrat passé avec les travailleuses, aucune retenue n’était faite pour les impôts, les cotisations d’assurance-emploi ou les cotisations au Régime de pensions du Canada. De même, la TPS n’était pas payée, car aucune des travailleuses ne faisait plus de 30 000 $ par année. Elles ne recevaient pas d’indemnités de congés payés et ne jouissaient d’aucun autre avantage social. Il n’y avait ni avantages indirects, ni activités sociales pour les travailleuses. Elles recevaient tout simplement le montant convenu pour les séances de dégustation qu’elles donnaient.

 

[57]  Les travailleuses avaient le choix de se rendre ou non en véhicule à leurs lieux de démonstration. Il n'était pas nécessaire qu'elles disposent d'un véhicule.

 

[58]  La rémunération était calculée à l’heure. Les travailleuses en négociaient le taux avec McMorran. Les travailleuses ayant plus d’expérience recevaient un meilleur taux. La fourchette des taux semble se situer entre 7,50 $ et 9,00 $ de l’heure. J’ai remarqué, en particulier, que les travailleuses négociaient le montant avec McMorran, et que celui-ci dépendait de leur expérience et de leur habileté à négocier.

 

[59]  McMorran avait souscrit une assurance de responsabilité civile. Les travailleuses n’étaient pas couvertes par une assurance individuelle. D’après les témoignages, je présume que, si elles avaient été employées en vertu de contrats de louage de services, elles auraient été couvertes par sa police d’assurance relativement à la responsabilité du fait d’autrui (comme elle), mais non si elles étaient des entrepreneurs indépendants.

 

[60]  McMorran a expliqué qu’en 1999, la moitié de son entreprise consistait à participer au programme de dégustation de viande chez Safeway, en collaboration avec Sara Consulting, mais qu’en 2000, elle avait abandonné ce programme qui lui semblait trop astreignant, pour recommencer à travailler de manière entièrement indépendante.

 

[61]  Nous avons entendu le témoignage d’une des travailleuses, Ann Lee. Cette dernière se considérait visiblement comme un sous-entrepreneur, et elle était parfaitement satisfaite de cela. Elle avait travaillé chez Safeway pendant 25 ans comme caissière, et elle savait en quoi consistaient un emploi à temps partiel et un emploi à temps plein. Sa relation avec McMorran, elle la voyait d’un œil différent. Elle s’acquittait du même genre de tâche pour Sara Consulting également. Elle a expliqué que, parfois, elle préparait les produits de la dégustation de sa façon afin de les rendre plus appétissants pour les clients. Elle acceptait ou refusait des affectations à sa guise. Elle n’avait pas l’impression qu’on évaluait son travail ou qu’on lui disait comment l’accomplir. Elle prenait ses affectations chez McMorran et s’acquittait de sa tâche à sa guise. Elle ne rendait de comptes à personne. Sa table et ses ustensiles lui appartenaient. Elle recevait 9,00 $ de l’heure pour ses services. Elle a dit qu’il n’y avait pas de contrat écrit, ce qui ne l’empêchait pas de bien comprendre l’arrangement qu’elle avait pris avec McMorran.

 

[62]  Pauline Bakken a témoigné. Elle se considérait également comme un sous-entrepreneur, et non comme une employée. Elle avait travaillé dans le domaine de la dégustation alimentaire pendant 30 ans et, de toute évidence, avait beaucoup d’expérience. Elle avait déjà travaillé à contrat pour le Northern Alberta Dairy Pool, et elle comprenait bien la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant. Elle non plus n’avait pas de contrat écrit avec McMorran. Elle trouvait qu’on lui donnait les coudées franches quant à la présentation des produits. Elle a décrit une séance de dégustation essentiellement dans les mêmes termes qu’avait utilisés McMorran. En 1999, elle a travaillé pour plusieurs organismes, y compris Élections Canada et un bureau de marketing. Elle estimait qu’elle était libre de travailler pour un concurrent de McMorran quand elle le voulait. Elle était libre d’accepter ou de refuser les affectations à sa guise. Si le lieu ou l’heure ne lui plaisaient pas, elle refusait l’affectation. Elle trouvait que personne ne lui disait comment préparer sa démonstration. Elle changeait les recommandations du fabricant s’il lui semblait préférable de le faire. Elle n’était pas du tout évaluée par le magasin. Certes, elle portait un insigne « McMorran Associates ». Elle recevait 9,00 $ de l’heure. Elle a dit que McMorran lui avait offert 8,00 $ de l’heure, qu’elle avait refusé, puis 8,50 $, et enfin 9,00 $. Elle était donc, de toute évidence, capable de négocier sa rémunération avec McMorran.

 

[63]  Monica Dijker a témoigné. Elle avait été appelée pour témoigner au nom du ministre. Elle avait également été engagée pour faire des démonstrations pour McMorran en 1999. Elle n’avait encore jamais travaillé comme démonstratrice, et McMorran lui avait donc expliqué, lors de leur première rencontre, ce qu’on attendait d’elle. Elle a signé un contrat. Elle dit l’avoir lu mais sans savoir ce que c’était. Elle se rappelle avoir lu le mot [TRADUCTION] « autonome », mais, à la fin de l’entrevue, elle pensait avoir été embauchée comme employée. Elle notait ses heures. Si elle utilisait ses propres électroménagers, elle facturait cette utilisation à McMorran. Elle ne pensait pas avoir négocié le montant de sa rémunération avec McMorran. On lui a seulement dit que ce serait 8,00 $ de l’heure. Elle ne refusait jamais du travail. Elle allait là où McMorran l’affectait. Elle n’a jamais demandé à quelqu’un d’autre de la remplacer si elle ne pouvait se rendre elle-même, mais elle appelait McMorran qui s’occupait de trouver quelqu’un. Elle dit n’avoir découvert que plus tard qu’elle pouvait trouver quelqu’un pour la remplacer. Pour le programme Safeway, elle signalait sa présence au chef du rayon des viandes, qui lui disait où s’installer et où brancher ses appareils.

 

[64]  Ce témoin a également travaillé pour Sara Consulting et a d’ailleurs suivi le cours en manipulation des aliments pendant qu’elle travaillait pour cette agence.

 

[65]  Elle n’avait souscrit aucune assurance. Elle portait un tablier de Sara Consulting et un insigne de McMorran quand elle travaillait pour le programme Safeway.

 

[66]  Elle estimait qu’on pouvait la renvoyer si elle ne faisait pas ses démonstrations correctement et, en somme, pensait qu’elle était une employée. Elle avait déjà travaillé à son compte auparavant et elle pensait connaître la différence entre les deux situations.

 

[67]  Delorraine Kowalski a également témoigné. Elle aussi travaillait pour McMorran comme démonstratrice. Elle avait signé un contrat. Elle comprenait que le terme « sous-traitance » signifiait qu’elle travaillait à son compte. Elle estimait que les démonstratrices suivaient tout simplement les instructions de McMorran, spécialement en ce qui concerne les directives du chef du rayon des viandes au magasin. Elle avait réglé le coût du cours en manipulation des aliments. On la payait toutes les deux semaines. Elle recevait 8,00 $ de l’heure. Apparemment, McMorran lui avait offert 7,00 $ de l’heure, mais le témoin avait exigé 8,00 $, tarif qui avait fini par être accepté. C’est encore une fois la preuve que des négociations avaient eu lieu. Elle estimait qu’elle ne pouvait envoyer de remplaçante mais qu’il lui fallait appeler McMorran pour cela. Ses frais de déplacement n’étaient pas remboursés. Elle estimait qu’elle pouvait être renvoyée. Elle n’aurait pas donné de préavis si elle avait décidé d’arrêter. Elle pensait qu’elle était à la fois une employée et un sous-entrepreneur. Comme elle le disait, [TRADUCTION] « c’était ambigu » et « on était l’un et l’autre à la fois ». Elle travaillait pour d’autres personnes pendant la même période. Elle estimait avoir travaillé à contrat pendant six heures à un moment donné.

 

[68]  De toute évidence, le témoin ne voyait pas sa situation réelle d’une façon claire et précise.

 

[69]  Kevin Kennedy, l’un des chefs du rayon des viandes qui participait au programme de dégustation de viandes chez Safeway, a également témoigné. Sa principale préoccupation, me semble-t-il, était que les démonstratrices ne soient pas considérées comme des employées de Safeway. Il a insisté sur le fait qu’il ne supervisait pas les démonstratrices. S’il n’était pas satisfait de la démonstration, il communiquait avec Sara Consulting, qui appelait alors McMorran lorsque la plainte concernait l’une de ses travailleuses. Il a admis qu’il signait le rapport de dégustation pour confirmer que la séance avait bien eu lieu. Il ajoutait les commentaires positifs qu’il pouvait avoir. Il a dit que Safeway avait un code vestimentaire pour ses employés et que des lignes directrices avaient été établies pour les tiers qui travaillaient dans le magasin afin qu’ils suivent un code vestimentaire. Il voulait que les démonstratrices dans son magasin aient une tenue professionnelle. Dans l'ensemble, son témoignage fait ressortir l’absence ou la quasi-absence de contrôle sur les démonstratrices. Il assurait le lien et veillait à ce qu’elles aient dans le magasin un comportement et une tenue dignes de professionnelles.

 

[70]  Ce sont les principaux faits que je tire des témoignages. Je comprends la confusion qui régnait dans l’esprit de Delorraine Kowalski et je constate que Monica Dijker se considérait comme une employée, mais, en général, je suis impressionné par les témoignages de Pauline Bakken et d’Ann Lee, des travailleuses de longue date qui semblent bien comprendre la nature de leur travail et les conditions dans lesquelles elles avaient été engagées. Elles étaient beaucoup plus décisives dans leur façon de se présenter et je préfère accepter leurs témoignages lorsqu’ils sont différents des autres en ce qui concerne la manière dont les démonstrations étaient organisées et menées.

 

Application des facteurs aux témoignages

 

[71]  Bien que le besoin de revoir le test des quatre critères établis dans l’arrêt Wiebe Door (précité) soit maintenant peut-être un peu moins pressant à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sagaz (précitée), j’estime que cela reste un exercice utile. La Cour d’appel fédérale était du même avis dans l’arrêt Wolf (précité) et l’arrêt Precision Gutters (précité). Bien entendu, chaque volet du test peut poser des difficultés, mais les critères peuvent tout de même s’avérer plus ou moins utiles, selon le cas, pour un juge d’instance.

 

[72]  Il faut clairement comprendre que, même si les parties décident d’attribuer une appellation à leurs rapports, si la nature et la substance véritables de l’arrangement ne concordent pas avec cette appellation, c’est la substance que la Cour doit considérer. Ce principe juridique n’a pas changé (voir Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 ([1999] S.C.J. No. 30)). Cela dit, on doit également dire que, si les parties décident en toute sincérité d’organiser leurs rapports de travail de telle ou telle façon, il n’appartient pas au ministre ou à la Cour de nier ce choix. Il faut prendre en considération la méthode choisie par les parties, et si l’ensemble de la preuve ne donne aucune raison valable de nier le titre choisi par les parties, il faut le laisser tel quel. Les arrêts Wolf et Precision Gutters appuient cette assertion.

 

[73]  En l’espèce, McMorran a clairement expliqué aux travailleuses qu’elle voulait établir des rapports d’entrepreneur indépendant avec chacune d’entre elles. J’accepte son témoignage et celui d’Ann Lee et de Delorraine Kowalski à cet effet. Cette explication faisait partie de la première discussion avec chaque travailleuse, avant leur engagement, et elle figurait également dans les contrats écrits de celles qui en signaient. Il est vrai que Monica Dijker se considérait encore comme une employée, tout comme Delorraine Kowalski. Cette dernière ressentait de la confusion à ce sujet, mais les autres travailleuses comprenaient clairement les modalités de leur engagement comme entrepreneurs indépendants et je préfère accepter leurs témoignages à cet égard.

 

[74]  Par conséquent, en l’absence de tout motif de nier l’arrangement choisi, comme de conclure qu’il s’agissait en fait d’une imposture ou que ce n’était pas vraiment un contrat d’entreprise, il faut en tenir compte. Si ce n’était pas clair auparavant, ce l’est devenu amplement depuis les motifs des arrêts Wolf et Precision Gutters.

 

[75]  Contrôle : Relativement à l’application traditionnelle de ce critère, on dit toujours que ce n’est pas tant le contrôle effectif que le droit de contrôler qu’il est important à la Cour de considérer. Plus une personne est professionnelle et compétente, ou plus d’expérience elle a dans son domaine, moins il est probable de voir un contrôle effectif, ce qui pose des problèmes dans l’application de ce critère. En effet, comme l’a indiqué le juge Major dans l’arrêt Sagaz (précité), il peut y avoir moins de contrôle dans le cas d’un employé professionnel compétent que dans celui d’un entrepreneur indépendant. Malgré tout, c’est un facteur qu’il faut soupeser.

 

[76]  En l’espèce, j’estime qu’il y avait une absence ou quasi-absence de contrôle de fait sur les travailleuses de la part de McMorran. Elle passait des contrats avec les magasins ou les producteurs en vue de démontrer leurs produits à telle date, telle heure et tel endroit. Ce n’était pas une question de contrôle. C’est l’essence même du travail qu’elle s’engageait par contrat à exécuter. Le fait qu’elle transmettait aux travailleuses les demandes de ses mandants et les spécifications de ses contrats ne constitue pas un élément de contrôle sur les travailleuses. C’était la nature du travail lui-même. En outre, les témoignages montrent qu’elles pouvaient organiser les démonstrations à leur guise, et même qu’elles pouvaient personnaliser leur travail.

 

[77]  De même, les communications avec les gérants de magasin ou avec les chefs de rayon relativement à l’endroit où installer le matériel dans le magasin ne constituent pas une forme de contrôle. Même si ces gérants ou chefs devaient parfois signer une feuille attestant du fait que la séance de dégustation avait eu lieu, j’estime qu’ils n’exerçaient pas un contrôle sur la façon dont les travailleuses organisaient leurs tâches. Ils venaient les voir par politesse, parfois pour demander si tout allait bien. De même, à l’égard des codes vestimentaires, si on peut les désigner ainsi, c’était ici encore une question de respecter une condition du contrat principal, c’est-à-dire de mener la séance de dégustation d’une façon professionnelle.

 

[78]  J’ai remarqué que les travailleuses modifiaient les recettes, qu’il leur arrivait de changer leurs heures, et qu’elles allaient et venaient à leur guise. La question du cours de manipulation des aliments ne sert qu'à détourner l'attention de la question principale. Tout professionnel doit détenir un permis pour exercer sa profession. C’était une exigence imposée par le bureau d’hygiène.

 

[79]  De même, je suis parfaitement convaincu par les témoignages que, ni le magasin, ni le producteur (les clients) n'exerçait de contrôle sur les travailleuses. Le témoignage de Kevin Kennedy, chef du rayon des viandes chez Safeway, le montre bien. Il ressort clairement de ses dires qu’il voulait rester le plus loin possible d’un élément de contrôle, afin que ni lui, ni Safeway ne puisse être tenu responsable d’un problème éventuel dans la séance de dégustation.

 

[80]  Je constate également que McMorran ne se réservait pas le droit de contrôle. Certes, elle passait de temps à autre pour s’assurer que tout allait bien, mais elle s’attendait à ce que la travailleuse s’acquitte de sa tâche de la manière la plus professionnelle possible et ne se mêlait pas de ce qu’elle faisait. Il pouvait lui arriver de ne pas réengager une travailleuse si ce qu’elle faisait ne lui plaisait pas, mais rien ne donne à penser qu’elle s’immisçait dans le travail accompli au jour le jour par la travailleuse. Ici aussi, la preuve démontre le contraire.

 

[81]  Je suis convaincu qu’il y avait une absence ou quasi-absence de contrôle réservé ou exercé par McMorran ou les clients sur les travailleuses. Ce facteur démontre clairement, à mon avis, que nous avons affaire à des entrepreneurs indépendants et non à des employées.

 

[82]  Outils et équipement : Les travailleuses avaient généralement tous leurs outils de travail. Les articles plus volumineux, comme les fours, étaient soit fournis directement par le client, par exemple Safeway, ou par McMorran, qui facturait alors au client des frais d’utilisation. Même si la valeur des outils appartenant aux travailleuses n’était pas très élevée, soit environ 300 $, c’est quand même similaire à la situation dans l’affaire Precision Gutters (précitée), où le juge Sexton a dit :

 

Je n'estime pas que, parce que lesdits instruments de travail peuvent être utilisés dans d'autres métiers, cela signifie que ceux-ci ne sont pas importants pour les poseurs en l'instance. Étant donné que ceux-ci sont les outils qui sont couramment utilisés, on peut toujours affirmer qu'ils ne sont particuliers à une entreprise ou à une autre. Néanmoins, ces instruments de travail nécessitent la dépense de sommes d'argent par les poseurs et ils sont essentiels afin de permettre au poseur de bien s'acquitter de sa tâche.

ET

Il a été jugé que si les instruments de travail appartenaient au travailleur et qu'il était raisonnable que ceux-ci lui appartiennent, ce critère permet de conclure que la personne est un entrepreneur indépendant même si l'employeur présumé fournit des outils spéciaux pour l'entreprise en cause. Voir Bradford c. M.N.R. 88 D.T.C. 1661; Campbell c. M.N.R. 87 D.T.C. 47; Big Pond Publishing c. M.N.R. [1998] T.C.J. No. 935.

 

 

[83]  Les outils appartenant aux travailleuses étaient essentiels aux séances de dégustation. Ce facteur montre également qu’il s’agissait d’entrepreneurs indépendants et non d’employées en vertu d'un contrat de louage de services.

 

[84]  Possibilité de profit – Risque de perte : J’aborderai ces deux questions ensemble. En général, dans une entreprise, là où il y a une possibilité de profit, il existe également un risque de perte. À certains égards, la seule possibilité de profit dans cette affaire était liée à la quantité de travail que les travailleuses acceptaient. Plus elles travaillaient, plus elles gagnaient, ce qui traditionnellement n’est pas considéré comme du profit dans le vrai sens de ce mot. Encore dans l’arrêt Precision Gutters (précité), le juge Sexton s’est exprimé comme suit :

 

Selon moi, ceci fait fi d'un certain nombre d'aspects importants de la relation existant entre le poseur et Precision. Notamment, chaque poseur était responsable de décider du moment auquel il travaillerait et d'accepter ou de refuser un travail en particulier. Celui-ci était évidemment libre d'accepter du travail chez d'autres fabricants de gouttières. Le prix du contrat, malgré qu'il ait été négocié à toutes les fois, a néanmoins été négocié dans 20 à 30 p. 100 des cas. Selon moi, la capacité de négocier les modalités d'un contrat suppose une chance de bénéfice et un risque de perte de la même manière que permettre à une personne d'accepter ou de refuser du travail suppose une chance de bénéfice et un risque de perte. Les poseurs ne se sont pas vus imposer un délai fixe pour l'exécution du contrat et ainsi, une exécution efficace pouvait engendrer plus de bénéfices. Un poseur pouvait choisir de travailler seul ou d'embaucher d'autres personnes afin de l'aider. De toute évidence, plus celui-ci faisait du travail par lui-même, plus celui-ci pouvait faire de bénéfice. Le poseur était responsable des imperfections existantes dans le travail effectué et il devait retourner réparer ces imperfections à ses dépens. Le travail n'était pas garanti à chaque jour et il n'y avait aucun salaire minimum garanti ni aucun bénéfice marginal. Tous ces éléments ont mené d'autres tribunaux à conclure qu'il existe une relation d'entrepreneur indépendant. Voir Société de Projets ETPA Inc. v. Minister of National Revenue, 93 D.T.C. 516. Je suis donc d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en statuant que le critère de possibilité de profit ou de perte favorise la qualification des poseurs comme employés. (Je souligne.)

 

[85]  De ce point de vue, le travail de ces démonstratrices présentait un aspect d’entreprise. Elles pouvaient accepter ou refuser le travail. Elles négociaient ou renégociaient occasionnellement leur taux horaire. En théorie, elles pouvaient travailler seules ou engager d’autres personnes afin de travailler pour elles, même si, en réalité, cela ne s’est jamais produit. Néanmoins, elles auraient pu le faire, et cela présentait une possibilité de profit ou un risque de perte.

 

[86]  L’utilisation de leurs propres outils et le coût de ceux-ci, s’ils n’étaient pas utilisés prudemment, sont à prendre en considération, tout comme la possibilité pour les travailleuses de travailler pour autrui dans d’autres agences si leur travail était perçu comme bien fait.

 

[87]  En somme, je suis entièrement convaincu qu’il existait un élément d’entreprise aux services exécutés par ces travailleuses. Sur l’échelle de l’entreprise, cet élément se situe peut-être vers les échelons les plus bas, mais il existait et un tel élément ne pouvait exister dans une situation d’emploi normale. Cet élément du critère montre clairement, à mon avis, qu’elles avaient un statut d’entrepreneur indépendant.

 

[88]  Intégration : Ce critère semble également difficile à appliquer par les cours. La question qu’on se demande souvent est : « à qui appartient l’entreprise? ». De toute évidence, cette question doit être posée du point de vue du travailleur, et non du payeur, puisque ce dernier est toujours considéré comme exploitant une entreprise. Le contexte dans lequel il faut poser cette question est celui de savoir s’il y a une ou deux entreprises. Autrement dit, la personne qui s’est engagée à exécuter ces services le fait-elle comme une personne qui exploite une entreprise pour son propre compte? Si la réponse est affirmative, le contrat est un contrat d’entreprise. Si la réponse est négative, c’est un contrat de louage de services.

 

[89]  À mon avis, le fait même qu’il y avait un aspect d’entreprise au travail exécuté par les démonstratrices tend à montrer qu’elles exploitaient une entreprise pour leur propre compte. Elles n’avaient aucune sécurité d’emploi et il n’existait aucune obligation permanente pour McMorran de les engager ou pour les travailleuses de lui fournir des services. Chaque séance de dégustation était un contrat individuel que chaque partie était libre de prendre ou de laisser à sa guise. Les travailleuses pouvaient accepter des engagements pour d’autres agences, et elles le faisaient, et ce, pendant qu'elles fournissaient des services à McMorran. À mon avis, ce critère montre clairement qu’il s’agissait d’entrepreneurs indépendants qui travaillaient en vertu de contrats d’entreprise.

 

[90]  Quand je considère tous ces facteurs, quand j’examine la situation dans son ensemble en même temps que les cas individuels, et ayant à l’esprit la décision du juge Bell dans l’affaire Sara Consulting (précitée), je suis convaincu qu’il faut considérer ces travailleuses comme des entrepreneurs indépendants à leur propre compte. Les paroles du juge Bell, quand il dit que le ministre continue d’exploiter le même filon, résonnent fortement. Il est malheureux que l’appelante McMorran, dans cette affaire, une dame qui travaille énormément et qui possède une haute intégrité, exploitant une entreprise relativement petite, soit astreinte à subir de tels frais et un tel stress dans ces appels. À la même date, j’ai traité une autre décision du ministre dans une situation similaire à Regina (Saskatchewan) (Joan Pearce o/a J.P. Class Promotions v. M.N.R. 2000-3246 (EI) et 2000‑3252(CPP)), où le ministre a encore une fois obligé une appelante à interjeter appel à la suite de la décision rendue dans l'affaire Sara Consulting. Si j’avais la compétence d’adjuger les dépens à l'encontre du ministre dans cette situation, je n’hésiterais pas à le faire. Malheureusement, je n’ai pas cette compétence. Le moment est peut-être venu pour le ministre de dire « assez, c’est assez » et de mettre fin au besoin d’en appeler ainsi. D’ailleurs, le mouvement du pendule semble tendre dans le sens des arrêts Sagaz, Wolf et Precision Gutters (précités), et le ministre, ainsi que ceux qui le conseillent et le représentent, doivent retourner au point de départ pour examiner les modalités de ces types de contrats d’entreprise en ce nouvel âge commercial à l’aube du nouveau siècle. Le besoin économique pour les entreprises de rationaliser leurs arrangements de travail devient de plus en plus évident et, ainsi, la Cour voit de plus en plus de types de contrats de consultants et d’entrepreneurs indépendants. Si le ministre est d’avis que la Loi sur l'assurance-emploi ou le Régime de pensions du Canada devrait s'appliquer à ces contrats, il peut essayer de faire modifier les lois ou les règlements pris en application de ces lois. C’est une décision politique. Toutefois, il devient inacceptable de vouloir continuer à appliquer les lois actuelles comme le ministre le fait sans tenir compte de la réalité de la situation, compte tenu des décisions des tribunaux.

 

Considérations relatives aux agences de placement

 

[91]  À mon avis, les arguments du ministre à ce sujet n’ont absolument aucun mérite. Ils ne tiennent pas du tout compte de l’esprit des règlements relativement aux agences de placement. En l’espèce, McMorran ne fait clairement pas seulement de placer les gens dans un emploi assujetti au contrôle direct de ses clients, elle passe des contrats avec ces clients pour offrir un service de dégustation de leurs produits. Elle doit organiser ces séances et assumer la responsabilité à cet égard, s’occuper de leur comptabilité et facturer les clients pour ses services. Il est clair qu’elle offre un service. D’autre part, les travailleuses n’étaient clairement pas assujetties au contrôle de ses clients. Même si, avec le plus grand respect, je dois exprimer mon désaccord avec le juge Bell en disant que les entrepreneurs indépendants ne peuvent être couverts par les règlements en question, le mot « emploi » utilisé dans ce contexte de travail en général (voir R. c. Scheer Ltd., [1974] R.C.S. 1046), il est clair que, dans cette affaire, les travailleuses étaient des entrepreneurs indépendants et n’étaient pas assujetties au contrôle direct des clients dans une situation analogue à un contrat de louage de services avec les clients. À mon avis, les règlements ne s’appliquent tout simplement pas.

 

CONCLUSION

 

[92]  Les appels sont donc accueillis. Les décisions et les évaluations du ministre sont annulées.

 

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 21e jour d'octobre 2002.

 

 

 

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



 

 

 

 

 

ACKERMAN, MARGARET

ALLEN, C.

BABCOCK, J.

BAKKEN, PAULINE

BARAN, F.

BENNETT, CORRINNA

BERQUIST, D.

BERTHIAUME, C.

BEUTLER, T.

BORIN, CAROL

BOURGET, J.

BOYKO, O.

BUCKAWAY, A.

CARTE, C.

COX, BARBARA

COX, DON

CROSSWHITE, W.

DIJKER, M.

DREANY, I.

DUFFY, LORRAINE

DUTTON, J.

EASTHOPE, LUELLA

EVANS, MARY

EWASHIK, A.

EWONIUK, F.

FEDOR, M.

GABLE, DEBBIE

GARDNER, D.

GOBLE, N.

GOBLE, W.

HAYDUK, L.

HAYS, K.

HEYDEN, D.

HOWDLE, H.

HOWELL, D.

HUMPHREYS, H.

JARVIE, PEARL

JIMINEZ, B.

JOHNS, M.

ANNEXE A

ANNÉE 1999

 

 

JONES, B.

KORBYL, V.

KOZAK, JEAN

KOZIAK, CAROL

LACHANCE, A.

LEDIG, D.

LEE, A.

LEE, ROLLANDA

LIEBRECHT, S.

LIESKOVSKY, H.

LOURENCO, MARIA

MAIKO, LYNN

MAIO, D.

MARSH, JOSE

MARTENS, Y.

MCCULLOCH, CLAUDETTE

MCDONALD, NICOLE

MILLER, E.

MOON, M.

MOORE, E.

MORRISON, JACKIE

NAHARNIUK, E.

NUTTALL, L.

PADAVELL, A.

PAULSEN, C.

PRESTON, N.

REYNOLDS, E.

RICE, GWEN

ROBERTSON, DONNA

ROSS, J.

SCHMIDT, ANNE

SCHMIDT, C.

SCHNURR, T.

SCHULTZ, D.

SCOTT, ANNE

SEVERSEN, ANN

SHAW, THEREZA

SLOAN, MICHELLE

SMITH, E.

 

 

 

 

 

 

SMITH, L.

STRACHAN, JAN

STUVE, H.

SWIRHUN, DEBORAH

TELLIER, NICOLE

TUBERFIELD, LYNDA

ULMER, P.

WAKEFIELD, C.

WALKER, E.

WEBER, S.

WEIHMANN, R.

WHITE, ELAINE

WILLIAMSON, E.


ANNEXE B

ANNÉE 2000

 

 

ACKERMAN, MARGARET

BAKKEN, PAULINE

BIEN, DEBBIE

BOYKO, O.

CARLSON, DORREN

CROSSWHITE, W.

DUTTON, J.

EASTHOPE, LUELLA

EWONIUK, F.

GABLE, DEBBIE

KASSA, BETTY

KOZIAL, C.

LEE, A.

LIESKOVSKY, HELENA

MOON, M.

MOORE, ELSIE

RICE, GWEN

SAIK, JEAN

SCHMIDT, ANNE

SHAW, THEREZA

SMITH, BETTY

SMITH, E.

SLOVENKO, M.

STUAVE, HERTA

WEIHMANN, R.

 

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