Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2008-296(EI)

2008-297(EI)

2008-298(EI)

2008-299(EI)

2008-300(EI)

2008-301(EI)

2008-302(EI)

ENTRE :

LES TRANSPORTS P.M. LEVERT INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 8 octobre 2008, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Jacques Provencher

Avocat de l’intimée :

Me Mounes Ayadi

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des déterminations établies en vertu de la Loi sur l'assurance‑emploi (LAE), sont accueillis et les déterminations du Ministre lui sont retournées pour reconsidération et redétermination sur la base que Robert Geoffrey, Serge Levert, Rock Geoffrey, Sylvain Chiasson, Normand Larocque, Michel Durocher et Jonathan Maillet n’étaient pas engagés en vertu d’un contrat de louage de services, aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la LAE.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’octobre 2008.

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

Référence : 2008 CCI 570

Date : 20081016

Dossiers : 2008-296(EI)

2008-297(EI)

2008-298(EI)

2008-299(EI)

2008-300(EI)

2008-301(EI)

2008-302(EI)

ENTRE :

LES TRANSPORTS P.M. LEVERT INC.

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]              L’appelante en appelle de déterminations du ministre du Revenu national (Ministre) par lesquelles il a été décidé que sept camionneurs engagés par elle au cours des années 2003, 2004 et 2005 étaient des employés et non des travailleurs autonomes, au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (LAE). Les travailleurs en question sont Robert Geoffrey, Serge Levert, Rock Geoffrey, Sylvain Chiasson, Normand Larocque, Michel Durocher et Jonathan Maillet.

 

[2]              M. André Levert est le seul actionnaire et administrateur de l’appelante. Il est camionneur de métier depuis 38 ans et exploite une entreprise de « transport de courrier longue distance » par l’intermédiaire de l’appelante depuis 15 ans. Son seul client depuis huit ans est la société Fedex Ground (Fedex). Fedex traite également avec quatre autres entrepreneurs dans la région de Montréal. Selon M. Levert, tous ces entrepreneurs auraient une structure similaire à celle de l’appelante.

[3]              M. Levert a expliqué que Fedex a d’abord commencé à lui attribuer la liaison entre Montréal et Plattsburgh (U.S.), puis ensuite plus loin jusqu’à Albany (U.S.). Pour ce faire, M. Levert devait fournir un camion, lequel devait être conçu et approuvé selon les normes très spécifiques de Fedex. Ainsi, ce camion devait porter le logo de Fedex et avoir les dimensions requises. Un camion pouvait tirer deux remorques appartenant à Fedex.

 

[4]              Par la suite, l’appelante s’est vue octroyer d’autres contrats et celle-ci a dû se procurer des camions supplémentaires et trouver des chauffeurs accrédités par Fedex pour les conduire. Au cours de la période en litige, l’appelante possédait quatre camions qu’elle louait de la société Pensky. C’est ainsi que M. Levert a recruté plusieurs camionneurs, dont les sept en question dans le présent litige. La plupart de ces camionneurs acceptait des contrats de deux ou trois jours par semaine. M. Levert s’est ainsi constitué sa propre banque de chauffeurs, ce qui était nécessaire pour pourvoir des conducteurs sur chaque liaison que l’appelante assurait avec Fedex. Certains travaillaient sur des contrats cinq jours par semaine.

 

[5]              Fedex affichait les routes disponibles à un prix qu’elle établissait. Si l’appelante était intéressée, elle obtenait la route offerte en priorité des autres soumissionnaires, selon le numéro d’ancienneté attribué à ses camions. M. Levert évaluait les coûts de sous-traitance, d’essence et du prix de location du camion et décidait sur cette base, s’il acceptait une route offerte par Fedex. Il recrutait ensuite les conducteurs de camion et leur offrait la route en question. M. Levert leur offrait préalablement une rémunération selon son estimé des coûts, et le conducteur établissait son prix selon ses années d’expérience. Les deux parties arrivaient à une entente sur la rémunération. M. Levert a expliqué que pour un camionneur, il pouvait être plus intéressant de vouloir travailler comme travailleur autonome, car il négociait un revenu selon le kilométrage parcouru, à un taux beaucoup plus élevé que ce que d’autres entreprises pouvaient offrir à des camionneurs salariés, bénéficiant de tous les avantages sociaux et de congés payés. De même, les camionneurs qu’il engageait avaient la possibilité de travailler pour d’autres, à leur choix.

 

[6]              Avant d’entamer toute négociation avec un camionneur, celui-ci devait rencontrer les représentants de Fedex afin d’être autorisé à agir en leur nom. Une fois toutes les exigences remplies (test de conduite, vérification du dossier personnel, possession du permis adéquat, etc.), le conducteur était inscrit sur la liste autorisée de Fedex et M. Levert pouvait commencer à négocier avec lui pour décider de la liaison et des horaires que le conducteur acceptait de faire, de même que de sa rémunération.

 

[7]              Dans le cas des liaisons Canada-États-Unis, M. Levert a expliqué qu’une fois la rémunération établie selon le kilométrage parcouru, il payait également un montant de 15 $ ou 16 $ de l’heure pour chaque heure d’attente dépassant le premier deux heures aux douanes. M. Levert a dit que c’était beaucoup moins payant pour le camionneur d’être rémunéré pour le temps d’attente que pour le kilométrage parcouru. Aussi, ce dernier savait pertinemment que sa rémunération pouvait fluctuer, et être à la baisse si le temps d’attente était plus long aux postes frontaliers, ce qui était très variable d’une fois à l’autre. De même, le camionneur n’était pas payé pour le surtemps occasionné par un bris mécanique sur un camion défectueux.

 

[8]              M. Levert a expliqué qu’il n’exerçait aucune supervision régulière. Une fois le contrat octroyé au camionneur, celui-ci s’organisait avec Fedex pour le transport des colis sur la route qui lui était assignée par l’appelante. Ainsi, le conducteur devait s’assurer de prendre charge des colis à l’entrepôt de Fedex et de les mener à bon port dans un temps délimité par Fedex. Si le conducteur était arrêté trop longtemps aux douanes, ou éprouvait des problèmes mécaniques, ou pour toute autre raison, prévoyait ne pas pouvoir se rendre à temps, il communiquait directement avec Fedex qui faisait ensuite les arrangements appropriés. Par ailleurs, chaque chauffeur était muni d’une carte d’identification et d’un uniforme au nom de Fedex.

 

[9]              À une question de l’avocat de l’intimé, M. Levert a dit avoir signé un premier contrat en 1994 avec Fedex et par la suite, des addendums ont été signés. Ces contrats n’ont toutefois pas été produits en preuve par l’appelante, qui n’a pas cru nécessaire de le faire. L’avocat de l’intimé dit avoir pris contact avec un représentant de Fedex, qui n’était pas au courant de l’existence de ces contrats.

 

[10]         M. Sylvain Chiasson, l’un des travailleurs visés, a témoigné. Il a travaillé comme camionneur de l’année 2000 au mois d’août 2003 pour une société de transport du nom de Liaison CAN-US. Il y était employé comme salarié à temps plein. Il a rencontré M. André Levert, lors de longues attentes aux postes frontaliers entre le Canada et les États-Unis pour le dédouanement de la marchandise qu’ils transportaient dans leurs remorques. M. Levert lui a proposé, à un moment donné, de prendre des contrats avec lui. C’est ainsi que M. Chiasson a constitué sa propre société au mois d’août 2003 et qu’il a offert ses services de camionneur par l’intermédiaire de sa société à M. Levert. Il s’est engagé à faire la liaison Montréal-Albany, que M. Levert avait obtenue auprès de Fedex. M. Chiasson travaillait pour M. Levert sur cette liaison cinq jours par semaine, du lundi au vendredi. Il se rendait à l’entrepôt de Fedex à Dorval, près de Montréal, vers 5 h du matin. Il prenait possession du camion qui lui était attribué, lequel camion était loué par M. Levert. Il prenait également possession de la remorque appartenant à Fedex, avec tout le contenu qu’il devait transporter à destination. Il devait compléter environ 50 à 60 manifestes (c’est-à-dire les entrées de douanes pour le contenu de la remorque). Il ne quittait généralement l’entrepôt que vers 7 h le matin, se rendait à destination où il remettait les remorques pleines de colis et revenait le soir même à Montréal avec des remorques vides. Si le temps d’attente était trop long pour le dédouanement de la marchandise aux postes frontaliers, il laissait ses remorques à un entrepôt de Fedex près de la frontière (à Plattsburgh ou à Champlain) et revenait à Montréal. Selon la réglementation de la Société de l’assurance-automobile du Québec (SAAQ), un camionneur ne peut conduire plus de douze heures dans une journée. Il avait convenu une rémunération fixe de 0,35 ¢ du mille avec M. Levert. La rémunération était la même peu importe le temps d’attente aux douanes. Si le temps d’attente dépassait deux heures, M. Chiasson demandait à M. Levert de le dédommager selon un tarif horaire (15 $) convenu entre les deux.

 

[11]         Pour les frais d’essence, M. Chiasson était pourvu d’une carte d’essence fournie par Fedex, qui était ultimement payée par M. Levert. En effet, M. Levert nous a expliqué que Fedex déduisait des honoraires payés à l’appelante, les frais de consommation d’essence pour chaque camion. Le camionneur était également muni d’un téléphone portable qui était fourni avec le camion par M. Levert.

 

[12]         Si le camionneur voulait se faire remplacer, peu importe la raison, il devait se trouver un remplaçant à même la liste des camionneurs approuvée par Fedex. S’il ne trouvait pas d’autres camionneurs, M. Chiasson faisait appel à M. Levert pour le remplacer. Il pouvait ultimement demander à un autre entrepreneur de Fedex, un compétiteur de M. Levert, de le remplacer. Dans un tel cas, même si la liaison en question était donnée par Fedex en priorité à M. Levert, ce dernier perdait le revenu associé à ce trajet, lequel revenu était alors attribué à l’entrepreneur ayant accepté de faire le remplacement.

 

[13]         Si le camionneur était malade, il pouvait appeler le répartiteur de Fedex directement, qui s’occupait de trouver un remplaçant. Il n’était pas payé en cas de maladie.

[14]         Lors d’un bris mécanique sur la route, c’est le camionneur qui devait s’assurer de prendre contact, soit avec la société de location de qui M. Levert louait le camion, soit avec Fedex si le problème était relié à la remorque. Le camionneur n’était pas rémunéré pour le temps d’attente en cas de bris mécanique. Il recevait le tarif prévu selon le kilométrage parcouru. Ainsi, moins il faisait de kilométrage, moins il était payé. Tout temps d’attente, soit aux douanes, soit pour bris mécanique, soit pour le temps de chargement de la remorque à Dorval, soit pour ses pauses de repas, n’était pas rémunéré. Il remplissait une feuille de route sur laquelle il indiquait le kilométrage parcouru qu’il remettait régulièrement à M. Levert dans un casier attribué à ce dernier à l’entrepôt de Fedex.

 

[15]         Le camionneur ne bénéficie d’aucun congé ou journée de maladie payés, d’aucun avantage ou de bénéfices sociaux, tels assurance-invalidité, assurance-médicaments ou autres. C’est le camionneur qui cotise lui-même à la Régie des rentes du Québec (RRQ) et personne ne paie pour lui les cotisations à la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST).

 

[16]         S’il y a des plaintes sur le camionneur, elles sont faites à Fedex, qui communiquera avec le camionneur. C’est Fedex qui décide de garder ou non le camionneur sur sa liste.

 

[17]         Au mois de mai 2004, M. Chiasson a décidé de retourner travailler pour la société Liaison CAN-US. Il a dissous sa société à ce moment. Il a expliqué qu’il ne voulait plus faire uniquement les liaisons avec Fedex car le temps d’attente aux douanes était trop long. Il a préféré revenir à l’emploi de Liaison CAN-US, ce qui était moins exigeant. Il ne voulait plus s’occuper de la tenue de livres et préférait recevoir un salaire fixe. On lui payait deux semaines de vacances, une assurance-salaire, médicaments et dentaire, et les destinations qu’il parcourait pour Liaison CAN-US étaient moins longues. De plus, les attentes aux douanes étaient beaucoup moins longues qu’avec Fedex car il transportait beaucoup moins de produits différents, et donc remplissait beaucoup moins de manifestes. Il travaillait pour Liaison CAN‑US cinq jours par semaine de 6 h le matin à 6 h le soir. Il ne s’occupait pas de se faire remplacer s’il ne pouvait prendre la route, c’est son employeur qui le faisait. Il était payé ses jours de maladie. En février 2005, il a accepté de reprendre un contrat avec M. Levert le vendredi soir seulement sur la liaison Montréal-Syracuse dans l’état de New York pour Fedex. Il était alors payé 260 $ pour la route. Ce trajet lui convenait puisqu’en week‑end, Fedex ne livrait pas toujours de colis et M. Chiasson n’avait pas d’heure fixe pour arriver à destination. Il était toujours à l’emploi de Liaison CAN‑US durant cette période.

[18]         M. Robert Geoffrey, un autre camionneur ayant travaillé avec M. Levert, a dit qu’il avait été engagé pour faire la liaison Saint-Hubert-Kinsgton, en Ontario. Il se considérait comme un travailleur autonome et, outre son contrat avec M. Levert, pouvait travailler pour tous les autres entrepreneurs faisant affaire avec Fedex. Il ne s’est pas fait remplacer souvent mais lorsque cela est arrivé, il a appelé un autre chauffeur qui se trouvait sur la liste de Fedex. Cet autre camionneur pouvait tout aussi bien travailler avec un autre entrepreneur de Fedex que M. Levert. Cela est déjà arrivé.

 

[19]         Il faisait la route de nuit. Il arrivait à l’entrepôt de Fedex à 22 h, quittait à 22 h 30 et était de retour le lendemain matin à 5 h. Il prenait le camion fourni par M. Levert et conduisait la remorque de Fedex à destination. Son camion était muni d’un téléphone portable fourni par M. Levert. Il pouvait arriver que Fedex lui demande de parcourir de plus longues distances, ce qu’il pouvait accepter ou refuser à sa discrétion. Il acceptait le plus souvent car cela lui donnait du kilométrage supplémentaire et c’était plus payant. Pour le trajet Saint‑Hubert-Kinsgston, il a négocié une rémunération de 875 $ sur une semaine de cinq jours. S’il parcourait de plus longues distances, il recevait 0,40 ¢ du mille. Comme il ne voyageait pas aux États-Unis, il n’avait pas de temps d’attente aux douanes. Ses vacances et ses absences étaient toutes à ses frais.

 

[20]         S’il y avait un bris mécanique sur la route et prévoyait du retard dans sa livraison, il appelait Fedex directement. Il ne faisait pratiquement jamais affaire avec M. Levert, sauf pour lui remettre sa feuille de route dans le casier fourni par Fedex à son entrepôt.

 

[21]         Quant aux plaintes, il lui est arrivé une fois d’oublier de mettre un cadenas sur la remorque de Fedex au moment d’un transfert de remorques à Kingston. Fedex l’a contacté directement pour lui faire part de cet oubli afin de s’assurer de la sécurité des colis.

 

[22]         Il remettait à Fedex une copie de son carnet de bord indiquant le kilométrage parcouru et les heures de conduite, de même que ses coupons d’essence.

 

[23]         Il remettait à M. Levert dans son casier la liste des trajets parcourus, afin de se faire payer par ce dernier. Il était rémunéré par chèque à chaque semaine.

 

[24]         Les autres travailleurs n’ont pas témoigné. Les parties se sont entendues que leurs témoignages répéteraient sensiblement ce qui a déjà été dit par les trois témoins.

 

Analyse

 

[25]         Tant l’avocat de l’appelante que celui de l’intimé s’entendent pour dire que selon les règles applicables à un contrat conclu dans la province de Québec, il faut se référer au Code civil du Québec (C.c.Q.). La Cour d’appel fédérale a insisté sur l’importance de la véritable réalité contractuelle des parties en ces termes dans l’arrêt 9041‑6868 Québec Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), 2005 CAF 334, aux paragraphes 7, 8 et 9 :

 

[7]    Bref, c'est le Code Civil du Québec qui détermine les règles applicables à un contrat conclu au Québec. Ces règles se retrouvent notamment dans ces dispositions du Code qui traitent du contrat en général (art. 1377 C.c.Q. et suiv.), et dans celles qui traitent du « contrat de travail » (art. 2085 à 2097 C.c.Q.) et du « contrat d'entreprise ou de service » (art. 2098 à 2129 C.c.Q.). Les articles 1378, 1425, 1426, 2085, 2098 et 2099 C.c.Q. sont les plus pertinents pour les fins du présent dossier :


1378.       Le contrat est un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation.

. . .

1425.       Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1426.       On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

. . .

1440.       Le contrat n'a d'effet qu'entre les parties contractantes; il n'en a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi.

. . .

2085.       Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

. . .

2098.       Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne , selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099.       L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

1378.       A contract is an agreement of wills by which one or several persons obligate themselves to one or several other persons to perform a prestation.

. . .

1425.       The common intention of the parties rather than adherence to the literal meaning of the words shall be sought in interpreting a contract.

1426.       In interpreting a contract, the nature of the contract, the circumstances in which it was formed, the interpretation which has already been given to it by the parties or which it may have received, and usage, are all taken into account.

. . .

1440.       A contract has effect only between the contracting parties; it does not affect third persons, except where provided by law.

. . .

2085.       A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes for a limited period to do work for remuneration, according to the instructions and under the direction or control of another person, the employer.

. . .

2098.       A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to carry out physical or intellectual work for another person, the client or to provide a service, for a price which the client binds himself to pay.

2099.       The contractor and the provider of services is free to choose the means of performing the contract and no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client in respect of such performance.

 

[8]    Il faut garder à l'esprit que le rôle du juge de la Cour canadienne de l'impôt est de vérifier dans les faits si les allégations sur lesquelles s'est appuyé le ministre sont bien fondées et, le cas échéant, si la véritable réalité contractuelle des parties en est une qui peut être qualifiée, en droit, de louage de services. Le litige devant la Cour canadienne de l'impôt n'est pas, à proprement parler, un litige de nature contractuelle opposant l'une à l'autre des parties à un contrat. C'est un litige de nature administrative qui oppose un tiers, en l'occurrence le ministre du Revenu national, à l'une ou l'autre des parties, même si l'une ou l'autre peut en définitive vouloir épouser les vues du ministre.


[9]   Le contrat sur lequel le ministre se fonde ou qu'une partie cherche à lui opposer est certes un fait juridique que le ministre ne peut ignorer même s'il ne produit pas d'effet à son égard (art. 1440 C.c.Q.; Baudouin et Jobin, Les Obligations, Éditions Yvon Blais 1998, 5e édition, p. 377). Cela n'empêche en rien le ministre, cependant, d'alléguer que dans les faits le contrat n'est pas tel qu'il parait être, qu'il n'a pas été exécuté selon ses termes ou qu'il ne reflète pas la véritable relation qui s'est établie entre les parties. Il est permis au ministre, et à la Cour canadienne de l'impôt après lui, de rechercher cette relation véritable, ainsi que le prévoient les articles 1425 et 1426 du Code Civil du Québec, dans la nature du contrat, dans les circonstances dans lesquelles il a été conclu, dans l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que dans les usages. Et parmi ces circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu se trouve l'intention légitime déclarée des parties, un facteur important retenu par cette Cour dans un bon nombre d'arrêts (voir Wolf c. Canada (C.A.), [2002] 4 C.F. 396, para. 119 et 122; A.G. Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., 2004 CAF 54; Le Livreur Plus Inc. c. M.R.N., 2004 CAF 68; Poulin c. Canada (M.R.N.), 2003 CAF 50; Tremblay c. Canada (M.R.N.), 2004 CAF 175.

 

[26]         Plus loin, la Cour indique qu’en droit civil québécois, la définition du contrat de travail met l’accent sur la direction ou le contrôle de l’employé. Elle s’exprime ainsi aux paragraphes 11 et 12 :

 

[11]    Trois éléments constitutifs caractérisent le « contrat de travail » en droit québécois : une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination. C'est ce dernier élément qui est à la source de la plupart des litiges. Pour le définir de façon globale, je m'en remets à ces propos de Robert P. Gagnon, dans Le droit du travail du Québec, Éditions Yvon Blais, 2003, 5e édition, aux pages 66 et 67 :

 

90- Facteur distinctif - L'élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C'est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d'autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d'une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d'entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l'entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l'article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d'exécution du contrat » et qu'il n'existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution » , il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l'employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

 

91 - Appréciation factuelle - La subordination se vérifie dans les faits. À cet égard, la jurisprudence s'est toujours refusée à retenir la qualification donnée au contrat par les parties. . . .

 

92 - Notion - Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise. (mon soulignement).

 

[12]    Il est intéressant de noter qu'en droit civil québécois, la définition même du contrat de travail met l'accent sur « la direction ou le contrôle » (art. 2085 c.c.c.) [sic], ce qui fait du contrôle l'objet même de l'exercice et donc beaucoup plus qu'un simple indice d'encadrement, […]

 

[27]         Dans Combined Insurance Co. of America c. Canada (ministre du Revenu national), [2007] A.C.F. no 124 (QL), une affaire entendue dans la province de Québec, la Cour d’appel fédérale s’exprime ainsi :

 

28     Dans des décisions subséquentes, notre Cour réitérait l'importance qu'il faut apporter à l'intention des parties, car un contrat représente l'accord des volontés des parties à ce contrat : voir D & J Driveway c. Le ministre du Revenu national, [2003] A.C.F. no 1784, 2003 CAF 453, Poulin c. Le ministre du Revenu national, [2003] A.C.F. no 141, 2003 CAF 50. Dans l'affaire Le Livreur Plus Inc. c. Canada, [2004] A.C.F. no 267, au paragraphe 17, le juge Létourneau écrit pour la Cour :

 

17.  La stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et la Cour peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : D & J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, [2003] A.C.F. no 1784, 2003 CAF 453. Mais en l'absence d'une preuve non équivoque au contraire, la Cour doit dûment prendre en compte l'intention déclarée des parties : Mayne Nickless Transport Inc. c. Le ministre du Revenu national, [1999] A.C.I. no 132, 97-1416-UI, 26 février 1999 (C.C.I.). Car en définitive, il s'agit de déterminer la véritable nature des relations entre les parties. Aussi, leur intention sincèrement exprimée demeure-t-elle un élément important à considérer dans la recherche de cette relation globale réelle que les parties entretiennent entre elles dans un monde du travail en pleine évolution : voir Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., [2004] A.C.F. no 238, 2004 CAF 54.

 

[Le souligné est le mien]

 

29     Plus récemment, dans Royal Winnipeg Ballet c. Canada (M.N.R.), [2006] A.C.F. no 339, 2006 CAF 87, 2 mars 2006, notre Cour avait à déterminer si trois danseurs engagés par le Royal Winnipeg Ballet (le "RWB") étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants. Une majorité de la Cour (le juge Evans dissident) concluait que les danseurs n'étaient pas des employés du RWB.

 

[…]

 

32     En outre, même si la juge Sharlow était d'avis que le critère du contrôle méritait, comme dans la majorité des cas, une attention particulière, elle concluait néanmoins que le contrôle exercé par le RWB sur ses danseurs n'était pas incompatible avec l'intention des parties de les considérer comme des entrepreneurs indépendants. Au paragraphe 66 de ses motifs, elle énonçait :

 

[66] Dans la présente affaire, comme dans la plupart des affaires d'ailleurs, le facteur du contrôle mérite une attention particulière. Il me semble que le RWB exerce un contrôle étroit sur le travail des danseurs, mais ce contrôle ne dépasse pas ce qu'exige la présentation d'une série de ballets pendant une saison de spectacles bien planifiée. Si le RWB devait présenter un ballet en ayant recours à des artistes invités pour tous les rôles principaux, le contrôle qu'exercerait le RWB sur les artistes invités serait le même que si tous ces rôles étaient exécutés par des danseurs engagés pour la saison. Si l'on accepte (comme on doit le faire) le fait qu'un artiste invité peut accepter un rôle au sein du RWB sans pour autant devenir son employé, il faut en déduire que le facteur du contrôle exercé doit être compatible avec le fait que l'artiste invité est un entrepreneur indépendant. Il s'ensuit donc qu'on ne peut raisonnablement considérer comme incompatible avec l'intention des parties d'attribuer aux danseurs le statut d'entrepreneur indépendant le contrôle exercé en l'espèce sur les danseurs.

 

[Le souligné est le mien]

 

[…]

 

34     En terminant ce survol de la jurisprudence pertinente, je m'en remets aux propos que tenait le juge Létourneau dans Le Livreur Plus Inc. c. Canada, précité. Après avoir déterminé que la question sur laquelle devait se prononcer la Cour était toujours celle de la détermination de la véritable nature de la relation entre les parties, le juge Létourneau se prononçait au paragraphe 18 de ses motifs relativement à la pertinence des critères de Wiebe Door, précité :

 

18.      Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l'intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d'un véritable contrat, il s'agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie révélateur d'un contrat d'entreprise : ibidem

 

[Le souligné est le mien]

 

35     De ces décisions, il se dégage, à mon avis, les principes suivants :

 

1.      Les faits pertinents, incluant l'intention des parties quant à la nature de leur relation contractuelle, doivent être examinés à la lumière des facteurs de Wiebe Door, précitée, et à la lumière de tout autre facteur qui peut s'avérer pertinent compte tenu des circonstances particulières de l'instance.

2.      Il n'existe aucune manière préétablie d'appliquer les facteurs pertinents et leur importance dépendra des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

Même si en règle générale, le critère de contrôle aura une importance marquée, les critères élaborés dans Wiebe Door et Sagaz, précités, s'avéreront néanmoins utiles pour déterminer la véritable nature du contrat. [Soulignés et emphase dans l’original.]

 

[28]         En l’instance, il ressort clairement du témoignage de M. Levert et des deux camionneurs, qu’ils ont conclu une entente les considérant comme des travailleurs autonomes. Les camionneurs déclaraient leurs revenus à ce titre dans leurs déclarations de revenus, s’occupaient eux-mêmes de leurs cotisations à la RRQ. Ni l’appelante, ni Fedex ne payait de cotisations pour eux à la CSST. Les travailleurs n’avaient aucun avantage social, n’étaient pas rémunérés s’ils ne travaillaient pas et avaient négocié leur rémunération selon leur degré d’expertise, en vertu des règles du marché. Ceci en soi distingue la présente situation de celle qui prévalait dans Camion Holdings Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), [1999] A.C.I. n° 311 (QL), confirmé par [2000] A.C.F. n° 863 (QL), cité par l’avocat de l’intimé.

 

[29]         Une fois le contrat conclu, les camionneurs acceptaient les termes du contrat imposés par Fedex. Ils s’engageaient à transporter les remorques de Fedex d’un endroit à un autre dans un temps préétabli. Ceci n’est pas différent de l’entrepreneur en construction qui s’engage à effectuer un contrat dans un temps prédéterminé. Les camionneurs assumaient les risques associés à leurs tâches. S’ils ne pouvaient faire la route, ou s’ils étaient bloqués sur la route suite à un bris mécanique ou à cause d’un trop long temps d’attente aux postes frontaliers, ils prenaient contact eux-mêmes avec Fedex. Les camionneurs voyaient dès lors leur rémunération fluctuer à la baisse, compte tenu d’éléments en-dehors de leur contrôle. Dans ces cas, l’appelante n’assumait en rien ces risques, en ce sens qu’elle n’avait pas à payer le camionneur pour la perte de temps; seuls les camionneurs les assumaient. L’appelante était payée par Fedex et ne payait les conducteurs que selon le kilométrage établi, et payait un tarif moindre pour les heures d’attente, selon l’entente conclue entre eux. Les camionneurs ne se rapportaient pas à l’appelante. Elle les rémunérait tout simplement pour les trajets accomplis.

 

[30]         Quant à Fedex, une fois le contrôle de sécurité rempli, pour qualifier le conducteur, elle n’exerçait pas plus de contrôle sur le camionneur que ne le faisait l’appelante. Elle donnait un mandat à l’appelante, qui sous-traitait avec les travailleurs que Fedex avait déjà approuvés. Ceux-ci prenaient charge des remorques et les emmenaient à bon port selon l’itinéraire qu’ils choisissaient eux-mêmes. S’il y avait des problèmes en route, le camionneur avisait simplement Fedex qui gérait de son côté la solution des problèmes. Fedex n’exerçait pas de contrôle comme tel sur les travailleurs. Peu importe qui faisait le transport, ce qui comptait pour elle c’est que les colis arrivent à destination selon l’horaire cédulé. Les travailleurs avaient donc une obligation de résultat. Une fois qualifié par Fedex pour exécuter la tâche, celle-ci laissait le conducteur accomplir sa tâche comme on confie une tâche à tout entrepreneur indépendant qui est qualifié pour l’exécuter, et ce, dans n’importe quel domaine. Tel que le disait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Livreur Plus Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2004] A.C.F. no 267 (QL) :

 

19     Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser : Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, [1999] A.C.F. no 749, A-376-98, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D&J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précitée, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 1454, 2002 FCA 394, "rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur".

 

20     Je suis d'accord avec les prétentions de la demanderesse. Un sous-entrepreneur n'est pas une personne libre de toute contrainte qui travaille à son gré, selon ses inclinations et sans la moindre préoccupation pour ses collègues co-contractants et les tiers. Ce n'est pas un dilettante à l'attitude cavalière, voire irrespectueuse, capricieuse ou irresponsable. Il oeuvre dans un cadre défini, mais il le fait avec autonomie et à l'extérieur de celui de l'entreprise de l'entrepreneur général. Le contrat de sous-traitance revêt souvent un caractère léonin dicté par les obligations de l'entrepreneur général : il est à prendre ou à laisser. Mais sa nature n'en est pas altérée pour autant. Et l'entrepreneur général ne perd pas son droit de regard sur le résultat et la qualité des travaux puisqu'il en assume la seule et entière responsabilité vis-à-vis ses clients.

 

[…]

 

24     La procureure du défendeur a invoqué un certain nombre de faits au soutien de sa prétention que la demanderesse exerçait un contrôle tel sur ses deux travailleurs qu'on ne peut faire autrement que conclure à l'existence d'un lien de subordination entre les parties. Elle a beaucoup insisté, dans un premier temps, sur le fait que les livreurs étaient soumis à des heures de disponibilité obligatoires, qu'ils oeuvraient chacun dans un territoire défini et qu'ils ne pouvaient modifier l'horaire de travail sans l'autorisation de la demanderesse.

 

25     Avec respect, je ne crois pas que ces trois premiers éléments soient déterminants dans la recherche de la qualification de la relation globale entre les parties ou soient suffisants pour changer la nature de celle qu'elles ont exprimée au contrat. La raison en est bien simple. La demanderesse a, au terme de son contrat d'entreprise, assumé des obligations spécifiques dans le temps et dans l'espace envers ses clientes, les pharmacies. Tel qu'il appert du contrat régissant leurs relations, des heures et des endroits précis de collectes et de livraisons de médicaments étaient convenus entre la demanderesse et les pharmacies. Ce sont en partie ces obligations que l'on retrouve dans le contrat de sous-traitance avec les livreurs. Or, la spécificité des tâches et la disponibilité pour les exécuter ne sont pas l'apanage et le propre d'un contrat de travail. Un contracteur qui retient les services de sous-traitants pour effectuer tout ou partie des tâches qu'il s'est engagé envers ses clients à accomplir conformément à un échéancier va identifier et délimiter ce qu'ils ont à réaliser et s'assurer de leurs disponibilités pour le faire : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précité; Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 4. Autrement, il faudrait, sur cette base, conclure que la demanderesse elle-même est une employée des pharmacies puisqu'elle doit être disponible pour les servir aux heures et selon l'échéancier acceptés.

 

26     Le défendeur soumet qu'on retrouve aussi une preuve du contrôle exercé par la demanderesse sur ses livreurs, premièrement, dans cette obligation qu'ils ont de produire des rapports de livraison. À cela s'ajoute le fait que la demanderesse s'informait auprès des pharmaciens que les marchandises étaient bien cueillies et livrées tel que convenu et à leur satisfaction.

 

27     Ces deux éléments que le défendeur invoque ne font preuve que d'un contrôle du résultat par la demanderesse, résultat dont elle assume la responsabilité auprès de ses clients. Il a été établi que les rapports d'exécution des livraisons étaient requis pour fins de facturation des clients de la demanderesse afin que cette dernière puisse être payée ainsi que par la demanderesse pour payer ses livreurs, dont certains étaient payés au volume de livraisons : voir les contrats entre la demanderesse et les pharmacies et les contrats entre la demanderesse et les deux livreurs; voir aussi les témoignages au dossier de la demanderesse dans le dossier A-664-02, pages 77, 85 à 87, 97-98, 108, 120-121, 151-152 et 157. Le contrat d'entreprise n'échappe pas à la nécessité d'une facturation. Et la mise en place d'un mécanisme et système de facturation n'indique pas en soi l'existence d'un lien de subordination : voir Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, aux paragraphes 4 à 6.

 

[31]         Ainsi, même si Fedex avait des exigences strictes tant sur l’état des camions fournis par l’appelante, que sur le dossier personnel des conducteurs, il ressort de la jurisprudence précitée, que ce genre de contrôle n’est pas incompatible avec le statut de travailleur autonome (voir également DHL Express (Canada) Ltd. c. M.R.N., 2005 CCI 178, cité par l’avocat de l’appelante).

 

[32]         Si l’on reprend certains indices retenus dans 9041‑6868 Québec Inc. précité, pour établir l’exercice d’un contrôle sur des travailleurs, on ne peut parler ici de présence obligatoire à un lieu de travail. Le camionneur pouvait se faire remplacer en tout temps sans obtenir l’accord préalable de l’appelante, ou de Fedex, dans la mesure où le chauffeur apparaissait sur la liste autorisée de Fedex. Le camionneur pouvait même faire appel à un entrepreneur, autre que l’appelante, faisant affaire avec Fedex. Quant à l’assignation plus ou moins régulière du travail, le camionneur acceptait une liaison en particulier. Si on lui demandait d’aller plus loin ou de faire une autre liaison, il était absolument libre d’accepter ou de refuser. Ni l’appelante, ni Fedex ne pouvait le lui imposer. En ce qui concerne des règles de conduite ou de comportement, les travailleurs ne voyaient à peu près jamais M. Levert et exécutaient leurs tâches selon l’entente préétablie avec ce dernier. S’il y avait des plaintes, Fedex communiquait directement avec le camionneur. Au pire, le camionneur était retiré de la liste, ce qui peut arriver à n’importe quel professionnel dont la conduite et ou le comportement n’est pas souhaitable dans l’exécution de ses fonctions.

 

[33]         Quant aux formulaires remis par les camionneurs régulièrement tant à Fedex qu’à l’appelante, ils servaient uniquement aux fins de la rémunération.

 

[34]         Il est vrai que les conducteurs n’assumaient pas beaucoup de dépenses, outre leurs repas sur la route, n’étant pas propriétaires des camions et ne payant ni les assurances ni l’essence. Mais ce seul facteur, à lui seul, n’affecte pas, à mon sens, l’entente entre les parties voulant, de part et d’autre, que les camionneurs soient considérés comme des travailleurs autonomes.

 

[35]         Chaque situation étant un cas d’espèce, dans la présente instance, je suis d’avis que, l’appelante a démontré selon la prépondérance des probabilités que les sept travailleurs en question ici n’étaient pas des employés, mais plutôt des travailleurs autonomes.

Décision

 

[36]         Les appels sont accueillis et les déterminations du ministre lui sont retournées pour reconsidération et redétermination sur la base que les sept travailleurs en question dans ces appels n’étaient pas engagés en vertu d’un contrat de louage de services, aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la LAE.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’octobre 2008.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 570

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2008-296(EI)

2008-297(EI)

2008-298(EI)

2008-299(EI)

2008-300(EI)

2008-301(EI)

2008-302(EI)

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LES TRANSPORTS P.M. LEVERT INC. ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 8 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 15 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Jacques Provencher

Avocat de l’intimée :

Me Mounes Ayadi

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Jacques Provencher

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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