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Dossier : 2003-1855(GST)G

ENTRE :

ARTISTIC IDEAS INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 5, 6, 7 et 8 septembre 2006 et les

11, 12, 13 et 14 juin 2007 à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Irving Marks

Me Shawn Pulver

Avocats de l’intimée :

Me Perry Derksen

Me P. Michael Appavoo

(5, 6, 7 et 8 septembre 2006)

Me Brianna Caryll

(5, 6, 7 et 8 septembre 2006)

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

            L’appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 4 mars 2002 et porte le numéro 05B 8247, est accueilli en partie, avec dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’août 2008.

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mai 2009.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur.


 

 

 

Référence : 2008CCI452

Date : 20080807

Dossier : 2003-1855(GST)G

 

ENTRE :

ARTISTIC IDEAS INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]               Entre le 4 novembre 1998 et le 31 janvier 2001, l’appelante, Artistic Ideas Ltd. (Artistic), exploitait ce qu’elle a appelé un « programme de donation d’œuvres d’art ». À toutes fins utiles, ce programme constituait un abri fiscal[1]. Artistic faisait le nécessaire pour permettre à des résidents canadiens d’acheter de deux vendeurs américains des lithographies à un prix inférieur à leur juste valeur marchande présumée, d’en faire don à des organismes de bienfaisance et de recevoir un reçu pour dons de bienfaisance correspondant à leur juste valeur marchande présumée. Les acquéreurs étaient ainsi imposés au taux marginal le plus élevé, ce qui leur permettait de réclamer des crédits d’impôt pour des dons de bienfaisance supérieurs à ce qu’ils avaient payé pour les lithographies.

 

[2]               Les activités d’Artistic lui ont permis de toucher en tout 10 588 970 $ en commissions au cours de la période en cause. Elle n’a pas perçu de TPS sur les services pour lesquels elle a touché les commissions en question.

 

[3]               Le ministre du Revenu national (le ministre) a, sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »), établi une cotisation par laquelle elle réclamait à Artistic le montant de 741 228 $ en TPS en partant du principe que les commissions lui avaient été payées par les acquéreurs des lithographies au titre des fournitures taxables qu’Artistic leur avait vendues au Canada. Le ministre a également réclamé la somme supplémentaire de 21 213,72 $ à titre de TPS pour une nouvelle fourniture d’œuvres d’art par Artistic, et il a refusé la somme de 144 599,89 $ à titre de crédits d’impôt sur les intrants et a imposé une pénalité de 99 129,37 $ en vertu du paragraphe 280(1) de la Loi relativement à la TPS non remise et aux crédits d’impôt sur les intrants réclamés en trop.

 

Admissions

 

[4]               L’intimée admet maintenant que la TPS réclamée sur la nouvelle fourniture des œuvres d’art devrait être remboursée et que l’appelante a droit à 52 118 96 $[2] sur les crédits d’impôt sur les intrants qui lui ont été refusés.

 

[5]               L’intimée admet aussi que l’appelante a droit à un remboursement au titre du paragraphe 296(2.1) de la Loi pour la somme de 1 050 $ qu’elle a payée par erreur en TPS pour la période se terminant le 31 janvier 2000, et à 1 693,30 $ pour la période se terminant le 31 janvier 2001.

 

[6]               Enfin, l’intimée admet également que, s’il est conclu qu’Artistic a touché les commissions en question en contrepartie de fournitures taxables, elle aurait le droit d’utiliser la TPS de 110 762,86 $ antérieurement déclarée pour la porter en déduction de la TPS à percevoir sur les fournitures taxables en litige[3].

 

 

 

Questions à trancher dans le présent appel

 

[7]               La première question à trancher dans le présent appel est celle de savoir si Artistic était tenue de percevoir la TPS sur les services pour lesquels elle a touché les commissions.

 

[8]               Si la Cour conclut qu’Artistic était tenue de percevoir la TPS, la deuxième question à trancher est celle de savoir si le ministre a bien calculé le montant de TPS à payer, et la troisième, si Artistic doit payer la pénalité prévue au paragraphe 280(1) relativement au montant dû.

 

[9]               La dernière question à trancher est celle de savoir si Artistic est tenue de payer la pénalité prévue au paragraphe 280(1) relativement au montant de crédits d’impôt sur les intrants refusé.

 

Thèse des parties

 

L’appelante

 

[10]          L’appelante soutient que les commissions ne donnaient pas lieu à la TPS parce qu’elles ont été versées par les acquéreurs américains à l’appelante en tant que mandataire des vendeurs lorsqu’elle a fait le nécessaire relativement aux commandes de lithographies fournies par les vendeurs à des acquéreurs se trouvant à l’extérieur du Canada. L’appelante soutient que les services fournis aux vendeurs étaient par conséquent détaxés conformément à l’article 5 de l’annexe IV de la partie V de la Loi.

 

[11]          Si la Cour conclut que l’appelante a reçu une contrepartie des acquéreurs, l’appelante soutient que les services qu’elle a fournis aux acquéreurs étaient accessoires à la fourniture des services de mandataire qu’elle a assurés aux vendeurs américains et que ces services devraient être considérés comme des fournitures accessoires de même nature que les fournitures principales au sens de l’article 138 de la Loi et que ces services sont par conséquent des fournitures détaxées.

 

[12]          À titre subsidiaire, si les acquéreurs lui ont versé une somme quelconque, seulement 5 pour 100 des commissions touchées sont attribuables aux services fournis aux acquéreurs. De plus, l’appelante affirme que la TPS était incluse dans le calcul des sommes payées.

 

[13]          L’appelante affirme qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable pour s’assurer qu’elle percevait et versait la TPS exigée par la Loi et elle ajoute qu’elle n’est pas tenue de payer la pénalité.

 

L’intimée

 

[14]          L’intimée soutient que les commissions ont été versées à l’appelante par les acquéreurs des lithographies pour des services que l’appelante leur a fournis au Canada. Les services constituaient en conséquence des fournitures taxables sur lesquelles l’appelante était, conformément au paragraphe 165(1) de la Loi, tenue de percevoir et de verser la TPS à l’égard des services qui leur étaient fournis. Les fournitures que les acquéreurs ont reçues étaient distinctes de celles que les vendeurs américains ont reçues, importantes et non accessoires à celles des vendeurs américains. La TPS n’était pas incluse dans la contrepartie versée à l’appelante par les acquéreurs et c’est à juste titre que la pénalité a été imposée.

 

Les témoins

 

[15]          L’appelante a fait entendre sept témoins : les deux dirigeants de l’appelante, MM. Mark Pearlman (M. Pearlman) et Allan Grossman (M. Grossman); l’avocat fiscaliste de l’appelante, Me Graham Turner, le dirigeant des sociétés vendeuses américaines, M. Paul Sloan (M. Sloan), l’adjointe administrative de l’appelante, Mme Susan Read, une experte évaluatrice d’œuvres d’art engagée par l’appelante, Mme Edith Yeomans, et l’expert‑comptable qui a établi les états financiers et les déclarations de revenus de l’appelante, M. Dan Kowalchuk.

 

Les faits

 

[16]          L’appelante a été constituée en personne morale à l’automne 1998 par MM. Pearlman et Grossman dans le but de profiter de l’abri fiscal relatif aux dons d’œuvres d’art. Les actions de l’appelante étaient la propriété de sociétés appartenant aux épouses de MM. Pearlman et Grossman et d’une société appartenant à une personne sans lien de parenté. MM. Pearlman et Grossman étaient, à toutes les époques en cause, les seuls dirigeants. Ils sont tous les deux comptables agréés.

 

[17]          MM. Pearlman et Grossman ont tous les deux expliqué que l’idée de constituer et d’exploiter l’abri fiscal relatif aux dons d’œuvres d’art leur avait été suggérée en 1997 ou vers cette époque par M. Sloan, qui habitait à Los Angeles, en Californie. MM. Pearlman et Grossman avaient fait la connaissance de M. Sloan au milieu des années quatre-vingt-dix et ils avaient œuvré de concert à la promotion d’un abri fiscal rattaché à un logiciel appelé Protosource, qui avait été commercialisé auprès des contribuables canadiens en 1995 et 1996. M. Sloan aurait également participé à la conception de cet abri fiscal.

 

[18]          Suivant MM. Grossman et Pearlman, M. Sloan était au courant de certains des abris fiscaux rattachés à des dons d’œuvres d’art qui étaient commercialisées au Canada et il a proposé à MM. Pearlman et Grossman de constituer un tel abri fiscal grâce aux lithographies que M. Sloan avait laissées en inventaire et qui provenaient de certaines galeries d’art dont il avait déjà été propriétaire aux États-Unis. M. Sloan était censé disposer d’une très grande quantité de lithographies. 

 

[19]          Voici en quels termes M. Pearlman a expliqué le programme :

 

[traduction]

 

L’abri fiscal relatif aux œuvres d’art reposait en quelque sorte sur notre conception ou notre compréhension de la définition de la juste valeur marchande, à savoir une valeur correspondant en gros au prix de détail. 

 

Si l'on pouvait acheter quelque chose au prix de gros, si l'on pouvait acheter quelque chose au prix de gros pour ensuite en faire don et si la différence entre le prix au détail et le prix de gros était suffisamment importante, l’économie d’impôts ainsi réalisée permettait à la personne ayant fait l’acquisition de ce bien et ayant fait le don de faire un profit[4].

 

[20]          Au départ, MM. Pearlman et Grossman ont refusé l’offre de M. Sloan parce qu’ils étaient pris par d’autres projets et que M. Pearlman avait des doutes quant à l'applicabilité des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives aux biens à usage personnel aux abris fiscaux relatifs à des dons d’œuvres d’art. M. Pearlman a expliqué qu’un peu plus tard, il avait discuté des aspects techniques de l’abri fiscal proposé avec Me Graham Turner (Me Turner), avocat fiscaliste dont il avait fait la connaissance, et qu’il s’était assuré que l’abri fiscal était effectivement réalisable sur le plan technique.

 

[21]          MM. Pearlman et Grossman ont communiqué avec M. Sloan et lui ont dit qu’ils étaient intéressés à collaborer avec lui à ce projet s’il était toujours intéressé à fournir les œuvres d’art. M. Pearlman a expliqué qu’ils avaient parlé de la nécessité de pouvoir acheter les œuvres d’art au tiers de leur « valeur au détail » et M. Sloan les a assurés qu’il pouvait leur soumettre des évaluations confirmant la valeur au détail requise.

 

[22]          M. Sloan a expliqué qu’au cours de la conversation durant laquelle ils ont exprimé leur intérêt à mettre sur pied l’abri fiscal, MM. Pearlman et Grossman ont déclaré qu’ils pourraient être leurs mandataires au Canada, ce à quoi M. Sloan a répondu qu’il leur verserait une commission de 50 pour 100. Il a ajouté que c’étaient eux qui avaient eu l’idée du mandat, et qu’il avait accepté leur offre parce que c’est ce qu’ils souhaitaient. 

 

[23]          Suivant le témoignage de MM. Pearlman et Grossman, ce n’est que plus tard que leur décision d’agir comme mandataires de M. Sloan a été prise, après qu’ils eurent de nouveau consulté Me Turner. Ils ont tout d’abord affirmé qu’ils avaient commencé à élaborer les détails de leur entente et à [traduction] « comprimer les chiffres pour voir comment ça fonctionnerait ».

 

[24]          Suivant M. Pearlman, ils auraient dit à M. Sloan qu’ils voulaient vendre les lithographies par lots de dix et qu’ils voulaient proposer à l’acquéreur un prix de 3 500 $, qu’ils se partageraient « moitié-moitié ». M. Sloan fournirait une évaluation d’au moins 1 000 $ par œuvre et paierait les frais de transport jusqu’à Toronto, et MM. Pearlman et Grossman s’occuperaient de vendre les œuvres et de trouver des organismes de bienfaisance qui accepteraient les dons. M. Sloan a expliqué que l’arrangement proposé lui paraissait acceptable.   

 

[25]          MM. Pearlman et Grossman ont alors rencontré Me Turner pour discuter de l’entente et confirmer qu’il donnerait un avis fiscal favorable. M. Pearlman a expliqué qu’ils avaient notamment parlé du fait que lui et M. Pearlman agiraient comme mandataires de M. Sloan pour vendre les œuvres d’art et qu’il avait aussi été question de la TPS qui serait payable sur les achats.

 

[26]          M. Pearlman a expliqué que l’on avait décidé que la vente des lithographies se ferait aux États-Unis entre M. Sloan ou ses sociétés et que les acquéreurs feraient don des lithographies alors qu’elles se trouvaient encore aux États-Unis. De cette façon, l’acquéreur n’aurait pas à payer la TPS et les lithographies pourraient être importées au Canada par l’organisme de bienfaisance en franchise d’impôt. Les dons pourraient être effectués dès que l’acquéreur aurait acquis les lithographies, de sorte qu’il serait possible de vendre les lithographies jusqu’à la toute fin de l’année civile.

 

[27]          MM. Grossman et Pearlman et Me Turner ont également décidé que les lithographies devaient être vendues par lots de onze pour que l’acheteur puisse en conserver une pour [traduction] « donner davantage l’apparence de biens à usage personnel ».

 

[28]          Me Turner se souvient d’avoir rencontré MM. Pearlman et Grossman au sujet de la constitution de l’abri fiscal et d’avoir discuté des incidences que l’entente aurait sur le plan de la TPS ainsi que des honoraires payés par les sociétés de M. Sloan. Il a expliqué que tout ce que MM. Pearlman et Grossman avaient fait pour les sociétés de M. Sloan avait été fait aux États‑Unis [traduction] « de sorte que la question de la TPS ne se posait pas de notre point de vue ».

 

[29]          M. Grossman a expliqué qu’après avoir discuté avec Me Turner, ils avaient dit à M. Sloan que la meilleure façon de procéder à la vente des lithographies consistait à faire représenter M. Sloan par MM. Grossman et Pearlman, à titre de mandataires, pour qu’ils commercialisent le programme d’œuvres d’art pour lui, en contrepartie d’une commission de 50 pour 100.

 

[30]          MM. Pearlman et Grossman ont dit à M. Sloan qu’ils voulaient qu’il fournisse onze lithographies au même prix que celui qui avait déjà été convenu et qu’ils tenaient toujours à la moitié du prix de vente. Ils ont également proposé qu’au lieu de faire payer à l’acheteur la taxe de vente sur la onzième lithographie au moment de son importation, M. Sloan devait en payer la moitié et eux, l’autre moitié. M. Pearlman a également expliqué que M. Sloan avait accepté la procédure de vente des lithographies que M. Grossman et lui proposaient et que M. Sloan savait qu’il [M. Sloan] vendait les œuvres aux acquéreurs et qu’il retenait une partie du prix payé par l’acquéreur pour verser une commission à MM. Pearlman et Grossman.

 

[31]          L’entente conclue entre MM. Sloan, Pearlman et Grossman n’a jamais été mise par écrit. MM. Pearlman et Grossman ont expliqué qu’ils se faisaient tous confiance en raison des rapports qu’ils avaient eus auparavant et qu’ils ne ressentaient pas la nécessité d’une entente écrite. M. Pearlman a expliqué qu’il leur arrivait souvent de conclure une entente par une simple poignée de main. En revanche, M. Sloan a expliqué que M. Grossman était censé produire une entente écrite, mais qu’il ne l’avait jamais fait et qu’au bout d’une année, un climat de confiance s’était installé. Me Turner a expliqué qu’il s’était enquis auprès de MM. Grossman et Pearlman de la rédaction d’un accord écrit, mais que ceux-ci l’avaient assuré qu’ils avaient une entente non écrite avec M. Sloan.

 

[32]          Au début de l’automne 1998, M. Sloan a fait parvenir quelques lithographies accompagnées d’évaluations, mais MM. Pearlman et Grossman ont estimé que les évaluations étaient trop élevées et qu’elles n’étaient pas crédibles. Ils ont expliqué à M. Sloan qu’ils souhaitaient procéder à leur propre évaluation aux frais de M. Sloan. Là encore, M. Sloan a accepté ces conditions, et MM. Pearlman et Grossman ont engagé Mme Edith Yeomans (Mme Yeomans) ainsi qu’une autre évaluatrice, Mme Leslie Finks, pour faire l’évaluation.

 

[33]          Me Turner a préparé son avis fiscal et rédigé les ententes à faire signer par les acquéreurs des lithographies. Dans son avis fiscal, Me Turner a déclaré que les lithographies devaient être achetées à des vendeurs américains par les acquéreurs au prix de 3 500 $ le lot. Me Turner a expliqué que les documents qu’il avait rédigés ne prévoyaient pas le versement à Artistic d’une commission ou de frais par les acquéreurs parce qu’Artistic vendait les œuvres en question à titre de mandataire des vendeurs américains et qu’elle ne participait pas aux activités donnant lieu à des honoraires vis-à-vis les acquéreurs. MM. Pearlman et Grossman ont tous les deux nié avoir facturé des frais ou une commission aux acquéreurs.

 

[34]          M. Grossman a trouvé des organismes de bienfaisance prêts à accepter des dons de lithographies et à remettre un reçu de don de bienfaisance de 1 000 $ par lithographie. MM. Pearlman et Grossman ont constitué l’appelante en personne morale. Ils ont élaboré des documents publicitaires ainsi qu’un catalogue des lithographies à offrir à la vente et ils ont mis sur pied une équipe de vente composée de sous-mandataires à commission chargés de vendre les lithographies, ainsi qu’un personnel de bureau chargé de s’occuper des commandes.

 

[35]          M. Sloan a envoyé des échantillons des lithographies à l’appelante pour que Mme Yeomans puisse les évaluer. Les lithographies qui, de l’avis de Mme Yeomans, avait une valeur d’au moins 1 000 $ CND étaient regroupées dans les lots de lithographies qui étaient offerts à la vente. Mme Yeomans a expliqué qu’elle avait d’abord donné des assurances verbales au sujet de la valeur des lithographies et qu’elle avait ensuite fourni des évaluations écrites une fois l’année civile terminée. Elle a déclaré que le travail de recherche des lithographies était effectué avant que soient données les assurances verbales quant à leur valeur et que la seule chose qu’il restait à faire était de mettre l’évaluation par écrit. M. Grossman n’a pas été en mesure de dire si la seconde évaluatrice avait pu donner des assurances verbales semblables avant la vente des lithographies.

 

[36]          L’appelante a commencé à vendre les lithographies en novembre 1998. Les acheteurs devaient signer un contrat d’achat, une formule de commande, une convention de mandat et un acte de donation.

 

[37]          Aux termes des contrats d’achat conclus en 1998, 1999 et au cours de la première moitié de 2000, les lithographies étaient vendues par Coleman Fine Arts Ltd. (Coleman), société appartenant à M. Sloan. Au cours de la seconde partie de 2000, Silver Fine Arts Ltd. (Silver), c’est une autre société appartenant à M. Sloan qui s’est occupée de la vente. Aucune raison n’a été donnée pour expliquer ce changement.

 

[38]          Le prix d’achat a été fixé à 3 500 $ par lot de onze lithographies. Le prix était précisé dans la formule de commande, laquelle était incorporée par renvoi au contrat d’achat. Il était stipulé que le prix d’achat comprenait, [traduction] « s’il y a lieu » la TPS et la TVP. M. Pearlman a expliqué qu’il s’agissait de la TPS et de la TVP exigibles sur l’unique exemplaire de lithographie que l’acquéreur devait conserver.

 

[39]          Le contrat d’achat désignait par ailleurs l’appelante comme dépositaire légale du vendeur et de l’acquéreur. À ce titre, l’appelante était tenue de payer les dépenses afférentes à l’opération proposée et de conserver la somme payée pour les lithographies jusqu’à ce que le transfert de la propriété des lithographies à l’acquéreur soit confirmé et que les deux évaluations sincères des lithographies aux termes desquelles chacun de lots de lithographies était évalué à au moins 10 000 $ soit reçues.

 

[40]          Le contrat d’achat était signé par M. Grossman pour le compte de Coleman, et, pour la seconde partie de 2000, pour le compte de Silver. MM. Grossman et Sloan ont tous les deux affirmé dans leur témoignage que M. Sloan avait donné à M. Grossman l’autorisation de signer les contrats au nom des sociétés vendeuses.

 

[41]          Aux termes de la convention de mandat, l’acquéreur a désigné l’appelante à titre de mandataire chargée d’acquérir des lithographies d’un ou de plusieurs négociants. L’acquéreur a convenu et accepté que l’appelante et tous ses sous-mandataires réclament une commission et des frais des négociants en lithographies. L’appelante a également convenu [traduction] « de s’adresser à un ou à plusieurs organismes de bienfaisance ou à toute autre institution autorisée par la Loi de l’impôt sur le revenu à remettre des reçus pour dons de bienfaisance pour obtenir qu’ils s’engagent à accepter des dons et à remettre des reçus pour dons de bienfaisance jugés satisfaisants par l’acquéreur ».

 

[42]          Aux termes de l’acte de donation, l’acquéreur transférait les lithographies à un organisme de bienfaisance choisi à partir de la liste fournie par l’appelante. M. Grossman avait déjà obtenu confirmation de ces organismes de bienfaisance qu’elles accepteraient les dons de lithographies montés par l’appelante. L’acte de donation autorisait par ailleurs l’appelante à prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder au transfert.

 

[43]          L’organisme de bienfaisance était tenu, aux termes de l’acte de donation, de conserver  les œuvres pendant au moins dix ans. Cette mesure visait à contourner l’obligation faite à l’organisme de bienfaisance de débourser 80 pour 100 de tout don dans l’année suivant sa réception. Une exception à cette règle permet aux organismes se bienfaisance de constituer des fonds de dotation, de sorte que lorsqu’il est stipulé qu’une œuvre visée par un don doit être conservée pendant au moins dix ans, l’organisme de bienfaisance est exempté de la règle habituelle et n’est tenu de débourser que 4 pour 100 du don au cours de l’année suivante. 

 

[44]          L’appelante a fait parvenir l’acte de donation aux divers organismes de bienfaisance concernés, avec une lettre précisant la valeur des lithographies et demandant aux organismes de bienfaisance d’accuser réception du don et de faire parvenir un reçu pour don de bienfaisance à l’appelante. L’appelante avait fait le nécessaire pour que les organismes de bienfaisance conservent les reçus jusqu’à ce qu’ils aient reçu les évaluations écrites confirmant la valeur des lithographies, pour les faire ensuite parvenir aux acquéreurs.

 

[45]          Les fonds reçus des acquéreurs étaient en règle générale déposés dans un compte en fiducie constitué  par l’appelante. Certains chèques étaient toutefois déposés dans d’autres comptes ouverts au nom de l’appelante. M. Grossman a expliqué que lorsque le paiement était reçu de l’acquéreur, le personnel du bureau de l’appelante confirmait la commande auprès de M. Sloan par téléphone pour s’assurer qu’il avait une quantité suffisante de lithographies parmi celles qui avaient été choisies. 

 

[46]          Sur confirmation de la commande, l’appelante considérait que les modalités de la clause de dépôt en mains tierces stipulée au contrat d’achat avait été respectées, que l’achat était complété et que l’appelante était libre d’envoyer la moitié du produit de vente au vendeur et de conserver le reste. L’appelante a conservé les intérêts accumulés sur les dépôts à terme effectués grâce à l’argent de ce compte. 

 

[47]          MM. Grossman et Pearlman ont tous les deux expliqué qu’ils estimaient que la condition de dépôt en mains tierces qui exigeait deux évaluations de bonne foi était remplie lorsqu’ils avaient reçu de deux évaluatrices les évaluations verbales concernant les lithographies. Ils ont déclaré qu’ils s’attendaient à ce que les évaluations verbales soient confirmées par écrit.

 

[48]          L’appelante offrait des rabais sur les achats effectués tôt dans l’année, ainsi que des réductions à certains acquéreurs qui achetaient en grandes quantités. MM. Pearlman et Grossman ont expliqué que, dans certains cas, ils avaient persuadé M. Sloan de partager le rabais avec eux et que, dans d’autres cas, ils avaient absorbé le rabais en entier en réduisant d’autant leur commission. Artistic acceptait des billets à ordre en paiement des lithographies dans le cas de certains acquéreurs. M. Grossman a déclaré que M. Sloan était au courant du fait que Artistic avait accepté des billets à ordre comme mode de paiement et qu’il assumait une partie du risque de non‑paiement. M. Sloan a dit qu’il n’avait jamais convenu d’assumer le risque de non-paiement des billets à ordre.

 

[49]          Des que l’année était terminée, le vendeur envoyait les lithographies aux bureaux d’Artistic, où elles étaient inspectées, triées et remballées pour être ensuite expédiées aux organismes de bienfaisance ou, dans le cas de la onzième lithographie, pour être envoyées aux acquéreurs. L’appelante payait les frais afférents à ces activités.

 

[50]          Des que les évaluations écrites étaient reçues, l’appelante en transmettait une copie aux organismes de bienfaisance. Une copie était également envoyée aux acquéreurs avec un reçu pour don de bienfaisance.

 

[51]          Les transferts de fonds aux sociétés de M. Sloan ont été effectués à diverses fréquences à partir du 20 novembre 1998. Une fois que l’année civile était terminée, M. Grossman envoyait à M. Sloan un relevé comptable indiquant le nombre d’articles vendus ainsi que les rajustements ayant pour effet de réduire le montant dû aux vendeurs. Le relevé que M. Grossman envoyait contenait peu de détails hormis le total des ventes et des rajustements à faire à la quote-part du produit de la vente. Parmi les rajustements, il y a lieu de mentionner ceux relatifs aux articles que M. Sloan avait accepté de payer ou de partager avec l’appelante (tels que les évaluations, les escomptes sur ventes, les taxes de vente, les frais de courtage et les frais juridique et contributions au fond de défense juridique des acquéreurs.)

 

[52]          Les activités d’Artistic étaient essentiellement les mêmes d’année en année. Les évaluatrices traitaient les lots de lithographies qui leur étaient soumis de façon régulière pendant toute l’année et donnaient des assurances verbales au sujet de leur valeur, et envoyaient plus tard une évaluation écrite une fois l’année civile terminée. Mme Finks a été remplacée par un autre évaluateur en 1999.

 

[53]          M. Grossman a expliqué que, chaque année, Artistic ajoutait de nouveaux organismes de bienfaisance prêts à accepter des dons. Un moment donné, Artistic a commencé à verser aux organismes de bienfaisance des frais qui étaient censés les aider à payer les frais d’entreposage et d’assurance entraînés par la période de dix ans durant laquelle ils devaient conserver les œuvres. Les frais oscillaient entre 1 000 $ et 4 000 $ par million de dollars de dons acceptés. M. Grossman a dit qu’il avait probablement demandé à M. Sloan de payer cette somme, mais que ce dernier avait refusé. M. Sloan a affirmé qu’il n’était pas au courant de ces paiements.

 

[54]          Dans certains cas, Artistic s’entendait avec des acquéreurs pour qu’ils fassent don de la onzième lithographie qu’ils recevaient, augmentant ainsi d’autant leur crédit d’impôt pour don fait à un organisme de bienfaisance. Artistic n’a rien réclamé aux acquéreurs pour ce service supplémentaire.

 

[55]          Au cours de la période durant laquelle l’abri fiscal a été exploité, l’appelante a gagné 10 588 970 $ en commissions. Suivant M. Sloan, environ cinq mille lithographies ont été vendues.

 

[56]          Suivant les états financiers de l’appelante qui accompagnaient ses déclarations de revenus pour ses années d’imposition se terminant le 31 janvier 1999 et le 31 janvier 2000, l’appelante a d’abord déclaré ses revenus en partant du principe que c’était elle qui vendait les lithographies. Pour ce faire, elle a indiqué que ses revenus provenaient des ventes brutes et elle a soustrait un montant pour tenir compte du coût de vente des marchandises. Après que le début de la vérification de la TPS, en 2000, et après que le vérificateur lui eut montré les déclarations, M. Pearlman a dit au vérificateur que les états financiers et les déclarations étaient inexacts et que les revenus de l’appelante provenaient des commissions versées par les sociétés de M. Sloan et non du produit de la vente des lithographies. Des états financiers modifiés ont été préparés et des déclarations de revenus modifiées ont été déposées et ce, même si l’erreur n’a pas eu d’incidences sur le revenu imposable. Vu les actes de procédure de l’intimée, le ministre a convenu que les lithographies n’étaient pas vendues par l’appelante.

 

[57]          M. Grossman, qui a signé les déclarations originales, a expliqué qu’il n’avait pas lu les états financiers joints aux déclarations et qu’il s’était fié à l’expert‑comptable qui les avait établis. Il a affirmé que les états financiers avaient été établis sur la foi des renseignements communiqués à l’expert-comptable par l’aide‑comptable de l’appelante, qui avait mal interprété les livres comptables de l’appelante en croyant, à tort, que les lithographies étaient vendues par l’appelante. L’expert‑comptable, Dan Kowalchuk, a confirmé qu’il avait établi les états financiers et les déclarations en se fondant sure les documents de travail que lui avaient communiqués l’aide‑comptable. M. Grossman a déclaré qu’il n’avait jamais examiné les livres de l’appelante tenus par l’aide‑comptable parce qu’il avait ses propres documents pour assurer le suivi des ventes.

 

Prétentions et moyens de l’appelante

 

[58]          L’avocat de l'appelant a soutenu qu’il ressortait de l’ensemble de la preuve que M. Sloan souhaitait commercialiser ses œuvres d’art au Canada en vertu d’un programme de don d’œuvres d’art et qu’Artistic avait accepté de le représenter comme mandataire en vue de mettre ce programme sur pied et de vendre les œuvres. Ainsi que l’intimée l’a admis, c’étaient les sociétés de M. Sloan qui vendaient les œuvres et qui payaient à Artistic une commission sur les ventes. Ces commissions se rapportaient à des services qui constituaient des fournitures détaxées au sens de l’article 5 de l’annexe VI de la partie V de la Loi, dont voici le libellé :

 

[Service de mandataire ou de représentant] — La fourniture, effectuée au profit d’une personne non-résidente, d’un service de mandataire ou d’un service consistant à faire passer des commandes pour des fournitures à effectuer par la personne ou à son profit, à obtenir de telles commandes ou à faire des démarches pour en obtenir, dans le cas où le service se rapporte :

 

a) soit à une fourniture effectuée au profit de la personne, incluse dans un autre article de la présente partie;

 

b) soit à une fourniture effectuée à l’étranger par la personne ou à son profit.

 

[59]          Suivant l’avocat de l’appelante, il était loisible à l’appelante et aux vendeurs américains de structurer leurs affaires de manière à minimiser le montant de la taxe à payer. Il ajoute que l'impact fiscal dépend de la nature juridique des relations qui ont été structurées, indépendamment de leur essence économique ou commerciale et de l’absence de tout objectif non fiscal justifiant leur existence.

 

[60]          L’avocat de l’appelante soutient que les commissions gagnées par l’appelante en l'espèce étaient la contrepartie qui lui était versée pour son rôle de mandataire des vendeurs conformément à l’entente verbale conclue entre M. Sloan, pour le compte des vendeurs américains, et MM. Grossman et Pearlman, pour le compte de l’appelante. Il soutient qu’il n’était pas exigé que la convention de mandat soit consignée par écrit et que la preuve documentaire ainsi que le témoignage de MM. Grossman, Pearlman et Sloan et de Me Turner démontrent que l’entente verbale constituait un accord valide conclu de bonne foi et que les parties en ont respecté les conditions. 

 

[61]          Le prix d’achat des lithographies était réglé par l’acquéreur à l’appelante en sa qualité de dépositaire légale, mais il appartenait au vendeur dès que les conditions du dépôt en mains tierces étaient remplies. À ce moment-là, le vendeur pouvait utiliser l’argent pour verser sa commission à l’appelante. Conformément à la convention de mandat verbale conclue avec M. Sloan, l’appelante prélevait sa commission sur les fonds et le paiement des commissions était corroboré au moyen des états de clôture d’exercice qui étaient soumis à M. Sloan et qui indiquaient le montant des ventes effectuées ainsi que le montant des frais payés à l’appelante. L’avocat de l'appelante soutient qu’il était sans intérêt que l’appelante ait commis une erreur lors de la production de ses déclarations en tenant pour acquis que c’était elle qui vendait les lithographies, puisque le ministre avait reconnu, en l’espèce, que les lithographies étaient vendues par les sociétés de M. Sloan.

 

[62]          L’avocat de l'appelante cite les dispositions de la convention de mandat suivant lesquelles l’appelante devait réclamer sa commission ou ses frais des négociants auprès desquels les lithographies étaient achetées, et il a ajouté que l’intimée ne s’était pas acquittée de la charge qui lui incombait de démontrer que ces dispositions constituaient un trompe‑l’œil. Il ajoute que l’intimée n’at ni soutenu ni établi que l’entente intervenue entre les acquéreurs et les vendeurs aux termes de laquelle le prix d’achat des lithographies avait été fixé à 3 500 $ était un trompe-l’œil.

 

[63]          À défaut de quelque élément de preuve que ce soit tendent à indiquer que l’entente de payer aux vendeurs américains 3 500 $ pour les lithographies était un trompe-l’œil, rien ne permet de penser qu’une partie quelconque de la contrepartie versée par l’acquéreur visait des services fournis par l’appelante. Il n’y a rien dans la documentation ou dans les témoignages qui ont été entendus qui permette de penser que l’acquéreur a payé ou convenu de payer des frais ou une commission. Au contraire, l’acquéreur reconnaissait que toute commission serait payée par le négociant.

 

[64]          L’avocat de l'appelante a également expliqué que la vaste majorité du travail réalisé par l’appelante pour commercialiser les œuvres d’art en vue de leur vente était effectué avant que l’identité de l’acquéreur ne soit connue. Ce travail consistait par exemple à obtenir des évaluations verbales et à faire des démarches auprès des organismes de bienfaisance pour qu’ils acceptent les dons. Ce travail était nécessaire pour créer un marché pour les œuvres et favoriser leur vente en grandes quantités. Après la vente des lithographies, l’appelante a rendu quelques services au profit des acquéreurs ou des organismes de bienfaisance, mais ils étaient de peu d’importance et aucuns frais n’ont été réclamés à cet égard. De plus, l’avantage que ces services ont procuré aux acquéreurs était accessoire par rapport à l’avantage principal qu’en retiraient les vendeurs, qui étaient ainsi assurés de la vente constante de lithographies.

 

[65]          L’avocat de l’appelante a cité le témoignage de M. Grossman, qui s’est dit d’avis que moins de 5 pour 100 des services que l’appelante rendait avaient bénéficié aux acquéreurs. Dans l’ensemble, il a soutenu que les services qui étaient avantageux pour les acquéreurs ou les organismes de bienfaisance étaient accessoires par rapport à ceux que l’appelante avait rendus aux vendeurs américains en vue de favoriser la vente des œuvres d’art, ajoutant que les vendeurs avaient payé pour ces services et que l’article 138 de la Loi s’appliquerait donc, de sorte que les services en question seraient réputés faire partie des services fournis aux vendeurs américains. Voici le texte de l’article 138 :

 

Fournitures accessoires — Pour l’application de la présente partie, le bien ou le service dont la livraison ou la prestation peut raisonnablement être considérée comme accessoire à la livraison ou à la prestation d’un autre bien ou service est réputé faire partie de cet autre bien ou service s’ils ont été fournis ensemble pour une contrepartie unique.

 

 

[66]          L’avocat de l’appelante soutient que, s’il est conclu que les acquéreurs ont payé des commissions à l’appelante, la contrepartie doit être déterminée conformément au paragraphe 153(2) de la Loi, qui porte sur la contrepartie payée pour des fournitures multiples. Suivant le témoignage de M. Grossman, seulement 5 pour 100 des services fournis par l’appelante étaient au profit des acquéreurs, de sorte que seulement 5 pour 100 des commissions devraient être imputés à ces services. Voici le texte du paragraphe 153(2) :

 

Contrepartie combinée Pour l’application de la présente partie, dans le cas où une contrepartie est payée pour une fourniture et une autre contrepartie est payée pour une ou plusieurs autres fournitures ou choses et où la contrepartie d’une des fournitures ou choses dépasse celle qui serait raisonnable si l’autre fourniture n’était pas effectuée, ou l’autre chose livrée, la contrepartie pour chacune des fournitures et choses est réputée égale à la fraction du total des montants dont chacun représente la contrepartie d’une de ces fournitures ou choses qu’il est raisonnable d’imputer à chacune des fournitures et choses.

 

[67]          L’avocat de l’appelante soutient que, s’il est conclu que les acquéreurs ont payé des commissions à l’appelante, la TPS faisait partie des commissions qui ont été payées conformément au contrat d’achat. En conséquence, s’il est conclu qu’une partie quelconque des frais était assujettie à la TPS parce que l’acquéreur payait en réalité des frais à l’appelante, il faudrait que ces frais soient réputés comprendre la TPS. Le calcul du ministre ne tient pas compte de cet aspect.

 

[68]          Il est soutenu que, si la Cour conclut que l’appelante n’a pas perçu la TPS, les pénalités doivent être annulées au motif que l’appelante a agi de façon raisonnable et avec diligence raisonnable pour structurer ses affaires conformément  à l’avis juridique qu’elle avait reçu.

 

Thèse de l’intimée

 

[69]          L’intimée soutient que toutes les commissions que l’appelante a obtenues grâce à ses activités au cours de la période en cause lui ont été payées par les acquéreurs pour des services qui ont été exécutés pour eux. Parmi ces services, mentionnons l’aide apportée pour faciliter l’achat des lithographies, les démarches entreprises pour que l’on puisse se procurer les lithographies au Canada, les mesures prises pour faire évaluer les lithographies et pour trouver des organismes de bienfaisance prêts à les accepter. Les services ont été fournis au Canada à des personnes résidant au Canada et elles étaient donc des fournitures taxables sur lesquelles l’appelante était tenue de percevoir la TPS aux termes du paragraphe 165(1) de la Loi, qui, à l’époque disposait que :

 

Taux de la taxe sur les produits et services Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 7 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

 

[70]          L’intimée soutient que les dispositions de la convention de mandat qui stipulaient que l’appelante réclamerait sa commission des vendeurs des lithographies et les dispositions du contrat d’achat suivant lesquelles le prix d’achat des lithographies était de 3 500 $ étaient, dans un cas comme dans l’autre, un trompe-l’œil.

 

[71]          L’avocat de l’intimée s'est exprimé en ces termes :

 

[traduction]

 

Malgré les pièces versées au dossier, la somme de 3 500 $ est payée par le donateur, l’acquéreur, et elle est divisée en deux : la moitié représente la contrepartie reçue par Artistic du donateur pour les services fournis par Artistic et l’autre moitié correspond  à la partie qui était attribuée à M. Sloan pour les œuvres d’art.

 

En réalité, Artistic recevait sa contrepartie des fonds payés par les donateurs, parce que ceux-ci payaient 3 500 $ pour les œuvres, hormis les services. En fait, ce qu’ils achetaient, c’était un reçu fiscal par le biais d’un programme de don d’œuvres d’art[5].

 

[72]          En fin de compte, l’appelante obtenait la moitié du montant payé par les acquéreurs, ce qui [traduction] « représentait les frais que lui versaient les donateurs pour l’exploitation d’un programme de don d’œuvres d’art ».

 

[73]          L’avocat de l'intimée ajoute que l’appelante n’a pas respecté les ententes à plusieurs égards. Il a, par exemple, expliqué que l’appelante avait considéré que le prix d’achat lui appartenait en propre au lieu de considérer que les fonds étaient détenus en fiducie. Elle a remis les fonds aux vendeurs et a conservé de l’argent sur les fonds versés pour l’achat avant que les deux évaluations ne soient soumises au sujet des lithographies.

 

[74]          Selon l’avocat de l'intimée il ressort de la preuve que Artistic a structuré l’abri fiscal au profit des acquéreurs des lithographies et qu’Artistic a effectué une quantité appréciable de travail pour faciliter l’acquisition et le don de lithographies. Elle a reçu, inspecté, remballé et expédié les lithographies et a obtenu des  accusés de réception de dons et des reçus des organismes de bienfaisance et a transmis les reçus aux acquéreurs. Dans certains cas, elle s’entendait avec l’acquéreur pour qu’il fasse don de la onzième lithographie. L’avocat soutient qu’il n’est pas crédible qu’Artistic ait offert à titre gratuit ces services aux acquéreurs.

 

[75]          Il n’est pas crédible non plus que la plus grande partie du travail entourant les dons ait été effectué avant que les acquéreurs achètent les lithographies ou que ce travail ait été fait pour les vendeurs. L’avocat de l'intimée a cité des éléments de preuve qui démontrent que M. Grossman a continué à obtenir la signature de nouveaux organismes de bienfaisance pour qu’ils acceptent les dons pendant toutes les années au cours desquelles l’abri a été exploité, et il a souligné qu’Artistic était obligée de faire ce travail pour les acquéreurs aux termes de la convention de mandat. Malgré ce que M. Grossman a déclaré en contre-interrogatoire, ce travail n’était pas fait pour M. Sloan. L’avocat de l'intimée a fait l'observation suivante :

 

[traduction] C’était le programme de dons d’œuvres d’art d’Artistic et le seul rôle que Coleman et Silver ont joué était de fournir les œuvres. Le but visé était de créer des reçus fiscaux pour dons d’œuvres d’art et c’est ce qu’Artistic facilitait. Il aurait été illogique que M. Sloan paie une commission alors qu’Artistic avait besoin des œuvres de M. Sloan pour le programme de dons d’œuvres d’art qu’Artistic exploitait et avait créé[6].

 

[76]          L’avocat de l’intimée a également soutenu que l’appelante n’avait pas agi comme mandataire de Coleman et de Silver et qu’il n’existait pas d’entente aux termes de laquelle Coleman et Silver auraient accepté un tel mandat ou aurait convenu de payer une commission à Artistic. Il a soutenu que la Cour devait rejeter le témoignage de MM. Sloan, Grossman et Pearlman suivant lequel il existait une convention de mandat verbale entre les parties, parce que ces témoins ne sont pas dignes de foi. L’avocat a relevé plusieurs contradictions dans leur témoignage et, dans le cas de M. Pearlman, des contradictions entre le témoignage qu’il avait donné lors de son interrogatoire préalable et celui qu’il a livré à l’audience.

 

[77]          L’avocat de l'intimée soutient que l’appelante n’a pas réussi à démontrer qu’il existait un véritable mandat entre, d’une part, Coleman et Silver, et d’autre part, Artistic. Même si elle convient qu’il existait une entente entre Artistic et Coleman et Silver, la Cour doit conclure que cette entente n’a pas eu pour effet de créer un mandat entre elles parce que leur conduite n’est pas compatible avec ce type de relation. Le qualificatif employé par les parties pour désigner leurs rapports n’est pas concluant.

 

[78]          L’avocat de l'intimée rappelle les éléments constitutifs essentiels d’un mandat :

 

(i)                le consentement du mandant et du mandataire;

(ii)             l’autorisation donnée par le mandant au mandataire de prendre des décisions susceptibles de modifier sa situation juridique;

(iii)           le contrôle, par le mandant, des actes accomplis par le mandataire[7].

 

[79]          Suivant l’avocat de l'intimée, parmi les facteurs importants qui permettent de vérifier s’il existe une relation de mandataire, il y a lieu de mentionner le risque assumé par les parties et la question de savoir si le mandataire présumé était tenu de rendre compte de l’argent reçu. Il souligne qu’en l’espèce, Artistic avait assumé un risque pour une partie du prix d’achat des lithographies qui avaient été payées au moyen de billets à ordre par certains acquéreurs. Il ajoute que, si Artistic agissait au nom des sociétés de M. Sloan, on s’attendrait à ce que le mandant assume le risque.

 

[80]          L’avocat de l'intimée soutient également dit qu’il ne semblait pas que M. Sloan ou ses sociétés aient exercé sur Artistic un contrôle qui permettrait de penser que cette dernière agissait comme mandataire. L’avocat de l'intimée doit valoir qu’une reddition de comptes financiers minimale avait été faite à M. Sloan, que M. Sloan ne connaissait pas bien les contrats d’achat qui étaient censés être signés au nom de ses sociétés et qu’il n’avait pas reçu de copies des contrats d’achat. M. Sloan ignorait par ailleurs qu’Artistic versait de l’argent aux organismes de bienfaisance pour assumer une partie des frais d’entreposage et d’assurance. L’avocat de l'intimée ajoute qu’on s’attendrait à ce que M. Sloan soit plus rigoureux en ce qui concerne ce que ses prétendus mandataires faisaient en son nom et au sujet de la reddition de compte des profits.

 

[81]          L’avocat demande à la Cour de conclure que M. Sloan n’a jamais eu l’intention de créer avec l’appelante d’autre relation juridique que celle consistant à fournir des lithographies pour l’abri fiscal de l’appelante. Il ajoute que le rôle de M. Sloan et de ses sociétés était de faciliter les choses à l’appelante, et qu’ils laissaient à l’appelante le soin de définir tous les aspects de la relation, y compris le prix des lithographies.

 

[82]          En ce qui concerne le calcul du montant de TPS à payer, l’avocat de l'intimée explique que le fait qu’il était mentionné que la TPS faisait partie du prix de vente n'est pas décisif, parce que la somme payée par les acquéreurs à l’appelante était une commission qui ne faisait pas partie du prix de vente des lithographies.

 

[83]          L’avocat de l’intimée soutient que, si la Cour conclut que l’appelante a reçu une contrepartie des acquéreurs pour les fournitures et les services qu’ils ont reçus, les fournitures ne peuvent être considérées comme des fournitures accessoires au sens de l’article 138 de la Loi. Selon lui, la règle relative aux fournitures accessoires ne s’applique que lorsque la même personne livre deux fournitures distinctes et qu’elle ne s’applique pas aux fournitures distinctes provenant de personnes différentes. À l’appui de cette proposition, l’avocat a cité la décision Association Récréative Les Jardins du Château Inc.,[1994] G.S.T.C. 32 rendre par la juge Lamarre Proulx.

 

[84]          L’avocat de l'intimée soutient que, même s’il était possible d’appliquer la règle aux fournitures provenant de deux sources différentes, les services qu’Artistic fournissait n’étaient pas simplement accessoires à la fourniture des lithographies comme le prétend l’appelante. Il ajoute que la raison d’être des programmes de don était d’obtenir un reçu fiscal et que les services offerts en vue d’obtenir un reçu fiscal ne constituent pas un aspect secondaire par rapport à l’achat d’œuvres d’art. 

 

[85]          Pour ce qui est de la répartition de la contrepartie, il est soutenu que la preuve démontre que les services fournis aux acquéreurs représentaient beaucoup plus que 5 pour 100 de l’ensemble des services fournis par Artistic.

 

[86]          Enfin, l’avocat de l’intimée soutient que, si la Cour conclut que les ententes écrites signées par les acquéreurs et Artistic sont un trompe-l’œil, et si elle conclut qu’Artistic n’était pas le mandataire des sociétés de M. Sloan, les pénalités prévues au paragraphe 280(1) doivent être maintenues puisque l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables pour se conformer à la Loi.

 

Analyse

 

[87]          Le paragraphe 165(1) de la Loi, dans la version en vigueur à l’époque, prévoyait l’imposition de la TPS au taux de 7 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture :

 

Taux de la taxe sur les produits et services Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 7 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

 

[88]          En l’espèce, l’intimée maintient que l’appelante a touché des commissions ou des frais pour un montant de 10 588 970 $ de la part des acquéreurs des lithographies à titre de contrepartie des services que l’appelante a fournis aux acquéreurs au Canada.

 

[89]          L’appelante maintient qu’elle n’a pas facturé de commission aux acquéreurs, qu’elle a reçu ses commissions des vendeurs américains et que les services exécutés pour les acquéreurs ont été offerts à titre gratuit.

 

[90]          Il ressort manifestement de la preuve que l’appelante a bel et bien fourni des services aux acquéreurs, et que ces services comprenaient les démarches entreprises pour trouver les lithographies et organiser leur achat, la recherche d’organismes de bienfaisance prêts à accepter les dons de lithographies, de même que l’inspection et la livraison des lithographies aux organismes de bienfaisance et aux acquéreurs.

 

[91]          Il s’agissait de services que l’appelante avait convenu de fournir aux acquéreurs en vertu de la convention de mandat et, à mon avis, le fait que certaines ou la plupart des dispositions exigées de l’appelante avaient déjà été prises avant la signature de cette convention ne signifie pas que les services n’ont pas été fournis aux acquéreurs. Les services ont été fournis en prévision de la signature de la convention de mandat et les acquéreurs ont bénéficié de ces services.

 

[92]          Il ressort toutefois aussi de la preuve que les acquéreurs n’ont pas convenu de payer quoi que ce soit à l’appelante pour les services en question. La convention de mandat obligeait expressément l’appelante à s’adresser aux négociants desquels les lithographies étaient acquises si elle voulait se faire payer une commission. Le libellé de la convention de mandat ne comporte aucune ambiguïté à cet égard.

 

[93]          L’intimée affirme que cette stipulation de la convention de mandat est un trompe‑l’œil. Cet argument a été avancé pour la première fois dans la réponse à l’avis d’appel à titre de fait complémentaire invoqué par l’intimée en appel. L’intimée a donc la charge de prouver qu’il y a trompe-l’œil.

 

[94]          Pour qu’il y ait trompe-l’œil, il faut que ceux qui y sont parties s’entendent tous bien pour que l’opération ne crée pas les droits et les obligations juridiques qu'elle donne l'impression de créer. Ainsi que lord Diplock l'observe dans l’arrêt Snook c. London & West Riding Investments Ltd., [1967] 1 All E.R. 518, à la page 528 :

 

[traduction] Il me semble que, s'il a un sens en droit, il désigne des actions faites ou des documents signés par les parties au « trompe-l'œil » et destinés à créer l'impression, dans l'esprit des tiers ou du tribunal, de l'existence entre les parties de droits et d'obligations juridiques autres que ceux et celles (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer. Une chose que je crois, cependant, très claire en ce qui concerne les principes juridiques, la morale et la jurisprudence […] c'est que si des actions ou des documents doivent constituer un « trompe-l'œil », avec les conséquences juridiques qui en découlent, ceux qui y sont parties doivent tous bien entendre que les actes ou les documents ne créent pas les droits et les obligations juridiques qu'ils donnent l'impression de créer. Aucune intention non exprimée de l'auteur d'un « trompe-l'œil » n'a d'effet sur les droits d'un tiers qu'il a dupé.

 

[95]          Dans le cas qui nous occupe, aucun élément de preuve n'indique que les parties s’étaient bien entendu pour que la convention de mandat ne crée pas les droits et obligations qu’il donnait l’impression de créer. Aucun des acquéreurs n’a été appelé à témoigner et MM. Grossman et Pearlman ont tous les deux déclaré que l’appelante n’avait pas facturé de frais ou de commission aux acquéreurs.

 

[96]          L’intimée demande plutôt à la Cour de déduire que les acquéreurs doivent avoir convenu de payer des frais ou une commission à l’appelante en raison de l’ampleur des services que l’appelante leur fournissait. L’intimée soutient qu’il n’est pas plausible que ces services aient été fournis à titre gratuit.

 

[97]          L’intimée soutient aussi que la preuve démontre que l’appelante n’a pas considéré les fonds qu’elle a reçus des acquéreurs comme des fonds détenus en fiducie pour les vendeurs et qu’elle n’a pas prélevé de commission sur les fonds des acquéreurs avant que les conditions de dépôt en mains tierces se rapportant aux évaluations ne soient remplies, ce qui confirme que l’appelante n’entendait pas être liée par les accords en question.

 

[98]          Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l’appelante a manqué à l’une quelconque des conditions du dépôt en mains tierces qui étaient stipulées dans la convention de mandat parce qu’il n’y a aucun élément de preuve qui tende à démontrer que les acquéreurs aient jamais été au courant des présumés manquements ou qu’ils aient acquiescé à la conduite de l’appelante. Mais surtout, en ce qui concerne l’argument de l’intimée relatif au trompe‑l’œil, il convient de signaler que la preuve ne démontre pas que les acquéreurs n’entendaient pas soumettre l’appelante aux conditions du dépôt en mains tierces lorsqu’ils ont conclu les ententes. La preuve montre tout au plus que l’appelante n’a pas rempli certaines des obligations relatives au dépôt en mains tierces qui étaient stipulés dans la convention, mais ce manquement n’a pas eu d’incidence sur l’exécution générale des obligations que l’appelante avait contractées aux termes de cette convention et du contrat d’achat, et aucun acquéreur ne lui a reproché d’avoir mal exécuté ses obligations. Le fait que les acquéreurs n’aient pas relevé le présumé défaut de l’appelante de se conformer aux conditions du dépôt en mains tierces ne saurait être interprété comme un indice de l’existence d’un trompe‑l’œil.

 

[99]          S’agissant de l’argument de l’intimée suivant lequel l’appelante a fourni des services considérables aux acquéreurs, je ne constate l’existence d’aucune stipulation selon laquelle l’appelante se faisait payer pour ces services. Qui plus est, ces services ont été fournis dans le cadre des activités générales entourant l’exploitation de l’abri fiscal pour assurer la vente constante des lithographies, vente dont l’appelante a profité. Il est évident que ces dispositions se sont avérées extrêmement lucratives pour l’appelante, et que celle-ci pouvait fort bien absorber le coût relativement mineur des services fournis aux acquéreurs.

 

[100]      Pour démontrer que les acquéreurs ont payé une commission à l’appelante, l’intimée aurait également eu à démontrer que le prix d’achat prévu au contrat d’achat et dans les formules de commande signés par les acquéreurs était aussi un trompe-l’œil. Or, aux termes de ce contrat, les acquéreurs convenaient de payer aux vendeurs américains 3 500 $ par lot de lithographies. Ainsi que je l’ai déjà fait observer, aucun des acquéreurs n’a été appelé à témoigner et je ne puis inférer des autres éléments de preuve qu’ils n’entendaient pas être liés par cet accord, ou que l’accord entourant l’achat des lithographies était différent de celui qui était stipulé au contrat. Aucune des stipulations de ces accords ne prévoyait le paiement d’une commission à Artistic par les acquéreurs. Je conclus que les acquéreurs n’avaient pas l’intention de payer une commission à l’appelante pour ses services.

 

[101]      Pour tous ces motifs, je conclus que l’intimée n’a pas réussi à démontrer que les accords conclus par la totalité ou une partie des acquéreurs étaient un trompe‑l’œil. Je ne saurais donc conclure que les commissions touchées par l’appelante ont été payées par les acquéreurs. Les opérations intervenues entre les acquéreurs et les vendeurs américains et l’appelante doivent être acceptées telles qu’elles sont libellées dans le contrat d’achat et dans les conventions de mandat. Ainsi que la Cour suprême du Canada le dit dans l’arrêt Shell Canada Ltd. c. La Reine[8] :

 

[…] en l’absence d’une disposition expresse contraire de la Loi ou d’une conclusion selon laquelle l’opération en cause est un trompe‑l’œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale.  Une nouvelle qualification n’est possible que lorsque la désignation de l’opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables.

 

[102]      Je retiens également le témoignage de MM. Pearlman, Grossman et Sloan suivant lequel les vendeurs américains avaient convenu de payer une commission à l’appelante en contrepartie de son rôle de mandataire relativement à la vente des lithographies. Ce témoignage est corroboré par celui de Me Turner, un témoin désintéressé, dont le témoignage n’a pas été contesté en contre-interrogatoire. Me Turner a donné des conseils au sujet de la structuration des rapports entre Artistic et les vendeurs américains en vue de minimiser l’impôt à payer, et il semble que les parties aient suivi ses conseils.

 

[103]      Je ne peux retenir la thèse de l’intimée, selon laquelle les actes de l’appelante sont incompatibles avec une relation de mandataire entre cette dernière et les vendeurs des lithographies. Il y a des éléments de preuve tendant à démontrer que les vendeurs ont consenti à ce que l’appelante agisse comme mandataire, et des éléments de preuve suivant lesquels les vendeurs ont accordé à l’appelante l’autorisation nécessaire pour qu’elle soit liée par les contrats d’achat. Le risque prévu par ces contrats était assumé par les vendeurs plutôt que par l’appelante, ce qui confirme aussi l’existence d’un mandat.

 

[104]      Ce n’est que dans certains cas que l’appelante a assumé des risques en ce qui a trait au paiement, mais ce risque était négligeable par rapport à la quantité globale de lithographies vendues. L’appelante a effectivement rendu compte aux vendeurs du produit de la vente et de la partie de certaines dépenses partagées assumée par les vendeurs. Il est vrai que la comptabilité était plutôt rudimentaire, mais elle répondait aux exigences des parties dans les circonstances. M. Sloan a expliqué qu’il savait en gros à tout moment ce qui était dû aux vendeurs parce qu’il suivait de près le nombre de lithographies qui étaient expédiées et qu’il s’entretenait régulièrement avec M. Grossman au sujet des dépenses engagées. Dans l’ensemble, les rapports que l’appelante entretenait avec les vendeurs américains répondent à la définition généralement admise du « mandat » que donne  Fridman dans The Law of Agency (7e éd.) à la page 11 :

 

[traduction] Le mandat est la relation qui existe entre deux personnes, l'une étant appelée le mandataire et étant considérée en droit comme représentant l'autre, le mandant, de façon à pouvoir modifier la position juridique de ce dernier envers des tiers à la relation en concluant des contrats ou en disposant de biens.

 

[105]      Vu mes conclusions précitées, la seule question qu’il reste à trancher est celle de l’obligation de l’appelante de payer la pénalité prévue au paragraphe 280(1) relativement aux crédits d’impôt sur les intrants refusés. Après l’admission faite par l’intimée mentionnée au début du présent jugement, il reste, pour la période en litige, une somme de 92 480,93 $ à titre de crédits d’impôt sur les intrants refusés. Bien qu’Artistic ait affirmé qu’elle contestait la pénalité imposée sur le montant restant, elle n’a produit aucun élément de preuve pour démontrer qu’elle avait fait preuve de diligence raisonnable pour déclarer ses crédits d’impôt sur les intrants et elle n’a présenté aucun argument à cet égard. Je conclus donc que rien ne justifie la suppression de la pénalité en l'espèce.

 

[106]      Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli en partie avec dépens et la cotisation est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en partant du principe que l’appelante n’était pas tenue de percevoir la TPS sur les commissions qu’elle a touchées au cours de la période visée par l’appel et en se fondant sur les admissions contenues aux paragraphes 4 et 5 des présents motifs.

 

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 7e jour d’août 2008.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mai 2009.

 

 

François Brunet, réviseur.

 

 


 

RÉFÉRENCE :                                              2008CCI452

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :               2003-1855(GST)G

 

INTITULÉ :                                                    ARTISTIC IDEAS INC. et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         Les 5, 6, 7 et 8 septembre 2006 et

                                                                        les 11, 12, 13 et 14 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                         L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                              Le 7 août 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Irving Marks

Me Shawn Pulver

Avocats de l’intimée :

Me Perry Derksen

Me P. Michael Appavoo

(5, 6, 7 et 8 septembre 2006)

Me Brianna Caryll

(5, 6, 7 et 8 septembre 2006)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

         Pour l’appelante :

 

                                    Nom :                          Mes Irving Marks et Shawn Pulver

 

                                    Cabinet :                     Robins, Appleby & Taub

                                                                        Toronto (Ontario)

 

         Pour l’intimée :                                    John H. Sims, c.r.

                                                                        Sous-procureur général du Canada

                                                                        Ottawa, Canada



[1] Les arrangements ne répondaient pas, en principe, à la définition de l’expression « abri fiscal » que l’on trouvait au paragraphe  237.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu dans sa rédaction alors en vigueur, parce que les acquéreurs réclamaient alors des crédits d’impôt et non des déductions ou des pertes. La définition a été modifiée le 18 février 2003 pour viser les arrangements visant les crédits d’impôt.

[2] Les montants suivants doivent être accordés à titre de crédits d’impôt sur les intrants :

Pour la période se terminant le 31 janvier 1999 : 16 016,70 $

Pour la période se terminant le 31  janvier 2000 : 22 917,69 $

Pour la période se terminant le 31  janvier 2001 : 13 184,57 $

 

[3] La TPS se rapporte aux périodes suivantes :

Pour la période se terminant le 31 janvier 1999 : 23 941,32 $

Pour la période se terminant le 31  janvier 2000 : 56 574,86 $

Pour la période se terminant le 31  janvier 2001 : 30 246,68 $

[4] Transcription des débats, à la page 11.

[5] Transcription des débats, à la page 920.

[6] Transcription des débats, à la page 995.

[7] (Royal Securities Corp. c. Montreal Trust Co. (1966), 59 D.L.R. (2nd) 666 (H.C. Ont.), à la page 684).

[8]  [1999] 3 R.C.S. 622, au paragraphe 39.

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