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Dossier : 2003-4614(IT)G

ENTRE :

LYNETTE L. MENSAH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

________________________________________________________________

 

Appels entendus à Halifax (Nouvelle‑Écosse), les 11, 12 et 13 juin 2008.

 

Devant : L'honorable juge en chef D. G. H. Bowman

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Gerard Tompkins, c.r.

Avocat de l'intimée :

Me John P. Bodurtha

 

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'égard des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 sont accueillis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci‑joints, et pour que les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu soient annulées.

 

          Les cotisations établies pour 1993, une année d'imposition prescrite, sont annulées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juillet 2008.

 

 

« D. G. H. Bowman »

Le juge en chef Bowman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2008CCI378

Date : 20080709

Dossier : 2003-4614(IT)G

 

ENTRE :

LYNETTE L. MENSAH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Bowman

 

[1]     Les présents appels ont été interjetés à l'égard de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993, 1994, 1995 et 1996 de l'appelante. L'appelante était professeur à l'Université Dalhousie. Elle exploitait aussi une épicerie dénommée Lyn D's Deli. Les présents appels portent sur le calcul des revenus ou des pertes découlant de cette entreprise.

 

[2]     Je tiens d'abord à exposer quelques points préliminaires. Premièrement, pour 1993, 1994, 1995 et 1996, l'exercice de l'entreprise exploitée par l'appelante se terminait le 1er janvier. Par conséquent, l'appelante a utilisé la période allant du 2 janvier 1992 au 1er janvier 1993 pour calculer le revenu ou la perte de l'entreprise pour l'année d'imposition 1993. De façon similaire, l'appelante a utilisé la période allant du 2 janvier 1993 au 1er janvier 1994 pour calculer le revenu ou la perte de l'entreprise pour 1994. Depuis 1995, la Loi de l'impôt sur le revenu exige que la période utilisée pour calculer le revenu tiré d'une entreprise corresponde à l'année civile. Ainsi, le revenu ou la perte de l'entreprise déclaré pour 1995 aurait dû inclure la période allant du 2 janvier 1994 au 1er janvier 1995 et la période allant du 2 janvier 1995 au 31 décembre 1995. Néanmoins, l'appelante a seulement inclus la perte résultant de l'entreprise pour la période allant du 2 janvier 1994 au 1er janvier 1995 dans sa déclaration de revenus pour 1995. L'appelante a inclus la perte de l'entreprise pendant la période allant du 2 janvier 1995 au 1er janvier 1996 dans sa déclaration de revenus pour 1996. Plus tard, l'appelante a tenté de produire une autre déclaration de revenus pour 1996 en y incluant la perte subie pendant l'année civile 1996, mais l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a refusé cette déclaration. Manifestement, l'appelante agissait de façon contraire à son propre intérêt en continuant de se servir d'un exercice se terminant le 1er janvier pour l'entreprise.

 

[3]     Deuxièmement, les cotisations ont été établies au moyen de la méthode de l'« avoir net ». Je traiterai du bien‑fondé de l'utilisation de la méthode de l'avoir net dans la présente affaire plus loin dans mes motifs.

 

[4]     Troisièmement, l'appelante m'a paru être un témoin très crédible et honnête. La crédibilité de l'appelante n'a pas été attaquée durant son contre‑interrogatoire ou durant les plaidoiries. (Voir Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.), aux pages 70 et 71.) Je n'hésite aucunement à prêter foi à son témoignage selon lequel elle a consigné et déclaré les revenus et les pertes résultant de l'entreprise de façon soigneuse et minutieuse.

 

[5]     Si l'appelante a commis des erreurs, elles sont mineures et l'appelante les a commises de bonne foi. Ces erreurs ne justifiaient pas l'utilisation brutale de la méthode de l'avoir net, qui a été décrite comme un « instrument grossier ». De plus, il s'agit d'une méthode qui ne doit servir qu'en dernier recours, lorsque les autres méthodes de calcul du revenu ne peuvent pas être utilisées. Voir le paragraphe 6 de Ramey c. La Reine, 93 D.T.C. 791, no 91‑547(IT), 20 avril 1993 (C.C.I.) :

 

[6]        Je ne sous‑estime pas les difficultés énormes, sinon pratiquement insurmontables, auxquelles l'appelant et son avocat se heurtent dans leur tentative de contester les cotisations d'actif net établies à l'égard d'un contribuable décédé. Estimer le revenu annuel d'un contribuable à partir de la valeur de son actif net est une méthode insatisfaisante et imprécise. C'est un instrument grossier que le ministre doit utiliser en dernier ressort. Une cotisation d'actif net repose sur une comparaison de l'actif net du contribuable, à savoir la valeur de l'actif moins le passif au début d'une année, avec son actif net à la fin de l'année. À la différence ainsi obtenue, on ajoute les dépenses qu'il a engagées pendant l'année. Le montant obtenu est réputé être le revenu du contribuable, sauf preuve contraire. Ces cotisations peuvent être inexactes dans une mesure indéterminée, mais elles sont valables jusqu'à preuve de leur inexactitude. Il est quasi impossible de les contester à la pièce. La seule façon vraiment efficace de les contester est de procéder à une reconstitution complète du revenu du contribuable pour l'année. Un contribuable dont les registres comptables et le mode de déclaration de revenus sont dans un tel fouillis que la cotisation d'actif net s'impose est souvent l'artisan de son propre malheur. M. Boudreau a déclaré que les registres de M. Allan Ramey étaient inadéquats, qu'avant 1981 ses cotisations avaient fréquemment été établies selon la méthode de l'actif net, et que son entreprise de machines automatiques, telles des machines à boules et des machines à sous de types divers, fonctionnait en espèces et était donc difficile à vérifier. Le ministre n'avait donc d'autre choix que de procéder comme il l'a fait. Malgré la sympathie que je puis éprouver à l'endroit de quelqu'un comme l'appelant dont la responsabilité à l'égard de l'impôt de son père est subsidiaire, je ne vois rien qui puisse justifier le rajustement des cotisations établies à l'égard de ce dernier au‑delà de ce que l'intimée a déjà consenti.

 

[6]     Comme la preuve le démontrera, la présente affaire ne pourrait pas être plus différente de l'affaire Ramey. Peu importe le caractère peu opportun que pourrait avoir l'utilisation de la méthode de l'avoir net en l'espèce, c'est celle que le ministre a choisie. Pour les raisons que j'exposerai ci‑dessous, il y a une méthode beaucoup plus acceptable pour calculer le revenu de l'appelante, c'est‑à‑dire la méthode que l'appelante a elle‑même utilisée. Le paragraphe 75 du jugement majoritaire rendu par la Cour suprême du Canada dans La Reine c. McLarty, 2008 CSC 26, est ainsi rédigé :

 

[75]      Le ministre dispose de nombreux moyens pour contester les déductions demandées par un contribuable. Il peut se fonder sur la notion de simulacre ou sur la RGAÉ, pour n'en nommer que deux. Il ne l'a pas fait dans ce cas. En matière de nouvelle cotisation, le rôle du tribunal se borne à trancher les différends entre le ministre et le contribuable. Il n'est pas le protecteur des revenus de l'État. Le tribunal doit uniquement décider si le ministre, selon le fondement qu'il a choisi pour établir la cotisation, a raison ou a tort. Devant notre Cour, le ministre a invoqué la dette éventuelle et le lien de dépendance. La dette contractée par M. McLarty n'était pas éventuelle et il n'y avait aucune raison de modifier les conclusions du juge de première instance selon lesquelles les opérations entre MM. McLarty et Compton étaient sans lien de dépendance.

 

Selon moi, la Cour suprême n'a pas dit qu'un appelant ne peut pas contester la méthode utilisée par le ministre en soutenant qu'elle n'était pas appropriée. Pour utiliser une image plus familière, si le ministre a choisi de mettre tous ses oeufs dans le panier de la méthode de l'avoir net, il doit en assumer les conséquences, mais cela ne veut pas dire qu'il en va de même pour le contribuable. De toute manière, l'intimée n'a pas choisi de justifier les cotisations sur d'autres fondements.

 

[7]     Lorsque la répartitrice de l'ARC a été contre‑interrogée, elle a reconnu qu'aucun dossier n'avait été falsifié. La preuve qui a été présentée me convainc que Mme Mensah a bien tenu ses dossiers, et qu'elle s'est servie de ces dossiers pour calculer les revenus ou les pertes ayant résulté de l'exploitation de l'épicerie.

 

[8]     Quatrièmement, la cotisation établie pour l'année d'imposition 1993 porte sur une année frappée de prescription. C'est au ministre qu'incombe le fardeau de démontrer qu'il était justifié d'établir une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1993 après la période normale de nouvelle cotisation. Les dispositions de la Loi qui permettent au ministre d'établir de nouvelles cotisations pour des années frappées de prescription ont évolué avec le temps, et cette évolution a été résumée au paragraphe 18 de 943372 Ontario Inc. c. La Reine, 2007 CCI 294, 2007 D.T.C. 1051, [2007] 5 C.T.C. 2001 :

 

[18]      L'évolution de ces dispositions peut être brièvement résumée : initialement, le paragraphe 152(4) permettait au ministre de rouvrir une année prescrite pour n'importe quelle raison, s'il pouvait conclure à une présentation erronée des faits du type décrit au paragraphe 152(4), peu importante soit‑elle, et il pouvait établir une nouvelle cotisation à l'égard de n'importe quel élément, et ce, peu importe que cet élément ait donné lieu à une présentation erronée des faits, de quelque type que ce soit. De toute évidence, cela semblait plutôt inéquitable, de sorte que l'alinéa 152(5)b) a été édicté en 1973‑1974, cette disposition prenant effet à compter de 1972. La disposition en question permettait au contribuable d'établir que l'omission de déclarer un montant au titre du revenu ne résultait pas d'une présentation erronée des faits effectuée par négligence, inattention, omission volontaire ou attribuable à une fraude. Néanmoins, cette disposition imposait une charge au contribuable. Le paragraphe 152(4.01) a donc été édicté et son effet, selon Me Kutkevicius, est de libérer le contribuable de cette charge et d'imposer au ministre une charge à deux volets pour établir :

 

a)         qu'il y a eu présentation erronée des faits,

 

b)         que la présentation erronée des faits a été effectuée par négligence, inattention ou omission volontaire ou qu'elle est attribuable à une fraude.

 

Je crois que telle est l'interprétation qu'il convient de donner. Si la charge qui était imposée au contribuable en vertu de l'ancien alinéa 152(5)b) avait survécu à la modification apportée au paragraphe 152(5) et à l'adoption du paragraphe 152(4.01), le paragraphe (4.01) n'aurait aucun objet.

 

[9]     Un fait complique la situation en l'espèce : la déclaration de revenus de l'appelante pour 1993 n'a pas été entièrement déposée en preuve; en fait, la page comportant la signature de l'appelante n'a pas été retrouvée. De plus, la présentation erronée des faits qui avait été imputée à l'appelante n'a pas été prouvée avec précision, ou même du tout.

 

[10]    Au paragraphe 10 de l'affaire 943372, précitée, je me suis demandé si une cotisation établie au moyen de la méthode de l'avoir net peut satisfaire aux exigences du paragraphe 152(4.01) de la Loi :

 

[10]      La preuve présentée par la Couronne à l'encontre de Valerie mère pose un autre problème qui est selon moi plutôt troublant. Les cotisations relatives à l'année 2001 établies contre Valerie mère sont prescrites et peuvent uniquement être préservées si les conditions prévues aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) sont réunies. Les cotisations relatives à l'année 2001 dont Valerie mère a fait l'objet sont fondées sur l'actif net. Il s'agit de cotisations arbitraires qui ne sont pas expressément basées sur une source particulière de revenu. Comment une cotisation d'actif net peut‑elle satisfaire aux conditions énoncées au paragraphe 152(4.01)? Pour être conforme aux dispositions du paragraphe 152(4.01), une nouvelle cotisation établie en vertu du paragraphe 152(4) doit respecter les restrictions énoncées au paragraphe 152(4.01) dans lequel figurent les mots suivants : « [...] dans la mesure où il est raisonnable de considérer qu'elle [la nouvelle cotisation] se rapporte à une présentation erronée des faits [...] effectuée par négligence, inattention ou omission volontaire ou attribuable à quelque fraude [...] ». Ce point n'a pas été débattu et je n'exprime aucune conclusion à ce sujet.

 

[11]    Le dernier point préliminaire est que des pénalités ont été imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Cette disposition est rédigée de la façon suivante :

 

(2) Faux énoncés ou omissions – Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

 

[...]

 

Le reste de la disposition présente une formule complexe qu'il n'est pas nécessaire de reproduire ici. Le ministre a le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'un faux énoncé ou qu'une omission a été fait « sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde ». Quoiqu'il s'agisse d'une norme de preuve civile plutôt que pénale, la preuve présentée à l'appui d'une pénalité doit être étudiée soigneusement. Le passage suivant est tiré de Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, no 92‑2597(IT)G, 16 septembre 1994, 95 D.T.C. 200 à la page 205 (C.C.I.), conf. par no A‑542‑94, 18 janvier 1996, 96 D.T.C. 6085 (C.A.F.) :

 

Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous‑alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien‑fondé d'allégations moins sérieuses3. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité4. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

 

3           Voir Continental Insurance Co. v. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; 131 D.L.R. (3rd) 559; 25 C.P.C. 72, le juge en chef Laskin, p. 168-171; D.L.R. 562‑564; C.P.C. 75‑77). Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458, p. 459; Pallan et al v. M.N.R. 90 D.T.C. 1102, p. 1106; W. Tatarchuk Estate v. M.N.R., [1993] 1 C.T.C. 2440, p. 2443.

 

4           Il ne s'agit pas simplement d'une extrapolation de la règle énoncée dans l'affaire Hodge's Case (1838) 2 Lewin 227; 168 E.R. 1136, qui se rapporte à des questions de nature criminelle comme celle que vise, par exemple, l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui requiert une preuve au‑delà du doute raisonnable. Il s'agit simplement d'une application du principe selon lequel une pénalité ne peut être imposée que dans les cas où la preuve le justifie clairement. Si cette dernière est compatible avec, à la fois, l'état d'esprit qui justifie une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) et l'absence de cet état d'esprit — j'hésite à employer les mots innocence ou culpabilité dans ces circonstances — cela voudrait dire que la Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau qui pesait sur ses épaules.

 

[12]    Je tiens à ajouter que l'établissement de pénalités sur des cotisations selon la méthode de l'avoir net me pose autant de problèmes que l'établissement de nouvelles cotisations pour des années frappées de prescription. Les principes énoncés dans le passage tiré de Farm Business Consultants Inc. étaient fondés sur les décisions de la Cour suprême du Canada qui sont mentionnées dans la note en bas de page 3. La Cour d'appel fédérale a confirmé ces principes. L'expression [TRADUCTION] « selon la prépondérance des probabilités » a été analysée dans In Re Doherty, 2008 UKHL 33, et dans In Re B, 2008 UKHL 35. Il s'agit là d'une analyse intéressante du sens de cette expression, mais il est évident que si les observations de la Chambre des lords diffèrent des principes énoncés par la Cour suprême du Canada, c'est l'opinion de cette dernière qui me lie.

 

[13]    Lorsque l'appelante a produit sa déclaration de revenus pour 1993, elle a déclaré, en plus de son salaire de professeur et d'autres petites sources de revenus, une perte de 33 995,17 $ résultant de l'exploitation de son épicerie durant la période allant du 2 janvier 1992 au 1er janvier 1993. La déclaration de revenus pour 1993 avait apparemment été complétée par un teneur de comptes ou par un comptable, mais, comme je l'ai déjà mentionné, la copie qui a été déposée en preuve ne comporte pas de page de signature. La déclaration incomplète se trouve à l'onglet 13 du volume 1 de la pièce R‑1. En supposant que l'état des résultats de l'entreprise qui m'a été présenté est celui qui avait été joint à la déclaration, il montre les résultats suivants : ventes : 10 985,47 $; coût des produits vendus : 15 252,72 $; autres dépenses : 29 727,92 $; perte totale : 33 995,17 $.

 

[14]    Selon la réponse à l'avis d'appel, la cotisation initiale qui avait été établie pour 1993 était datée du 3 avril 1995, la première nouvelle cotisation avait été établie le 6 mars 2001 et, après opposition, une autre nouvelle cotisation avait été établie le 6 octobre 2003. La nouvelle cotisation pour 1993 qui a été établie en 2001 a été établie hors des délais prescrits, et ce défaut n'a pas été corrigé par la nouvelle cotisation établie en 2003. À moins que l'intimée ne puisse justifier, en vertu des paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la Loi, l'établissement d'une nouvelle cotisation en 2001 malgré la prescription de l'année visée (ce qu'elle n'a pas fait), les nouvelles cotisations pour 1993 établies en 2001 et en 2003 seront annulées. La nouvelle cotisation pour 1993 établie en 2001 ajoutait 17 382,40 $ au revenu total de l'appelante en tant que [TRADUCTION] « revenu non déclaré — avoir net ». À la suite de l'opposition de l'appelante, le ministre a établi la deuxième nouvelle cotisation pour 1993, qui réduisait le rajustement au revenu de l'appelante de 1 173,16 $.

 

[15]    La déclaration générale T1 produite par l'appelante pour 1994 indique que l'épicerie a eu les résultats suivants pour la période allant du 2 janvier 1993 au 1er janvier 1994 : ventes : 37 541,45 $, moins 2 294 $ de TPS; coût des produits vendus : 42 504 $; autres dépenses : 55 862 $; perte totale : 63 120,76 $. Une grande part des dépenses était attribuable au loyer (18 860 $) et aux salaires (23 092 $). En 1993, l'entreprise a emménagé dans de nouveaux locaux. Le ministre a ajouté 90 785,89 $ aux revenus de l'appelante pour cette année‑là en vertu de la méthode de l'avoir net, et il a imposé à l'appelante une pénalité pour faute lourde de 10 432,82 $. Après que l'appelante a présenté une opposition, les revenus ont été diminués de 5 706,26 $ et la pénalité pour faute lourde a été ramenée à 9 800,15 $.

 

[16]    Pour 1995, l'épicerie a eu les résultats suivants pour la période allant du 2 janvier 1994 au 1er janvier 1995 : ventes : 44 756,36 $, moins 53 679,79 $ de TPS; coût des produits vendus : 32 543 $; autres dépenses : 61 983 $; perte totale : 53 415,10 $. Lorsque le ministre a établi une cotisation pour l'année d'imposition 1995, il a ajouté 90 556,16 $ aux revenus de l'appelante, et il lui a imposé une pénalité de 11 737 $. Après opposition, l'ajout aux revenus de l'appelante a été diminué de 35 942,94 $ et la pénalité a été réduite à 6 145,13 $. Selon l'annexe A de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante aurait déclaré une perte d'entreprise de 47 539 $ pour la période ayant pris fin le 31 décembre 1995. Ce n'est pas ce qu'indique la déclaration de revenus. La perte de 47 539 $ a été déclarée comme perte d'entreprise pour 1996. Parmi les pièces qui ont été déposées en preuve, je n'ai pas trouvé de copie de la déclaration portant sur les revenus ou pertes d'entreprise pour la période ayant pris fin le 31 décembre 1995. Il est évident que la somme de 47 539 $ provient de la déclaration de revenus pour 1996, laquelle inclut les résultats financiers de l'entreprise pour la période allant du 2 janvier 1995 au 1er janvier 1996.

 

[17]    Pour l'année civile 1996, l'appelante a déclaré une perte d'entreprise de 22 181,22 $ après avoir fait le calcul suivant : ventes : 38 942,12 $, moins 2 700 $ de TPS; coût des produits vendus : 17 650,41 $; autres dépenses : 40 772 $. Pour 1996, le ministre a réduit les revenus de l'appelante de 9 518,80 $. Voici ce qui c'est passé : l'appelante avait produit une déclaration de revenus pour 1996 dans laquelle elle déclarait une perte d'entreprise de 47 539 $ pour la période allant du 2 janvier 1995 au 1er janvier 1996. Plus tard, l'appelante a produit une autre déclaration de revenus pour 1996, dans laquelle elle déclarait une perte d'entreprise de 22 181,22 $ pour l'année civile 1996. Elle aurait donc dû déplacer la perte de 47 539 $ à 1995.

 

[18]    Le problème s'explique peut‑être en partie par le fait que lorsque le ministre a établi les nouvelles cotisations au moyen de la méthode de l'avoir net, il a déplacé les pertes d'entreprise aux périodes où elles ont été subies, de façon à les faire correspondre avec les reçus et les dépenses de l'appelante. Le résultat de ce geste a toutefois été de faire disparaître l'avantage que retirait l'appelante du fait que l'exercice de l'entreprise se terminait le 1er janvier. Avec la méthode de l'avoir net, les pertes d'entreprise étaient comptabilisées durant l'année où elles avaient lieu, et pas l'année suivante. Cela aurait posé plus de problèmes si l'entreprise de l'appelante avait été rentable.

 

[19]    Pendant la préparation des présents motifs, j'ai eu beaucoup de difficulté à faire le rapprochement entre les chiffres présentés dans la réponse à l'avis d'appel et les documents déposés en preuve. Je suis confronté à une multitude de calculs d'avoir net et à d'autres calculs faits par la représentante de l'ARC, mais les seules assises solides sur lesquelles je peux fonder mes conclusions quant aux revenus de l'appelante sont les chiffres qu'elle m'a présentés, mis à part les problèmes de dates que j'ai déjà mentionnés. J'exposerai ci‑dessous un certain nombre d'observations quant aux calculs faits selon la méthode de l'avoir net, et ces observations rendront les conclusions de l'ARC peu fiables, même si je concluais que la méthode de l'avoir net était la seule façon valable de calculer les revenus de l'appelante (mais telle n'est pas ma conclusion).

 

[20]    Commençons par un aperçu de la situation. L'appelante est une femme d'âge mûr qui a quitté le Guyana pour venir au Canada en 1969. Elle avait étudié en Angleterre et son époux d'alors était chercheur à l'Université Dalhousie. L'appelante détient un baccalauréat et une maîtrise en sciences infirmières, et un doctorat en éducation. De 1971 jusqu'à ce qu'elle prenne sa retraite en 1998, l'appelante était professeur à temps plein en obstétrique et en santé communautaire à l'Université Dalhousie. Son travail l'a amenée à voyager partout dans le monde, et l'Université Dalhousie lui remboursait ses frais de déplacement.

 

[21]    L'appelante a fondé son entreprise vers 1992, et, dans un premier temps, c'est sa fille Shelley qui la dirigeait. L'appelante a pris les rênes de l'entreprise vers 1992 ou 1993. L'idée de fonder une épicerie caribéenne comportait une certaine part d'idéalisme. Madame Mensah a répondu à une question de son avocat, Me Tompkins, de la façon suivante :

 

[TRADUCTION]

 

33.       Q. :      Compte tenu de votre parcours, de votre expérience et de vos compétences, pouvez‑vous nous expliquer pourquoi vous avez continué à exploiter votre restaurant?

 

R. :       J'ai ouvert mon restaurant pour établir une présence caribéenne ici — à Halifax. À cette époque, il n'existait rien d'exotique ici. Je voulais aussi créer des emplois pour des gens appartenant à des groupes minoritaires, parce qu'ils ne pouvaient pas trouver de travail. Il est donc possible que mes intentions aient été partiellement altruistes, mais je voulais aussi que mon entreprise soit rentable. Quant à savoir pourquoi j'ai exploité mon commerce aussi longtemps — j'imagine que c'est une question de ténacité. J'avais toujours gardé l'espoir que mon entreprise aurait du succès, que je pourrais la faire croître. Je suis une personne persévérante. Cela fait partie de ma formation de toujours essayer d'aider les autres, peu importe ce que je fais; j'ai toujours continué à croire que la situation s'améliorerait.

 

Néanmoins, l'épicerie constituait manifestement une entreprise, et l'appelante l'exploitait avec l'intention de réaliser un profit. La répartitrice s'est demandé si elle devait appliquer le défunt critère de l'expectative raisonnable de profit (dont personne ne pleurera la mort), que la Cour suprême du Canada a récemment rendu caduc. La répartitrice a sagement décidé de ne pas utiliser ce critère.

 

[22]    La pièce A‑16 indique que l'appelante a subi une perte de 198 000 $ durant les quatre années en cause. (Il s'agit en fait d'une période de cinq ans moins un jour, parce que l'exercice de l'entreprise prenait fin le 1er janvier.) En fait, si tout était transposé sur la base de l'année civile, ce que semble faire la méthode de l'avoir net, la perte de 33 995 $ serait déplacée à 1992, celle de 63 120 $ à 1993, celle de 53 418 $ à 1994, celle de 47 539 $ à 1995, et celle de 22 181 $ serait incluse en 1996. La perte totale s'élèverait alors à 186 256 $ pour la période comprenant les années civiles 1993 à 1996. D'une façon ou d'une autre, les pertes qui étaient déclarées sont considérables, mais l'ARC a essentiellement fait abstraction des chiffres fournis par l'appelante et, en se servant de la méthode de l'avoir net pour établir un [TRADUCTION] « écart d'avoir net », l'ARC a calculé que l'appelante avait subi une perte totale de 47 000 $ durant la période en cause. La différence entre le résultat de l'appelante et celui de l'ARC est énorme, et cette différence me fait douter de la fiabilité de la méthode de l'avoir net dans la présente affaire. En fait, pour la colonne 1994, qui vise la période allant du 2 janvier 1993 au 1er janvier 1994, la Couronne a indiqué que l'entreprise avait réalisé un profit de 22 000 $, et ce, même si la Couronne reconnaît que l'entreprise avait subi des pertes durant toutes les autres années. Chose plus surprenante encore, ce profit aurait été réalisé durant l'année où l'entreprise avait rénové les locaux de la rue Queen et où elle y avait emménagé. Même en me fiant seulement au bon sens, je suis convaincu que si une année n'aurait pas dû être rentable pour l'entreprise, c'est celle‑là.

 

[23]    Lorsqu'on compare les résultats de la méthode de l'avoir net avec les chiffres fournis par l'appelante, ce sont ces derniers qui me semblent plus réalistes, et, à mon avis, beaucoup plus fiables que ceux de l'ARC. Les chiffres présentés par l'appelante, qu'elle a tirés de ses dossiers, n'ont jamais été contestés. L'appelante a tenu les dossiers quant aux dépenses de son entreprise de façon minutieuse (voir les onglets 31, 32, 33 et 34, pièces R‑2 et R‑3). L'appelante calculait les recettes de son entreprise grâce aux rubans de caisses enregistreuses (« rapports Z ») et de dépôts bancaires.

 

[24]    L'entreprise de l'appelante était condamnée à l'échec dès sa fondation, mais l'ARC n'a pas choisi de refuser les pertes déclarées par l'appelante en disant que l'épicerie ne constituait pas une entreprise. La prétendue rentabilité de l'entreprise durant l'année de son déménagement n'a aucun sens. Cette prétendue rentabilité jette un doute sur tout le reste.

 

[25]    Comme je l'ai déjà mentionné, les chiffres présentés par l'appelante n'ont jamais été remis en cause. La répartitrice s'est contentée d'affirmer que les dossiers de l'appelante étaient insuffisants, et elle s'est servie de cette allégation non fondée pour écraser l'appelante en ayant recours à la méthode de l'avoir net. Compte tenu de la multitude de documents que l'appelante a présentés et qu'elle a déposés en preuve, je ne peux me rendre à l'avis de la répartitrice. L'appelante n'a pas été accusée d'avoir falsifié des documents ou d'avoir dissimulé quoi que ce soit. L'appelante a été ouverte, coopérative et claire dans ses échanges avec l'ARC. Je prête foi à son témoignage, et je suis d'avis que la preuve qu'elle a présentée quant aux dépenses et aux revenus de l'entreprise est plus fiable que celle que l'ARC a obtenue en utilisant la méthode de l'avoir net. Rien dans la réponse à l'avis d'appel, dans les témoignages ou dans les plaidoiries ne donne à croire que les prétendus « revenus non déclarés » proviennent d'autres sources que de l'épicerie fine.

 

[26]    J'ai examiné le témoignage de l'appelante avec soin, et je suis convaincu que le système qu'elle avait mis en place lui permettait de consigner et de comptabiliser avec exactitude les recettes payées en espèces ou par carte de crédit, de même que les dépenses de son entreprise. Je tiens à souligner que l'entreprise déficitaire s'est maintenue à flot grâce à d'importants apports de fonds provenant du compte bancaire personnel de l'appelante et de prêts et de dons faits par des amis de l'appelante et par des membres de sa famille. Certains de ces apports de fonds étaient faits en espèces. Par exemple, le chèque de paie de l'appelante était déposé dans son compte à la coopérative de crédit, et l'argent était ensuite déposé dans le compte bancaire de l'entreprise à la Banque Royale. Les contributions financières de Mme Mensah, de ses amis et de sa famille ont très bien pu fausser les calculs de l'avoir net à la hausse, et ce, dans une mesure indéterminée, mais ces contributions n'auraient pas fait en sorte que les revenus soient sous‑estimés ou que les dépenses soient surestimées. À titre d'exemple, j'ai identifié pour la période en cause des prêts totalisant environ 18 000 $, compte tenu du taux de change du dollar américain en vigueur. Les contributions financières faites par l'appelante restent indéterminées, mais j'ai conclu qu'elles étaient considérables.

 

[27]    La preuve et les plaidoiries n'ont révélé aucune allégation voulant que des revenus précis n'aient pas été déclarés ou qu'ils n'aient pas été entièrement déclarés, ni que des dépenses précises aient été exagérées. Autrement dit, rien dans la preuve ne démontre quelle partie de l'« écart d'avoir net » le ministre attribue à une prétendue déclaration en moins des revenus et quelle partie il attribue à une prétendue exagération des dépenses. J'imagine que l'imprécision de la méthode de l'avoir net ne permet pas d'être aussi exact, ni même que l'on puisse espérer que cette méthode puisse l'être. Le caractère approximatif et l'inexactitude de la méthode de l'avoir net utilisée par l'ARC sont confrontés à la consignation et à la déclaration minutieuse et précise des revenus et des dépenses qu'a faites l'appelante. La plupart des cotisations établies selon la méthode de l'avoir net que j'ai vues résultaient d'affaires où aucun document ou dossier n'était disponible, où la tenue de dossiers était désordonnée, ou de cas où aucune déclaration de revenus n'avait été produite, comme dans Ramey. Il se peut que la méthode de l'avoir net, malgré tous ses défauts, puisse avoir un rôle à jouer dans notre régime fiscal lorsque vient le temps de déterminer le revenu d'un contribuable, mais cette méthode n'aurait pas dû être utilisée en l'espèce.

 

[28]    Même en voulant donner la meilleure des chances à l'intimée, la prépondérance des probabilités, en l'espèce, ne veut rien dire d'autre que ceci : « Entre deux ou plusieurs hypothèses contradictoires ou incompatibles, laquelle est la plus probable? » C'est là, essentiellement, ce qu'expriment les jugements de la Chambre des lords que j'ai mentionnés ci‑dessus. En l'espèce, l'appelante a été un témoin honnête et crédible. Je suis d'avis qu'il est très peu probable, je dirais même inconcevable, que l'appelante ait déclaré incorrectement ses revenus dans la mesure où le ministre le prétend, ou même qu'elle l'ait fait dans quelque mesure que ce soit. En l'espèce, je n'ai aucune hésitation à conclure que la méthode employée par Mme Mensah pour calculer ses revenus a beaucoup plus de chances d'être exacte que celle du ministre. Dans Ramey, il a été dit que la seule façon vraiment efficace de contester une cotisation établie selon la méthode de l'avoir net est de procéder à une reconstitution complète du revenu du contribuable. C'est ce qui a été présenté en l'espèce. S'il faut vraiment parler de « fardeau de la preuve » (une expression dont on abuse beaucoup en matière de litiges fiscaux), il est clair que l'appelante s'est déchargée du fardeau qui lui incombait. En fait, l'appelante a fait plus que démontrer qu'elle avait raison à première vue. Elle a complètement déplacé le fardeau de la preuve sur les épaules du ministre, et c'est à lui de justifier les chiffres qui ont servi à établir la cotisation selon la méthode de l'avoir net. L'intimée n'a pas su se décharger de ce fardeau.

 

[29]    Les avocats des deux parties s'accordent pour dire que la Cour fait face à une situation qui ne laisse aucune place à une solution intermédiaire. Autrement dit, je dois soit accepter les chiffres que Mme Mensah a déclarés, soit accepter le résultat de l'utilisation de la méthode de l'avoir net par l'ARC. Cela ne laisse pas une grande marge de manoeuvre à la Cour pour modifier les calculs en cause. Dans la plupart des cas où la méthode de l'avoir net est utilisée, il n'existe aucune solution de rechange à cette méthode. Tel n'est pas le cas en l'espèce, car il existe une solution de rechange beaucoup plus crédible et acceptable.

 

[30]    D'ailleurs, même si j'étais d'avis que la méthode de l'avoir net était la seule façon appropriée de calculer les revenus de l'appelante (ce qui n'est pas le cas), les calculs que l'ARC a présentés dans l'annexe A de la réponse à l'avis d'appel comportent un certain nombre d'erreurs qui font qu'il serait risqué de s'y fier. Par exemple, l'ARC a réparti cinq années de [TRADUCTION] « dépenses personnelles » sur quatre années civiles. La somme de 37 713,17 $ qui est inscrite dans la colonne intitulée 1er janvier 1995 se trouvant à la page 2 semble être apparue comme par magie. De plus, les sommes figurant dans les colonnes intitulées 1993 et 1994 auraient plutôt dû être inscrites dans les colonnes 1994 et 1er janvier 1995. Ces erreurs jettent un doute sur la fiabilité de l'ensemble des calculs de l'ARC.

 

[31]    Évidemment, il n'est pas nécessaire, ni même souhaitable, que j'expose tous les éléments de preuve qui confirment ma conclusion voulant que les calculs de l'appelante soient plus fiables que ceux de l'ARC, mais j'en présenterai quelques‑uns.

 

[TRADUCTION]

 

119.     Q. :      Avez-vous examiné toutes les informations bancaires?

 

R. :       J'ai examiné tous les reçus, toutes les factures et tous les relevés bancaires. J'ai examiné tous les éléments d'information que j'avais, et ce, à plusieurs reprises.

 

120.     Q. :      Madame Mensah, compte tenu de tout ce avec quoi vous avez composé durant toutes ces années, aujourd'hui — pouvez‑vous nous dire aujourd'hui si vous croyez que la perte que vous avez déclarée dans votre déclaration de revenus pour 1993 est exacte?

 

R. :       Elle est exacte.

 

Madame Mensah a répondu de la même façon aux questions portant sur les années ultérieures. Quoique ce genre d'affirmation ne doive pas être pris au pied de la lettre dans la majorité des cas où la méthode de l'avoir net est utilisée, je prête foi aux affirmations de l'appelante en l'espèce.

 

[32]    Lors de l'interrogatoire et du contre‑interrogatoire de Mme Mensah, seuls quatre points faibles ont été cernés quant à l'exactitude de ses dossiers. Le premier de ces points a trait aux contributions financières considérables que l'appelante a faites à l'entreprise, de même que les prêts que lui ont consentis sa famille et ses amis. Ces contributions ont soit servi à payer les comptes de l'entreprise, soit été déposées dans le compte bancaire de l'entreprise à la Banque Royale. Bien que ces contributions puissent avoir à première vue gonflé les revenus apparents de l'entreprise, elles ne peuvent pas soutenir l'allégation que l'appelante n'a pas déclaré tous les revenus.

 

[33]    Le deuxième point concerne les montants reçus durant deux années lors du Busker's Festival. L'appelante, de concert avec un certain M. Reece, a vendu des galettes jamaïcaines durant un festival d'amuseurs publics pendant deux années. Après déduction des dépenses, les revenus nets tirés de cette activité ont été versés dans le compte bancaire de l'entreprise et ils ont été inclus dans les revenus de l'entreprise. La preuve montre que les dépenses liées à cette activité ont été payées par Mme Mensah, et elle ne semble pas avoir été remboursée. Il semble encore une fois que cela a fait en sorte que le revenu a semblé plus élevé, ou que les dépenses ont semblé plus faibles. Les profits pour ces deux années s'élèvent à environ deux mille dollars.

 

[34]    Le troisième point concerne de l'argent qui a été retiré du tiroir‑caisse de l'entreprise pour acheter du lait, des produits contre les animaux nuisibles et des extincteurs d'incendie. Les sommes en cause sont minimes, et si elles ont un peu réduit les ventes, cet effet a été compensé par des déductions de dépenses correspondantes.

 

[35]    Le dernier point concerne un cas où un employé a été soupçonné d'avoir volé de l'argent du tiroir‑caisse. Encore une fois, si cela avait réduit les revenus de l'entreprise, cette réduction aurait été minime, et elle aurait de toute façon été compensée par la déduction de la dépense équivalente[1].

 

[36]    J'ai présenté ces points comme exemples d'écarts mineurs possibles qui n'ont aucun effet appréciable sur les revenus de l'entreprise. Ils démontrent simplement que Mme Mensah exploitait une petite entreprise typique. S'il s'agit là des seules erreurs que le ministre a su invoquer, il n'aurait certainement pas dû avoir recours à la méthode de l'avoir net.

 

[37]    Aucune preuve n'a été présentée pour appuyer les allégations voulant que l'appelante ait commis une faute lourde, ou pour prouver que les autres critères permettant d'imposer des pénalités avaient été remplis. De toute façon, je n'ai constaté nulle part que des revenus avaient été déclarés en moins. En outre, l'établissement d'une cotisation pour l'année 1993, frappée de prescription, n'a aucunement été justifié, et ma conclusion aurait été la même si l'intimée avait trouvé une copie signée de la déclaration de revenus de l'appelante pour cette année‑là.

 

[38]    Les appels sont accueillis, avec dépens. Les cotisations établies pour l'année d'imposition prescrite sont annulées, et les autres cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux présents motifs du jugement, en tenant compte du fait que les calculs que l'appelante a faits de ses pertes pour les années en cause doivent être
acceptés et que l'utilisation de la méthode de l'avoir net par le ministre doit être rejetée. Les pénalités sont annulées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juillet 2008.

 

 

« D. G. H. Bowman »

Le juge en chef Bowman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 



RÉFÉRENCE :

2008CCI378

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-4614(IT)G

 

INTITULÉ :

Lynette L. Mensah et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 11, 12 et 13 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge en chef D. G. H. Bowman

 

DATE DU JUGEMENT ET

DES MOTIFS DU JUGEMENT :

 

Le 9 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Gerard Tompkins, c.r.

Avocat de l'intimée :

Me John P. Bodurtha

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           Voir Hannan et Farnsworth, The Principles of Income Taxation, à la page 446 :

 

[TRADUCTION]

 

Dans une affaire portant sur la nature de la compensation qui avait été versée à un client dont les fonds avaient été détournés par l'ancien associé de l'appelant, le juge en chef Latham a dit que « les escroqueries des garçons de bureau et les vols commis par les employés de magasin devraient, de prime abord, pouvoir être déduits »; toutefois, le juge Rich estimait que les détournements de fonds faits par un associé « sont différents des menus larcins commis pas des employés et des pertes de revenus attribuables à la négligence et à la malhonnêteté auxquels la plupart des organismes à but lucratif sont exposés ».

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