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Dossier : 2008-1143(OAS)

ENTRE :

 

GUY MILLAR,

appelant,

et

 

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 29 mai 2008, à Dieppe (Moncton) (Nouveau‑Brunswick)

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimé :

Me Christina Ham

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la décision de l’intimé est rejeté, sans dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       Signé à Ottawa (Ontario), ce 17e jour de juin 2008.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juillet 2008.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 


 

 

 

 

Référence : 2008CCI362

Date : 20080617

Dossier : 2008-1143(OAS)

ENTRE :

GUY MILLAR,

appelant,

et

 

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]     La question à trancher en l’espèce est de savoir s’il y a eu une réduction du revenu provenant d’un régime de pension de l’appelant aux fins de l’article 14 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

 

[2]     L’appelant et son épouse se sont séparés en 2007 et l’appelant est tenu de verser à cette dernière une pension alimentaire pour conjoints suivant une ordonnance rendue par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick. Même si l’ordonnance prévoyait que les paiements devaient débuter en 2007, aucun paiement n’a réellement été effectué avant 2008. L’appelant paie maintenant des montants mensuels. Une partie de chacun de ces montants sert à payer l’arriéré, et le reste sert à payer l’obligation mensuelle actuelle de pension alimentaire pour conjoints. Les montants sont saisis des prestations de la Sécurité de la vieillesse (la « SV ») et du Régime de pensions du Canada (le « RPC ») de l’appelant.

 

[3]     Étant donné que le montant du supplément de revenu payable en application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour une période de paiement donnée est fondé sur le revenu comme il a été établi aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année civile se terminant avant la période de paiement en question, la pension alimentaire pour conjoints que l’appelant doit payer en 2008 ne sera pas incluse dans son revenu, aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, avant la fin de 2008 et n’aura aucune incidence sur le montant de son supplément de revenu avant juillet 2009. L’appelant demande qu’on tienne compte maintenant, sans attendre à juillet 2009, du changement apporté à son revenu dans l’établissement du montant du supplément qu’il doit recevoir en 2008.

 

[4]     Le paragraphe 14(4) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse prévoit ce qui suit :

 

(4) Le demandeur – ou son époux ou conjoint de fait, dans le cas où celui-ci produit la déclaration visée à l’alinéa 15(2)a) – peut aussi produire une seconde déclaration lorsqu’il subit une perte de revenu par suite de la suppression ou de la réduction du revenu perçu au titre de son régime de pension, au plus tard à la fin de la période de paiement suivant la période de paiement en cours. La seconde déclaration porte alors sur son revenu estimatif de l’année civile au cours de laquelle il a subi cette perte, compte non tenu du revenu perçu au titre du régime de pension pour les mois précédant celui où il a subi la perte. Son revenu pour l’année de référence correspond alors au total des éléments suivants :

a) son revenu pour cette année civile, compte non tenu du revenu perçu au cours de celle-ci au titre du régime de pension,

b) le produit du revenu perçu au titre du régime de pension au cours de la partie de l’année civile qui suit le mois précédant le mois au cours duquel il a subi cette perte et de la fraction dont le numérateur est douze et le dénominateur le nombre de mois compris dans cette partie d’année.

[Non souligné dans l’original]

 

[5]     L’appelant soutient qu’étant donné que les paiements mensuels d’arriéré et les obligations actuelles de pension alimentaire pour conjoints sont saisis de ses prestations de la SV et du RPC, il a subi une perte de revenu provenant de régimes de pension. Il fait valoir qu’il a donc le droit de produire une déclaration de son revenu estimatif pour l’année 2008, en application du paragraphe 14(4) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

 

[6]     Pour l’application de l’article 14 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le revenu provenant d’un régime de pension est défini à l’article 14 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse :

 

14. Pour l’application de l’article 14 de la Loi, le revenu provenant d’un régime de pension est le total des montants perçus au titre :

a) de rentes;

b) de prestations alimentaires et de soutien;

c) de prestations d’assurance‑emploi;

d) de prestations d’invalidité provenant d’un régime d’assurance privé;

e) de prestations, autres que des prestations de décès, versées aux termes du Régime de pensions du Canada ou d’un régime provincial de pensions, tel que défini dans le Régime de pensions du Canada;

f) de pensions ou de pensions de retraite, autres que les prestations reçues aux termes de la Loi et tout versement semblable reçu en vertu d’une loi provinciale;

g) d’une indemnité versée aux termes d’une loi fédérale ou provinciale sur l’indemnisation des victimes d’accidents du travail, en raison d’une blessure, d’une invalidité ou d’un décès;

h) d’allocations de complément de ressources versées aux termes d’un accord visé au paragraphe 33(1) de la Loi sur le ministère du Développement des ressources humaines, en raison d’une réduction définitive du personnel visée à ce paragraphe

i) d’allocations de complément de ressources versées au titre du Programme d’adaptation des travailleurs d’usine, du Programme de retraite anticipée des pêches ou du Programme d’adaptation et de redressement de la pêche de la morue du Nord, en raison d’une réduction définitive du personnel.

 

[7]     Pour que l’appelant obtienne gain de cause, il faudrait nécessairement conclure qu’étant donné que la pension alimentaire pour conjoints était saisie des prestations de régimes de pension, il n’a pas reçu le montant total de ces prestations. Si l’appelant a reçu le montant total de ses paiements de pension, même si une partie de ce montant a été saisi, son « revenu provenant d’un régime de pensions », au sens de l’article 14 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, n’aurait alors pas été réduit et l’intimé aurait eu raison de refuser le revenu estimatif de l’appelant.

 

[8]     Le paragraphe 56(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que les montants suivants sont à inclure dans le calcul du revenu :

 

56.  (1) Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :                                                                                           

 

a) toute somme reçue par le contribuable au cours de l’année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

 

(i) d’une prestation de retraite ou de pension, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

 

(A) une pension, un supplément et une allocation à l’époux ou conjoint de fait, servis en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, et un paiement semblable fait en vertu d’une loi provinciale,

 

(B) une prestation prévue par le Régime de pensions du Canada ou par un régime provincial de pensions au sens de l’article 3 de cette loi,

 

[…]

 

[9]     Si le montant qui est saisi de la pension n’est pas « reçu » par l’appelant, il n’est donc pas inclus dans le revenu de celui‑ci, étant donné que le paragraphe 56(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit l’inclusion des montants dans le revenu en fonction de ce qui a été « reçu ».

 

[10]    Dans la décision Mintzer v. The Queen, [1998] 3 C.T.C. 2380, le juge O’Connor a souligné ce qui suit :

 

2     Il s'agit de savoir si une prestation prévue par le Régime de pensions du Canada, d'un montant de 4 575 $, aurait dû être incluse dans le revenu imposable de l'appelant dans l'année en question, même si l'appelant n'avait pas en fait reçu l'argent parce que ce montant avait été défalqué de l'impôt qu'il devait censément à l'égard d'années antérieures.

[…]

5     Selon la division 56(1)a)(i)(B), le montant des prestations prévues par le RPC qui a été « reçu » par le contribuable au cours d'une année donnée doit être inclus dans le revenu de ce dernier pour l'année. L'appelant a soutenu qu'étant donné que ce montant avait été défalqué du soi-disant impôt qui était dû à l'égard d'années antérieures, il n'avait rien reçu cette année-là.

6     Certaines définitions de dictionnaires des mots « receive » (recevoir) et « receipt » (réception) peuvent donner l'impression qu'une chose n'est reçue que si elle est de fait remise entre les mains de la personne concernée ou si elle est en la possession de cette personne. Toutefois, la jurisprudence établit clairement qu'un montant peut être inclus dans le revenu même s'il n'a été reçu que d'une manière fictive ou implicite.

7     Dans le jugement Morin v. The Queen, 75 D.T.C. 5061, le juge Lacroix, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a déclaré ceci, à la page 5064 :

 

Dans le cas actuel, les lois provinciale et fédérale disent ce qui est touché par l'impôt c'est le salaire, le traitement ou la rémunération qu'un employé reçoit pendant une année d'imposition. Or, dans le cas présent, le demandeur était inscrit dans les livres de son employeur comme ayant droit à un salaire de 16 268,84 $. Sa prétention, c'est que le Gouvernement ayant déduit le montant de l'impôt il n'a pas touché ou reçu son plein salaire, vu que l'on a déduit le montant de l'impôt à la source. En d'autres termes, le demandeur veut faire accepter comme proposition légale que pour qu'il touche au sens légal son salaire, il faut qu'il le touche physiquement, qu'il le palpe ou qu'il l'ait dans son compte de banque.

 

Cette proposition, nous regrettons de la dire, nous semble absolument inadmissible, car le mot recevoir ou toucher veut évidemment dire en bénéficier ou en profiter. En recevoir les avantages sans être obligé de l'avoir dans ses mains. En d'autres termes, le demandeur peut dire et doit dire « ce qui me reste de mon salaire ou de mon revenu c'est 14 639,85 $, après l'impôt payé », mais il n'est pas vrai de dire: « mon revenu n'est que de 14 639,85 $ ».

8     Dans le jugement The Queen v. Hoffman, 85 D.T.C. 5508, le juge Rouleau, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a déclaré ceci, à la page 5510 :

 

S'il est exact de dire que le revenu doit se trouver réellement en la possession de l'employé avant qu'on ne puisse l'imposer, je devrais alors conclure que les cotisations d'un employé aux régimes de pension fédéral et provincial déduites à la source par l'employeur ne constituent pas un revenu entre les mains de l'employé. Or, la jurisprudence n'étaie pas cette idée.

 

Dans l'affaire Lucien Gingras c. M.R.N. [décision non publiée en date du 26 mars 1973], la Commission de révision de l'impôt a fait cette remarque (aux pages 4 et 5) :

 

L'expression « touché » ne veut pas nécessairement dire que tout le montant du salaire doit physiquement être reçu par le salarié ou être intégralement remis dans son compte de banque.

 

D'après l'interprétation de l'article 5 il est suffisant de dire que le montant du salaire fut payé par l'employeur, soit à l'employé lui-même ou à son bénéfice ou encore qu'il soit remis à une tierce personne en vertu d'une loi fédérale ou provinciale.

 

Le fait que l'employeur du défendeur a déduit à la source les cotisations de l'employé à la sécurité sociale au cours des années d'imposition 1978 et 1979 ne permet pas de dire qu'il a reçu un revenu exempt des sommes retenues. Les sommes déduites et envoyées finiraient par lui profiter.

9     Enfin, dans le jugement The Queen v. Fairey, 91 D.T.C. 5230, le juge Muldoon, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a conclu que l'argent qui était automatiquement déduit du salaire d'un fonctionnaire et déposé dans un fonds de pension avait en fait été reçu par le contribuable en ce sens qu'il s'accumulait à son crédit et que le droit du contribuable à cet argent ne pouvait être mis en doute.

 

[11]    En l’espèce, les montants étaient saisis des prestations de pension de l’appelant pour payer la pension alimentaire à son épouse. Donc, même si les paiements de pension alimentaire pour conjoints sont saisis des prestations de l’appelant, le montant complet des prestations de l’appelant (avant la saisie du montant pour la pension alimentaire) est tout de même réputé avoir été reçu par ce dernier. C’est le cas tant en application de la Loi de l’impôt sur le revenu qu’en application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. À mon avis, le mot « reçu » doit être interprété de la même façon dans les deux lois.

 

[12]    L’appelant fait valoir qu’étant donné que la définition de « revenu provenant d’un régime de pension » énoncée dans le Règlement sur la sécurité de la vieillesse comprend les prestations alimentaires qui ont été reçues, si on devait réduire les paiements de pension alimentaire, son épouse aurait droit de voir le calcul de son supplément de revenu fondé sur un revenu estimatif. Selon l’appelant, si son épouse pouvait se prévaloir de ce droit si sa pension alimentaire était réduite, il devrait, à son tour, pouvoir se prévaloir de ce droit si la pension alimentaire était augmentée. Bien que, de toute évidence, il n’y ait pas de raison claire pour laquelle une réduction des prestations alimentaires reçues donnerait naissance au droit de fonder le supplément de revenu du bénéficiaire de la prestation sur son revenu estimatif (étant donné que le revenu provenant d’un régime de pension aura diminué) et pour laquelle une augmentation des paiements de prestation alimentaire ne donnerait pas naissance à ce même droit pour la personne qui paie la pension alimentaire pour conjoints, ceci suit la définition de « revenu provenant d’un régime de pension » énoncée à l’article 14 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse et de l’article 14 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Même si la définition de « revenu provenant d’un régime de pension » énoncée à l’article 14 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse est fondée, en partie, sur les prestations alimentaires reçues, rien dans cette définition ou dans l’article 14 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ne prévoit un rajustement du « revenu provenant d’un régime de pension » concernant les montants de pension alimentaire pour conjoints qui sont payés. Le Parlement devra examiner cette question s’il ne s’agit pas là du résultat prévu.

 

[13]    Comme l’appelant est réputé avoir reçu le montant total de ses prestations de régimes de pension, même si certaines parties de ces prestations ont été saisies pour acquitter ses obligations découlant d’une ordonnance rendue par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick,  il n’y a pas eu de réduction de son revenu provenant de régimes de pension aux fins de l’article 14 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et l’appel qu’il a interjeté à l’encontre de la décision de l’intimé est rejeté.

 

       Signé à Ottawa (Ontario), ce 17e jour de juin 2008.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juillet 2008.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI362

 

N° DE DOSSIER :                             2008-1143(OAS)

 

INTITULÉ :                                       GUY MILLAR ET MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Dieppe (Moncton) (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 29 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 17 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimé :

Me Christina Ham

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                                Nom :               

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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