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Dossier : 2005-170(IT)G

ENTRE :

AMERICAN INCOME LIFE INSURANCE COMPANY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 9, 10 et 11 mai 2007, à Toronto (Ontario).

 

Devant l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Salvatore Mirandola

Avocate de l’intimée :

Me Marie-Thérèse Boris

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’égard des cotisations établies en vertu des parties I et XII.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1996, 1997, 1998 et 1999 sont accueillis, et les cotisations sont annulées quant à l’impôt cotisé, aux pénalités imposées et à l’intérêt imposé au motif que, au cours de ces années, l’appelante n’exerçait pas son activité au Canada par l’intermédiaire d’un établissement stable.

 

          Les dépens sont adjugés à l’appelante.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2008.

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de mai 2009.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2008CCI306

Date : 20080516

Dossier : 2005-170(IT)G

ENTRE :

 

AMERICAN INCOME LIFE INSURANCE COMPANY,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     American Income Life Insurance Company (« AIL ») est une société américaine exerçant des activités d’assurance aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et au Canada. Pour qu’elle soit assujettie à l’impôt au Canada, il faut qu’il soit conclu, conformément à l’article V de la Convention fiscale Canada‑États‑Unis (la « Convention »), qu’AIL exerce son activité par l’intermédiaire d’un établissement stable au Canada. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard d’AIL au Canada pour les années 1996 à 1999 au motif qu’elle exerçait effectivement son activité au Canada par l’intermédiaire d’un établissement stable. La position d’AIL est la suivante :

 

(i)      elle n’avait pas un établissement stable au Canada étant donné qu’elle n’avait pas une installation fixe d’affaires au Canada selon ce qu’exige le paragraphe V(1) de la Convention;

 

(ii)      elle n’avait pas un établissement stable réputé au Canada compte tenu de ce qui suit :

 

          a)       personne au Canada n’exerçait habituellement les pouvoirs permettant de conclure des contrats au nom d’AIL, selon ce qu’exige le paragraphe V(5) de la Convention;

 

          b)      s’il y avait de telles personnes, il s’agissait d’agents jouissant d’un statut indépendant agissant dans le cadre ordinaire de leur activité, une exception à la disposition de l’établissement stable réputé (paragraphe V(7)).

 

Si je conclus qu’AIL a un établissement stable au Canada et qu’elle est par conséquent assujettie à l’impôt au Canada, ma conclusion soulève la question secondaire de savoir s’il est justifié d’imposer des pénalités. Puisque j’ai décidé qu’AIL n’a pas un établissement stable au Canada, il n’est pas nécessaire de traiter de cette question secondaire.

 

Les faits

 

[2]     Les faits de la présente affaire ont été traités au moyen de la preuve présentée par Mme Melinda-Rae Lyse, une agente générale provinciale au Québec, par trois dirigeants d’AIL, Mme Debbie Gamble, une vice-présidente principale, M. Gayle Emmert, un vice-président et actuaire, et M. John Rogers, le vérificateur.

 

[3]     AIL est une société d’assurances américaine, détenue en propriété exclusive par une société publique, exerçant des activités d’assurance aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et au Canada. Elle offre de l’assurance-vie entière (50 à 60 p. 100 de ses activités) et des produits d’assurance temporaire et d’assurance en cas d’accident et de maladie. Elle a constitué un créneau, axé sur les syndicats, les coopératives d’épargne et de crédit et sur d’autres organisations groupant des adhérents. Sa conception de ce créneau basé sur les syndicats se traduit par la promotion des syndicats et par des démarches visant à ce que les membres de son personnel aux États-Unis adhèrent à un syndicat; en outre, elle veille à ce que ses agents canadiens soient assujettis à des conventions collectives. La démarche de promotion est une démarche par laquelle des syndiqués vendent de l’assurance à d’autres syndiqués.

 

[4]     AIL n’exploite pas son entreprise au Canada par l’intermédiaire d’une société séparée; elle utilise plutôt une hiérarchie d’agents : l’agent général provincial ou d’état (« AGP »), l’agent général principal, l’agent général (« AG »), l’agent superviseur (« AS »), l’agent, le représentant des relations publiques (« RRP ») et l’agent principal canadien.

 

L’agent général provincial

 

[5]     L’AGP a un territoire précis à l’intérieur duquel il exerce son activité. Au cours des années en cause, il y avait de trois à sept AGP au Canada. L’AGP est le rouage essentiel dans la hiérarchie des agents puisque c’est lui qui crée et élargit l’agence en s’occupant du recrutement, de la formation et de la gestion des agents de tous les autres niveaux, de même qu’en offrant à de tels agents la possibilité de développer des qualités de chef, qu’en veillant à la qualité de leur travail et qu’en agissant comme personne-ressource pour eux. L’AGP conclut avec AIL un contrat d’agence prévoyant, en partie, qu’il doit faire ce qui suit :

 

a)       se consacrer à plein temps exclusivement à AIL. Mme Gamble et Mme Lyse ont reconnu qu’un AGP pouvait exercer d’autres activités sans lien avec les activités d’assurance (il y avait par exemple M. Altig, un AGP, qui exploitait une imprimerie);

 

b)      suivre les règlements de la société;

 

c)       assumer la responsabilité des agents « rattachés » à un AGP, notamment la responsabilité de toute dette due par un agent à AIL (par exemple, des avances par rapport aux commissions);

 

d)      conserver des dossiers et les remettre sur demande à AIL;

 

e)       conserver, en fiducie, les fonds reçus afin qu’ils soient transmis à AIL;

 

f)       utiliser tous les dossiers d’affaires, etc., seulement pour l’entreprise d’AIL […] et reconnaître que de tels dossiers sont la propriété d’AIL;

 

g)       informer AIL par écrit lorsqu’un agent général provincial devient un représentant d’une autre société d’assurances. Il était clair que, dans un tel cas, AIL mettrait fin au contrat.

 

[6]     Le contrat comportait plusieurs restrictions quant aux pouvoirs; on y prévoyait que l’AGP n’avait aucun pouvoir d’engager AIL, sauf suivant les modalités de la proposition d’assurance ou sur autorisation écrite d’AIL. Mme Gamble ne pouvait se rappeler aucun cas où la société ait donné à un AGP une autorisation écrite en vue de l’engager. Il y avait d’autres restrictions dont les suivantes :

 

a)       ne pas modifier les modalités d’une police ou d’un contrat d’AIL;

 

b)      ne pas recevoir de fonds au nom d’AIL, sauf les primes initiales versées avec les propositions d’assurance;

 

c)       ne pas accepter des primes de renouvellement d’assurance;

 

d)      ne pas utiliser de la publicité ou des imprimés autres que ceux fournis ou approuvés par la société.

 

AIL a le pouvoir de cesser ses activités dans tout territoire sans encourir une responsabilité envers l’AGP, et elle a en outre le pouvoir de rejeter toute proposition d’assurance. Il pouvait être mis fin au contrat d’agence par un préavis de trente jours. Finalement, le contrat prévoit que l’AGP n’est pas un employé d’AIL.

 

[7]     AIL n’a pas son mot à dire quant à l’endroit où, à l’intérieur d’un territoire, l’AGP souhaite s’installer. L’AGP détermine le taux de commission d’un agent, même si c’est AIL qui établit les catégories de paramètres pour les différents niveaux d’agence. Ainsi, un agent peut être dans la catégorie d’agent général pour laquelle AIL établit une fourchette de pourcentages quant aux commissions. Il appartient alors à l’AGP d’établir le taux exact de commission. C’est en outre l’AGP qui décide dans quelle catégorie se trouve l’agent, et également quel agent passe d’une catégorie à la catégorie suivante. Les contrats des agents du niveau inférieur sont signés par AIL et l’AGP. C’est l’AGP qui, si nécessaire, congédiera un agent.

 

[8]     Mme Lyse, une AGP au Québec, a indiqué que l’AGP touche une commission sur les primes initiales et également sur les primes de renouvellement. Elle a déménagé de l’Alberta au Québec pour devenir une AGP en raison des possibilités de renouvellements en tant qu’AGP au Québec. Elle entrevoyait qu’elle pourrait établir une grande agence au Québec, et il semble qu’elle l’a fait. Il était clair que, en tant qu’AGP, elle joue un rôle très actif dans le suivi des agents, dans l’assistance qu’elle leur apporte quant à leurs méthodes de vente et dans leur motivation. Elle leur enseigne les aspects pratiques des ententes quant aux commissions.

 

 

L’agent général principal, l’agent général régional, l’agent général et l’agent superviseur

 

[9]     Je regroupe ces catégories d’agents étant donné que leurs rôles sont similaires, la caractéristique les différenciant étant le taux de commission. Leur contrat d’agence est signé par AIL et l’AGP, puisque c’est l’AGP qui établit leur taux de commission. Tous ces agents ont certaines responsabilités de gestion; plus ils sont élevés dans la hiérarchie, plus ils assument des responsabilités de supervision et de gestion, dont le recrutement et la formation d’autres agents. Ces agents qui font de la gestion essaient en outre d’étendre leur activité en faisant en sorte que des agents leur soient rattachés. Les agents qui font de la gestion touchent des commissions sur les ventes des agents qui leur sont rattachés. Ainsi, sur une prime initiale, la totalité de la commission peut être répartie de la façon suivante : 57,5 p. 100 à un agent général, 12,5 p. 100 de commission indirecte à un agent général principal, et 30 p. 100 de commission indirecte à un agent général provincial. Les agents qui font de la gestion font également des sollicitations directes.

 

L’agent

 

[10]    L’agent, au bas de l’échelle, est rémunéré strictement au moyen de commissions sur les ventes. Il n’y a aucune exigence d’exclusivité, et l’agent peut vendre d’autres produits d’assurance, bien que cela soit très peu probable, étant donné que l’agent aura plus de succès en s’élevant dans la hiérarchie s’il vend exclusivement l’assurance offerte par AIL.

 

[11]    C’est l’AGP qui, principalement, fournit aux agents les indications et la supervision dont ils ont besoin. Ils doivent avoir leur permis de vente d’assurance, des produits à vendre, un véhicule automobile, un téléphone cellulaire et peut-être un bureau à la maison. À l’exception des produits d’assurance, ils fournissent eux‑mêmes le reste des choses nécessaires à leur travail.

 

Le représentant des relations publiques (« RRP »)

 

[12]    Jusqu’en 1998-1999, ces particuliers avaient un contrat avec AIL, mais par la suite le contrat a été établi entre le RRP et l’AGP. Le rôle du RRP consiste à fournir aux agents des pistes menant à des clients potentiels. Par exemple, ils prennent contact avec des syndicats en vue d’établir une couverture générale de groupe, qui donnerait accès aux listes de membres. Les agents s’adressent ensuite aux membres pour leur offrir une couverture individuelle. Les RRP sont payés conformément à leur convention collective sur une base du nombre de pistes menant à des clients potentiels. C’est l’AGP qui les paie pour les pistes menant à des clients fournies aux agents.

 

L’agent principal canadien (« APC »)

 

[13]    Le Bureau du surintendant des institutions financières (« BSIF ») exige qu’il y ait un agent principal au Canada. Ce particulier est chargé de veiller à ce qu’AIL adhère aux exigences réglementaires canadiennes. L’APC pour AIL au Canada était Me Cumine, un avocat d’un cabinet de Toronto. Il agissait à titre d’APC pour plus d’une société d’assurances. Il ne participait pas à la vente de produits d’assurance. De plus, il n’était ni un dirigeant ni un administrateur et il ne participait pas non plus à la gestion d’AIL.

 

[14]    L’actuaire d’AIL, M. Emmert, était chargé de veiller à ce que la direction d’AIL prenne des mesures raisonnables afin de se conformer au Code de pratiques commerciales et financières saines pour les assureurs de personnes. L’APC signe à cet effet une confirmation, qui est présentée au BSIF. L’APC ne participe pas lui-même activement à faire en sorte que ce code soit respecté. L’APC agit à titre d’intermédiaire entre le BSIF et AIL, bien que le BSIF l’oblige à conserver certains des dossiers d’AIL au Canada. Me Cumine fournissait en outre des avis juridiques à AIL. Il facturait AIL à titre de cliente du cabinet d’avocats.

 

[15]    Le BSIF a publié en novembre 1992 une note de service intitulée « Ligne directrice - Rôle de l’agent principal et exigences en matière de tenue de livres ».  Elle traite du rôle de l’APC quant à [traduction] « la protection des intérêts des détenteurs canadiens de polices par le respect des obligations légales en matière de tenue de dossiers et de documents par l’agent principal canadien ». Cela s’effectue en veillant au respect de [traduction] « la LSA, des règlements, des politiques, des lignes directrices et de l’accomplissement des exigences de déclaration ». La Ligne directrice traite ensuite de l’obligation de l’APC de veiller à ce qu’une marge adéquate d’actifs par rapport aux obligations soit maintenue au Canada. Il appert que la Ligne directrice envisage un rôle plus actif pour l’APC que, selon ce que je comprends, ce qui se produisait en réalité. M. Emmert a clairement dit que c’est lui, et non Me Cumine, qui surveille et comprend à fond la situation financière d’AIL par rapport aux exigences du BSIF.

 

[16]    La Ligne directrice couvre également les exigences en matière de tenue de livres, dont une exigence voulant que les comptes bancaires détenus au Canada soient sous le contrôle de l’APC. L’APC doit en outre signer les polices.

 

[17]    Le BSIF a effectué une vérification d’AIL en 1997, reconnaissant dans sa lettre de recommandations adressée à AIL et datée du 13 novembre 1997, que l’APC n’avait pas [traduction] « une connaissance pratique approfondie des activités exercées au Canada ». Le BSIF a recommandé que [traduction] « une plus forte présence soit établie au Canada par la modification de l’agence principale en une succursale fonctionnelle qui compterait des employés se consacrant aux activités canadiennes ». M. Emmert a témoigné que cela n’a jamais été fait et que le BSIF n’avait jamais sanctionné AIL.

 

[18]    Le BSIF a en outre demandé à AIL de lui fournir un plan d’affaires exposant les activités exercées au Canada. L’AIL a répondu en présentant un plan d’affaires concis indiquant, en partie, ce qui suit[1] :

 

          [traduction]

« MÉTHODE DE DISTRIBUTION » – American Income Life vend ses produits d’assurance seulement par l’entremise d’agents généraux d’état et de leurs agents qui représentent seulement American Income Life Insurance Company.

 

« STRUCTURE DE LA COMMISSION » – Les commissions sont établies pour des agents généraux d’état, desquelles résultent les commissions aux divers types d’agents généraux et d’agents.

 

Les agents généraux d’état doivent payer à même leurs commissions leurs frais d’exploitation et leurs frais généraux.

 

[19]    Le plan d’affaires ne concordait pas avec les principales recommandations formulées par le BSIF et, de nouveau, M. Emmert a dit que le BSIF n’avait imposé aucune sanction. Finalement, le BSIF a recommandé que l’APC ait le contrôle des comptes en fiducie canadiens et des comptes de débours canadiens. Le mois suivant la réception de ces recommandations, AIL a adopté des résolutions des administrateurs donnant à l’APC le complet contrôle quant au compte de recettes détenu par AIL à la CIBC et, quant au compte de débours détenu à la CIBC, le pouvoir de signer seul pour des montants inférieurs à 10 000 $. À l’égard des montants supérieurs à 10 000 $, les signatures requises étaient celles de l’APC et de l’un des dirigeants d’AIL. À cet égard, AIL utilisait un fac-similé de la signature de l’APC.

 

[20]    Par une résolution des administrateurs datée de janvier 1998, AIL a décidé que la signature de l’APC et celle d’un dirigeant étaient nécessaires pour tous les retraits effectués du compte en fiducie détenu à Compagnie Trust RBC. Il a été souligné que la convention de fiducie entre AIL et Compagnie Trust RBC datée du 13 mai 1993 comportait certaines protections requises par le BSIF, notamment l’approbation du surintendant pour les placements en fiducie, ou le retrait d’un placement en fiducie, sous réserve de certaines exceptions quant à certains placements. D’autres protections incluaient ce qui suit :

 

(i)                l’accès prioritaire du surintendant quant aux revenus tirés des placements en fiducie;

 

(ii)              l’obligation de rendre compte régulièrement quant à la valeur des placements au Canada;

 

(iii)            l’accès par le surintendant à tous les placements détenus en fiducie;

 

(iv)     l’obligation d’attribuer de tels placements au surintendant dans certaines situations (par exemple, l’insolvabilité).

 

L’exploitation de l’entreprise d’AIL

 

[21]    La distinction fondamentale entre l’activité qui avait lieu au Canada et celle qui avait lieu aux États-Unis est la suivante : le produit (assurance) était développé et établi aux États-Unis, et le processus de souscription avait lieu aux États-Unis; toutefois, l’équipe de vente était au Canada, par l’entremise de la hiérarchie d’agents qui touchaient des commissions. Il est important de décrire plus en détail l’activité exercée au Canada.

 

[22]    La vente d’assurances d’AIL au Canada est axée sur l’AGP. Dans le cas de Mme Lyse, c’est son bureau, de l’espace loué à ses frais, qui est le centre de recrutement, de formation et de suivi des agents. Le bureau a une aire de réception et un gérant de bureau à plein temps qui accueille des agents. Il y a une enseigne d’AIL à la réception. Le numéro de téléphone du bureau est inscrit sous le nom d’AIL. Mme Lyse emploie également deux autres employés. Elle a un grand bureau, quatre plus petits bureaux utilisés par des gérants pour des rencontres avec des agents et un local pour les fournitures. Il n’y a pas un bureau assigné à un représentant d’AIL. Mme Lyse a eu seulement une visite d’un représentant d’AIL et il s’agissait d’une visite de relations publiques. Conformément à la loi, le nom de l’assureur doit être inscrit sur les cartes professionnelles des agents. Les AGP doivent se décrire sur leur carte comme ce qu’ils sont, des agents. Il ressortait clairement des notes de service d’AIL aux AGP qu’il était interdit à ces derniers d’utiliser le nom d’AIL pour les baux ou les achats d’équipement, ou d’engager des dépenses au nom d’AIL.

 

[23]    Les agents suivent des pistes de clients obtenues des RRP ou des pistes de clients personnelles. Toute affaire nouvelle est inscrite en remplissant un formulaire de transmission de nouvelles affaires. S’il s’agit d’un nouveau client, l’agent remplit également le formulaire de proposition sur lequel le client indique l’assurance précise qu’il demande. L’agent perçoit la première prime et fournit soit un reçu quant à la prime ou, dans le cas d’une police d’assurance-vie entière, un reçu conditionnel. Il est clairement établi sur le reçu quant à la prime qu’AIL n’a aucune obligation jusqu’à ce que la proposition soit approuvée par la société par suite du processus de souscription. Le reçu conditionnel est libellé différemment, prévoyant que la couverture peut remonter au moment de la proposition et du paiement de la première prime. Si un demandeur décède alors que le processus de souscription est en cours, le demandeur peut quand même être couvert si la souscription avait mené à une approbation.

 

[24]    Les agents remettent les formulaires de transmission et les propositions à Mme Lyse les jeudis. Elle vérifie les propositions et transmet les renseignements à AIL à Waco, au Texas.

 

[25]    C’est à Waco, aux États-Unis, que le processus de souscription est achevé, lequel processus peut, par exemple, inclure des demandes visant des renseignements de nature médicale plus détaillés. Les agents ne participent pas à ce processus. Une fois que le processus de souscription est achevé et que le risque a fait l’objet d’une évaluation complète, AIL accepte la proposition comme elle a été présentée, fait une offre pour une couverture différente ou refuse la proposition. Si une offre pour une couverture différente est faite, il se peut que l’agent ait à discuter à nouveau avec le client. Si la proposition est acceptée, AIL établit une police à partir des États-Unis. Les renouvellements des couvertures d’assurance sont traités directement par AIL aux États-Unis. Souvent, des dispositions sont prises afin que les primes soient payées par des retraits bancaires automatiques. C’est sur les renouvellements qu’AIL fait de l’argent, étant donné que la première année d’une police, AIL verse toute la prime en commission; les taux de commission diminuent sur les renouvellements.

 

[26]    En plus des formulaires de transmission, l’AGP envoie chaque semaine des rapports de production à Waco, et en retour, pour les années en cause, il recevait de Waco les rapports suivants :

 

(1)     un bulletin de souscription hebdomadaire indiquant les propositions en cours et les exigences à remplir pour achever le processus;

 

(2)     des rapports préliminaires hebdomadaires montrant les transactions transmises, les affaires refusées ou retirées;

 

(3)     un rapport portant sur le progrès et sur la conservation des affaires des agents, montrant la production brute, les refus, les retraits, les annulations et les taux nets de production et de conservation;

 

(4)     un rapport de grand livre mensuel montrant toutes les polices inscrites dans les livres, les primes, les renouvellements, etc., sur une base individuelle.

 

[27]    En outre, plusieurs formulaires provenaient de Waco : des formulaires de proposition, des questionnaires de souscription, des demandes de règlement, des certificats d’indemnités pour frais funéraires, des guides d’information pour la famille, des résumés de feuilles de travail quant à ce que les polices comportent et certaines brochures pour le recrutement.

 

[28]    AIL et l’AGP fournissent tous deux à leurs agents certaines mesures incitatives; par exemple, selon sa production, un agent peut être admissible à un voyage annuel à un centre de villégiature offert par AIL. AIL offre en outre un séminaire sur le développement des qualités de chef, auquel les agents pouvaient assister à leurs propres frais.

 

[29]    Le BSIF exige également certains rapports d’AIL, par l’entremise d’un actuaire canadien nommé, notamment un rapport couvrant la viabilité financière d’AIL, un rapport sur l’insolvabilité (rapport sur l’examen dynamique de la suffisance du capital) et un test de dépôt de l’actif au Canada et de la marge requise des sociétés d’assurance-vie étrangères (TDAMR). AIL remplissait en outre une déclaration annuelle pour le BSIF (le « BSIF 55 »), un formulaire destiné aux succursales canadiennes de sociétés étrangères.

 

[30]    AIL déclarait son revenu canadien aux États-Unis en le combinant à son revenu américain, même si, aux fins de la réglementation et de la gestion interne, elle conservait séparément le revenu canadien.

 

[31]    L’intimée a établi à l’égard d’AIL une cotisation pour des impôts dus en vertu de la partie I et de la partie XII.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu au motif qu’AIL exerçait son activité par l’intermédiaire d’un établissement stable au Canada. Voici les montants cotisés :

 

1996

1997

1998

1999

Partie I

1 486 013 $

1 793 873 $

3 027 728 $

3 672 488 $

Partie XII.3

28 710 $

44 623 $

64 489 $

88 031 $

Partie I intérêts

779 507 $

838 705 $

901 057 $

939 126 $

- renoncés

(505 363 $)

(416 803 $)

 

 

Partie XII.3 intérêts

5 649 $

10 556 $

20 649 $

23 767 $

Pénalité (partie I)

 

24 357 $

37 926 $

62 328 $

Pénalité (partie XII.3)

 

223 $

 

 

 

 

 

La question en litige

[32]    L’assujettissement d’AIL à l’impôt au Canada dépend de l’interprétation de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont jointes à titre d’annexe « A » aux présents motifs. AIL est assujettie à l’impôt au Canada si elle exerce son activité par l’intermédiaire d’un établissement stable. Il faut traiter de trois questions pour déterminer si AIL avait un établissement stable au Canada, à savoir :

(i)      AIL avait-elle un établissement stable du fait qu’elle avait une installation fixe d’affaires au Canada (paragraphes V(1), (2) et (6) de la Convention)?

(ii)      AIL avait-elle un établissement stable réputé du fait d’avoir des agents au Canada qui exerçaient habituellement, au Canada, les pouvoirs leur permettant de conclure des contrats au nom d’AIL (paragraphe V(5) de la Convention)?

(iii)     Si oui, ces agents étaient-ils des agents généraux touchant des commissions ou d’autres agents jouissant d’un statut indépendant, agissant dans le cadre ordinaire de leur activité (paragraphe V(7) de la Convention)? Dans l’affirmative, AIL n’est pas réputée avoir un établissement stable et, par conséquent, n’est pas assujettie à l’impôt au Canada. Dans la négative, AIL est réputée avoir un établissement stable et, par conséquent, est assujettie à l’impôt au Canada.

L’analyse

[33]    Les parties ont reconnu qu’AIL, à titre de non-résidente, exploitait une entreprise au Canada au sens de l’alinéa 253b) de la Loi. AIL est par conséquent assujettie à l’impôt au Canada conformément au paragraphe 2(3) et à la partie XII.3 de la Loi, sous réserve des dispositions pertinentes de la Convention, en particulier des articles V et VII qui exigent que l’activité soit exercée par l’intermédiaire d’un établissement stable au Canada.

[34]    La Convention prévoit une analyse en deux volets quant à la question de l’« établissement stable » : le paragraphe V(1) (installation fixe d’affaires) et les paragraphes V(5) et (7) (agent dépendant). Si l’analyse quant à l’installation fixe d’affaires n’entraîne pas une conclusion selon laquelle il existe un établissement stable, alors il faut passer à l’analyse quant à l’établissement stable de l’agent dépendant. Bien qu’il y ait un certain chevauchement entre les facteurs à prendre en compte dans les deux analyses, il est important, dans un souci de clarté, de ne pas perdre de vue laquelle des analyses est effectuée. Les facteurs clés dans l’analyse de l’installation fixe d’affaires sont les suivants :

          (i)      l’existence d’une installation d’affaires;

          (ii)      le degré de permanence d’une telle installation;

          (iii)     l’exercice par AIL d’une activité par l’intermédiaire de cette installation fixe.

[35]    Les facteurs clés dans l’analyse de l’établissement stable d’un agent dépendant sont les suivants :

a)       les pouvoirs permettant à un agent de conclure des contrats au Canada;

b)      la question de savoir si l’agent jouissait d’un statut indépendant, tant sur le plan juridique que sur le plan financier;

c)       la question de savoir si l’agent agissait dans le cadre ordinaire de son activité.

 

[36]    Dans les deux analyses, il faut trancher la question de savoir quelle activité est exercée par les agents. L’appelante soutient que deux activités sont exercées – l’activité de ventes de produits d’assurance d’AIL et l’activité de sollicitation de telles ventes par des agents qui agissent à titre d’entrepreneurs indépendants. L’intimée soutient que la seule activité exercée est celle d’AIL et que les agents, dans l’exercice de leurs fonctions consistant à solliciter des ventes, exercent en fait l’activité d’AIL. Certains peuvent considérer que cet exercice revient à couper les cheveux en quatre, mais, pour le meilleur ou pour le pire, c’est souvent ce que la loi prévoit. Ce qui suit est l’analyse où on coupe les cheveux en quatre.

AIL avait-elle une installation fixe d’affaires au Canada?

 

[37]    L’Organisation de coopération et de développement économique (« OCDE ») a un modèle de convention fiscale reflétant sous plusieurs aspects, mais pas tous, les dispositions de la Convention. Il est utile d’examiner les commentaires de l’OCDE à l’égard de l’ « établissement stable ». Les commentaires précisent quant à un établissement stable résultant d’une installation fixe d’affaires les conditions suivantes :

·        L’existence d’une « installation d’affaires », c’est-à-dire une installation comme des locaux ou, dans certaines circonstances, de la machinerie ou de l’équipement.

·        Cette installation d’affaires doit être fixe, c’est-à-dire qu’elle doit être établie dans un endroit séparé et avoir un certain degré de stabilité.

·        L’exercice de l’activité de l’entreprise a lieu par l’intermédiaire de cette installation fixe d’affaires. Cela signifie habituellement que des personnes qui, d’une façon ou d’une autre, dépendent de l’entreprise (le personnel) exercent l’activité de l’entreprise dans l’État dans lequel est située l’installation fixe.

[38]    Les commentaires se poursuivent aux paragraphes 4 et 10 de la façon suivante :

 

4.         Lexpression « installation daffaires » couvre tout local, matériel ou installation utilisé pour lexercice des activités de lentreprise, quil serve ou non exclusivement à cette fin. Il peut même y avoir une installation daffaires lorsqu’aucun local nest disponible ni nécessaire pour lexercice des activités de lentreprise et que celle-ci dispose simplement dun certain emplacement. Il importe peu que lentreprise soit ou non propriétaire ou locataire du local, du matériel ou de linstallation ou quelle lait dune autre manière à sa disposition. Ainsi, linstallation daffaires peut être constituée par une place sur un marché, ou par un certain emplacement, utilisé de manière permanente, dans un dépôt de douane (par exemple pour lentreposage de marchandises taxables). Linstallation daffaires peut aussi se trouver dans les locaux dune autre entreprise. Ce peut être le cas, par exemple, lorsque lentreprise étrangère dispose en permanence de certains locaux ou dune partie des locaux appartenant à lautre entreprise.

 

10.       L’activité de l’entreprise est exercée principalement par l’entrepreneur ou par des personnes qui ont avec l’entreprise des relations de salarié à employeur (personnel). Ce personnel inclut les employés et autres personnes qui reçoivent des instructions de l’entreprise (agents dépendants). Les pouvoirs dont disposent ces personnes dans leurs relations avec les tiers n’entrent pas en ligne de compte. Il importe peu que l’agent dépendant soit ou non habilité à conclure des contrats s’il travaille dans l’installation fixe d’affaires elle-même (cf. paragraphe 35 ci-dessous). Mais il peut, néanmoins, y avoir établissement stable si les activités de l’entreprise sont exercées principalement au moyen d’un outillage automatique, les activités du personnel se bornant à monter, faire fonctionner, contrôler et entretenir cet outillage. Le montage de distributeurs automatiques, appareils à jeux et autres appareils semblables par une entreprise d’un État dans l’autre État constituera ou non un établissement stable selon que l’entreprise exercera ou non une activité commerciale en dehors du montage initial des appareils. Il n’y a pas établissement stable si l’entreprise procède simplement au montage des appareils et les loue ensuite à d’autres entreprises. Toutefois, un établissement stable pourra exister si l’entreprise qui monte les appareils les exploite aussi et les entretient pour son propre compte. Il en sera de même si les appareils sont exploités et entretenus par un agent dépendant de l’entreprise.

 

 

[39]    Je me laisse également guider par la jurisprudence, en particulier par Sunbeam Corporation (Canada) Ltd. v. M.N.R.[2], The Queen v. Dudney[3], M.N.R. v. Panther Oil & Grease Manufacturing Co. of Canada Ltd.[4], American Income Life Insurance Co. c. Canada (Ministre du Revenu national)[5], et par des décisions portant sur les statuts d’employé et d’entrepreneur indépendant.

 

[40]    L’intimée s’appuyait sur l’arrêt Panther Oil, une décision de 1961 rendue par le président Thorson, qui traitait de la question de savoir s’il y avait un établissement stable au Québec, conformément à l’alinéa 411(1)a) du Règlement de l’impôt sur le revenu rédigé comme suit :

 

411(1)a) Pour l’application de la présente Partie

                 « établissement stable » comprend des succursales, mines, puits d’huile, fermes, terres à bois, usines, ateliers, entrepôts, bureaux, agences et autres places fixes d’affaires.

 

Le président Thorson a conclu que l’installation fixe d’affaires n’était pas une exigence essentielle pour qu’il y ait un établissement stable. Il a ensuite déclaré qu’un groupe d’agents de vente au Québec constituait une succursale ou une agence et, par conséquent, un établissement stable du fait d’avoir une organisation de vente bien établie au Québec. La société Panther Oil tentait d’obtenir une décision selon laquelle elle avait un établissement stable de sorte qu’elle pouvait demander un crédit au Québec. Le président Thorson a conclu qu’elle avait droit à un tel crédit.

 

[41]    La présente affaire est manifestement différente selon un fondement très essentiel : la Convention, contrairement au Règlement, exige une installation fixe d’affaires, et une installation fixe d’affaires à partir de laquelle AIL exerce son activité. Il ne s’agit pas de la même question dont a traité le président Thorson. L’avocate de l’intimée a souligné à quel point les agents au Canada étaient intégrés à l’activité exercée par AIL et a établi des similitudes avec les agents dans l’affaire Panther Oil. Je ne suis pas convaincu que les similitudes sont justifiées compte tenu des paramètres juridiques très différents dans lesquels le président Thorson a rendu sa décision, et des paramètres juridiques fournis par la Convention. La question qui m’est soumise est celle de savoir si l’activité d’AIL était exercée à une installation fixe d’affaires, non celle de savoir s’il y avait des « agences ».

 

[42]    Le raisonnement adopté dans Panther Oil n’a pas été suivi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sunbeam, rendu en 1962, bien que le même Règlement ait été en cause. La Cour suprême du Canada a déclaré qu’un manufacturier d’appareils électriques ontarien qui employait des représentants commerciaux qui avaient des bureaux à la maison, et du personnel des ventes subordonné au Québec, n’avait pas un établissement stable au Québec au sens de la Loi. Les membres du personnel des ventes en cause ne recevaient aucun loyer ou compensation de la compagnie ontarienne pour leurs bureaux. La Cour suprême du Canada a déclaré que les bureaux à la maison des représentants commerciaux ne constituaient pas un établissement stable au Québec parce que les bureaux au Québec n’étaient pas l’installation fixe d’affaires de la compagnie ontarienne. Le juge Martland, dans un jugement concis, a conclu que l’appelante n’avait pas un établissement stable. Il a déclaré ce qui suit :

 

          [traduction]

Selon cette preuve, je ne suis pas disposé à conclure que l’appelante avait un « établissement stable » dans la province de Québec pendant les années en question. Si j’interprète cette expression sans tenir compte de l’alinéa 411(1)a) du Règlement, le mot « établissement » envisage, à mon avis, une installation fixe d’affaires de la société, un domicile propre. Le mot « stable » signifie que l’établissement est fixe et qu’il n’est pas de nature temporaire ou provisoire.

 

[…]

 

Je ne partage pas l’opinion selon laquelle le fait qu’un tel employé, pour l’exercice des fonctions prévues à son contrat, ait établi un bureau dans ses propres locaux faisait en sorte que ce bureau soit une succursale, un bureau ou une agence de l’appelante. C’est l’appelante qui doit avoir l’établissement stable dans la province de Québec pour être admissible à la déduction fiscale. […]

 

[43]    Dans Dudney, un arrêt plus récent de la Cour d’appel fédérale (2000), la Cour traitait de l’article XIV de la Convention Canada‑États-Unis, qui mentionne qu’il faut avoir « disposé de façon habituelle d’une base fixe » au Canada. Toutefois, la Cour a mentionné l’expression « établissement stable », selon ce qui est utilisé au paragraphe V(1) de la Convention et sa référence à une installation fixe d’affaires.

 

[44]    M. Dudney était un résident des États-Unis à qui on avait donné un contrat de prestation de formation aux employés d’une compagnie canadienne. À l’égard de ce contrat de formation, il avait différents bureaux dans les locaux de la compagnie canadienne, auxquels il avait accès seulement durant les heures habituelles d’affaires. Il pouvait utiliser le téléphone de son client seulement pour l’entreprise de son client. Il a passé dans les locaux 300 jours au cours d’une année d’imposition et 40 jours au cours de l’année suivante. La Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale ont confirmé qu’il n’avait pas une base fixe au Canada. Mme la juge Sharlow, de la Cour d’appel fédérale, s’appuyant en partie sur le Modèle de convention de l’OCDE de 1977 et citant des affaires internationales, a conclu que le contribuable n’avait pas un usage exclusif du bureau du client et qu’il n’avait pas le contrôle des locaux dans lesquels il travaillait. En outre, le contribuable n’était pas libre d’entrer dans l’édifice quand il voulait et il ne disposait pas de façon habituelle d’une base fixe. Aux paragraphes 19 et 20 de l’arrêt, la juge Sharlow a déclaré ce qui suit :

[19]      En conséquence, lorsqu’une personne se voit refuser l’avantage conféré par l’article XIV pour le motif qu’elle dispose de façon habituelle d’une base fixe au Canada, il faut se demander si cette personne y a exercé les activités de son entreprise durant la période pertinente. Les facteurs à prendre en considération comprennent l’utilisation effective des locaux qui, selon ce qui est allégué, constituent la base fixe de l’intimé, la question de savoir si et en vertu de quel droit la personne intéressée a exercé ou pouvait exercer un contrôle sur les locaux et la question de savoir jusqu’à quel point les locaux s’identifiaient objectivement à l’entreprise de la personne intéressée. Cette liste ne se veut pas une liste exhaustive applicable dans tous les cas, mais elle est suffisante en l’espèce.

[20]      Dans la présente affaire, le juge de la Cour de l’impôt a eu raison de juger que ces facteurs étaient pertinents et déterminants. La preuve dans son ensemble appuie amplement la conclusion selon laquelle les locaux de PanCan n’étaient pas une installation par l’intermédiaire de laquelle Dudney exerçait les activités de son entreprise. Même si M. Dudney avait accès aux bureaux de PanCan et qu’il avait le droit de s’en servir, il pouvait le faire seulement pendant les heures de bureau de PanCan et uniquement dans le but de fournir des services à PanCan conformément à son contrat. Il n’avait pas le droit d’utiliser les bureaux de PanCan en tant que base pour l’exercice des activités de sa propre entreprise. Il ne pouvait pas se servir et ne se servait pas des bureaux de PanCan comme s’ils étaient les siens.

 

[45]    Bien que la question du statut indépendant des agents soit très pertinente dans l’examen de l’application des paragraphes V(5) et (7) (établissement stable d’un agent dépendant), elle entre également en jeu dans l’examen de la question d’une installation fixe d’affaires : les agents dépendants sont une indication que l’entreprise, dans la présente affaire, AIL, exerce son activité à partir d’une installation fixe. En effet, si les agents sont dépendants, ils sont considérés comme exerçant l’activité d’AIL, non leur propre activité. L’avocate m’a en outre renvoyé au critère de l’entrepreneur indépendant habituel par rapport à l’employé, critère qui a récemment été examiné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[6], et par la Cour d’appel fédérale dans des arrêts subséquents, Le Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N.[7], et Combined Insurance Company of America c. Canada (Revenu national)[8], pour n’en nommer que quelques-uns. En fait, il s’agissait de la même question soumise au juge Rowe dans American Income Life, où il était en présence de la même appelante. Il a entendu certains des mêmes témoins que ceux qui ont comparu devant moi. Il a examiné les facteurs du contrôle, de la fourniture d’outillage, du degré de risque et de responsabilité pour l’investissement dans la gestion et des possibilités de profit. Il a conclu ce qui suit :

 

[Les agents] rendaient […] des services comme des personnes en affaires à leur propre compte.

 

Il a déclaré ce qui suit :

 

Dans les présents appels, il est évident qu’il y a deux entreprises différentes exploitées en même temps. L’une d’elles – du point de vue de M. Burbank – découle de son activité comme travailleur indépendant faisant affaire dans le commerce de la sollicitation à l’égard de couverture d’assurance auprès des membres du public. Il a entrepris les étapes nécessaires afin de devenir autorisé et formé dans le but de se mettre dans une position où il pourrait gagner un revenu de commissions à partir de la vente de polices. Une fois qu’il avait rempli le formulaire de demande et fourni les renseignements nécessaires – y compris une méthode pour le paiement des primes – sa tâche était terminée. La question de savoir si une police était délivrée ou non dépendait d’American, l’assureur ayant le pouvoir de souscrire la police. Jusqu’à ce moment‑là, il devait compter sur sa capacité d’utiliser judicieusement les pistes et d’utiliser ses compétences administratives et organisationnelles afin de fixer des rendez‑vous d’une façon efficace et rentable et de maximiser ses compétences de présentation dans le but de conclure une plus grande proportion de ventes par rapport aux visites de vente effectuées. Encore une fois, il faut souligner que la jurisprudence demande que la Cour aborde l’analyse à partir du point de vue des personnes présumées avoir été des employés.

 

[46]    La méthode adoptée par la Cour d’appel fédérale dans des arrêts comme Le Royal Winnipeg Ballet et Combined Insurance, tous deux rendus après l’arrêt Sagaz, tient compte des facteurs de détermination traditionnelle à la lumière de l’intention des parties.

 

[47]    Je tire des dispositions de la Convention, des commentaires de l’OCDE et de la jurisprudence les lignes directrices suivantes pour la détermination de ce qui constitue une installation fixe d’affaires et, par conséquent, un établissement stable au sens des articles V(1) et (2).

 

1.                 Un établissement stable requiert une installation fixe d’affaires signifiant :

 

a)                 qu’il existe une installation d’affaires;

b)                qu’il y a un degré de stabilité d’une telle installation;

c)                 que l’exercice de l’activité de l’entreprise a lieu par l’intermédiaire d’une telle installation fixe.

 

2.                 Il n’est pas nécessaire que l’entreprise possède ou loue la propriété pour qu’il s’agisse d’une installation fixe d’affaires.

 

3.                 Il n’est pas nécessaire que les locaux soient utilisés exclusivement par AIL.

 

4.                 Il devait être tenu compte des facteurs suivants pour déterminer si l’activité d’AIL est exercée à partir d’une installation fixe d’affaires :

 

-                     l’utilisation des locaux par AIL

-                     le contrôle par AIL à l’égard des locaux

-                     le droit d’exercer le contrôle sur les locaux

-                     le degré auquel les locaux sont identifiés à l’activité d’AIL

-                     qui payait les dépenses liées aux locaux

-                     qui payait l’équipement utilisé dans les locaux

-                     qui prenait les décisions administratives

-                     quels étaient les contrats conclus à partir des locaux

-                     quels produits AIL gardait-elle dans les locaux

-                     AIL avait-elle des employés canadiens

-                     qui assumait les risques liés à l’exploitation à partir de locaux

-                     combien d’entreprises l’agent représentait-il

-                     les agents devaient-ils suivre des instructions détaillées ou étaient-ils assujettis à un contrôle complet

[48]    L’avocate de l’intimée a souligné le concept de l’intégration bien que, sauf quant à l’arrêt Panther Oil, il ne semble pas être un facteur à prendre en compte, encore moins un facteur déterminant.

[49]    Tous les agents travaillent à partir d’une installation, le bureau de l’AGP, ou leur bureau à la maison, qui satisfait aux critères d’une installation d’affaires, une installation stable. C’est la question de savoir quelle activité est exercée à une telle installation qui est au cœur de la présente question en litige. L’intention d’AIL et des agents était que les agents exercent leur propre activité et non l’activité d’AIL. Compte tenu de cette intention, il s’agit de savoir si les facteurs à prendre en compte pour établir quelle activité est exercée à partir de l’installation fixe d’affaires appuient cette intention. Je crois qu’ils le font. Je vais examiner séparément chaque niveau d’agent.


L’agent principal canadien

[50]    Me Cumine, l’agent principal au cours de la période en cause, n’est pas un employé d’AIL. Il est avocat dans le cabinet d’avocats McLean & Kerr s.r.l. de Toronto. Parmi les fonctions qu’il exerce pour les sociétés d’assurances non résidentes qui sont ses clientes, il agit à titre d’agent principal pour elles, notamment pour l’appelante. Le rôle de Me Cumine ne consiste pas à conclure des contrats de vente d’assurance au nom de l’appelante ou à s’occuper du fonctionnement quotidien de l’entreprise de l’appelante au Canada ou aux États-Unis. Ce que l’appelante voulait, c’était retenir ses services à titre d’avocat au Canada pour satisfaire aux exigences réglementaires canadiennes conformément à la Loi sur les sociétés d’assurances. Son rôle, exercé en sa qualité d’avocat d’un cabinet canadien, est de nature purement réglementaire.

[51]    La Loi sur les sociétés d’assurances établit clairement que l’agent principal est une création de la loi destinée à ce qui suit :

-        tenir et conserver certains dossiers à l’égard de la société d’assurances étrangère;

-                     recevoir des rapports de l’actuaire en vue de comprendre la situation financière de la société d’assurances étrangère;

-                     recevoir des rapports du vérificateur en vue de comprendre la bonne santé de la société d’assurances étrangère.

En outre, les lignes directrices du Bureau du surintendant des institutions financières (« le BSIF ») traitent du sujet sous l’angle de la conformité du secteur des assurances pour la protection des détenteurs de polices canadiens. En dépit des recommandations faites par suite d’un examen effectué par le BSIF selon lesquelles la fonction de l’agent principal devrait être modifiée afin de correspondre plutôt à une succursale fonctionnelle avec des employés dédiés aux activités canadiennes, AIL s’est opposée à la modification. Me Cumine n’a effectué aucune telle modification en ce qui concerne le fonctionnement.

[52]    AIL n’a simplement aucun contrôle quant à la façon selon laquelle Me Cumine exerce ses fonctions, pas plus qu’elle a un contrôle à l’égard des locaux occupés par Me Cumine. Je suis convaincu qu’indépendamment des fonctions qu’il exerçait pour AIL à partir de son bureau, il le faisait en exerçant les activités de son propre cabinet d’avocats, non celles d’AIL.

Les AGP

[53]    Les circonstances entourant les activités des AGP sont-elles compatibles avec l’exercice par l’AGP de ses propres activités ou de celles d’AIL? Il y a certainement un certain nombre de facteurs qui tendent à montrer une certaine participation d’AIL dans les activités de l’AGP : l’enseigne, l’inscription téléphonique, la fourniture de formulaires et de directives, le matériel promotionnel et le fait d’être le seul fournisseur des produits d’assurance. Selon l’intimée, ces facteurs tendent à montrer un niveau d’intégration qui fait que les activités de l’AGP font partie des activités d’AIL. Je ne partage pas l’opinion à cet égard. Je conclus qu’il y a beaucoup plus de facteurs, et des facteurs importants, qui donnent à penser que l’AGP s’adonnait véritablement à l’exercice de ses propres activités de sollicitation de ventes et à la création d’une hiérarchie d’agents relevant de lui. Pour être clair, je vois l’activité de l’AGP comme une activité se rapportant à la sollicitation et la mise en place d’un réseau d’agents. Les facteurs sur lesquels je fonde ma conclusion sont les suivants :

-        Les locaux de l’AGP étaient totalement sous son contrôle; AIL n’avait aucun droit dans les locaux, même pas un espace destiné à un représentant d’AIL, encore moins un droit légal d’exercer un contrôle à l’égard des locaux.

-        Les locaux de l’AGP étaient utilisés en totalité pour les activités de ce dernier.

-        AIL ne payait aucune des dépenses se rapportant aux locaux, toutes les dépenses engagées dans le fonctionnement du bureau étant au compte de l’AGP.

-        L’AGP était le propriétaire ou le locataire de tout l’équipement de son bureau.

-        L’AGP prenait des décisions de gestion sans la participation ou l’influence d’AIL; inversement, AIL prenait des décisions de gestion sans la participation de l’AGP.

-        AIL n’avait pas d’employés travaillant à partir du bureau de l’AGP.

-        L’AGP assumait tous les risques associés à ses activités.

-        Même si AIL fournissait une certaine orientation générale à l’AGP, il n’y avait pas d’instructions détaillées du type de celles qu’on pourrait s’attendre à recevoir d’une entité qui exerce sa propre activité; en termes familiers, l’AGP devait se débrouiller seul.

-        L’AGP engageait son propre personnel.

-        La formation des agents, qui avait lieu au bureau de l’AGP, était faite par l’AGP en vue d’élargir sa base d’agents et par conséquent d’augmenter les bénéfices résultant de la portion de la commission des agents qu’il recevait.

-        AIL ne remboursait pas à l’AGP les frais de formation.

-        Même si AIL établissait les catégories de commissions, c’est l’AGP qui négociait le taux final des commissions de l’agent.

-        L’AGP ne peut pas conclure les contrats de vente d’AIL.

[54]    Ces facteurs m’amènent à tirer la conclusion que les AGP étaient des entrepreneurs indépendants exerçant leurs propres activités à partir de leurs locaux et non l’activité d’AIL. AIL n’a pas une installation fixe d’affaires et, par conséquent, n’a pas un établissement stable par l’entremise d’un AGP.

Les agents subalternes

 

[55]    Je regroupe dans une même catégorie d’autres catégories d’agents, dont le représentant des relations publiques. L’installation fixe d’affaires de tels particuliers est, dans la plupart des cas, le bureau à la maison. Ces agents partagent leur temps entre leur bureau à la maison, le bureau de l’AGP, l’endroit où se trouve le client, et leur voiture. Leur bureau à la maison serait le seul endroit pouvant constituer leur installation fixe d’affaires. Exercent-ils l’activité d’AIL à partir d’une telle installation fixe? Non. La responsabilité de la création et du maintien de l’entreprise de ces agents leur incombe ou leur incombe en association avec les agents dont ils relèvent dans la hiérarchie des AGP. Elle n’incombe pas à AIL ni à aucun employé d’AIL.

[56]    Les facteurs dont j’ai tenu compte qui m’amènent à tirer une telle conclusion sont semblables à ceux mentionnés dans les rapports avec l’AGP :

-        Aucune des décisions de la direction ou de la gestion ni aucune des décisions opérationnelles, prises à l’égard de l’activité d’AIL, n’était prise dans le bureau de quelque agent subalterne; de telles décisions étaient prises au bureau de l’appelante aux États-Unis.

-        Aucun des dirigeants, administrateurs ou gestionnaires d’AIL n’avait son bureau dans le bureau de quelque agent.

-        L’appelante n’est ni propriétaire ni locataire de l’un ou l’autre des bureaux à la maison ou d’autres installations à partir desquelles un agent travaille au Canada.

-        Les actifs qu’AIL conserve au Canada, par exemple les actifs financiers, sont conservés afin de satisfaire aux lois canadiennes en matière d’assurances et ne sont pas conservés dans le bureau de l’un ou l’autre des agents.

-        Les employés de l’appelante n’ont pas d’espace à leur disposition dans le bureau de l’un ou l’autre des agents subalternes et, de toute façon, ces employés n’ont pas d’occasion de visiter un bureau à la maison.

-        Les agents d’AIL au Canada sont des entrepreneurs indépendants.

-        Les agents engagent les frais nécessaires pour tenir et exploiter leur bureau à la maison et l’appelante ne leur rembourse pas de tels frais.

-        Les agents tiennent leurs propres livres et registres et sont responsables de la préparation de leur propre information de nature financière à des fins fiscales et à d’autres fins.

-        Dans la mesure où des agents négocient leur taux de commission sur les ventes, les négociations ont lieu avec un agent général provincial et non avec l’appelante.

-        Les agents prennent à leur charge tous les risques inhérents à leurs propres activités.

-        Les agents ne participent pas aux décisions de l’appelante à l’égard de la question de savoir si, et selon quelles modalités, l’appelante acceptera ou rejettera des risques d’assurance.

-        Les agents ne participent pas à l’établissement des polices d’assurance, au processus de collecte des primes, aux renouvellements des polices ou à l’évaluation ou au paiement des indemnités.

 

[57]    Je conclus que c’est l’activité de l’agent qui est exercée à partir de son bureau à la maison, indépendamment de l’exclusivité du produit.

AIL a‑t‑elle un établissement stable d’un agent dépendant? (Article V(5))

[58]    Puisque j’ai conclu qu’AIL n’a pas une installation fixe d’affaires par l’entremise de quelque niveau d’agent, AIL a‑t‑elle un établissement stable du fait d’avoir un agent canadien disposant habituellement de pouvoirs permettant de conclure des contrats au Canada au nom d’AIL (article V(5) de la Convention)? Je conclus qu’AIL n’a pas un agent canadien qui dispose de tels pouvoirs.

[59]    De nouveau, il est utile d’examiner les commentaires de l’OCDE, en particulier en ce qui se rapporte au type de contrat qu’un agent a le pouvoir de conclure. Le commentaire est rédigé comme suit :

32.       Le paragraphe 5 suppose donc que seules les personnes habilitées à conclure des contrats peuvent constituer un établissement stable pour l’entreprise dont elles dépendent. Dans ce cas, la personne dispose de pouvoirs suffisants pour obliger l’entreprise lorsque celle-ci participe à des activités d’entreprise dans l’État considéré. L’emploi du terme « établissement stable » dans ce contexte suppose, naturellement, que cette personne utilise ses pouvoirs de manière répétée et pas seulement dans des cas isolés.

[…]

33.       Les pouvoirs permettant de conclure des contrats doivent couvrir les contrats qui ont trait aux opérations constituant les activités propres de l’entreprise. Il importerait peu, par exemple, que la personne ait le pouvoir d’engager du personnel pour l’entreprise afin de l’aider dans les activités qu’elle exerce pour l’entreprise ou qu’elle soit autorisée à conclure au nom de l’entreprise des contrats analogues n’ayant trait qu’à des opérations internes. De plus, les pouvoirs doivent être habituellement exercés dans l’autre État; il convient de se référer à la situation commerciale réelle pour déterminer si tel est ou non le cas. Une personne autorisée à négocier tous les éléments et détails d’un contrat de manière à obliger l’entreprise peut être considérée comme exerçant ses pouvoirs « dans cet État », même si le contrat est signé par une autre personne dans l’État où est située l’entreprise. Étant donné qu’en vertu du paragraphe 4, une installation fixe d’affaires dont l’objet est limité à ceux qui sont énumérés audit paragraphe est réputée ne pas constituer un établissement stable, toute personne dont les activités se limitent à ces objets ne constitue pas non plus un établissement stable.

 

[60]    L’intimée soutient qu’il y a deux types de contrats pour lesquels les agents disposent habituellement de pouvoirs permettant de conclure des contrats liant AIL : les contrats d’agent et le reçu conditionnel. Le fait que l’intimée s’appuie sur les contrats de l’agent me laisse plutôt perplexe étant donné que, pour les agents subalternes, ces contrats sont signés par l’AGP, qui s’occupe de leur recrutement, et par AIL, souvent au moyen de la reproduction de signatures apposées à l’aide d’un tampon. Je n’ai pas eu l’impression que l’AGP signait au nom d’AIL, mais plutôt qu’il signait pour son propre compte en tant que l’AGP responsable. En effet, il s’agit d’un indice indiquant fortement que l’AGP exerce sa propre activité de création d’une hiérarchie d’agents. J’estime que la preuve n’appuie pas une conclusion voulant que l’AGP conclue ces contrats d’agents au nom d’AIL. On ne m’a indiqué aucun texte de loi traitant des signatures reproduites. J’accepte qu’une telle signature d’un dirigeant d’AIL comme étant la signature de ce dirigeant et qu’elle puisse lier AIL. Ce n’est pas la signature de l’AGP qui lie AIL.

[61]    Quant au reçu conditionnel, les deux parties ont consacré beaucoup de temps à cette question. Le reçu conditionnel signé par un agent lie-t-il AIL avant l’établissement de la police? Autrement dit, l’agent conclut-il un contrat au Canada lorsqu’il signe le reçu conditionnel?

[62]    Le reçu conditionnel établit clairement que la couverture peut être en vigueur avant l’établissement de la police, mais seulement si toutes les conditions du reçu sont remplies et au moment où elles le sont. AIL poursuit toujours le processus de souscription et, s’il est conclu que le demandeur est assurable, alors la couverture remonte à un moment avant l’établissement de la police. Je fais la distinction entre le moment réel de la conclusion du contrat et le moment réel de la couverture. Aucun contrat n’est conclu jusqu’à ce qu’AIL fasse un geste aux États‑Unis; lorsqu’AIL accepte le fait que le demandeur est assurable, il y a un contrat dont l’entrée en vigueur remonte à un moment antérieur. Je n’interprète pas cela comme donnant à un agent, du fait qu’il signe un reçu conditionnel, le pouvoir de conclure des contrats au Canada. On insiste sur ce point par l’inclusion dans le reçu lui-même des mots [TRADUCTION] « aucun agent n’est habilité à modifier les modalités du présent reçu ».

[63]    Toutefois, l’intimée renvoie à la décision London Life Insurance Company v. The Queen[9] rendue par la Cour fédérale quant à la thèse selon laquelle des agents peuvent lier une entreprise quant à une couverture provisoire et que cette couverture est un contrat conclu sur le territoire de l’agent, dans cette affaire, les Bermudes. L’avocat de l’appelante a déployé beaucoup d’efforts pour me convaincre de ne pas me fonder sur cette décision particulière.

[64]    Les décisions sur lesquelles on se fondait dans London Life, à savoir Zurich du Canada Compagnie d’assurance-vie c. Davies[10] et Matchett et al. v. London Life Insurance Co.[11], ne traitent pas de la question de la couverture provisoire comme étant un contrat séparé. Il faut également remarquer que, dans London Life, la Cour a conclu que la police finale qui était établie avait également été établie aux Bermudes. Il n’y a pas de doute que la police définitive établie par AIL était établie aux États-Unis.

[65]    Dans l’arrêt Wagner Brothers Holdings Inc. v. Laurier Life Insurance Co.[12] rendu subséquemment, la Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision du juge de première instance selon laquelle la police d’assurance traditionnelle était distincte de la police principale définitive, et a déclaré que la proposition et la police constituent un seul contrat.

[66]    Le juge Berger, dans l’arrêt Rainer v. Primerica Life Insurance Co. of Canada[13], a traité de la même question de la façon suivante :

 

         


[traduction]

Dans l’arrêt Wagner Brothers Holdings Inc. v. Laurier Life Insurance Co. (1992), 8 O.R. (3d) 609, cité par l’appelante, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que le juge de première instance avait commis une erreur du fait d’avoir décidé que la police principale et la convention d’assurance conditionnelle étaient des contrats séparés et distincts. Cependant, l’arrêt de la Cour d’appel s’appuyait sur le libellé précis de la proposition qui prévoyait clairement que la police serait en vigueur conformément à la convention d’assurance conditionnelle. L’arrêt n’appuie donc pas une thèse universelle selon laquelle toutes les conventions d’assurance conditionnelle et les polices constituent un seul contrat. Qu’il s’agisse d’un contrat ou de deux contrats distincts dépendra du libellé de la proposition, du reçu et de la police. [Non souligné dans l’original.]

 

[67]    Je conclus de ces décisions que la question de savoir s’il s’agit d’un ou de deux contrats dépend de la question de savoir si un lien suffisant peut être établi entre la proposition d’assurance et la couverture provisoire d’une part et la police d’assurance principale d’autre part. Les textes de loi m’apportent une aide à l’égard de cette question. Par exemple, le paragraphe 151(2) de la Loi sur les assurances[14] du Manitoba prévoit que, pour la plupart des polices d’assurance-vie, les dispositions de a) la proposition; b) la police; c) tout document annexé à la police lors de son établissement; et d) toute modification au contrat convenue par écrit après l’établissement de la police, forment le contrat intégral.

 

[68]    Le lien entre la proposition (le « reçu conditionnel ») et la police d’AIL se trouve dans la police elle-même qui prévoit que [TRADUCTION] « la présente police et la proposition constituent le contrat intégral ». Associé au libellé du reçu conditionnel, qui comporte peu de détails du contrat séparé, je suis convaincu qu’il y a un seul contrat. Ce contrat d’assurance n’était pas conclu au Canada au moment de la signature du reçu conditionnel, mais était conclu seulement aux États-Unis par le personnel d’AIL. La conclusion du contrat n’avait lieu qu’après l’achèvement du processus de souscription et l’établissement de la police, la date d’entrée en vigueur de la police étant sans importance quant à la conclusion du contrat.

 

[69]    Il y avait deux autres possibilités que des agents canadiens aient les pouvoirs permettant de conclure des contrats au Canada : le pouvoir de signature de l’agent principal canadien quant aux comptes bancaires et la signature d’un agent quant à une convention collective au nom d’AIL. La première possibilité est une question plutôt interne et la deuxième n’est pas un pouvoir exercé habituellement ni un exercice de l’aspect « affaires » de la vente d’assurance. Je conclus qu’il n’y a pas au Canada un agent qui exerce habituellement les pouvoirs permettant de conclure des contrats au nom d’AIL. Par conséquent, il n’y a pas d’établissement stable réputé au sens de l’article V(5) de la Convention.

 

[70]    Si ma conclusion est erronée à cet égard, AIL est épargnée par l’application du paragraphe V(7); c’est-à-dire, les agents au Canada sont-ils des agents jouissant d’un statut indépendant agissant dans le cadre ordinaire de leur activité? Comme il ressort de façon évidente de mes commentaires portant sur une installation fixe d’affaires, j’estime que les agents sont des entrepreneurs indépendants qui agissent dans le cadre ordinaire de leur activité, bien que cela ne réponde pas totalement à la question. L’analyse de l’établissement stable est légèrement différente de l’analyse de l’installation fixe d’affaires qui traite, de façon particulière, de la question de savoir quelle activité est exercée à partir de l’installation fixe. J’ai conclu que les agents exerçaient leur propre activité. Il reste toutefois la question de savoir s’ils sont indépendants ou dépendants par rapport à AIL, une différence subtile du statut d’entrepreneur indépendant. Il convient de faire quelques commentaires à l’égard du statut d’entrepreneur indépendant.

 

[71]    Assurément, le juge Rowe a conclu dans la décision AIL, qui portait sur la question de l’emploi par rapport à l’entrepreneur indépendant, que les agents étaient des entrepreneurs indépendants. Cela porte plutôt sur la question de savoir à qui appartient l’entreprise. La question présentée par l’interaction entre les paragraphes V(5) et V(7) soulève la question de savoir si les agents, même dans leur propre entreprise, sont indépendants. Cela mène à la possibilité intéressante d’un entrepreneur indépendant exerçant sa propre activité, mais l’exerçant à titre d’agent dépendant. Ce n’est pas la même situation que celle de l’affaire The Taisei Fire and Marine Insurance Co., Ltd., et al. v. Commissioner of Internal Revenue[15] sur laquelle je me prononcerai plus en détail par la suite.

 

[72]    Qu’entend-on par dépendant par rapport à indépendant? Est-il suffisant de conclure que, parce que les agents exercent leur propre activité, ils jouissent par conséquent du statut d’agent indépendant? Non, ce n’est pas suffisant.

 

[73]    Les commentaires de l’OCDE établissent clairement que l’agent doit être indépendant tant sur le plan juridique que sur le plan financier. Les commentaires énoncent ce qui suit :

 

 

38.       L’indépendance d’une personne par rapport à l’entreprise qu’elle représente s’apprécie en fonction de l’étendue des obligations qui lui incombent à l’égard de l’entreprise. Si les activités commerciales qu’elle exerce pour le compte de l’entreprise sont soumises à des instructions détaillées de celle-ci, ou à un contrôle général de cette entreprise, cette personne ne peut être considérée comme indépendante de l’entreprise. Un autre critère important consistera à rechercher si le risque de l’entrepreneur doit être supporté par la personne ou par l’entreprise qu’elle représente.

 

[…]

 

38.3     Un agent indépendant est normalement responsable devant l’entreprise qu’il représente pour les résultats de son travail, sans être soumis à un contrôle important de la façon dont il effectue ce travail. Il n’est pas soumis à des instructions précises de l’entreprise qu’il représente quant à la conduite du travail. Le fait que l’entreprise utilise les compétences et connaissances spécifiques de l’agent est une indication de son indépendance.

 

[…]

 

38.6     Le nombre d’entreprises que l’agent représente est un autre facteur à prendre en considération pour établir son indépendance. Il est peu probable que l’on puisse établir l’indépendance de l’agent si ses activités s’exercent exclusivement ou presque exclusivement pour le compte d’une seule entreprise pendant toute la durée de l’entreprise ou sur une longue période. Toutefois, ce fait n’est pas en soi déterminant. Tous les faits et circonstances doivent être pris en compte pour déterminer si les activités de l’agent constituent une activité d’entreprise autonome qu’il conduit, et dans le cadre de laquelle il assume les risques et perçoit une rémunération par l’utilisation de ses compétences et connaissances d’entrepreneur. […]

 

38.7     On ne peut dire qu’une personne agit dans l’exercice normal de ses propres activités si, à la place de l’entreprise, elle accomplit des actes qui relèvent économiquement de la sphère de ladite entreprise plutôt que de celle de ses propres opérations commerciales. […]

 

[74]    Dans la décision Taisei, la cour américaine de l’impôt traitait de dispositions similaires contenues dans la convention fiscale entre les États-Unis et le Japon, portant en particulier sur l’interprétation de l’expression [TRADUCTION] « agent jouissant d’un statut indépendant ». Dans cette affaire, la question consistait à savoir si quatre sociétés d’assurances japonaises, n’ayant aucun lien entre elles, qui faisaient de la réassurance par l’intermédiaire d’une société de la Caroline du Nord (« Fortress ») avaient un établissement stable aux États-Unis. Les parties reconnaissaient que Fortress concluait habituellement des contrats au nom des sociétés d’assurances japonaises et que Fortress agissait dans le cadre ordinaire de son activité lorsqu’elle représentait les sociétés d’assurances; la seule question en litige consistait donc à savoir si Fortress était un agent jouissant d’un statut indépendant. La cour américaine de l’impôt a conclu que Fortress était un agent jouissant d’un statut indépendant parce qu’elle était indépendante des sociétés d’assurances japonaises sur le plan juridique et sur le plan financier. L’affaire apporte des indications utiles à l’égard de l’indépendance juridique et financière, malgré la position de l’intimée selon laquelle les faits étaient largement différents de ceux de l’affaire dont je suis saisi. C’est peut-être le cas, mais ce sont les commentaires de la cour américaine sur la question de l’indépendance que je trouve utiles. À l’égard de la question de l’indépendance sur le plan juridique, la Cour a pris en compte ce qui suit :

 

-                     Il existe une convention de gestion distincte pour chacune des sociétés d’assurances japonaises.

 

-                     Les sociétés d’assurances japonaises n’avaient aucune participation dans Fortress.

 

-                     Aucun représentant de l’une ou l’autre des sociétés d’assurances japonaises n’était un administrateur, un dirigeant ou un employé de Fortress.

 

-                     Fortress était indépendante quant à ses activités quotidiennes.

 

-                     Rien ne démontre que les sociétés d’assurances japonaises agissaient de concert pour contrôler Fortress.

 

-                     Fortress agissait séparément à l’égard de chacune des sociétés d’assurances japonaises et l’Internal Revenue Service (l’agence américaine en matière de fiscalité) avait tort de prétendre que Fortress agissait exclusivement pour une entreprise.

 

[75]    À l’égard de l’indépendance sur le plan financier, la Cour a souligné ce qui suit :

 

-                     Fortress n’a pas de garantie de revenus.

 

-                     Fortress n’était pas protégée contre une perte due à une insuffisance de revenus.

 

-                     Fortress avait quatre clientes séparées et chacune de ces clientes pouvait mettre fin à son contrat avec Fortress par un préavis de six mois.

 

-                     Les bénéfices de Fortress étaient élevés.

 

 

[76]    Compte tenu des commentaires de l’OCDE, du droit interne comme les arrêts Sagaz et Le Royal Winnipeg Ballet (même s’ils traitaient des questions de l’employé par rapport à l’entrepreneur indépendant), et également compte tenu des commentaires de la cour américaine de l’impôt dans la décision Taisei, je conclus que l’AGP et les autres agents étaient indépendants d’AIL sur le plan juridique et sur le plan financier. Les facteurs dont j’ai tenu compte sont les suivants : premièrement, à l’égard de l’indépendance sur le plan juridique :

 

-                     L’intention des agents d’AIL était qu’ils ne dépendent pas d’AIL sur le plan juridique.

 

-                     AIL a peu de contrôle, sauf à l’égard de la fourniture de certains formulaires, quant à la façon selon laquelle les agents exercent leur activité.

 

-                     AIL n’avait aucune participation dans l’entreprise des agents.

 

-                     AIL ne possédait aucune immobilisation au Canada.

 

-                     AIL ne remboursait pas aux agents les frais pour l’acquisition ou l’utilisation des actifs.

 

-                     Les travailleurs engagés par les AGP étaient sous la responsabilité des AGP, non sous celle d’AIL.

 

-                     Les agents ne participaient pas aux décisions définitives à l’égard de la couverture d’assurance ou des indemnités.

 

-                     Même si les agents avaient une convention collective, la preuve montrait qu’il s’agissait plus d’un stratagème de commercialisation que de la création de quelque dépendance des agents envers AIL sur le plan juridique.

 

[77]    À l’égard de l’indépendance sur le plan financier, l’intimée soutient que, même si les agents avaient exercé leur activité pour leur propre compte, ils dépendaient d’AIL sur le plan financier à un degré tel qu’ils ne pouvaient pas être considérés comme des agents jouissant d’un statut indépendant. Avec égards, je ne partage pas son opinion. Les facteurs sur lesquels je m’appuie pour conclure que les agents étaient indépendants sur le plan financier sont les suivants :

 

-                     À titre d’agents rémunérés au moyen de commissions, les bénéfices étaient liés aux capacités et aux résultats des agents.

 

-                     La prime initiale constituait la rémunération de l’agent.

 

-                     La rémunération d’AIL résultait des renouvellements. En fait, la dépendance est celle d’AIL envers les agents plutôt que le contraire.

 

-                     Il n’y a pas de plafond sur la rémunération ni de niveau minimal garanti par AIL.

 

-                     Les agents pouvaient solliciter n’importe qui, pas seulement les clients potentiels dont la piste a été fournie par les RRP.

 

-                     Sauf en ce qui concerne les AGP, les agents n’étaient pas tenus de travailler exclusivement pour AIL.

 

-                     Les agents assumaient leurs propres risques sur le plan financier.

 

-                     Le fait que les AGP et la plupart des agents vendaient seulement des produits d’AIL n’est pas déterminant quant à la dépendance sur le plan financier.

 

-                     La fourniture de produits en elle-même n’est pas suffisante pour créer une dépendance sur le plan financier; c’était l’accroissement de la hiérarchie de l’agent qui permettait de réaliser des bénéfices.

 

[78]    L’intimée fait un lien étroit entre la question de la dépendance financière et le concept de l’intégration. Sans le produit offert par AIL et le soutien de cette dernière, les agents ne feraient pas de bénéfices : leur travail était inextricablement lié à AIL. Je vois la situation de manière différente. Assurément, il y avait des produits et un certain soutien, mais la réussite sur le plan financier dépend des efforts déployés par l’agent pour la sollicitation et la création de réseaux d’autres agents, des activités sur lesquelles les agents ont un contrôle complet.

 

[79]    À l’égard de l’agent principal, je conclus que Me Cumine était un avocat qui agissait à ce titre lorsqu’il travaillait comme agent principal d’AIL, et qu’il ne peut d’aucune manière être considéré comme étant dépendant d’AIL sur le plan juridique et sur le plan financier.

 

[80]    Finalement, l’avocat de l’appelante m’a renvoyé au paragraphe 39 des commentaires de l’OCDE :

 

La définition de l’expression « établissement stable » permet d’imposer une compagnie d’assurances d’un État dans l’autre État pour ses opérations d’assurance, si elle y dispose d’une installation fixe d’affaires au sens du paragraphe 1, ou si elle y exerce ses activités par l’intermédiaire d’une personne répondant à la définition du paragraphe 5. Comme les agences de compagnies d’assurances étrangères ne répondent pas toujours à l’une ou l’autre de ces deux conditions, il est possible que ces compagnies se livrent à des opérations importantes dans l’un des États sans être imposées dans cet État sur les bénéfices découlant de leurs activités. Pour parer à cette éventualité, plusieurs conventions conclues par des pays Membres de l’OCDE contiennent une disposition prévoyant que les compagnies d’assurances d’un État sont considérées comme ayant un établissement stable dans l’autre État si elles y perçoivent des primes par l’intermédiaire d’un agent qui y est établi autre qu’un agent qui a déjà la qualité d’établissement stable en vertu du paragraphe 5 ou assurent des risques dans ce territoire par l’intermédiaire de cet agent.

 

[81]    L’appelante soutenait que le fait qu’il n’y avait pas une telle disposition en matière d’assurance dans la Convention Canada‑États-Unis donne à penser qu’il est possible, et peut-être prévisible, qu’une société d’assurances non résidente puisse se livrer à des opérations importantes au Canada sans y avoir un établissement stable. Sans autre détail dans les commentaires à l’égard de la nature et de l’organisation d’« opérations importantes », il est difficile de conclure de façon déterminante que les dispositions prises par AIL correspondent à ce qui était envisagé. Je n’accorde pas beaucoup de valeur à ce point de vue et il n’est pas nécessaire de le faire pour tirer la conclusion que j’ai tirée. Ma conclusion est que, si le gouvernement canadien et le gouvernement américain ont l’intention de rendre imposables les bénéfices réalisés par AIL au Canada par l’intermédiaire d’un établissement stable, il leur appartient de modifier en conséquence la Convention.

 

Les experts

 

[82]    Jusqu’ici, j’ai rédigé la plus grande partie de mes motifs avant d’avoir entendu l’un quelconque des témoignages d’experts. Au moment de l’instance en mai 2007, il a été décidé que je mettrais le jugement en délibéré jusqu’à ce que j’aie entendu les témoignages des experts appelés par les Knights of Columbus dans leur appel devant la Cour, témoignages que j’ai entendus en janvier 2008. Tous les témoignages devaient être entendus dans le contexte de l’affaire des Knights of Columbus et dans le contexte de la présente affaire.

 

[83]    Au début de l’instance des Knights of Columbus en janvier 2008, l’intimée a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance déclarant que la preuve d’expert proposée par l’appelante était inadmissible. Pour des motifs prononcés à l’audience à ce moment, j’ai décidé d’entendre les trois témoins experts et d’établir par la suite l’admissibilité de leurs témoignages. Les trois experts étaient extrêmement qualifiés pour fournir un témoignage à l’égard de l’interprétation du Modèle de convention de l’OCDE (M. Vann et M. Arnold), de l’élaboration du Modèle de convention de l’OCDE et du Modèle de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions (M. Vann), et de l’interprétation de la Convention Canada‑États‑Unis d’un point de vue américain (M. Rosenbloom). J’ai décidé d’admettre leur témoignage, mais dans une portée limitée. Mes motifs sur ces questions sont plus amplement fournis dans ma décision The Knights of Columbus[16] rendue en même temps que la présente décision.

 

[84]    La preuve d’experts a-t-elle eu une influence sur mes motifs jusqu’à maintenant? Cette preuve ne modifie pas ma décision définitive d’accueillir l’appel; elle appuie cette décision.

 

[85]    J’estime particulièrement utiles deux aspects de l’opinion des experts. Le premier aspect est leur preuve à l’égard de l’absence d’une disposition spéciale dans la Convention selon laquelle une société d’assurances est réputée avoir un établissement stable au Canada si un assureur non résident perçoit des primes au Canada ou assure des risques canadiens (une « clause d’assurance »). On mentionne une clause d’assurance au paragraphe 39 des commentaires de l’OCDE reproduit au paragraphe 80 des présents motifs. L’intimée m’a demandé de ne pas tirer une inférence selon laquelle, en raison de l’absence d’une telle clause, les autorités canadiennes ont reconnu qu’AIL pouvait effectuer des opérations importantes au Canada sans y avoir un établissement stable : la clause d’assurance est simplement un critère différent. Ce n’est pas ce que j’ai compris du témoignage des experts. M. Vann, en particulier, a traité de manière détaillée de l’historique et de l’élaboration de la clause d’assurance. Il a souligné la manière selon laquelle le modèle des Nations Unies a été rédigé afin d’y inclure une clause d’assurance. L’OCDE avait étudié à fond le problème de la possibilité que de nombreuses activités d’assurance exercées dans un pays par l’entremise d’agents sans avoir établi un établissement stable. Le paragraphe 39 des commentaires reconnaît ce fait et traite de ce type même de clause d’assurance que rédigeaient les Nations Unies au même moment. L’OCDE a décidé de ne pas inclure une telle disposition pour des raisons que le professeur Vann a décrites comme des raisons de réciprocité, à savoir une attitude selon laquelle [traduction] « nous percevrions d’eux le même montant qu’ils percevraient de nos gens ». Cela est bien beau pour des pays développés qui traitent entre eux, mais cela devient problématique dans des conventions entre des pays développés et des pays en voie de développement. Toutefois, comme le professeur Vann l’a souligné, rien n’empêche des pays, à quelque étape de l’élaboration, d’insérer une telle clause d’assurance. La décision d’un État de le faire se rapporte à l’équilibre entre des États. À l’égard des clauses d’assurance, le professeur Vann a déclaré ce qui suit en conclusion :

 

          [traduction]

Si des pays ne les incluent pas dans leur convention, alors je pense qu’il y a une forte présomption qu’ils sont disposés à laisser aller cette sorte de situation, celle que j’ai exposée selon laquelle la décision de souscription est prise au siège social et le contrat est conclu lorsque la décision de souscription est prise au siège social.

 

[86]    Je conclus que l’absence d’une clause d’assurance donne en fait à penser que le Canada et les États-Unis reconnaissent effectivement qu’il peut y avoir de nombreuses activités d’assurance sans qu’il y ait une conclusion selon laquelle il existe un établissement stable. J’estime que cette preuve appuie ma conclusion.

 

[87]    Le deuxième aspect des témoignages d’experts qui a renforcé mon opinion à l’égard de l’installation fixe d’affaires d’un établissement stable est le témoignage des experts à l’égard de la nécessité d’avoir un pouvoir de disposer quant aux locaux. L’intimée soutient que les paragraphes des commentaires de l’OCDE sèment un doute sur ce principe, confirmé par M. Rosenbloom et M. Vann, selon lequel il ne peut y avoir une installation fixe d’affaires que si les locaux sont à la disposition du non-résident. Je ne suis pas d’accord avec l’intimée. Le commentaire donne plusieurs exemples. Je ne vois rien dans ces exemples qui réduit l’importance du pouvoir de disposer; c’est plutôt le contraire. J’ai conclu qu’AIL n’avait pas une installation fixe d’affaires. Les témoignages des experts à l’égard de la nécessité d’avoir un pouvoir de disposer, appliqués aux faits qui me sont soumis, confirment mon point de vue selon lequel AIL n’a pas une installation fixe d’affaires au Canada, étant donné qu’AIL n’a aucun pouvoir de disposer sur quelque local.

 

[88]    À l’égard d’un établissement stable réputé, l’appelante a renvoyé à la preuve d’experts portant sur les questions suivantes :

 

(i)      Le reçu conditionnel était-il un contrat distinct ou était-il un de deux éléments d’un contrat?

 

(ii)      Si le reçu conditionnel est un contrat distinct, était-ce un contrat conclu au Canada?

 

(iii)     Les agents jouissaient-ils d’un statut indépendant?

 

Avec égards, aucune de ces questions ne nécessitait une preuve d’experts et aucune ne faisait partie de l’opinion écrite fournie par les experts. Leur preuve sur ces questions provenait principalement du contre-interrogatoire. Par conséquent, ma conclusion sur ces questions demeure la même que celle que j’ai exposée précédemment dans les présents motifs.

 

La conclusion

 

[89]    Je conclus qu’AIL n’a pas un établissement stable, étant donné qu’elle n’a pas une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle elle exerce son activité et qu’elle ne l’exerce pas non plus par l’entremise d’agents qui disposent habituellement au Canada de pouvoirs permettant de conclure des contrats en son nom. En outre, même si j’avais conclu que des agents disposaient de tels pouvoirs, il n’y aurait quand même pas un établissement stable étant donné que les agents sont des agents jouissant d’un statut indépendant au sens des paragraphes 5 et 7 de l’article V de la Convention. L’appel est par conséquent accueilli, et les cotisations sont annulées au motif qu’AIL n’avait pas un établissement stable au Canada au cours des années en cause.

 

[90]    Les dépens sont adjugés à l’appelante.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2008.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de mai 2009.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Annexe « A »

Article V – Établissement stable

1.         Au sens de la présente Convention, l’expression « établissement stable » désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle un résident d’un État contractant exerce tout ou partie de son activité.

 

2.         L’expression « établissement stable » comprend notamment :

 

a) un siège de direction;

 

b) une succursale;

 

c) un bureau;

 

d) une usine;

 

e) un atelier; et

 

f) une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles.

 

3.         Un chantier de construction ou de montage constitue un établissement stable si et uniquement si sa durée dépasse douze mois.

 

4.         L’utilisation, dans un État contractant, d’une installation ou d’une tour ou d’un navire de forage pour explorer ou exploiter les ressources naturelles constitue un établissement stable si et uniquement si une telle utilisation est pour plus de trois mois au cours de toute période de douze mois.

 

5.         Une personne agissant dans un État contractant pour le compte d’un résident de l’autre État contractant - autre qu’un agent jouissant d’un statut indépendant auquel s’applique le paragraphe 7 - est considérée comme un établissement stable dans le premier État si cette personne dispose dans cet État de pouvoirs qu’elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom du résident.

 

6.         Nonobstant les dispositions des paragraphes 1, 2 et 5, on considère qu’il n’y a pas « établissement stable » lorsqu’une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins de, ou une personne visée au paragraphe 5 est engagée seulement dans, l’exercice de l’une ou de plusieurs des activités suivantes :

 

a)         l’usage d’installations aux fins de stockage, d’exposition ou de livraison de marchandises appartenant au résident;

 

b)         l’entreposage de marchandises appartenant au résident aux fins de stockage, d’exposition ou de livraison;

 

c)         l’entreposage de marchandises appartenant au résident aux fins de transformation par une autre personne;

 

d)         l’achat de marchandises ou la collecte d’informations pour le résident; et

 

e)         la publicité, la fourniture de renseignements, la recherche scientifique ou des activités analogues de caractère préparatoire ou auxiliaire, pour le résident.

 

7.         Un résident d’un État contractant n’est pas considéré comme ayant un établissement stable dans l’autre État contractant du seul fait qu’il y exerce son activité par l’entremise d’un courtier, d’un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d’un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité.

 

8.         Le fait qu’une société qui est un résident d’un État contractant contrôle ou est contrôlée par une société qui est un résident de l’autre État contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l’intermédiaire d’un établissement stable ou non) ne suffit pas à faire de l’une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l’autre.

 

9.         Au sens de la Convention, les dispositions du présent article s’appliquent pour déterminer si une personne quelconque a un établissement stable dans un État.

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI306

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2005‑170(IT)G

 

INTITULÉ :                                       American Income Life Insurance Company et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 9, 10 et 11 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Salvatore Mirandola

Avocate de l’intimée :

Me Marie-Thérèse Boris

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                      Me Salvatore Mirandola

 

                          Cabinet :                  Borden Ladner Gervais s.r.l.

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Pièce A‑1, vol. 2, onglet 33.

[2]               62 DTC 1390 (C.S.C.).

 

[3]           2000 DTC 6169 (C.A.F.).

 

[4]           61 DTC 1222.

 

[5]           [2002] A.C.I. no 368 (C.C.I.).

[6]               [2001] 2 R.C.S. 983.

 

[7]               2006 CAF 87.

 

[8]           2007 CAF 60.

[9]           87 DTC 5312 (C.F. 1re inst.).

 

[10]          [1981] 2 R.C.S. 670.

 

[11]          14 C.C.L.I. 89 (C.A. Sask.).

 

[12]          (1992), 8 O.R. (3d) 609 (C.A.).

 

[13]             [2002] A.J. no 297 (C.A. Alberta), au paragraphe 23.

 

[14]          L.R.M. 1987, ch. 140.

[15]             104 T.C. 535 (U.S. Tax Court, 2 mai 1995).

[16]          2008CCI307.

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