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Dossier : 2007-4224(IT)I

ENTRE :

JAMES GORDON MULLEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]

____________________________________________________________________

Appels entendus à Kingston (Ontario), le 9 avril 2008.

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Boyd Aitken

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, l’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2002 est rejeté. L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition 2003 est accueilli et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelant peut déduire une somme supplémentaire de 9 464,84 $ à titre de perte en capital, comme l’indiquent le paragraphe 18 et  l’annexe 1 de la réponse à l’avis d’appel.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2008.

 

« G.A. Sheridan »

Juge Sheridan

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juillet 2008.

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

Référence : 2008CCI294

Date : 20080516

Dossier : 2007-4224(IT)I

ENTRE :

JAMES GORDON MULLEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelant, James Mullen, a interjeté appel des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour les années d’imposition 2002 et 2003. Le ministre a conclu que, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le Revenu (la « Loi »), l’appelant résidait au Canada durant ces années. Par conséquent, le ministre a calculé l’impôt à payer de l’appelant à partir des revenus de toutes provenances de ce dernier, conformément aux paragraphes 2(1) et 2(2) de la Loi. Le statut de résidence de l’appelant a un effet sur le calcul de la perte en capital résultant de la disposition d’actions en 2002 et sur l’évaluation du prix de base rajusté d’actions dont l’appelant a disposé en 2003.

 

[2]     L’appelant s’est représenté lui‑même lors de l’audition de ses appels, laquelle a eu lieu sous le régime de la procédure informelle. Dans son avis d’appel, il affirme ne pas être redevenu un résident du Canada avant le 7 janvier 2002. Avant cette date, il avait été un résident de la Chine, du 17 janvier 1994 au 15 septembre 1999, et de la Thaïlande, du 15 septembre 1999 au 7 janvier 2002.

 

[3]     L’intimée soutient que l’appelant avait des liens suffisants avec le Canada, durant la période allant du 2 mars 1998 au 31 décembre 2003, pour permettre de conclure qu’il était alors un résident de fait du Canada; qu’il « résidait habituellement » au Canada au sens de la disposition déterminative du paragraphe 250(3) de la Loi et qu’il résidait au Canada conformément aux règles subsidiaires envisagées au paragraphe 250(5) de la Loi. Les nouvelles cotisations établies par le ministre étaient fondées sur des hypothèses de fait relatives au statut de résidence de l’appelant. Ces hypothèses sont énoncées aux alinéas 13a) à 13ee) de la réponse à l’avis d’appel, lesquels sont ainsi rédigés :

 

[TRADUCTION]

 

Le statut de résidence

 

a)         L’appelant travaillait pour Bristol Myers alors qu’il vivait en Chine, de janvier 1994 à mars 1998;

 

b)         L’appelant pouvait rester en Chine jusqu’à la fin de novembre 1999;

 

c)         L’appelant et son épouse, Bonnie, sont restés propriétaires d’une habitation située au 1564 Old Higway # 2, à Belleville (Ontario) (l’« habitation de Belleville ») pendant que l’appelant travaillait en Chine;

 

d)         L’habitation de Belleville était inoccupée entre 1996 et le moment où l’appelant et son épouse sont revenus au Canada;

 

e)         L’appelant et son épouse, Bonnie, sont revenus au Canada le 2 mars 1998;

 

f)          En mars 1998, l’appelant a cessé de travailler pour Bristol Myers;

 

g)         L’appelant détenait un passeport canadien;

 

h)         L’appelant a conservé le même numéro de téléphone à l’habitation de Belleville depuis le milieu des années 90;

 

i)          L’appelant détenait un permis de conduire international délivré au Canada;

 

j)          L’appelant avait des comptes bancaires et des cartes de crédit dans plusieurs pays, y compris au Canada;

 

k)         Le 18 mars 1999, l’appelant a vendu sa part de l’habitation de Belleville à son épouse pour la somme symbolique de 2 $;

 

l)          En 1999, l’appelant a transféré la propriété de deux véhicules à 1361272 Ontario Limited;

 

m)        Le siège social de 1361272 Ontario Limited était l’habitation de Belleville;

 

n)         Les actionnaires de 1361272 Ontario Limited étaient l’appelant, son épouse, sa fille Lorine et son fils Jeffrey;

 

o)         Le 26 mars 1999, l’appelant est retourné en Chine pour y chercher un emploi;

 

p)         L’appelant s’est rendu en Thaïlande en avril 1999;

 

q)         Le 22 mai 1999, l’appelant a acheté un logement d’immeuble en copropriété (le « logement ») situé à Kamala Beach, dans la province de Phuket, en Thaïlande;

 

r)          L’épouse de l’appelant est restée dans l’habitation de Belleville jusqu’en septembre 1999;

 

s)         En septembre 1999, l’épouse de l’appelant a rejoint ce dernier en Thaïlande;

 

t)          En 2000 et en 2001, l’appelant a déclaré aux autorités thaïlandaises un revenu locatif provenant du logement de Kamala Beach;

 

u)         Le 8 septembre 1999, l’épouse de l’appelant a vendu l’habitation de Belleville à sa fille Lorine et à son fils Jeffrey pour 300 000 $;

 

v)         L’appelant et son épouse ont financé la vente de l’habitation de Belleville à leurs enfants au moyen d’une hypothèque remboursable sur demande;

 

w)        L’hypothèque garantissait un prêt de 300 000 $, et elle comportait un taux d’intérêt annuel de 5 %;

 

x)         Le fils et la fille de l’appelant n’ont rien déboursé relativement à l’hypothèque, que ce soit pour rembourser le capital ou pour payer les intérêts;

 

y)         En novembre 2003, le fils et la fille de l’appelant ont revendu l’habitation de Belleville à l’appelant et à son épouse pour la somme symbolique de 2 $;

 

z)         L’appelant détenait des actions de plusieurs sociétés américaines de 1999 à 2002;

 

aa)       L’appelant a reçu des dividendes de sociétés américaines de 1999 à 2002;

 

bb)       De 1999 à 2002, les registres des actionnaires de ces sociétés américaines indiquaient que l’appelant résidait au 1564 Old Highway # 2 à Bellevile (Ontario), Canada;

 

cc)       Les sociétés américaines ont retenu un d’impôt de 15 % sur les dividendes versés à l’appelant;

 

dd)       En décembre 2001, l’appelant et son épouse sont revenus au Canada pour fêter Noël avec leur famille;

 

ee)       Depuis décembre 2001, l’appelant n’a pas quitté le Canada pour de longues périodes;

 

[4]     Je souligne aussi que l’intimée reconnaît, à l’alinéa 1a) de la réponse à l’avis d’appel, que [TRADUCTION] « l’appelant était un résident de la Chine entre août 1994 et le 2 mars 1998. » Au paragraphe 17 de la réponse à l’avis d’appel, l’intimée soutient que [TRADUCTION] « pour l’application du sous‑alinéa 128.1(4)b)(iv) de la Loi, l’appelant n’est pas réputé avoir disposé de ses droits relatifs à un régime d’options d’achat d’actions au moment où il est devenu un non‑résident du Canada en 1994. » [Non souligné dans l’original.] Il semble donc que le ministre était d’avis que l’appelant était un non‑résident du Canada au moins en 1994.

 

[5]     Bien que la décision du ministre quant au statut de résidence d’un contribuable puisse être fondée sur les activités de ce dernier durant d’autres années d’imposition que celles qui sont en cause, cette décision doit être prise pour chacune des années d’imposition en cause dans un appel. La présente affaire ne porte que sur les années d’imposition 2002 et 2003 de l’appelant. Puisque l’appelant reconnaît avoir été un résident du Canada à compter du 7 janvier 2002 et tout au long de l’année 2003, la seule période pour laquelle il faut décider si l’appelant était un résident du Canada est la période allant du 1er au 7 janvier 2002.

 

La preuve

 

[6]     En 1994, l’appelant et son épouse ont quitté Belleville (Ontario) et ils se sont rendus à Guangzhou, en Chine, où l’appelant a travaillé pour Bristol Myers. Avant leur départ, ils ont vendu leur résidence principale à Belleville. Les meubles et les autres biens qu’ils n’avaient pas vendus ont été transportés dans ce que le ministre a choisi d’appeler [TRADUCTION] l’« habitation de Belleville » dans les hypothèses de fait. En vertu de son contrat de travail, l’appelant, tant qu’il restait en Chine, avait droit à divers avantages, notamment une assurance maladie, une assurance dentaire, une compensation fiscale, des congés à domicile et une allocation de logement. L’employeur acquittait les frais relatifs à la suite meublée que l’appelant occupait au Pearl Ramada Inn. L’appelant payait de l’impôt sur le revenu en Chine. Il avait des comptes bancaires à New York et à Hong Kong et un compte au Canada, à la Banque Royale du Canada. Ce dernier compte est resté ouvert entre, au moins, 1993 et la date laquelle les présents appels ont été entendus.

 

[7]     Bien que l’appelant ait eu l’autorisation de rester en Chine jusqu’en novembre 1999, il a été mis à pied en mars 1998. L’appelant et son épouse sont aussitôt revenus au Canada. Bien que l’habitation de Belleville ait été louée lorsqu’ils avaient quitté le Canada, le bail était expiré au moment de leur retour le 2 mars 1998. Ils ont alors emménagé dans l’habitation de Belleville, où l’appelant s’est mis à étudier les possibilités qui s’offraient à lui. Il a cessé de payer de l’impôt sur le revenu en Chine au moment où son emploi a pris fin, en mars 1998. L’appelant a acheté une voiture d’occasion. Il a fait rebrancher la ligne téléphonique de l’habitation de Belleville en son propre nom; c’est le nom de l’ancien locataire qui avait été utilisé lorsque celui‑ci occupait l’habitation. L’appelant avait toujours conservé son permis de conduire de l’Ontario. Bien que l’appelant ait eu une assurance maladie privée pendant qu’il était à l’étranger, il n’a jamais annulé sa participation au régime d’assurance‑santé de l’Ontario.

 

[8]     Alors qu’il était au Canada, l’appelant s’est servi de ses relations en Chine et d’Internet pour explorer ses possibilités d’emploi. En mars 1999, l’appelant est retourné en Chine pour y chercher un emploi. Avant de partir, l’appelant a transféré la propriété de l’habitation de Belleville à son épouse pour une somme symbolique parce qu’il s’attendait à trouver du travail à l’étranger. L’appelant et son épouse ont transféré la propriété de leurs voitures à la société de portefeuille appartenant à la famille. Cette société était inactive et n’avait aucun autre actif.

 

[9]     Une fois rendu en Chine, l’appelant est retourné s’installer dans le même hôtel qu’il avait occupé alors qu’il travaillait chez Bristol Myers. Cette fois, il louait une suite à ses propres frais. Malgré le fait qu’il ait retenu les services d’un chasseur de têtes, les occasions d’emploi en Chine se sont révélées rares. C’est à peu près à ce moment que l’appelant a décidé de mettre fin à sa recherche d’emploi et qu’il a pris sa retraite. En avril 1999, il a fait un voyage en Thaïlande avec l’intention d’y déménager. Le mois suivant, il a acheté un condominium à Kamala Beach Estate.

 

[10]    Durant tout ce temps, l’épouse de l’appelant était restée au Canada, à l’habitation de Belleville. Bien que l’appelant et son épouse aient pensé à vendre l’habitation, l’appelant a dit que la faiblesse du marché immobilier les avait convaincus qu’il valait mieux transférer la propriété de l’habitation à leur fils et à leur fille. Après avoir expliqué que [TRADUCTION] « […] ma famille considère que [l’habitation de Belleville] est un bien de famille […] »[1], l’appelant a fourni des photographies avant‑après[2] de l’habitation de Belleville, afin d’illustrer comment lui est sa famille l’avaient :

 

[TRADUCTION]

 

[…]      achetée pour une somme modique, et nous nous sommes investis à fond pour en faire une assez belle habitation. Mon épouse, ma fille, mon fils et des amis de mon fils ont participé au projet. Plutôt que de nous débarasser de notre habitation pour moins que sa valeur marchande à cause des règles de l’Agence du revenu du Canada, nous avons tenté de rompre tous nos liens avec le Canada pour éviter des problèmes comme ceux auxquels je suis confronté en ce moment. C’est pour cette raison que nous leur avons transféré la propriété de l’habitation : parce qu’ils voulaient la garder[3].

 

[11]    Par conséquent, en septembre 1999, soit avant de partir rejoindre son époux en Chine, l’épouse de l’appelant avait transféré la propriété de l’habitation de Belleville à leur fils et à leur fille pour 300 000 $. La totalité de la somme utilisée pour acheter l’habitation avait été garantie par une hypothèque remboursable sur demande portant un taux d’intérêt annuel de 5 %. Toutefois, pendant que l’hypothèque était en vigueur, aucune somme n’a été déboursée pour rembourser le capital ou pour payer les intérêts. Il faut aussi souligner que, tout au long de cette période, le fils et la fille de l’appelant étaient chacun propriétaires d'autres immeubles résidentiels se trouvant dans le secteur de Belleville. La fille utilisait l’habitation de Belleville de temps à autre, mais le fils l’utilisait aussi souvent que possible lorsque ses parents ne s’y trouvaient pas.

 

[12]    En septembre 1999, l’épouse de l’appelant a rejoint l’appelant en Chine. Ils se sont ensuite rendus en Thaïlande, à leur condominium, n’apportant que des effets personnels et ce que l’appelant a qualifié de [TRADUCTION] « bibelots ». À partir de là, ils ont pris l’habitude de faire des voyages d’agrément en Extrême‑Orient. Lorsqu’ils n’occupaient pas le condominium, ils réussissaient souvent à le louer, par l’entremise de l’administration de l’immeuble en copropriété, à des expatriés en voyage. L’appelant déclarait les revenus de location qu’il obtenait ainsi, et il payait de l’impôt aux autorités thaïlandaises à leur égard, le tout, encore une fois, par l’entremise de l’administration de l’immeuble en copropriété. C’est parce que l’appelant croyait que les revenus qu’il faisait entrer en Thaïlande étaient imposables qu’il a ouvert des comptes bancaires en Malaisie et à Singapour. Il n’avait aucune difficulté à gérer ses finances, le faisant électroniquement ou durant ses voyages à ces endroits. Quand l’appelant était en Thaïlande, il se servait d’un système de crédits mis en place par l’administration de l’immeuble en copropriété pour appliquer ses charges de copropriété et ses revenus de location à ses frais de subsistance. Cet arrangement et le faible coût de la vie en Thaïlande permettaient à l’appelant d’y vivre confortablement sans devoir faire entrer des sommes importantes dans ce pays. Selon le témoignage de l’appelant, il semblerait qu’à un certain moment, les autorités fiscales thaïlandaises aient commencé à voir d’un mauvais œil les pratiques de l’administration de l’immeuble en copropriété, mais il ne s’agit pas là d’une question que doit étudier la Cour.

 

[13]    En 2001, l’intérêt que la Thaïlande avait suscité chez l’appelant et chez son épouse commençait à s’estomper. Ils se sont mis à la recherche d’un pays ayant un climat aussi plaisant que la Thaïlande, mais dont la situation politique serait moins précaire. En fin de compte, ils ont choisi le Costa Rica. Selon l’appelant, il n’y a pas d’impôt sur le revenu au Costa Rica. L’appelant et son épouse ont quitté la Thaïlande pour le Canada vers la fin d’avril 2001. Ils se sont rendus au Costa Rica en mai 2001, pour ensuite y acheter un condominium en juin. Le ministère du Tourisme du Costa Rica leur a accordé le statut de résidents temporaires. L’appelant est resté propriétaire du condominium se trouvant en Thaïlande jusqu’en 2006.

 

Le droit

 

[14]    La Loi ne définit pas le terme « résident » autrement qu’en disant qu’il s’agit d’une personne qui « résidait habituellement au Canada »[4]. L’arrêt de principe en ce qui concerne la détermination du lieu de résidence d’un contribuable est la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Thomson v. Canada (Minister of National Revenue)[5], dans laquelle le juge Rand  a émis les conclusions suivantes aux pages 63 et 64 :

 

[TRADUCTION]

 

[…]

 

L'établissement de degrés concernant le temps, l'objet, l'intention, la continuité et d'autres circonstances pertinentes montre, je pense, qu'en langage ordinaire le mot « résider » ne correspond pas à des éléments invariables devant tous être présents dans chaque cas. Il est tout à fait impossible d'en donner une définition précise et exhaustive. C'est un mot très souple dont les nombreuses nuances de sens varient non seulement selon le contexte de diverses causes, mais aussi selon différents aspects de la même cause. Dans un cas, certains éléments seront suffisants et, dans un autre cas, des éléments supplémentaires devront être présents.

 

L'expression « résident habituel » véhicule un sens restreint et, bien que la première impression soit que le facteur temps est prépondérant, les décisions portant sur la loi anglaise rejettent ce point de vue. Il a été statué que le fait d'être « résident habituel » d'un lieu s'inscrit dans le mode de vie habituel de la personne concernée et est différent du fait de résider exceptionnellement ou occasionnellement à un endroit. Le mode de vie général est donc pertinent quant à l'application de cette expression.

 

Aux fins des lois en matière d'impôt sur le revenu, il faut présumer que toute personne a une résidence en tout temps. Il n'est pas nécessaire que ce soit une maison, un lieu d'habitation particulier ou même un abri. Une personne peut coucher en plein air. Il importe seulement de déterminer les limites spatiales dans lesquelles une personne passe sa vie ou auxquelles est lié le mode de vie coutumier d'une personne. La meilleure façon de déterminer la résidence habituelle est de la comparer avec une résidence occasionnelle ou fortuite. Dans ce dernier cas, il semble nettement s'agir d'une résidence temporaire et exceptionnelle, ayant également une connotation transitoire avant le retour.

 

Toutefois, dans les diverses situations où il est question de résidence « permanente », « temporaire », « habituelle », « principale », etc., les adjectifs utilisés ne changent rien au fait qu'il s'agit dans tous les cas d'une résidence; cette qualité tient principalement au degré auquel une personne s'installe mentalement et en fait à un endroit ou y maintient ou y centralise son mode de vie habituel, y compris les relations sociales, les intérêts et les commodités. Une résidence peut être limitée dans le temps dès le départ ou peut être indéfinie ou considérée comme illimitée. Secondairement, les diverses sortes de résidences doivent être distinguées des lieux de « séjour » ou de « visite », tout comme c'est le cas à mon avis dans le langage ordinaire. [Non souligné dans l’original.]

 

[…]

 

[15]    Ce passage a été appliqué dans McFadyen v. R[6], une affaire relevant du régime de la procédure générale, dans laquelle la Cour a conclu que le contribuable n’avait pas cessé d’être un résident du Canada durant les trois années où il avait vécu au Japon avec son épouse et son jeune enfant. Malgré le fait que l’appelant dans cette affaire avait quitté le Canada avec l’intention de ne pas y revenir, qu’il avait fait des « des efforts importants pour ne pas revenir »[7], qu’il travaillait au Japon, qu’il avait vendu le foyer conjugal et qu’il avait loué un deuxième immeuble qu’il possédait au Canada avant de partir, qu’il avait mis fin à la couverture d’assurance maladie provinciale dont il bénéficiait et qu’il s’était efforcé de s’assujettir au régime fiscal japonais, le juge en chef Garon avait conclu que les liens entre l’appelant et le Canada demeuraient importants :

 

[104]       De la manière dont je vois la preuve, l'appelant peut être considéré comme ayant accompagné sa conjointe dans une affectation temporaire à l'étranger. Il est revenu au Canada à trois occasions durant l'affectation de sa conjointe au Japon. Il avait maintenu avec sa conjointe deux comptes bancaires en commun au Canada, dont un était utilisé pour les paiements hypothécaires relatifs à un de leurs immeubles, tandis que l'autre était utilisé pour tout le reste, y compris pour les paiements hypothécaires relatifs à un autre immeuble. L'appelant était propriétaire de deux maisons au Canada et, à son retour au Canada, a occupé une de ces deux maisons comme résidence, après avoir donné aux locataires un avis de deux mois. Durant les années en cause, il avait maintenu à ses propres frais son affiliation professionnelle à l'association appelée « Association of Professional Engineers of Ontario ». Les faits suivants reflètent le caractère transitoire de l'affectation au Japon : l'appelant avait remisé au Canada de gros meubles et des appareils ménagers, avait gardé un coffre bancaire et avait maintenu un régime enregistré d'épargne‑retraite, ainsi qu'une carte de crédit et un permis de conduire à jour de l'Ontario. Ces liens étaient surtout économiques, mais également personnels en partie[8].

 

[…]

 

[16]    Ces facteurs ont été considérés dans Johnson c. La Reine[9], une autre affaire relevant du régime de la procédure générale, dans laquelle la Cour a conclu que le contribuable avait continué d’être un « résident habituel » du Canada durant la période de deux ans où il avait vécu et travaillé aux Émirats arabes unis. Après avoir comparé la situation du contribuable appelant – lorsqu’il s’est préparé à déménager, lorsqu’il était aux Émirats arabes unis et lorsqu’il est revenu au Canada – à celle du contribuable de McFadyen, le juge Paris a conclu que « […] l’appelant n’a pas rompu ses liens de résident avec le Canada lorsqu’il est parti travailler dans les Émirats en avril 2001, et son mode de vie ordinaire était en fait toujours centré sur le Canada […] »[10].

 

[17]    Ces décisions permettent de comprendre qu’il n’est pas facile de cesser d’être un résident du Canada. Tout comme les contribuables dont les appels ont échoué dans McFadyen et dans Johnson, l’appelant s’était départi de sa résidence principale et de ses véhicules. Il avait l’intention de continuer de travailler en permanence à l’extérieur du Canada. Il a déployé des efforts pour faire de cette intention une réalité. Il s’est assuré d’avoir une couverture d’assurance maladie à l’extérieur de l’Ontario. Sauf en 1998, l’appelant s’est rarement rendu au Canada. Ces efforts ne sont pas suffisants en eux‑mêmes pour démontrer qu’il avait rompu ses liens avec le Canada. À mon avis, l’importance de ces efforts est minée par l’existence des faits supplémentaires que je décrirai ci‑après.

 

[18]    Le 2 mars 1998, l’emploi qu’exerçait l’appelant en Chine a pris fin. Peu importe que l’appelant ait pris sa retraite ou non, il n’a pas trouvé d’emploi en Chine ou en Thaïlande par la suite. L’appelant n’avait pas d’emploi à l’étranger ayant pour effet d’atténuer les liens qu’il pouvait avoir avec le Canada. À divers moments, l’appelant avait des comptes bancaires à New York, en Malaisie et à Singapour. Il n’a jamais ouvert de compte bancaire en Thaïlande, un choix qu’il a fait à la lumière de sa compréhension des incidences fiscales de cette décision. L’appelant détenait aussi une panoplie de cartes de crédit provenant de diverses banques étrangères. En revanche, l’appelant a toujours conservé son compte bancaire et sa carte de crédit Visa à la Banque Royale du Canada, et ce, peu importe le pays où il se trouvait. Il ne m’a pas convaincue en affirmant qu’il avait seulement conservé cette carte pour profiter des [TRADUCTION] « points » s’y rattachant. Le droit qu’avait l’appelant de conduire ailleurs qu’au Canada dépendait de sa preuve de détention d’un permis de conduire de l’Ontario valide. Lorsque l’appelant était en Thaïlande, il se servait de véhicules de location, alors qu’il a acheté une voiture lorsqu’il était au Canada. Bien qu’il ait finalement cédé son droit de propriété à la voiture à la société de portefeuille de la famille, il a continué de pouvoir s’en servir. Même s’il souscrivait une assurance maladie privée lorsqu’il voyageait à l’étranger, il a toujours maintenu sa participation au régime d’assurance‑santé de l’Ontario. Le fait que l’appelant ait souscrit une assurance maladie privée ne lui est pas d’un très grand secours, car même le voyageur le plus occasionnel souscrirait probablement une assurance maladie additionnelle pour un séjour à l’étranger. L’appelant et son épouse n’avaient apporté que des effets personnels en Chine et en Thaïlande; après avoir vendu leur résidence principale, tous leurs biens importants se trouvaient dans l’habitation de Belleville.

 

[19]    Tout cela m’amène à parler de ce que l’avocat de l’intimée a décrit, avec raison, comme étant [TRADUCTION] « la constante » durant les pérégrinations de l’appelant : l’habitation de Belleville. L’appelant a lui‑même reconnu que cet immeuble avait une grande importance pour lui et pour sa famille. Il s’agissait d’une maison en mauvais état qu’ils ont transformée en ce que l’on peut maintenant qualifier, à juste titre, de [TRADUCTION] « bien de famille ». Mis à part les deux années durant lesquelles l’habitation de Belleville a été louée à un tiers quand l’appelant s’est rendu en Chine la première fois, l’habitation était restée à la disposition de l’appelant et de sa famille. Le fait que le titre de propriété de l’habitation ait fait l’objet de divers transferts entre les membres de la famille ne signifie aucunement que l’appelant avait rompu les liens qui l’unissaient à l’habitation de Belleville. Peu importe le nom qui apparaissait sur le titre de propriété, l’appelant et son épouse ont toujours pu se servir de l’habitation. Ils s’en servaient lorsqu’ils se rendaient au Canada, notamment durant leurs voyages annuels du temps des Fêtes. Bien que le fils de l’appelant ait été officiellement propriétaire de l’habitation, il donnait priorité à ses parents en leur permettant d’occuper l’habitation et en attendant leur départ avant de retourner s’y installer. Lorsque des problèmes conjugaux ont mis en danger le statut de bien de famille de l’habitation de Belleville, le titre de propriété de l’habitation a été transféré à l’abri. Le siège social de la société de portefeuille de l’appelant a toujours été situé à l’habitation de Belleville. Après le départ du locataire en 1996, le numéro de téléphone de l’habitation n’a plus été changé, bien que le nom s’y rapportant ait été celui d’un membre de la famille ou d’un autre. L’appelant n’a jamais accordé autant d’importance, que ce soit émotionnellement ou économiquement, aux logements meublés de l’hôtel en Chine ou du condominium sur la plage en Thaïlande qu’à l’habitation de Belleville. En effet, après que l’appelant ait cessé de travailler en Chine, il avait très peu de liens avec ce pays ou avec la Thaïlande, mis à part le fait que ces pays lui servaient de point de départ pour faire des voyages en Extrême‑Orient ou, dans le cas de la Thaïlande, ce pays lui permettait de minimiser ses obligations fiscales. S’il est vrai qu’où se trouve le cœur, là est le foyer, c’est à l’habitation de Belleville que se trouvait le coeur de l’appelant.

 

[20]    Comme je l’ai mentionné dès le début, même si l’intimée soutient que l’appelant résidait au Canada du 2 mars 1998 au 31 décembre 2003, la seule période pour laquelle il faut décider si l’appelant était un résident du Canada aux fins du présent appel est celle du 1er au 7 janvier 2002. Tout compte fait, la preuve m’a convaincue que durant cette période, c’est à l’habitation de Belleville, avec sa famille, que l’appelant « s'[est] install[é] mentalement et en fait […] ou y [a] maint[enu] ou y [a] centralis[é] son mode de vie habituel, y compris les relations sociales, les intérêts et les commodités »[11]. Par conséquent, il y résidait dans les faits, et, donc, il « résidait habituellement au Canada » du 1er au 7 janvier 2002. En arrivant à cette conclusion, je n’insinue pas que l’appelant ait fait autre chose que d’arranger ses affaires conformément à ce qu’il comprenait des facteurs de non résidence publiés par l’Agence du revenu du Canada.

 

[21]    Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire de décider si l’appelant résidait au Canada pour l’application du paragraphe 250(5) de la Loi. Je dois toutefois ajouter que la preuve était insuffisante pour satisfaire au critère établi par la Cour suprême du Canada dans Crown Forest Industries Ltd. v. Canada[12], à savoir que l’appelant ait été soumis à « l'assujettissement fiscal le plus complet qu'un État puisse imposer »; en l’espèce, la Thaïlande.

 

[22]    Pour les motifs présentés ci‑dessus, l’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 est rejeté. Quant à l’appel relatif à l’année d’imposition 2003, l’intimée a soutenu, au paragraphe 18 de la réponse à l’avis d’appel, que le ministre avait mal calculé le prix de base rajusté des actions de Bristol‑Myers appartenant à l’appelant et que ce dernier devrait pouvoir déduire des pertes en capital supplémentaires. Par conséquent, l’appel relatif à l’année d’imposition 2003 est accueilli et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’appelant peut déduire une somme supplémentaire de 9 464,84 $ à titre de perte en capital, comme il est indiqué au paragraphe 18 et à l’annexe 1 de la réponse à l’avis d’appel.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2008.

 

 

 

« G.A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juillet 2008.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2008CCI294

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2007-4224(IT)I

 

INTITULÉ :

James G. Mullen et

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Kingston (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge G.A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me George Boyd Aitken

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Transcription, lignes 20 et 21 de la page 70.

[2] Pièce A-24.

[3] Transcription, ligne 23 de la page 70 et ligne 7 de la page 71.

[4] Paragraphe 250(3).

[5] [1946] C.T.C. 51.

[6] [2000] 4 C.T.C. 2573.

 

[7] Ibid., paragraphe 105.

[8] Ibid., paragraphe 104.

[9] 2007 CCI 288, [2007] 4 C.T.C. 2359.

[10] Ibid., paragraphe 41.

[11] Thomson, précité.

[12] [1995] 2 C.T.C. 64, page 76.

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