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Dossier : 2007-4163(EI)

ENTRE :

AGRIMÉTAL INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 18 mars 2008, à Shawinigan (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

 

Me Jérome Carrier

Avocate de l'intimé :

Me Justine Malone

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2008.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 

 

 

Référence : 2008CCI266

Date : 20080430

Dossier : 2007-4163(EI)

ENTRE :

AGRIMÉTAL INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]              L’appelante interjette appel d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») relative à l’assurabilité de l’emploi de messieurs François Houle, Mario Houle et Pascal Houle (les « travailleurs ») auprès de Agrimétal inc (le « payeur ») pour la période du 1er janvier 2006 au 5 février 2007 (la « période en litige »). Le ministre a déterminé que les travailleurs occupaient tous un emploi assurable aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). L’appelante soutenait que les travailleurs n’occupaient pas un emploi assurable parce que leur emploi serait, aux fins de la Loi, exclu de la notion d’emploi assurable en raison du lien de dépendance qui existait entre eux et le payeur. En outre, l’appelante soutient que le ministre aurait mal exercé son pouvoir discrétionnaire reconnu par l’alinéa 5(3)b) de la Loi en ce qu’il n’est pas raisonnable de conclure que les travailleurs et le payeur auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable n’eût été de leur lien de dépendance.

 

[2]              Pour rendre sa décision, le ministre a tenu pour acquis les faits suivants énoncés aux paragraphes 5, 6 et 7 de la réponse à l’avis d’appel :

 

5.        Le ministre a déterminé que les travailleurs exerçaient un emploi auprès de l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services, en s’appuyant sur les faits présumés suivants :

 

a)         l’appelante a été constituée en société en 1989; (admis)

b)         l’appelante exploite une entreprise (manufacturier) d’équipements et de machinerie pour l’entretien de pelouses pour les terrains de golf et parcs municipaux; (admis)

c)         l’appelante exploite une entreprise à l’année longue et connaît une période de pointe entre les mois de mars et décembre de chaque année; (admis)

d)         la place d’affaires de l’appelante est située à Wickham; (admis)

e)         durant la période en litige, l’appelante embauchait une trentaine d’employés; (admis)

f)          les travailleurs sont frères, administrateurs, et actionnaires, par l’entremise de leur compagnie de gestion, de l’appelante; (admis)

g)         chacun des actionnaires s’occupe d’un secteur particulier de l’exploitation de l’entreprise et ensemble ils prennent toutes les décisions relatives aux opérations majeures et quotidiennes de l’appelante; (nié pour les opérations quotidiennes)

h)         François Houle s’occupe principalement des achats et à ce titre, il doit faire les prévisions d’achats, trouver les pièces et équipements, remplir les bons d’achats, négocier les prix, rencontrer les fournisseurs, etc.; (admis)

i)          Pascal Houle s’occupe du département des ventes et des relations humaines au sein de l’entreprise et à ce titre, il fait de la sollicitation auprès des acheteurs potentiels, fait des démonstrations de produits, s’occupe des expositions, s’occupe de la convention collective et tente de régler les problèmes entre les employés; (admis)

j)          Mario Houle, en plus d’agir comme président de l’entreprise, s’occupe activement de la partie recherches et développement dans le but d’améliorer les produits en place et d’en créer d’autres; (admis)

k)         Mario travaille avec Pascal en ce qui concerne les demandes des clients, les critiques et les améliorations à apporter aux produits et il travaille avec François afin d’obtenir les prix des composantes qui serviront à finaliser le produit; (admis)

l)          chacun des travailleurs considère qu’il rend des services comme employé de l’appelante; (nié parce que chacun se considère comme propriétaire)

m)        les travailleurs possède une grande flexibilité dans l’exécution de leurs tâches respectives qui est directement liée à leurs responsabilités à titre d’administrateur et actionnaire de l’appelante; (nié parce que Pascal a plus de responsabilités)

n)         malgré la grande flexibilité qu’ils possèdent dans l’exécution de leur travail, l’appelante possède un droit de contrôle sur eux qu’elle exerce, entre autre, par le fait que 2 signatures sont requises pour l’émission de chèques de l’appelante et du fait que les 3 travailleurs doivent se consulter pour toute décision importante concernant l’appelante; (nié parce qu’aucun droit de contrôle existe)

o)         les heures de travail des travailleurs ne sont pas comptabilisées par l’appelante mais ils travaillent généralement durant les heures d’ouverture de l’entreprise, environ 40 heures par semaine; (nié parce que sur une base annuelle, ils font beaucoup moins que 40 heures par semaine)

p)         de par ses fonctions, Pascal Houle peut être appelé à se déplacer et peut occasionnellement faire plus de 40 heures par semaine; (admis)

q)         les travailleurs bénéficient d’une assurance-invalidité et d’une assurance-vie payées par l’appelante qui offre une assurance collective à tous ses employés, incluant les travailleurs; (admis)

r)          durant la période en litige, les travailleurs recevaient une rémunération hebdomadaire fixe de 1 746 $ versée par dépôt direct à chaque semaine; (admis)

s)         la rémunération des travailleurs tient compte du fait que chacun occupe un poste de gestion et que chacun est un travailleur-actionnaire auprès de l’appelante; (nié)

 

6.         Les travailleurs et l’appelante sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu car :

 

a)         durant la période en litige, les actionnaires à parts égales des actions comportant droit de vote de l’appelante étaient :

 

- Gestion Mario Houle inc.,

- Gestion François Houle inc.,

- Gestion Pascal Houle inc.; (admis)

b)         Mario, François et Pascal sont chacun unique actionnaire de leur compagnie de gestion; (admis)

c)         chacun des travailleurs fait partie d’un groupe qui contrôle l’appelante. (admis)

 

7.         Le ministre a déterminé aussi que les travailleurs et l’appelante étaient réputés ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de ces emplois car il a été convaincu qu’il était raisonnable de conclure que les travailleurs et l’appelante auraient conclu entre eux des contrats de travail à peu près semblables s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

 

a)         malgré une grande latitude dans l’exécution de leur travail, les travailleurs demeurent sous le contrôle de l’appelante dans l’exécution de leurs tâches respectives et dans leurs prises de décisions concernant l’exploitation de l’entreprise de l’appelante; (nié)

b)         les fonctions et tâches accomplies par les travailleurs sont essentielles à l’exploitation de l’entreprise de l’appelante; (admis)

c)         l’appelante exploite son entreprise à l’année et la durée des emplois des travailleurs correspond aux besoins réels de l’appelante à cet égard; (nié)

d)         le rémunération des travailleurs est raisonnable eu égard que chacun occupe un poste de gestion et que chacun est un travailleur-actionnaire auprès de l’appelante. (nié)

 

[3]              Dans son appréciation du dossier, le ministre a également tenu compte des autres faits pertinents décrits aux paragraphes 8, 9 et 10 de la réponse à l’avis d’appel :

 

8.         Le 12 juillet 2002, suite à une demande de l’appelante, le département de l’assurabilité a déterminé que les emplois des 3 travailleurs étaient assurables, et ce malgré le lien de dépendance, pour la période du 1er janvier 1999 au 11 juillet 2002;

 

9.         Le 20 mars 2003, la division des appels de l’Agence du revenu du Canada (ARC) confirmait les décisions de l’assurabilité et l’appelante ne portait pas ces décisions devant le Cour canadienne de l’impôt;

 

10.       Dans le présent dossier, Mario Houle, actionnaire de l’appelante et représentant ses frères Pascal et François, a précisé, à quelques reprises, que ses conditions d’emploi et celles de ses frères n’avaient pas changé de manière significative durant la période en litige.

 

[4]              Seul Pascal Houle a témoigné à l’audience. Il a d’abord fourni des informations concernant les débuts et la progression de l’entreprise et sur la vente de la division agricole en 2000 alors que le chiffre d’affaires de l’entreprise était de l’ordre de 13 millions de dollars. Suite à cette vente, le chiffre d’affaires est passé à 5 millions de dollars et il est maintenant de l’ordre de 3.5 millions de dollars[1]. Pour l’exercice financier terminé le 31 mars 2007, l’appelante a subi une perte nette de 64 195 $ alors que, pour l’exercice financier terminé le 31 mars 2006, l’appelante a subi une perte nette de 70 590 $.

 

[5]              Monsieur Houle a également expliqué que, suite à la vente de la division agricole, la charge de travail des employés de l’appelante avait diminué de façon significative mais que les salaires des employés avaient été maintenus au même niveau. Les employés faisaient tout simplement moins d’heures et étaient payés en fonction des heures travaillées. Ce n’était pas le cas pour les travailleurs, qui eux, ont gardé le même salaire, soit 90 800 $ par année, malgré la diminution de leur charge de travail.

 

[6]              Monsieur Houle a aussi fourni des explications concernant une restructuration des opérations de l’appelante en octobre 2003. Dans le but de protéger l’actif de l’appelante contre les risques de poursuites légales, chacun des frères a constitué une compagnie de gestion pour détenir ses actions de l’appelante et une autre société a été constituée, Les Immeubles MFP Inc., afin de détenir la propriété des immeubles et de la machinerie. Après avoir cédé la propriété des immeubles et de la machinerie à la société  Les Immeubles MFP Inc., l’appelante a conclu avec cette dernière un contrat de location pour l’occupation des immeubles et l’utilisation de la machinerie.

 

[7]              Monsieur Houle a enfin clairement indiqué que, s’il devait être remplacé par un nouveau salarié, ce dernier ne gagnerait pas plus que 40 000 $ par année et n’aurait pas droit aux 13 semaines de vacances auxquelles chacun des travailleurs a droit.

 

[8]              L’agente des appels de l’Agence du revenu du Canada n’a pas témoigné mais son rapport sur un appel a été déposé[2]. La partie VI du rapport sur un appel intitulée « Sommaire » résume bien l’analyse que l’agente des appels a effectuée et il y a lieu de reproduire cette partie du rapport :

 

Le présent  sommaire s’applique sans restriction aux dossiers dont les travailleurs visés sont : François Houle (1008085), Mario Houle (1008093) et Pascal Houle (1008101).

 

Agrimétal inc., le payeur, a été constitué en 1989 et les actionnaires étaient Mario Houle, François Houle et Pascal Houle. Les trois actionnaires sont frères et détenaient chacun 33 1/3 % des actions avec droit de vote.

 

Les activités du payeur consistent en la fabrication de machines pour l’entretien des pelouses (terrains de golf, parcs municipaux). La place d’affaires du payeur est située à Wickham et il a une trentaine d’employés à son service.

 

Depuis le 1er octobre 2003, les actionnaires d’Agrimétal inc. sont Gestion Mario Houle inc., Gestion Franjo Houle inc. et Gestion Pascal Houle inc.; chacun détenant 33 1/3 % des actions avec droit de vote. Mario, François et Pascal Houle sont chacun actionnaires à 100 % des compagnies de gestion.

 

Les trois actionnaires travaillent pour le payeur et chacun est responsable d’un département. Mario Houle s’occupe de la recherche et du développement. François s’occupe des achats et de l’informatique. Pascal Houle s’occupe des ventes, de la clientèle et de la production.

 

Le payeur invoque que les travailleurs occupaient des emplois exclus des emplois assurables en vertu du lien de dépendance au cours de la période en litige, soit du 1er janvier 2006 au 5 février 2007.

 

Comme tous les membres de l’actionnariat font partie de la même famille, chacun des travailleurs fait partie d’un groupe lié qui contrôle plus de 50 % des actions votantes de la compagnie. Les travailleurs étaient ainsi des personnes liées tel que définit à l’alinéa 251(2)a) et au sous-alinéa 251(2)b)ii) de la Loi de l’impôt. Des personnes liées sont réputées avoir un lien de dépendance selon l’alinéa 251(1)a) de la même loi.

 

Le litige dans ces dossiers était de déterminer s’il existait un véritable contrat de louage de services entre les travailleurs et le payeur et s’il était raisonnable de croire qu’une personne étrangère aurait pu être engagée dans des conditions à peu près semblables.

 

Au Québec, afin d’établir si un emploi est assurable aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi, nous devons nous référer aux dispositions du Code Civil du Québec lequel dicte les règles d’un contrat de travail et celles d’un contrat d’entreprise ou de services.

 

Contrat de travail

 

À la lumière des faits examinés précédemment, il ressort que le contrat de travail entre les parties n’était pas en cause. Il existait bel et bien un contrat de travail selon les critères énumérés au Code civil du Québec, à savoir qu’il y a eu prestation de travail, que les travailleurs étaient rémunérés et que le lien de subordination était existant et exercé par le payeur.

 

Lien de dépendance

 

Modalités, nature et importance

 

Mario, François et Pascal Houle occupent chacun des postes de direction au sein de la compagnie.

 

En tant que responsable de la recherche et du développement, les fonctions de Mario Houle consistent à élaborer des prototypes, en faire l’essai, les ajustements, ainsi qu’à trouver des solutions aux bris des machines.

 

Étant responsable des ventes, de la clientèle et de la production, les fonctions de Pascal Houle consistent à visiter les distributeurs, faire des démonstrations et monter des expositions.

 

Les heures d’affaires officielles du payeur sont de 7h30 à 17h00 du lundi au jeudi; le vendredi, les portes ferment à midi. Les trois actionnaires n’ont pas vraiment d’horaire de travail à respecter, en moyenne, ils font une quarantaine d’heures par semaine. Quant à Pascal Houle, il peut lui arriver de faire jusqu'à 80 heures dans une semaine lorsqu’il doit se déplacer pour des présentations ou des expositions.

 

Les trois actionnaires ne remplissent pas de feuilles de temps contrairement aux employés non liés. Nous sommes d’avis que, compte tenu des postes de direction de chacun des travailleurs au litige, cela est usuel. Il est normal que leurs horaires de travail correspondent majoritairement aux heures d’affaires du payeur et qu’ils en font plus certaines semaines et moins d’autres semaines.

 

Il est vrai que Mario, François et Pascal Houle ont une grande latitude dans l’exercice de leurs fonctions. Cependant, le payeur a un droit de contrôle sur ces derniers et ce contrôle est exercé, entre autre, par le fait que deux signatures sont requises pour l’émission des chèques du payeur. De plus, bien que chacun des actionnaires gère son propre département et voit à son bon fonctionnement; ces derniers discutent et évaluent ensemble les décisions importantes concernant le payeur, comme par exemple des investissements.

 

Aux états financiers du 31 mars 2006, on retrouve un montant de 473 000 $ en tant qu’avance à payer à des personnes apparentées. Cette somme est un reste de dividende à payer aux sociétés de gestion des trois actionnaires et provient de la création de celle-ci. Il est usuel que des sommes soient dues aux actionnaires d’une compagnie; ceci ne vient cependant pas influer sur leurs conditions de travail en tant qu’employés.

 

En tant qu’actionnaire, Mario Houle a accordé un prêt personnel de 12 690 $ au payeur le 1er janvier 2006; ce prêt lui a été remboursé en avril 2006.

 

Les trois actionnaires bénéficient de treize semaines de vacances, alors que les employés non liés ont droit à six semaines. Mario, François et Pascal Houle bénéficient d’une assurance-invalidité et d’une  assurance-vie qui est payée par le payeur. Le payeur offre une assurance collective pour tous, actionnaires et employés non liés.

 

Les fonctions accomplies par les travailleurs sont essentielles pour l’entreprise. Nous sommes d’avis qu’il pourrait en être ainsi pour des personnes étrangères occupant des postes similaires chez le payeur.

 

Durée

 

Le payeur opère à l’année, mais connaît une période forte de mars à décembre. Mario, François et Pascal Houle y travaillent à l’année.

 

Nous sommes d’avis que la durée des emplois correspond aux besoins du payeur et qu’il pourrait en être ainsi pour des personnes étrangères.

 

Rémunération

 

François, Mario et Pascal Houle reçoivent une rémunération hebdomadaire fixe de 1 746 $. Contrairement aux travailleurs non liés, les actionnaires ne sont pas payés en fonction d’un taux horaire. La rémunération de tous les travailleurs du payeur, incluant les actionnaires, est versée par dépôt direct, chaque semaine.

 

À première vue, la rémunération des actionnaires peut sembler élevée, mais il faut considérer que chacun occupe un poste de gestion et que chacun est un travailleur-actionnaire.

 

Cet extrait dans la cause 9022-0377 Québec inc. par l’honorable Juge Tardif résume bien la situation :

 

« Lorsque des actionnaires ayant ou non un lien de dépendance entre eux décident d’avoir une politique salariale pour les actionnaires-travailleurs, qui est très mesquine ou généreuse, très permissive ou contraignante, cela n’a rien à voir avec les conditions de travail des autres employés. »

 

Nous sommes d’avis qu’une personne non liée au payeur, également actionnaire et occupant les mêmes fonctions que les travailleurs, aurait pu recevoir un tel salaire.

 

Autre considération

 

Le 12 juillet 2002, le Département d’assurabilité a déterminé que les emplois de François Houle, Mario Houle et Pascal Houle lorsqu’au service d’Agrimétal inc. étaient assurables en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi. La période visée était du 1er janvier 1999 au 11 juillet 2002 et un droit d’appel pouvait être accordé pour la période du 1er janvier 2001 au 11 juillet 2002; droit dont s’est prévalu Agrimétal inc. Le 20 mars 2003, la Division des appels RPC/AE a confirmé les décisions du 12 juillet 2002. Cette décision n’a pas été portée devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

Selon les faits recueillis aux présents dossiers, les conditions de travail des trois actionnaires n’ont pas changé de façon significative depuis la dernière étude. Le seul changement qui nous avons noté est la création des compagnies de gestion dont chacun des frères est unique actionnaire. Nous sommes d’avis que ce changement dans l’actionnariat du payeur n’interfère pas sur les conditions d’emploi des trois actionnaires et par conséquent, n’interfère pas non plus sur l’assurabilité des ces mêmes emplois.

 

Conclusion

 

L’analyse du lien de dépendance nous a aussi démontré que les parties auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable. Le ministre est donc convaincu qu’il est raisonnable de conclure que les éléments analysés et mentionnés à l’alinéa 5(3)b) de la Loi sur l’assurance-emploi sont de nature à ré-inclure ces emplois dans les emplois assurables.

 

Puisque les emplois de Mario Houle, François Houle et Pascal Houle au cours de la période en litige étaient exercés au Canada, contre rémunération et en vertu d’un contrat de louage de services, les exigences de l’alinéa 5(1)a) de Loi sur l’assurance-emploi sont rencontrées et, par conséquent il s’agit donc d’emplois assurables au sens de la Loi.

 

[Des corrections mineures ont été apportées  au texte original par l’auteur]

 

Position de l’appelante

 

[9]              Durant sa plaidoirie, l’avocat de l’appelante a soutenu qu’il n’existait aucun contrat de travail au sens du Code civil du Québec entre les travailleurs et l’appelante. Selon lui, le degré d’autonomie dont jouissait chacun des travailleurs révélait l’existence d’un contrat d’entreprise.

 

[10]         De plus, l’avocat de l’appelante a soutenu que le ministre avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire parce qu’il lui apparaissait déraisonnable de conclure que les conditions d’emploi auraient été à peu près semblables s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance entre les travailleurs et l’appelante. En particulier, il a soutenu que les salariés sans lien de dépendance n’auraient pu maintenir leur rémunération après la vente de la division agricole parce que leur charge de travail a diminué de l’ordre de 30 %. La rémunération de 90 800 $ par année n’aurait pas été versée à des salariés sans lien de dépendance parce que l’appelante a encouru des pertes nettes d’opérations pour les exercices financiers de 2006 et de 2007. Les salariés sans lien de dépendance n’auraient pas pu prendre 13 semaines de vacances par année et prendre des vacances au moment qui leur convenait à l’extérieur des périodes normales de vacances, et ce, sans préavis. Ils n’auraient pas reçu non plus des appels à la maison les soirs et ils n’auraient pu utiliser les fins de semaine et à des fins personnelles le camion fourni par l’appelante.

 

[11]         L’avocat de l’appelante a également soutenu que l’agente des appels avait mal appliqué les dispositions de la Loi puisqu’elle avait rendu sa décision sans tenir compte de la baisse du chiffre d’affaires de l’appelante suite à la vente de la division agricole.

 

Analyse

 

[12]         Les dispositions pertinentes au présent litige sont les alinéas 5(1)a), 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi qui se lisent comme suit :

 

Sens de « emploi assurable »

 

5 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a)      l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

 

Restriction

 

(2) N’est pas un emploi assurable :

 

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

Personnes liées

 

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[13]         La définition du contrat de travail se trouve à l’article 2085 du Code civil du Québec et celui du contrat d’entreprise aux articles 2098 et 2099 du même code. Ces articles se lisent comme suit :

 

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[14]         Il ressort de la preuve que les travailleurs ont fourni une prestation de services en faveur de l’appelante et qu’ils ont reçu une rémunération. Pour ce qui est du lien de subordination, il y a lieu de l’apprécier non pas à la lumière du contrôle que l’employeur exerce effectivement sur ses employés mais plutôt en fonction du pouvoir que possède l’employeur de contrôler la façon dont les employés exécutent leurs fonctions.[3] Parmi les indices qui peuvent être utilisés pour démontrer l’existence du pouvoir de direction ou de contrôle, il y a lieu de mentionner la présence obligatoire à un lieu de travail, l’exigence d’un horaire de travail, l’exigence d’une prestation personnelle exclusive, la nature du travail à être accompli ainsi que le degré d’intégration dans les activités de l’appelante.[4]

 

[15]         Si on applique ces critères aux faits de cet appel, il n’y a aucun doute que nous sommes en présence d’un contrat de travail plutôt que d’un contrat d’entreprise. Même si les travailleurs jouissaient d’une grande marge d’autonomie dans l’exécution de leur travail, il n’en demeure pas moins que cette autonomie est tout à fait justifiée compte tenu de la nature de leurs tâches respectives; chacun d’eux étant responsable d’un secteur d’activités important de l’appelante. Le fait que les travailleurs occupaient des postes élevés dans la hiérarchie de l’entreprise et le fait que la plupart de leurs fonctions aient été exercées à l’établissement de l’appelante, sauf dans le cas de monsieur Pascal Houle, constituent des indices de l’existence d’un degré élevé d’intégration dans l’entreprise de l’appelante et, par conséquent, de l’existence d’un lien de subordination entre les travailleurs et l’appelante.

 

[16]         En tant que responsable des ventes, de la clientèle et de la production, monsieur Pascal Houle était appelé à s’absenter souvent de l’établissement de l’appelante pour visiter les distributeurs, faire des démonstration d’équipements et participer à des expositions souvent à l’extérieur du Canada. Ses heures de travail étaient moins régulières que celles de ses frères et il pouvait faire beaucoup plus d’heures qu’eux dans le cadre de ses activités de marketing. Malgré cette disparité dans les prestations de travail des travailleurs, le salaire était à peu près le même pour les trois frères, i.e. entre 90 000 $ et 109 000 $.

 

[17]         Même si les travailleurs ont invoqué le fait qu’ils n’avaient pas de comptes à rendre et qu’ils agissaient comme des propriétaires et non comme des employés, il n’en demeure pas moins que, dans la réalité, l’appelante exerçait son pouvoir de direction et de contrôle pour s’assurer que le travail confié aux travailleurs soit exécuté de façon adéquate. Je suis persuadé que c’est ce qui s’est passé lorsque monsieur Mario Houle a divorcé en 2006 et a fait une dépression qui l’a obligé à s’absenter de son travail pendant trois mois.

 

[18]         Compte tenu de ce qui précède, j’en viens à la conclusion qu’un lien de subordination existe bel et bien entre l’appelante et les travailleurs et que, par conséquent, un contrat de travail régit les relations entre l’appelante et chacun des travailleurs.

 

Exclusion en raison du lien de dépendance

 

[19]         En vertu des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, les trois travailleurs constituent un groupe de personnes liées qui, ensemble, contrôlent l’appelante par l’intermédiaire de leur société de gestion respective. Par conséquent, il ne fait pas de doute que les travailleurs sont des personnes liées à l’appelante et qu’il existe un lien de dépendance entre eux et l’appelante.

 

[20]         Conformément à l’alinéa 5(3)b) de la Loi, le ministre doit déterminer s’il est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment, la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’il n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[21]         Dans son Rapport sur un appel, l’agente des appels a exercé le pouvoir de discrétion dont le ministre dispose en ces termes :

 

« L’analyse du lien de dépendance nous a aussi démontré que les parties auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable. Le ministre est donc convaincu qu’il est raisonnable de conclure que les éléments analysés et mentionnés à l’alinéa 5(3)b) de la Loi sur l’assurance-emploi sont de nature à ré‑inclure ces emplois dans les emplois assurables. »[5]

 

[22]         Le rôle dévolu à cette Cour lorsque le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire a fait l’objet de plusieurs décisions jurisprudentielles dont celle rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd. (C.A.), [1997] A.C.F. 876, [1998] 1 C.F. 187. Les extraits suivants tirés de l’affaire Jencan résument bien le rôle dévolu à cette Cour :

 

[. . .] « Comme il s’agit d’une décision rendue en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s’ensuit que la Cour de l’impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir ».[6] [. . .]

 

[. . .] « Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l’impôt n’était pas justifié d’intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s’il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui était contraire à la loi. [. . .] La Cour de l’impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) en examinant le bien-fondé de cette dernière lorsqu’il est établi, selon le cas, que le ministre (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un  mobile illicites; (ii) n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme l’exige expressément le sous‑alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d’un facteur non pertinent [7] [. . .]

 

[23]         Dans le cas qui nous occupe, la question qu’il importe de se poser est de savoir si le ministre a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme l’exige l’alinéa 5(3)b) de la Loi? Dans sa plaidoirie, l’avocat de l’appelante a invoqué le fait que l’agente des appels n’avait pas tenu compte dans sa décision de la vente de la division agricole, ni de la baisse du chiffre d’affaires qui a résulté de cette vente. Il est vrai que l’agente des appels n’y a pas fait spécifiquement référence dans son rapport mais il n’est pas prouvé qu’elle ne le savait pas et qu’elle n’en a pas tenu compte. À mon avis, en examinant les états financiers de l’appelante pour les années 2005, 2006 et 2007 et les remises mensuelles de la taxe sur les produits et services pour les mêmes périodes, elle a sûrement constaté que le chiffre d’affaires de l’entreprise avait baissé suite à la vente de la division agricole et suite à la hausse de la valeur du dollar canadien par rapport à la devise américaine (80 % des ventes de l’appelante sont effectuées aux États-Unis).

 

[24]         L’avocat de l’appelante a également invoqué le fait que l’appelante avait encouru des pertes nettes d’opération en 2006 et en 2007 pour démontrer que la rétribution versée aux travailleurs n’était pas raisonnable dans les circonstances. L’avocate de l’intimé a réfuté cet argument en alléguant que la rétribution versée aux travailleurs était raisonnable compte tenu des postes de gestion occupés par les travailleurs et de leurs années d’ancienneté (de 25 à 27 ans). Elle a de plus fait remarquer que les travailleurs ne recevaient pas de boni et qu’ils n’étaient pas payés pour les heures supplémentaires effectuées.

 

[25]         En appréciant si le contrat de travail des travailleurs aurait été à peu près semblable n’eût été du lien de dépendance, il faut tenir compte de la situation particulière des travailleurs qui détiennent chacun par l’intermédiaire de leur société de gestion respective le tiers des actions de l’appelante. Les travailleurs qui sont à la fois des salariés et des propriétaires de leur employeur adoptent souvent des comportements différents de ceux qui ne sont que de simples salariés. C’est le cas ici. Les travailleurs reçoivent une rémunération fixe qui ne dépend pas des heures travaillées et qui n’est pas fonction du chiffre d’affaires de l’employeur ou des résultats d’opérations de l’entreprise. La rémunération des travailleurs m’apparaît plutôt être fixée en fonction des besoins personnels des travailleurs. L’argument voulant que la rémunération des travailleurs soit trop élevée compte tenu des pertes nettes d’opérations subies par l’appelante est, selon moi, tout à fait inacceptable parce que l’appelante n’est pas un « centre de profit ». Les profits réalisés par l’appelante sont extraits par le loyer à payer à la société apparentée, Immeubles MFP Inc., et par l’avance à payer aux sociétés de gestion de 473 056 $ au 31 mars 2006 représentant le solde du dividende de 2 400 000 $ déclaré le 1er octobre 2003 lors de la création des trois sociétés de gestion. Ce comportement n’est pas inhabituel pour des travailleurs qui sont aussi les propriétaires indirects de leur employeur. Selon les dires mêmes de monsieur Pascal Houle, les sociétés de gestion et la société immobilière ont été mises en place pour mettre à l’abri les actifs (immeubles, machinerie et liquidités), de l’entreprise contre des poursuites éventuelles.

 

[26]         À mon avis, les travailleurs et l’appelante n’ont pas réussi à renverser le fardeau de preuve qui consistait à démontrer que la décision du ministre était déraisonnable compte tenu des circonstances. Selon moi, il s’agit ici d’un cas où la Cour ne doit pas intervenir pour substituer son opinion à celle du ministre.

 

[27]         Pour ces motifs, l’appel de l’appelante est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2008.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI266

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-4163(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Agrimétal inc. et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Shawinigan (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 18 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 30 avril 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

 

Me Jérome Carrier

Avocate de l'intimé :

Me Justine Malone

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Jérome Carrier

                                                          Avocat

                 Cabinet :                           Lévis, Québec

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Voir pièce A-1

[2]               Voir pièce A-2

[3]               Voir les arrêts Gallant c. M.N.R. (1986) A.C.F. no 330, D&J Driveway Inc. c. Canada (M.N.R.), 2003 CAF 453 et Rock Lacroix c. M.N.R. 2007CCI181.

 

[4]               Basé sur les propos du juge Archambault dans l'affaire Rock Lacroix c. M.N.R., 2007CCI181 à la page 16, paragraphe 33.

[5]               Conclusion de la partie VI du Rapport sur un appel

[6]               Paragraphe 33

[7]               Paragraphe 37

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