Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Référence : 2008CCI18

Date : 20070109

Dossiers : 2007‑1615(EI)APP

2007‑1616(CPP)APP

ENTRE :

 

CHEAM TOURS LTD. OP AIRPORT LINK SHUTTLE,

requérante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Avocats de la requérante : Mes Donald Smetherman et Andrea Donohoe

Avocate de l’intimé : Me Selena Sit

____________________________________________________________________

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

(Rendus oralement à l’audience à

Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 novembre 2007.)

 

Le juge McArthur

 

[1]     Par la présente requête, l’intimé vise à obtenir une ordonnance rejetant les demandes de prorogation du délai de production de l’avis d’appel présentées par la requérante pour cause de non‑respect des délais prévus au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi et au paragraphe 28(1) du Régime de pensions du Canada (le « RPC »). Il s’agit d’une affaire où la requérante, se représentant elle‑même comme elle est en droit de le faire, s’est retrouvée dans une situation fort difficile sur le plan de la procédure, ce qui l’a obligée à faire appel aux services compétents d’un avocat pour la guider dans le labyrinthe des règles et des dispositions réglementaires applicables.

 

[2]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a envoyé à la requérante deux décisions datées respectivement du 26 juillet 2006 et du 7 août 2006. La première confirmait la décision voulant que Stephen Eric Freeric Simpson exerce un emploi assurable et ouvrant droit à pension. La seconde visait les cotisations établies relativement aux cotisations versées au titre de l’assurance‑emploi et du RPC. Les deux décisions se terminent par le paragraphe suivant :

 

[TRADUCTION] Si vous n’êtes pas d’accord avec la présente décision, vous pouvez interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt dans les 90 jours de la date de la présente lettre. Vous trouverez des précisions sur la façon d’introduire un appel dans la feuille de renseignements ci‑jointe intitulée Comment interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt. (L’adresse de la Cour canadienne de l’impôt était fournie.)

 

[3]     Le 16 août 2006, M. Narinder S. Johal, président, dirigeant et actionnaire de la requérante, a écrit une lettre dans laquelle il a demandé à interjeter appel des décisions. Cet « appel » était couché par écrit et énonçait, en termes généraux, les raisons sur lesquelles il se fondait ainsi que les faits pertinents. Malheureusement, M. Johal, ne saisissant pas la différence entre les deux organismes, a envoyé cette lettre à l’Agence du revenu du Canada (ci‑après « ARC ») plutôt qu’à la Cour canadienne de l’impôt. Si le document avait été transmis au greffe de la Cour de l’impôt, la présente requête aurait été inutile. Selon le paragraphe 5(4) des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la Loi sur l’assurance‑emploi[1], il faut, pour interjeter appel, déposer au greffe l’original du document. Comme l’« appel » mentionné plus haut a été envoyé à la mauvaise adresse et n’a pas été transmis à la Cour, cette mesure était impossible.

 

[4]     Il ressort des documents fournis par l’ARC (par suite d’une demande d’accès à l’information) qu’un examinateur des fiducies de l’ARC a reçu cet « appel » le 22 août 2006 et qu’il a informé l’expert‑comptable de la requérante, Zahoor Shariff, qu’il le conserverait jusqu’à ce que tous les documents aient été reçus.

 

[5]     Un fonctionnaire de l’ARC a de vive voix informé la requérante qu’elle aurait l’occasion d’interjeter appel de la décision une fois que l’ARC aurait calculé la somme exigible définitive. Les dossiers de l’ARC confirment en outre que l’examinateur des fiducies savait que la requérante avait l’impression qu’il y aurait un autre appel.

 

[6]     Après avoir reçu les calculs détaillés de l’examinateur des fiducies le 24 janvier 2007, la requérante a envoyé une lettre par télécopieur à la Cour de l’impôt le 31 janvier 2007. Malheureusement, cette lettre ne précisait pas les raisons pour lesquelles la requérante avait omis d’introduire un appel dans le délai imparti. De toute évidence, la requérante croyait, bien qu’à tort, avoir valablement introduit un appel. Le 15 février 2007, la Cour de l’impôt a demandé par lettre des précisions supplémentaires à la requérante. Cette dernière a fourni les précisions le 27 mars 2007, et l’appel a été introduit le 2 avril 2007. Comme le 2 avril 2007 tombe plus de 180 jours après le 7 août 2006, le ministre a présenté une requête en vue de faire rejeter la demande de prorogation de délai présentée par la requérante.

 

[7]     Le paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi[2] (la « Loi ») dispose qu’une demande de prorogation doit être présentée dans les 180 jours (90 jours + 90 jours) suivant la communication de la décision. La Loi d’interprétation mentionne en outre :

 

Si le délai est exprimé en jours entre deux événements, sans qu’il soit précisé qu’il s’agit de jours francs, seul compte le jour où survient le second événement.

 

[8]     Les dates pertinentes sont les suivantes :

 

(i)                Quatre‑vingt‑dix jours suivant le 7 août 2006, soit le dimanche 5 novembre 2007 (excluant le 7 août, mais incluant le 5 novembre). Cependant, comme le 5 novembre tombait un jour de fin de semaine, le délai aurait expiré le lundi 6 novembre 2006.

 

(ii)      Cent quatre‑vingt jours suivant le 7 août 2006, soit le samedi 3 février 2007. Comme cette date tombait aussi un jour de fin de semaine, l’échéance aurait été reportée et le délai aurait expiré le lundi 5 février 2007.

 

[9]     Les questions en litige consistent à savoir si la télécopie que la requérante a envoyée à la Cour de l’impôt le 31 janvier 2007 constitue une demande valide de prorogation de délai et, dans la négative, si la demande de prorogation de délai du 2 avril 2007 a été présentée à temps?

 

[10]    Les principales dispositions législatives invoquées prévoient ce qui suit :

 

Loi sur l’assurance‑emploi

 

103(1)              La Commission ou une personne que concerne une décision rendue au titre de l’article 91 ou 92, peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la communication de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l’impôt sur demande à elle présentée dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et les règles de cour applicables prises en vertu de cette loi.

 

103(1.1)           L’article 167 de la Loi de l’impôt sur le revenu, sauf l’alinéa 167(5)a), s’applique, avec les adaptations nécessaires, aux demandes présentées aux termes du paragraphe (1).

 

 

Loi de l’impôt sur le revenu

 

167(1)              Le contribuable qui n’a pas interjeté appel en application de l’article 169 dans le délai imparti peut présenter à la Cour canadienne de l’impôt une demande de prorogation du délai pour interjeter appel. La Cour peut faire droit à la demande et imposer les conditions qu’elle estime justes.

 

167(2)              La demande doit indiquer les raisons pour lesquelles l’appel n’a pas été interjeté dans le délai imparti.

 

167(3)              La demande, accompagnée de trois exemplaires de l’avis d’appel, est déposée en trois exemplaires au greffe de la Cour canadienne de l’impôt conformément à la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

 

167(4)              La Cour canadienne de l’impôt envoie une copie de la demande au bureau du sous‑procureur général du Canada.

 

167(5)              Il n’est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

 

a)         […]

b)         le contribuable démontre ce qui suit :

(i)         dans le délai par ailleurs imparti pour interjeter appel, il n’a pu ni agir ni charger quelqu’un d’agir en son nom, ou il avait véritablement l’intention d’interjeter appel,

(ii)        compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii)       la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient,

(iv)       l’appel est raisonnablement fondé.

 

[11]    L’article 3 et le paragraphe 27(3) des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la Loi sur l’assurance‑emploi sont ainsi rédigés :

 

3          Les présentes règles doivent recevoir une interprétation libérale afin d’assurer le règlement équitable sur le fond de chaque appel, de la façon la moins onéreuse et la plus expéditive.

 

27(3)    La Cour peut, en tout temps, dispenser de l’observation de toute règle si l’intérêt de la justice l’exige.

 

            Analyse

 

[12]    Bien que l’article 27 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la Loi sur l’assurance‑emploi, établies en vertu de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, autorise la Cour à dispenser une partie de l’application de n’importe quelle règle, cette disposition ne permet manifestement pas à la Cour de modifier les conditions applicables aux appels prévues au paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance‑chômage [maintenant le paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi][3]. De toute évidence, je ne puis faire fi des conditions prévues à l’article 103 de la Loi sur l’assurance‑emploi et à l’article 167 de la Loi de l’impôt sur le revenu (à l’exception de l’alinéa 167(5)a)).

 

[13]    Le paragraphe 167(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu constitue toutefois une pierre d’achoppement. Il porte qu’une demande de prorogation doit énoncer les raisons pour lesquelles l’appel n’a pas été interjeté dans le délai imparti. Il m’est impossible de ne pas tenir compte du fait que, comme la télécopie du 31 janvier 2007 ne remplit pas cette exigence, elle ne peut constituer une demande valide de prorogation du délai dans lequel l’appel doit être interjeté.

 

[14]    La Cour doit enfin statuer sur la question de savoir si la demande de prorogation de délai du 2 avril 2007 a été déposée à temps. À plusieurs occasions, la Cour a permis à un requérant de remédier à un vice technique lorsqu’il avait fait preuve d’une diligence raisonnable exercée de bonne foi. Les observations suivantes du juge en chef Bowman dans la décision Spensieri v. The Queen[4] viennent à l’esprit :

 

            Je ne veux pas faire preuve de mépris ou d’irrespect à l’égard de l’argumentation de la Couronne, mais je ne peux m’empêcher de penser que l’intimée est plutôt formaliste dans sa vaste campagne visant à empêcher l’appelante de faire entendre son appel devant la Cour par suite d’une bévue plutôt mineure. Si une personne doit composer avec deux lois ( la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt) et avec deux séries de règles, soit les règles relatives à la procédure informelle et celles relatives à la procédure générale, il n’est pas étonnant qu’elle puisse commettre une erreur. Les règles ne sont pas destinées à tendre un piège aux personnes imprudentes ou à créer des obstacles pour les parties à un litige. Elles sont plutôt censées faciliter le règlement de différends sur des questions de fond.

                                                [Non souligné ni en caractères gras dans l’original.]

 

[15]    Dans la décision Hickerty c. Canada[5], où, comme en l’espèce, la contribuable avait également posté son appel à l’ARC plutôt qu’à la Cour de l’impôt, le juge Boyle a conclu ce qui suit :

 

Eu égard aux circonstances, je suis d’avis que la période au cours de laquelle la contribuable croit, d’une façon raisonnable mais erronée, qu’elle a validement interjeté appel n’est pas incluse dans le délai additionnel de grâce d’un an prévu à l’alinéa 167(5)a). […] Une interprétation favorable à la contribuable est conforme au fait que la Cour a dit préférer que les litiges fiscaux dans lesquels les contribuables sont en cause soient entendus et réglés sur le fond, en particulier lorsque aucun préjudice n’est causé à la Couronne. Toute interprétation ou application différente priverait la contribuable du droit de faire entendre au fond un appel qu’elle croyait, de façon raisonnable pendant un peu moins de cinq mois, avoir interjeté adéquatement, quand on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle fasse autre chose au cours de cette période. La plupart du temps, le délai d’un an correspondra tout simplement à une année civile. Toutefois, si le contribuable croit d’une façon erronée mais raisonnable qu’il a validement interjeté appel et que les autres conditions du paragraphe 167(5) sont remplies, le délai de grâce d’un an cesse de courir tant que le contribuable n’apprend pas, ou tant qu’il n’aurait pas dû apprendre s’il avait agi et réfléchi d’une façon raisonnable, que l’appel envisagé n’est pas valide.

 

[16]    Par analogie avec la décision Hickerty, les conditions prévues au paragraphe 167(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu doivent être remplies. Après examen, je suis convaincu que la requérante avait véritablement l’intention d’interjeter appel et qu’il serait juste et équitable de faire droit à la demande de prorogation de délai dans les circonstances. De plus, l’appel de la requérante visant les décisions du ministre est raisonnablement fondé, et elle croyait à tort avoir validement interjeté appel.

[17]    Néanmoins, plusieurs obstacles doivent être franchis. Premièrement, comme la Cour de l’impôt, dans une lettre datée du 15 février 2007, a demandé des précisions supplémentaires et que la requérante n’a répondu à cette demande que le 27 mars 2007, on pourrait soutenir que la demande n’a pas été présentée dès que les circonstances le permettaient. Cependant, je suis persuadé que cette allégation peut être infirmée par un examen de l’ensemble des circonstances de l’affaire. La requérante a envoyé l’« appel » initial (bien que par erreur) à l’ARC peu après avoir reçu les décisions de cette dernière. En outre, la requérante, peu après avoir reçu les calculs détaillés de l’examinateur des fiducies, a envoyé par télécopieur une lettre (qui ne fournissait toutefois pas les précisions requises) à la Cour de l’impôt. Cela dénote un degré général de diligence qui, à mon sens, joue en faveur de la requérante.

[18]    Une autre question, peut‑être plus sérieuse, se pose : « Y avait‑il autre chose que la requérante aurait dû raisonnablement faire pendant la période en cause ? » Si la requérante – et il s’agit d’une simple supposition – devait raisonnablement prendre une quelconque mesure non précisée pendant la période en cause, à quel moment lui aurait‑il fallu prendre cette mesure non précisée ? Et, comme une interruption de deux mois suffirait à faire en sorte que le dépôt du 2 avril 2007 respecte le délai imparti de 180 jours, je suis convaincu que la demande de prorogation de délai a été validement présentée. En définitive, la requérante s’est retrouvée dans un labyrinthe procédural qui aurait été incompréhensible pour la plupart des Canadiens. Comme l’a mentionné le juge en chef Bowman dans la décision Spensieri, « il est dans l’intérêt de la justice de régler ce problème pour que la requérante puisse faire juger sa cause sur le fond ».

[19]    De surcroît, la Cour de l’impôt a compétence inhérente en ce qui touche sa propre procédure. La requérante a, en tout temps, agi raisonnablement et de bonne foi, et j’accepte l’argument subsidiaire avancé par son avocat :

[TRADUCTION] À la lumière de la décision Hickerty du juge Boyle, la date où, selon le ministre, la demande de prorogation du délai et l’avis d’appel ont été déposés à la Cour de l’impôt par la requérante, soit le 2 avril 2007, respecte le délai de 90 jours fixé dans le RPC et la LAE pour l’introduction d’un appel visant la décision du ministre du 7 août 2006.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2008.

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2008.

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.

 

 


RÉFÉRENCE :                                            2008CCI18

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :          2007‑1616(CPP)APP et

                                                                   2007‑1615(EI)APP

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Cheam Tours Ltd. Op Airport Link Shuttle et Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 18 octobre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :       L’honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DE L’ORDONNANCE

MODIFIÉE :                                                Le 9 janvier 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de la requérante :

Mes Donald Smetheram

et Andrea Donohoe

Avocate de l’intimée :

Me Selena Sit

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour la requérante :

 

                          Nom :                                Me Donald Smetheram

 

                          Cabinet :                            Smetheram & Company

 

       Pour l’intimé :                                       John H. Sims, c.r.

                                                                   Sous‑procureur général du Canada

                                                                   Ottawa, Canada



[1]           Toute mention de l’assurance‑emploi englobe le RPC dans les présents motifs. Les dispositions des lois et des règles pertinentes sont les mêmes pour les deux régimes.

 

[2]           L.R.C. (1985), ch. I‑21.

 

[3]           Pervais c. M.R.N., [1996] A.C.F. no 77, au paragraphe 2 (C.A.F.).

 

[4]           2001 DTC 787.

 

[5]           [2007] A.C.I. no 312 (C.C.I.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.