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Dossier : 2004-4534(GST)G

 

ENTRE :

AMARJIT AUJLA,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de

Harjinder Aujla (2004‑4535(GST)G), le 17 octobre 2006,

à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L'honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me David R. Davies

Avocat de l'intimée :

Me Bruce Senkpiel

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de l'avis de cotisation établi à l'égard d'un tiers en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise, lequel est daté du 4 septembre 2003 et porte le numéro A101446, est accueilli, avec dépens, et la cotisation est annulée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2007.

 

 

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Dossier : 2004-4535(GST)G

 

ENTRE :

HARJINDER AUJLA,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de

Amarjit Aujla (2004‑4534(GST)G), le 17 octobre 2006,

à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L'honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me David R. Davies

Avocat de l'intimée :

Me Bruce Senkpiel

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de l'avis de cotisation établi à l'égard d'un tiers en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise, lequel est daté du 4 septembre 2003 et porte le numéro A101447, est accueilli, avec dépens, et la cotisation est annulée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2007.

 

 

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2007CCI764

Date : 20071221

Dossiers : 2004-4534(GST)G

2004-4535(GST)G

 

ENTRE :

 

AMARJIT AUJLA et HARJINDER AUJLA,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     Les deux appels sont interjetés à l'encontre de cotisations établies en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise[1] (la « LTA ») pour des montants que devait Aujla Construction Ltd. (la « société ») en taxe sur les produits et services (« TPS »), en intérêts et en pénalités au moment où elle a été radiée du registre des sociétés en raison de son défaut de produire des déclarations. Au début de l'instruction, les parties ont produit l'exposé conjoint des faits suivant :

 

[TRADUCTION]

 

1.         Aujla Construction Ltd. (la « société ») a été constituée en vertu de la loi intitulée Company Act (Loi sur les sociétés par actions), R.S.B.C. (1996), ch. 62, le 1er octobre 1992.

 

2.         Amarjit Aujla est devenu administrateur de la société au moment de sa constitution.

 

3.         Harjinder Aujla est devenu administrateur de la société le 18 novembre 1992.

 

4.         Dans un avis de cotisation daté du 20 mars 1998, le montant de la taxe nette, des pénalités et des intérêts dus par la société a été établi à 197 995,75 $ pour la période de déclaration allant du 1er janvier 1993 au 31 décembre 1995.

 

5.         Le 5 mars 1999, la société a été dissoute et radiée du registre des sociétés par le registrateur des sociétés de la Colombie‑Britannique, en vertu de l'article 257 de la Company Act, en raison de son défaut de produire des rapports annuels.

 

6.         Le 20 février 2003, le procureur général du Canada, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, a présenté une demande à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en vue de faire rétablir l'inscription de la société au registre des sociétés.

 

7.         Le 20 février 2003, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a ordonné que l'inscription de la société soit rétablie au registre des sociétés.

 

8.         Le 6 mars 2003, la société a été réinscrite au registre des sociétés pour une période de deux ans se terminant le 5 mars 2005, en vertu de la Company Act.

 

9.         Le 17 juin 2003, en vertu de l'article 316 de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi »), un certificat à l'égard du montant de 115 556,49 $ de la somme due par la société a été enregistré à la Cour fédérale, et il y a eu défaut d'exécution à l'égard de ce montant.

 

10.       Dans des avis de cotisation établis à l'égard de tiers datés du 4 septembre 2003 (les « cotisations »), un montant total de 162 331,91 $ en taxe nette, en pénalités et en intérêts a été réclamé à chacun des appelants, en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi, en raison du défaut de la société de verser la taxe, les pénalités et les intérêts pour les périodes de déclaration se terminant le 31 décembre 1995 et le 30 juin 1997.

 

11.       Harjinder Aujla s'est opposé à la cotisation établie à son endroit dans un avis d'opposition daté du 3 décembre 2003.

 

12.       Amarjit Aujla s'est opposé à la cotisation établie à son endroit dans un avis d'opposition daté du 26 janvier 2004.

 

13.       Le 29 mars 2004, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a accordé à Amarjit Aujla une prorogation de délai pour lui permettre de signifier un avis d'opposition à l'égard de la cotisation établie à son endroit.

 

14.       Par des avis de décision datés du 31 août 2004, le ministre a ratifié les cotisations.

 

[2]     Les dispositions suivantes de la LTA et de la Company Act[2] de la Colombie‑Britannique sont pertinentes quant aux questions en litige :

 

Loi sur la taxe d'accise

 

323(1) Les administrateurs d'une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l'exige l'article 230.1, un montant au titre d'un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d'une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

323(2) L'administrateur n'encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 316 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

 

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l'objet d'une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

 

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l'ordonnance.

 

323(3) L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

323(4) Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s'appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l'avis de cotisation applicable.

 

323(5) L'établissement d'une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur.

 

Company Act

 

[TRADUCTION]

 

130(1) Le mandat d'un administrateur prend fin à l'expiration de la période pour laquelle il a été nommé conformément aux statuts constitutifs ou lorsque :

 

a) il meurt ou démissionne;

 

b) il est démis de ses fonctions conformément au paragraphe (3);

 

c) il n'est pas habilité en vertu de l'article 114;

 

d) il est démis de ses fonctions conformément à l'acte constitutif ou aux statuts constitutifs.

 

257(1) Le registrateur envoie par courrier à la société ou à la société extraprovinciale une lettre recommandée l'avisant de son défaut ou des réserves qu'il a à son sujet et des pouvoirs qu'il a en vertu du paragraphe (3) dans l'un ou l'autre des cas suivants :

 

a) la société ou la société extraprovinciale a omis pendant deux ans de produire auprès du registrateur le rapport annuel ou toute autre déclaration, tout autre avis ou tout autre document devant être produit aux termes de la présente loi;

 

b) [...]

 

 

257(3) Le registrateur peut faire paraître dans la Gazette un avis indiquant qu'en tout temps après l'expiration d'un délai d'un mois suivant la date de publication de l'avis, en l'absence d'opposition justifiée, la société sera radiée du registre et dissoute ou la société extraprovinciale verra son inscription annulée si, dans un délai d'un mois après l'envoi par courrier de la lettre visée au paragraphe (1) ou (2), le registrateur n'a pas reçu de réponse :

 

a) soit indiquant qu'il est ou a été remédié au manquement ou qu'il y a eu autrement règlement à la satisfaction du registrateur;

 

b) soit avisant le registrateur que la société extraprovinciale continue d'exercer ses activités commerciales en Colombie‑Britannique.

 

257(4) En tout temps après le délai d'un mois suivant la publication de l'avis visé au paragraphe (3), le registrateur, en l'absence d'opposition justifiée, peut radier la société du registre, celle‑ci étant dissoute dès sa radiation, ou, dans le cas d'une société extraprovinciale, annuler son inscription.

 

260 La responsabilité de tout administrateur, dirigeant, liquidateur ou membre d'une société radiée du registre, ou d'une société extraprovinciale dont l'inscription a été annulée, en vertu des articles 256, 257, 259 ou 319, est maintenue et peut être invoquée comme si la société n'avait pas été radiée du registre ou comme si l'inscription de la société extraprovinciale n'avait pas été annulée.

 

262(1) Si une société a été dissoute, ou si l'inscription d'une société extraprovinciale a été annulée, conformément à la présente loi ou une loi antérieure sur les sociétés par actions, le tribunal, s'il est convaincu qu'il est juste que la société ou la société extraprovinciale soit réinscrite au registre, au plus tard dix ans après la date de dissolution ou d'annulation, à la demande du liquidateur, d'un membre ou d'un créancier de la société ou de la société extraprovinciale, ou de toute autre personne intéressée, peut ordonner que la société ou la société extraprovinciale soit réinscrite au registre, suivant les modalités que le tribunal estime appropriées.

 

262(2) Si une société ou une société extraprovinciale est réinscrite au registre en vertu du paragraphe (1), elle est réputée avoir continué d'exister, ou l'inscription de la société extraprovinciale est réputée ne pas avoir été annulée, et des instances peuvent être intentées comme si la société n'avait pas été annulée.

 

262(3) Le tribunal peut rendre, conformément au paragraphe (1), une ordonnance rétablissant l'inscription au registre d'une société ou d'une société extraprovinciale pour une période déterminée, et, après l'expiration de cette période, le registrateur doit aussitôt radier la société du registre, ou, dans le cas d'une société extraprovinciale, annuler son inscription.

 

263 Dans le cas d'une ordonnance rendue en vertu de l'article 262, le tribunal peut donner des directives et prendre les mesures qu'il estime appropriées pour rétablir, dans la mesure du possible, la société ou la société extraprovinciale, ou toute autre personne, dans la position qu'elle aurait occupée s'il n'y avait pas eu dissolution de la société ou annulation de l'inscription de la société extraprovinciale, mais, à moins que le tribunal n'en décide autrement, l'ordonnance est rendue sous réserve des droits acquis avant la date à laquelle la société ou la société extraprovinciale est réinscrite au registre.

 

[3]     Le dispositif de l'ordonnance de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique rétablissant l'inscription de la société au registre est rédigé comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

LA COUR ORDONNE que la société Aujla Construction Ltd. soit réinscrite au registre des sociétés pour une période n'excédant pas deux ans, à partir de la date de dépôt d'une copie certifiée conforme de la présente ordonnance auprès du registrateur des sociétés, afin de permettre au ministre du Revenu national de faciliter l'établissement et le recouvrement du montant dû en taxe sur les produits et services par Aujla Construction Ltd. au Receveur général du Canada.

 

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que la société Aujla Construction Ltd. soit réputée avoir continué d'exister comme si sa dénomination sociale n'avait jamais été radiée du registre et qu'elle n'avait jamais été dissoute, sous réserve des droits qui peuvent avoir été acquis avant la date de la réinscription d'Aujla Construction Ltd. au registre des sociétés.

 

La preuve dont la Cour est saisie ne fait pas état des documents présentés au protonotaire lors de la demande.

 

[4]     Les appelants soutiennent qu'après la dissolution, la société n'avait ni existence ni capacité, et qu'il s'ensuivait qu'elle ne pouvait pas avoir d'administrateurs. Comme l'a affirmé le juge Oliver de la Cour de comté dans R. v. Gill[3] :

 

[TRADUCTION]

 

Une société dissoute est une société défunte qui a entraîné dans sa mort ses dirigeants et administrateurs.

 

Les appelants ont donc cessé d'être administrateurs le 5 mars 1999 et le paragraphe 323(5) de la LTA prévoit qu'ils ne peuvent faire l'objet d'une cotisation en vertu du paragraphe (4), pour un montant dû par la société, plus de deux ans après cette date. Une cotisation établie en vertu du paragraphe (4) après le 5 mars 2001 n'est donc pas autorisée par la LTA et doit être annulée.

 

[5]     Les appelants invoquent également la protection des droits acquis qui est énoncée à l'article 263 de la Company Act et dans l'ordonnance délivrée par le protonotaire sous le régime de l'article 262. Cette disposition a pour effet, disent‑ils, de préserver les droits qui ont été acquis durant la période de dissolution, notamment le droit d'être à l'abri de cotisations établies en vertu du paragraphe 323(4) de la LTA que les administrateurs ont acquis le 6 mars 2001 relativement aux dettes de la société découlant de l'application de cette loi.

 

[6]     L'avocat de l'intimée soutient qu'en vertu du paragraphe 323(1) de la LTA, la responsabilité d'un administrateur à l'égard de la dette de la société est engagée au moment où celle‑ci omet de verser la taxe nette exigible. Aucune cotisation n'est requise pour faire en sorte que la société soit tenue de verser la taxe nette et aucune cotisation n'est requise pour rendre les administrateurs solidairement responsables si le montant n'est pas versé lorsqu'il est exigible. La question de savoir si une personne a cessé d'être un administrateur doit être tranchée conformément aux lois régissant la société, en l'occurrence la Company Act de la Colombie‑Britannique.

 

[7]     L'article 130 de la Company Act énonce un certain nombre de situations où le mandat d'un administrateur prend fin. Aucune de ces situations ne s'applique en l'espèce. Une société ne peut de son plein gré être rayée du registre en vertu de l'article 258, à moins qu'elle ne prouve d'abord qu'elle n'a aucune dette ni responsabilité. L'article 260 prévoit que la responsabilité de tout administrateur d'une société ayant été radiée du registre en vertu de l'article 257 est maintenue et peut être invoquée comme si la société n'avait pas été radiée. L'intimée soutient, par conséquent, que les administrateurs d'une société ayant été radiée en raison de son défaut de produire des documents ne peuvent se dégager de leur responsabilité à l'égard du montant de TPS dû par la société en alléguant qu'ils ont cessé d'être administrateurs lorsque la société a été radiée malgré elle.

 

[8]     L'intimée fonde son argument subsidiaire sur la disposition déterminative du paragraphe 262(2) de la Company Act. La société, dès sa réinscription au registre, est réputée avoir continué d'exister. Il en résulte, selon ce que l'intimée soutient, qu'il doit être considéré que les administrateurs ont continué d'exercer leur mandat durant la même période, puisque la société n'aurait pas pu exister, en théorie ou autrement, sans administrateurs. Il est donc soutenu que les administrateurs, par application de la Company Act, n'ont jamais cessé d'être des administrateurs de la société et que, par conséquent, le délai de prescription de deux ans prévu au paragraphe 323(5) n'a jamais commencé. L'avocat fonde son argument sur les décisions suivantes : Glass c. La Reine[4], Natural Nectar Products Canada Ltd. v. Theodor[5], et Doig v. Laurand Holdings Ltd[6].

 

[9]     Aux termes de l'article 263 de la Company Act et de l'ordonnance du protonotaire délivrée en vertu de cette disposition, la réinscription de la société au registre a été faite [TRADUCTION] « sous réserve des droits acquis avant la date à laquelle la société [...] [a été] réinscrite au registre ». L'intimée soutient que cette disposition ne peut servir la cause des deux appelants, parce qu'elle intéresse seulement les droits, à l'égard de la société, des autres parties qui font affaire avec elle. Elle ne s'applique pas aux droits des personnes autres que la société à l'égard les unes des autres, et elle ne peut servir à écarter les droits de la Couronne à l'égard des administrateurs d'une société dont l'existence a repris. L'avocat cite la décision Glass c. La Reine[7] à l'appui de son argument.

 

[10]    À mon avis, il ne fait aucun doute que les appelants ont cessé d'être des administrateurs de la société lorsqu'elle a été radiée du registre le 5 mars 1999. À partir de cette date, et ce, jusqu'au 6 mars 2003, date à laquelle elle a été réinscrite au registre en vertu de l'ordonnance de rétablissement de l'inscription prononcée par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, la société n'existait pas et elle ne pouvait donc pas avoir d'administrateurs. Contrairement à l'ancienne loi intitulée Companies Act, R.S.B.C. (1924), ch. 38, qui a été examinée dans British Columbia v. Royal Bank of Canada[8], la Company Act qui s'applique en l'espèce ne prévoit pas qu'une société qui a été radiée du registre peut elle‑même demander une ordonnance rétablissant son inscription. Il n'y a donc pas lieu, en vertu de la Company Act, de conclure implicitement qu'une société, même radiée, conserve une certaine existence résiduelle suffisante pour lui permettre de présenter pareille demande. Je suis convaincu qu'entre ces deux dates, la société n'existait pas : suivant les termes de l'article 258, elle était dissoute. Dans le présent contexte, la définition pertinente du verbe « dissoudre » (« to dissolve ») est énoncée dans le dictionnaire Shorter Oxford Dictionary[9] comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

9. annuler ou mettre fin à (une association, un mariage, etc.).

 

Le dictionnaire Collins Canadian English Dictionary & Thesaurus[10] donne la définition suivante :

 

[TRADUCTION]

 

8. mettre légalement un terme, par exemple à un mariage.

 

[11]    L'avocat de l'intimée souligne, à juste titre, que l'article 130 de la Company Act précise différents moyens suivant lesquels l'administrateur d'une société peut, volontairement ou involontairement, cesser d'être un administrateur. Cette disposition ne se veut pas exhaustive, cependant, et, d'après son libellé, elle ne contredit certainement pas la proposition suivant laquelle, si une société n'existe pas, elle ne peut avoir d'administrateurs.

 

[12]    Quel est alors l'effet de l'ordonnance rétablissant l'inscription? La réponse à cette question exige un examen des lois et de l'ordonnance elle‑même.

 

[13]    Le paragraphe 262(1) permet au tribunal de rendre une ordonnance rétablissant l'inscription de la société au registre [TRADUCTION] « suivant les modalités que le tribunal estime appropriées ». L'article 263 confère au tribunal le pouvoir de [TRADUCTION] « donner des directives et de prendre les mesures qu'il estime appropriées pour rétablir, dans la mesure du possible, la société [...], ou toute autre personne, dans la position qu'elle aurait occupée s'il n'y avait pas eu dissolution de la société [...] » (je souligne).

 

[14]    Il résulte de l'ordonnance et du rétablissement de l'inscription de la société au registre, aux termes du paragraphe 262(2), que la société est réputée avoir continué d'exister et que les instances qui auraient pu être intentées s'il n'y avait pas eu dissolution peuvent être intentées par la suite. Il est intéressant de noter que l'ordonnance ne comporte aucune mesure, comme elle aurait pu le faire, pour rétablir les administrateurs dans la position qu'ils auraient occupée si la société n'avait pas été dissoute. Les termes employés dans l'ordonnance n'ajoutent rien aux effets qui découlent automatiquement du libellé de la Company Act du simple fait du rétablissement de l'inscription.

 

[15]    Bien qu'il ne fasse pas partie du dispositif, l'extrait suivant de l'ordonnance délivrée par le protonotaire n'est pas totalement sans importance, puisqu'il précise l'objet de l'ordonnance :

 

[TRADUCTION]

 

[...] afin de permettre au ministre du Revenu national de faciliter l'établissement et le recouvrement du montant dû en taxe sur les produits et services par Aujla Construction Ltd. au Receveur général du Canada.

 

Rien n'indique dans la preuve dont la Cour a été saisie si le ministre estimait que la société devait d'autres montants de taxe, outre les montants déjà établis. Il est toutefois important de noter que l'énoncé de l'objet de l'ordonnance ne précise pas qu'elle visait à faciliter l'établissement et le recouvrement de la dette due par chacun des deux appelants, mais seulement du montant dû par la société. L'avocat de l'intimée a soutenu, à bon droit, que les dettes des administrateurs ont pris naissance au moment où la société a fait défaut de verser la taxe nette qui était exigible. Le procureur général aurait alors sûrement précisé dans les motifs de sa demande que le ministre du Revenu national voulait établir une cotisation à l'égard de la dette fiscale dont chacun des administrateurs, soit les appelants en l'espèce, était solidairement responsable avec la société et recouvrer le montant dû. Le protonotaire n'en a pas fait état dans l'énoncé de l'objet de l'ordonnance et il n'a pris aucune mesure pour rétablir les administrateurs dans la position qu'ils auraient occupée si la société n'avait pas été dissoute, même s'il avait manifestement le pouvoir de le faire. Rien dans l'ordonnance ni dans les autres éléments de preuve dont je dispose ne laisse également croire que les administrateurs ont été informés de la demande, comme ils étaient en droit de s'y attendre s'ils devaient être visés par celle‑ci.

 

[16]    Les mots qui n'ont pas été dits dans la loi et dans l'ordonnance sont tout aussi importants que ceux qui l'ont été. On me demande, de fait, de conclure que, par déduction nécessaire, la disposition déterminative du paragraphe 262(2) prévoit non seulement que la société est réputée avoir continué d'exister au moment où elle n'existait pas en réalité, mais aussi que les administrateurs sont réputés avoir été administrateurs au moment où ils ne l'étaient pas en réalité. Il existe à juste titre une présomption à l'encontre de l'extension, par interprétation, de la portée d'une loi rétroactive : voir Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., aux pages 511 à 517, et les arrêts et la jurisprudence cités dans ces passages. Dans la présente affaire, il existe un motif additionnel de ne pas étendre la portée de la disposition déterminative au‑delà de la société, à savoir aux administrateurs. L'assemblée législative de la Colombie‑Britannique, en adoptant l'article 263, a conféré au tribunal chargé d'entendre la demande de rétablissement de l'inscription le pouvoir discrétionnaire de décider si d'« autres personnes » seront rétroactivement touchées par l'ordonnance de rétablissement de l'inscription ou s'ils pourront tirer avantage de la disposition de protection des droits acquis énoncée dans l'article. L'absence dans l'ordonnance d'une mesure rétablissant les administrateurs dans la position alléguée par l'intimée et la présence dans l'ordonnance d'une disposition de protection des droits acquis indiquent qu'il était voulu que les administrateurs ne soient pas, en fait, réputés avoir été administrateurs durant la période où la société était radiée.

 

[17]    Pour tous les motifs énoncés, je suis d'avis que les appelants doivent obtenir gain de cause. Je suis conscient que ce résultat n'est pas entièrement compatible avec la décision de la Cour dans Glass c. La Reine. Toutefois, il apparaît que, dans cette affaire, la question avait été soulevée à la dernière minute, sans n'avoir été mentionnée dans les actes de procédure, et n'avait sans doute pas été préparée et débattue à fond comme ce fut le cas en l'espèce. La Cour semble dans ce cas avoir considéré seulement la continuation de l'existence de la société et la responsabilité continue des administrateurs, comme le prévoyait la disposition qui est devenue l'article 260 de la Company Act. Toutefois, la principale question soulevée devant la Cour en l'espèce ne concerne pas l'existence de la dette, mais bien le droit du ministre d'établir une cotisation, et cela s'articule autour de la question de savoir si, par l'effet de la Company Act ou de l'ordonnance du protonotaire, ou des deux, les appelants n'ont pas cessé d'être des administrateurs le 5 mars 1999.

 

[18]    Les appels sont accueillis, avec dépens, et les cotisations établies à l'endroit des appelants sont annulées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2007.

 

 

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de février 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI764

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2004-4534(GST)G et 2004-4535(GST)G

 

INTITULÉ :                                       AMARJIT AUJLA et HARJINDER AUJLA c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 17 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 décembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me David R. Davies

Avocat de l'intimée :

Me Bruce Senkpiel

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour les appelants :

 

          Nom :                                       Me David R. Davies

          Cabinet :                                   Thorsteinssons

 

Pour l'intimée :                                    John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           L.R.C. (1985), ch. E‑15, et ses modifications.

 

[2]           R.S.B.C. (1996), ch. 62, et ses modifications.

 

[3]           40 B.C.L.R. (2d) 360, à la page 367.

 

[4]           98 D.T.C. 1085, no 95‑2209(IT)G, 26 septembre 1997 (C.C.I.).

 

[5]           (1990), 46 B.C.L.R. (2d) 394 (C.A. C.‑B.).

 

[6]           2001 BCSC 780.

 

[7]           Précité, note 4.

 

[8]           [1937] R.C.S. 459.

 

[9]           Vol. I, p. 712.

 

[10]          p. 340.

 

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