Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2007-2461(IT)I

ENTRE :

CARL MELNYK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 23 novembre 2007, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimée :

MSara Fairbridge

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

       L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2005 est rejeté sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

      


Signé à Ottawa (Ontario), ce 14e jour de décembre 2007.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de janvier 2008.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2007CCI733

Date : 20071214

Dossier : 2007-2461(IT)I

ENTRE :

CARL MELNYK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]     La question en litige en l’espèce est de savoir si l’appelant a le droit de déduire de son revenu pour 2005 les frais juridiques qu’il a engagés relativement à des paiements de pension alimentaire pour enfants.

 

[2]     L’appelant s’est marié avec Kaila Melnyk le 23 décembre 2000 et ils ont eu un fils, Graeme Neil Melnyk, né le 21 septembre 2000. L’appelant et Kaila Melnyk se sont séparés le 21 juin 2003. À la suite de la séparation, l’appelant et Kaila Melnyk ont eu la garde partagée de Graeme Melnyk. Dans l’affidavit de l’appelant qui a été établi pour une instance devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique et fait le 31 août 2005, celui‑ci a indiqué que Graeme était avec lui environ 41,5 % du temps et avec sa mère environ 58,5 % du temps.

 

[3]     L’appelant a engagé des frais juridiques relativement à l’action en justice qui a eu lieu en 2005. Celle‑ci portait sur le montant de pension alimentaire pour enfants qui devait être payé. Cette action s’est terminée par une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, qui prévoyait en partie ce qui suit :

 

          [traduction]

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.         sous réserve de l’article 12 de la Loi sur le divorce (Canada), le prononcé du divorce du demandeur, CARL NICHOLAS NEIL MELNYK, et de la défenderesse, KAILA DEANNA MYLNYK, qui se sont mariés à Victoria (Colombie‑Britannique) le 23e jour de décembre 2000, prenne effet le 31e jour suivant la date de la présente ordonnance;

 

2.                  ET VU qu’il a été jugé que, selon les lignes directrices, le demandeur et la défenderesse ont respectivement un revenu de 69 000 $ et de 45 000 $;

 

3.         ET VU qu’il a été jugé que le seul enfant issu du mariage, soit Graeme Carl Melnyk, né le 21 septembre 2000 (ci‑après appelé « Graeme »), est avec le demandeur plus de 40 % du temps;

 

4.         le demandeur paye à la défenderesse 60 % de la pension alimentaire pour enfants à verser selon les lignes directrices, ce qui correspond actuellement à la somme de 336,60 $ par mois, pour subvenir aux besoins de Graeme, laquelle somme est payable le 1er jour de chaque mois, à partir rétroactivement du 1er jour de février 2005.

 

[4]     La position de l’appelant est que ce montant de pension alimentaire pour enfants est seulement le montant net à payer. Il soutient que, comme Kaila Melnyk avait aussi un emploi (bien que son salaire soit moins élevé que celui de l’appelant), elle était obligée de lui payer un montant de pension alimentaire pour enfants, lequel était déduit du montant de pension alimentaire pour enfants qu’il devait lui verser (fondé sur 100 % du montant prévu selon les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants (les « Lignes directrices »)), et que le montant qu’il doit payer est le résultat net de cette déduction. L’appelant est donc d’avis qu’il a effectivement engagé des frais juridiques pour gagner un revenu, c’est‑à‑dire le montant de pension alimentaire pour enfants qui, selon l’appelant, devait lui être payé par Kaila Melnyk. Il m’est impossible de partager l’avis de l’appelant.

 

[5]     Les articles 8 et 9 Lignes directrices prévoient ce qui suit :

 

Garde exclusive

 

8.         Si les deux époux ont chacun la garde d’un ou de plusieurs enfants, le montant de l’ordonnance alimentaire est égal à la différence entre les montants que les époux auraient à payer si chacun d’eux faisait l’objet d’une demande d’ordonnance alimentaire.

 

Garde partagée

 

9.         Si un époux exerce son droit d’accès auprès d’un enfant, ou en a la garde physique, pendant au moins 40 % du temps au cours d’une année, le montant de l’ordonnance alimentaire est déterminé compte tenu :

 

a)  des montants figurant dans les tables applicables à l’égard de chaque époux;

 

b)  des coûts plus élevés associés à la garde partagée;

 

c)  des ressources, des besoins et, d’une façon générale, de la situation de chaque époux et de tout enfant pour lequel une pension alimentaire est demandée.

 

[6]     Dans l’arrêt Contino c. Leonelli-Contino, [2005] A.C.S. no 65, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’interprétation de l’article 9 des Lignes directrices. La Cour suprême du Canada, à la majorité, a formulé les commentaires suivants :

 

[…]

 

2.         Analyse

 

2.1       Interprétation de l'article 9 des lignes directrices

 

19        Interpréter correctement l'art. 9 des lignes directrices exige l'examen de la disposition dans son contexte global suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit des lignes directrices, leur objet et l'intention du législateur (voir, p. ex., Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; Francis c. Baker, par. 34; Chartier c. Chartier, [1999] 1 R.C.S. 242).

 

20        Avant de passer à la question au cœur du présent pourvoi, il importe de signaler une difficulté d'ordre essentiellement sémantique. À la grandeur du pays, parties et tribunaux ont qualifié de diverses manières les parents visés à l'art. 9 : « gardiens », « non gardiens », « débiteurs » et « créanciers ». Nulle terminologie n'est parfaite. Cependant, dans le contexte d'une garde partagée, étant donné la nature de la pension alimentaire pour enfants, l'on ne peut manifestement pas faire abstraction du transfert de fonds qui intervient presque toujours d'un parent à l'autre. J'emploierai donc, par souci de clarté, les termes parent « débiteur » et parent « créancier ».

 

[…]

 

32        Le principe qui sous-tend les lignes directrices veut que « l'obligation financière de subvenir aux besoins des enfants à charge [soit] commune aux époux et qu'elle [soit] répartie entre eux selon leurs ressources respectives permettant de remplir cette obligation » (Loi sur le divorce, par. 26.1(2)) (voir l'annexe). Ce principe ressort des objectifs énoncés à l'art. 1 :

 

            a) établir des normes équitables en matière de soutien alimentaire des enfants afin de leur permettre de continuer de bénéficier des ressources financières des époux après leur séparation;

 

            b) réduire les conflits et les tensions entre époux en rendant le calcul du montant des ordonnances alimentaires plus objectif;

 

            c) améliorer l'efficacité du processus judiciaire en guidant les tribunaux et les époux dans la détermination du montant de telles ordonnances et en favorisant le règlement des affaires;

 

            d) assurer un traitement uniforme des époux et [des] enfants qui se trouvent dans des situations semblables les unes aux autres.

 

[…]

 

36        […] Je conviens avec le père que la formule employée pour établir les montants ordinaires figurant dans les tables suppose que le parent créancier supporte toutes les dépenses pour l'enfant et que le parent débiteur n'en assume aucune, peu importe l'étendue de son droit d'accès (voir Canada, Ministère de la Justice, Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants - Formule relative à la table des paiements : Rapport technique (1997), p. 2; Wensley, p. 83-85; G. C. Colman, « Contino v. Leonelli-Contino - A Critical Analysis of the Ontario Court of Appeal Interpretation of Section 9 of the Child Support Guidelines » (2004), 22 C.F.L.Q. 63, p. 71-74; P. Millar et A. H. Gauthier, « What Were They Thinking? The Development of Child Support Guidelines in Canada » (2002), 17 R.C.D.S. 139, p. 149, 155 et 156).

 

2.2 Facteurs énumérés à l'article 9

 

37        L'article 9 commande une démarche en deux étapes : 1) déterminer si le seuil de 40 p. 100 est atteint, puis, le cas échéant, 2) établir le montant de la pension alimentaire qui convient.

 

[7]     À mon avis, pour établir la pension alimentaire à verser selon l’article 9 des Lignes directrices, il faut analyser les critères énoncés à cet article afin de déterminer le montant de pension alimentaire pour enfants qui devra être payé par l’un des deux parents. Même s’il est admis que, dans les cas où les deux époux gagnent un revenu, chacun des époux contribuera  au soutien alimentaire de l’enfant, les contributions ne sont pas versées d’un époux à un autre. Lorsque Graeme était avec Kaila Melnyk, elle ne versait pas à l’appelant les montants qu’elle devait payer pour nourrir Graeme, le vêtir, lui fournir un logement et lui acheter d’autres choses, elle payait plutôt ces montants directement aux fournisseurs des biens et services. Kaila avait l’obligation de contribuer au soutien alimentaire de Graeme, mais pas en versant des paiements à l’appelant. Elle devait plutôt remplir son obligation en payant directement les personnes qui fournissaient des biens et des services à Graeme pendant qu’il était avec elle. Ses contributions au soutien alimentaire de Graeme ne constituent pas un revenu pour l’appelant.

 

[8]     Cela est également confirmé dans l’affidavit signé par l’appelant le 31 août 2005. Dans son affidavit, qui a été établi relativement à l’instance devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique portant sur la pension alimentaire pour  enfants, l’appelant a mentionné ce qui suit :

 

          [traduction]

 

9.         J’ai rempli et annexé à mon affidavit ce qui suit :

 

            Feuille de renseignements supplémentaires B concernant la pension alimentaire pour enfants

 

et

 

            le montant de pension alimentaire pour enfants énoncé dans le projet d’ordonnance est de 143 $, lequel montant est à payer par le demandeur/la défenderesse.

 

[9]     Dans le corps de l’affidavit même, il n’est pas clairement indiqué si la personne payant la pension alimentaire pour enfants est l’appelant (le demandeur dans cette affaire) ou Kaila Melnyk (la défenderesse dans cette affaire). Toutefois, dans la Feuille de renseignements supplémentaires B concernant la pension alimentaire pour enfants annexée à l’affidavit, cette question est clarifiée. Au bas de cette page, il est mentionné ce qui suit :

 

          [traduction]

 

La pension alimentaire pour enfants énoncée dans le projet d’ordonnance est de 143 $ par mois, lequel montant est à payer par le demandeur.

 

[10]    Par conséquent, l’affidavit de l’appelant qui a été déposé devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a confirmé qu’un seul montant était envisagé à titre de pension alimentaire pour enfants, soit le montant à verser par l’appelant à Kaila Melnyk. Il n’est question nulle part dans l’ordonnance que Kaila Melnyk a l’obligation de payer une pension alimentaire pour enfants à l’appelant. L’ordonnance rendue, qui a été mentionnée ci‑dessus, confirmait qu’un seul montant était à verser, et il s’agit du montant qui est à payer par l’appelant à Kaila Melnyk.

 

[11]    Dans l’affaire Rabb v. Her Majesty the Queen, [2006] 3 C.T.C. 2266; 2006 D.T.C. 2674, la question était de savoir si les frais juridiques étaient déductibles dans une situation de garde exclusive et non pas dans une situation de garde partagée. Par conséquent, la question en litige dans cette affaire concernait l’article 8 des Lignes directrices, et non pas l’article 9, qui est la disposition applicable en l’espèce.

 

[12]    Par conséquent, comme les frais juridiques que l’appelant a engagés en 2005 concernaient son obligation de verser une pension alimentaire pour enfants à Kaila Melnyk, ces frais n’ont pas été engagés en vue de gagner un revenu et n’étaient donc pas déductibles en application des dispositions de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Comme la Cour d’appel fédérale l’a mentionné dans l’arrêt Nadeau c. Ministre du Revenu national, 2003 CAF 400; 2003 D.T.C. 5736; [2004] 1 C.T.C. 293 :

 

18        Inversement, les dépenses encourues par le payeur d'une pension alimentaire (soit pour empêcher qu'elle soit établie ou augmentée, ou soit pour la diminuer ou y mettre fin), ne peuvent être considérées comme ayant été encourues pour gagner un revenu et les tribunaux n'ont jamais reconnu de droit à la déduction de ces dépenses (voir, par exemple, Bayer, supra).

 

[13]    Du moment où l’appelant et Kaila Melnyk se sont séparés jusqu’à la date où l’ordonnance a été rendue en 2005, l’appelant a toujours été tenu de payer la pension alimentaire pour enfants. Les dépenses que l’appelant a engagées relativement à son obligation de verser la pension alimentaire pour enfants ne sont donc pas déductibles.

 

[14]    L’appelant a aussi soulevé la question de l’application de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Dans l’avis de question constitutionnelle qui a été transmis au procureur général, l’appelant a mentionné en partie ce qui suit :

 

[traduction]

 

[…] l’ARC commet un acte discriminatoire fondé sur des motifs illicites en tenant compte de la situation d’un tiers alors que le droit constitutionnel visé est non seulement indépendant, mais était juridiquement un droit indépendant à l’origine. L’ARC viole ce droit en le rendant conditionnel au niveau de revenu d’un tiers et c’est ce sur quoi elle se fonde pour refuser à l’enfant le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, le droit à l’égalité d’accès à la loi et le droit au même traitement que les autres personnes qui se trouvent dans des situations semblables. Le raisonnement de l’ARC porte atteinte au droit à l’égalité de l’enfant de l’appelant en lui causant un préjudice, étant donné que cette déduction est accordée à d’autres personnes, indépendamment de la discrimination fondée sur le revenu, mutatis mutandis. […]

 

 

[15]    En l’espèce, c’est l’appelant qui cherche à obtenir la déduction, pas l’enfant de l’appelant. L’allégation en vertu de la Charte par l’enfant de l’appelant n’a donc aucun fondement. Dans la présente affaire, l’appelant a également fait valoir que le fondement de son allégation de discrimination en vertu de la Charte était que la raison pour laquelle on lui avait refusé la déduction des frais juridiques qu’il avait engagés était qu’il gagnait un revenu plus élevé que son ex‑épouse et qu’il était donc la personne qui était tenue de verser le paiement à son ex‑épouse. Dans l’arrêt Stanwick v. Her Majesty the Queen, [1999] 1 C.T.C. 143, la Cour d’appel fédérale a mentionné ce qui suit :

 

[…] Le niveau de revenu n'est pas une caractéristique personnelle prévue à l'article 15, ni une caractéristique analogue à celles qui y sont prévues.

 

[16]    L’appelant ne peut donc pas avoir gain de cause en faisant valoir cet argument. Comme l’appelant n’a mentionné aucune autre caractéristique personnelle prévue à l’article 15 de la Charte ni aucune caractéristique analogue à celles qui y sont prévues relativement au fondement de son allégation de discrimination en vertu de l’article 15 de la Charte, l’appelant ne peut pas avoir gain de cause en invoquant ce moyen.

 

[17]    Par conséquent, l’appel est rejeté sans dépens.

 

 

 

       Signé à Ottawa (Ontario), ce 14e jour de décembre 2007.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de janvier 2008.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI733

 

NO DU DOSSIER :                             2007-2461(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Carl Melnyk c. La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 23 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 14 décembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

MSara Fairbridge

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.