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Dossier : 2006-2334(IT)I

ENTRE :

JEAN MCALLISTER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appels entendus le 16 juillet 2007, à Timmins (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me April Tate

 

JUGEMENT

 

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels concernant les années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004 sont accueillis. La nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national à l’égard de l’année d’imposition 2001 est annulée. Les nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 2002, 2003 et 2004 sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’arriéré sur les montants de 9 625 $, de 9 100 $ et de 9 100 $ payé par l’ex‑époux de l’appelante au cours de chacune de ces années ne constituait pas une « pension alimentaire » selon la définition de la Loi de l’impôt sur le revenu et que seuls les montants courants de 5 725 $, de 4 800 $ et de 3 000 $ ont donc été à juste titre inclus dans le revenu de l’appelante pour les années 2002, 2003 et 2004 respectivement.

 

       Signé à Calgary (Alberta), ce 7jour de décembre 2007.

 

« G.A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de janvier 2008

 

D. Laberge, LL.L.


 

 

Référence : 2007CCI708

Date : 20071207

Dossier : 2006-2334(IT)I

ENTRE :

JEAN MCALLISTER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelante, Jean McAllister, interjette appel des nouvelles cotisations concernant ses années d’imposition 2001[1], 2002, 2003 et 2004, par lesquelles le ministre du Revenu national a inclus dans son revenu l’arriéré de la pension alimentaire pour enfants versé par son ex‑époux au Bureau des obligations familiales (le « FRO »), arriéré que le FRO a ensuite versé au ministère des Services sociaux et communautaires (le « MSSC »).

 

[2]     La nouvelle cotisation établie par le ministre était fondée sur les hypothèses suivantes :

 

[traduction]

a)         l’appelante et son ex‑époux, Thomas Harold McAllister (l’« ex‑époux »), se sont mariés le 19 avril 1980 et ont divorcé le 16 avril 1992;

 

b)         pendant la période pertinente, l’appelante et son ex‑époux vivaient séparés l’un de l’autre;

 

c)         pendant la période pertinente, l’appelante et son ex‑époux avaient deux enfants, Darryl James McAllister, né le 19 août 1981, et Jason Thomas McAllister, né le 29 septembre 1982 (les « enfants »);

 

d)         aux termes d’une ordonnance de la Cour de l’Ontario (Division générale) datée du 16 mars 1992 (l’« ordonnance »), l’ex‑époux était tenu de payer, le 28e jour de chaque mois, un montant de 200 $ par enfant pour subvenir aux besoins des enfants;

 

e)         les montants mentionnés à l’alinéa 11d) devaient être versés au directeur du Bureau des obligations familiales (le « FRO »), en Ontario, celui‑ci devant assurer l’exécution de l’ordonnance et verser les montants en cause à l’appelante; [Non souligné dans l’original.]

 

f)          l’ex-époux a accumulé un arriéré et aucun montant n’a été payé aux termes de l’ordonnance entre le 19 mars 1993 et le 7 novembre 2000;

 

g)         au 31 décembre 2000, l’arriéré s’élevait à 37 657,24 $;

 

h)         le 7 novembre 2000, les paiements à effectuer aux termes de l’ordonnance ont recommencé à être versés et, entre cette date et la fin de l’année 2004, l’ex‑époux a payé chaque semaine un montant de 175 $, ces paiements comprenant l’obligation courante et le paiement de l’arriéré susmentionné;

 

i)          au mois de mars 2004, l’obligation de payer une pension alimentaire pour le second enfant a cessé;

 

j)          aucune ordonnance ultérieure n’a modifié le montant de la pension alimentaire pour enfants à payer;

 

k)         au cours des années d’imposition 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004, l’appelante a reçu les montants de 1 350 $, de 9 100 $, de 9 625 $, de 9 100 $ et de 9 100 $ respectivement aux termes de l’ordonnance et selon le calendrier de paiement de l’arriéré fixé par le FRO[2]. [Non souligné dans l’original.]

 

[3]     À l’exception des faits énoncés aux alinéas e) et k), les faits sont essentiellement tels qu’ils sont exposés ci‑dessus. L’hypothèse figurant à l’alinéa 11e) est inexacte en ce sens que l’ordonnance[3] ne prévoit pas que les montants à payer doivent être versés à [traduction] « l’appelante »; il est plutôt prévu que l’ordonnance [traduction] « [...] sera exécutée par le directeur [du FRO] et [que] les montants qui sont dus aux termes de l’ordonnance alimentaire devront être versés au directeur, qui les remettra à la personne à qui ils sont dus ». Quant à l’alinéa 11k), cette hypothèse n’est pas correcte; la question de savoir si l’appelante [traduction] « a reçu » les montants indiqués [traduction] « aux termes de l’ordonnance et selon le calendrier de paiement de l’arriéré fixé par le FRO » est la question même à trancher.

 

[4]     L’appelante et sa comptable, Roxana Johnston, ont témoigné à l’audience. Les deux témoins étaient tout à fait dignes de foi. La preuve qu’elles ont présentée révélait des faits additionnels qui n’étaient pas inclus dans les hypothèses du ministre, à savoir que par suite de l’omission de l’ex‑époux de payer la pension alimentaire aux termes de l’ordonnance, l’appelante a été contrainte de demander de l’aide financière en vertu de la Loi sur les prestations familiales[4] et a été tenue de céder au MSSC son droit de recevoir certains paiements prévus par l’ordonnance[5]. La cession a été faite au moyen d’une entente écrite le 5 mars 1992.

 

[5]     Entre les années 1993 et 2000, l’ex‑époux de l’appelante n’a effectué aucun paiement aux termes de l’ordonnance. Toutefois, en 2002, en 2003 et en 2004, il a recommencé à s’acquitter de ses obligations, en versant 9 625 $, 9 100 $ et 9 100 $ respectivement au FRO. Ces montants comprenaient la pension alimentaire courante ainsi que l’arriéré qui s’était accumulé entre les années 1993 et 2000. Étant donné que l’ordonnance obligeait le FRO à verser les montants qui lui avaient été remis [traduction] « à la personne à qui ils étaient dus », le FRO a réparti comme suit entre l’appelante et le MSSC les montants reçus : les montants courants (qui étaient alors payables aux termes de l’ordonnance le 28e jour de chaque mois, en 2002, en 2003 et en 2004) ont été attribués à l’appelante et l’arriéré (qui était devenu payable entre les années 1993 et 2000 lorsque l’appelante touchait des prestations en vertu de la Loi sur les prestations familiales) a été attribué au MSSC conformément à la cession effectuée en vertu de la Loi sur les prestations familiales.

 

[6]     L’appelante ne conteste pas que les montants courants[6] qui lui ont été versés par l’entremise du FRO étaient à juste titre imposables au titre du revenu pour chacune des années 2002, 2003 et 2004. Toutefois, elle soutient que l’arriéré payé au MSSC au cours de chacune de ces années ne devrait pas être inclus dans son revenu étant donné qu’elle ne l’a pas reçu.

 

[7]     Selon l’intimée, l’arriéré a été à juste titre inclus dans le revenu au titre de la « pension alimentaire pour enfants » en vertu de l’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu :

 

56.(1) Sommes à inclure dans le revenu de l’année – Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

 

                        […]

 

b) Pension alimentaire [pour conjoint ou pour enfants] – le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A - (B + C)

où:

A         représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l’année d’une personne dont il vivait séparé au moment de la réception de la pension,

 

B          le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d’un accord ou d’une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement et avant la fin de l’année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

 

C         le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue de la personne donnée après 1996 et qu’il a incluse dans son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

[8]     En se fondant sur les décisions rendues par la Cour dans les affaires Pepper v. Canada[7] et Mymryk v. Canada[8], l’avocate de l’intimée a soutenu qu’indépendamment de la question de savoir qui a de fait reçu les paiements effectués par l’ex‑époux de l’appelante, la cession effectuée en vertu de la Loi sur les prestations familiales n’empêchait pas ces paiements d’avoir qualité de « pension alimentaire » en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, les montants courants et l’arriéré devraient être inclus dans le revenu de l’appelante pour les années d’imposition en question.

 

 

Analyse

 

[9]     L’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu exige soit incluse dans le revenu une « pension alimentaire » telle que cette expression est définie au paragraphe 56.1(4) en tant que montant « payable [...] à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins [...] d’enfants [du bénéficiaire] [...] si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion ». [Non souligné dans l’original.]

 

[10]    En l’espèce, la preuve ne permet pas de conclure que l’appelante pouvait « utiliser à sa discrétion » l’arriéré lorsqu’il est devenu payable, le 28e jour de chaque mois entre les années 1993 et 2000. À ce moment‑là, le droit y afférent de l’appelante avait depuis longtemps été cédé au MSSC en vertu de la Loi sur les prestations familiales.

 

[11]    La Loi sur les prestations familiales prévoit le paiement de prestations à certains résidents de l’Ontario qui sont admissibles selon les critères légaux à titre de personnes « dans le besoin »[9]. En sa qualité de mère ayant des enfants à charge résidant en Ontario, divorcée du père de ceux‑ci et non remariée[10], l’appelante satisfait à deux des trois critères. Pour décider si l’appelante était « dans le besoin », il fallait ensuite calculer son « revenu » selon la définition figurant dans le Règlement.

 

[12]    L’alinéa 13(1)c) du règlement d’application (le Règlement)[11] prévoit que le revenu [traduction] « [...] comprend les paiements en nature, quels qu’ils soient, reçus par une personne à la charge, ou pour le compte d’une personne à la charge, de l’auteur de la demande ou du bénéficiaire [...] ». Le paragraphe 13(2)(7) exige expressément que soit inclus dans le revenu de [traduction] « [...] tout paiement [...] effectué aux fins de l’entretien, reçu aux termes d’une ordonnance rendue par un tribunal compétent [...] ». Étant donné que l’appelante ne recevait aucun des paiements prévus par l’ordonnance (soit la raison même pour laquelle elle était « dans le besoin »), elle n’avait pas à inclure ces montants dans son revenu lorsqu’il s’agissait d’établir si elle était « dans le besoin », ou de calculer le montant des prestations auxquelles elle avait droit en vertu de la loi. Toutefois, comme nous le verrons, le fait que l’on devait ce « revenu » à l’appelante au cours de la période donnant droit à des prestations déclenchait d’autres obligations en vertu de la Loi sur les prestations familiales.

 

[13]    En vertu du paragraphe 10(1) du Règlement, [traduction] « [l]orsqu’un montant est dû à l’auteur d’une demande ou peut le devenir » à l’égard de prestations qui, [traduction] « si elles étaient reçues, seraient incluses dans le revenu pour l’application du paragraphe 13(1) », le directeur peut à sa discrétion exiger [traduction] « comme condition d’admissibilité à une prestation, que l’auteur de la demande [...] s’engage par écrit à rembourser à l’Ontario, en totalité ou en partie, la prestation payée ou devant être payée au moment où le montant devient payable »[12]. Conformément à l’alinéa 10(4)b) du Règlement, une [traduction] « entente écrite » peut inclure [traduction] « une cession en faveur de l’Ontario de la part de l’auteur de la demande [...] du droit de recevoir le montant de la personne ou de l’agence qui en est redevable ». Dans certaines limites[13], le MSSC peut recouvrer du débiteur de l’auteur de la demande les montants qui, s’ils avaient été payés, auraient été inclus dans le revenu de ce dernier et qui auraient réduit le montant des prestations en conséquence. En d’autres termes, le débiteur devient responsable envers l’Ontario du paiement en trop de prestations résultant de son omission de verser un « revenu » à l’auteur de la demande.

 

[14]    En l’espèce, le directeur a obligé l’appelante à conclure par écrit une entente par laquelle elle cédait au MSSC certains droits qu’elle possédait aux termes de l’ordonnance, à savoir le droit de recevoir la pension alimentaire que son ex‑époux devait lui payer aux termes de l’ordonnance au cours de la période où elle a touché des prestations. Par conséquent, lorsque son ex‑époux a finalement commencé à se conformer à l’ordonnance, les montants courants étaient à juste titre payables et ils ont été payés à l’appelante. Le droit à l’arriéré (comme c’était le cas depuis le 5 mars 1992) revenait exclusivement au MSSC selon la cession effectuée en vertu de la Loi sur les prestations familiales.

 

[15]    L’existence de la cession et les dispositions de l’ordonnance enjoignant au FRO de payer les montants reçus de l’ex‑époux à [traduction] « la personne à qui ils [étaient] dus » empêchaient l’appelante d’intervenir de quelque façon que ce soit dans le paiement de l’arriéré au MSSC. Ainsi, l’appelante n’aurait pas pu obliger le FRO à retenir et à verser une partie de l’arriéré au ministre du Revenu national. En outre, il n’y avait aucune corrélation directe entre les prestations prévues par la Loi sur les prestations familiales et les paiements effectués au titre de la pension alimentaire. L’omission de l’ex‑époux de l’appelante de payer la pension alimentaire prévue par l’ordonnance déclenchait le besoin pour l’appelante d’obtenir de telles prestations et influait sur le calcul du montant des prestations auxquelles l’appelante était admissible en vertu de la Loi sur les prestations familiales, mais les prestations n’étaient pas, sur le plan juridique, versées à la place de la pension alimentaire. Le droit de l’appelante aux prestations prévues par la Loi sur les prestations familiales découlait de ce que l’appelante satisfaisait aux critères légaux d’admissibilité aux prestations. L’arriéré que l’ex‑époux devait à l’appelante constituait un fonds global sur lequel le MSSC pouvait recouvrer le paiement en trop de prestations, attribuable à l’omission de l’ex‑époux de payer certains montants qui auraient par ailleurs été inclus dans le revenu de l’appelante. Dans ces conditions, on ne saurait dire que l’appelante pouvait « utiliser à sa discrétion » l’arriéré payable ou payé aux termes de l’ordonnance et l’arriéré n’est donc pas visé par la définition de la « pension alimentaire » figurant au paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[16]    Une conclusion similaire a été tirée dans une autre décision de l’Ontario, Bishop v. Minister of National Revenu[14]. Les faits de l’affaire Bishop sont essentiellement les mêmes que ceux de la présente espèce. Comme l’appelante, Mme Bishop avait été obligée de demander l’aide sociale par suite de l’omission de son ex‑époux de payer la pension alimentaire pour enfants prévue par l’ordonnance alimentaire. Mme Bishop avait elle aussi été obligée de céder le droit qu’elle avait à l’égard de ces paiements en vertu des mêmes dispositions de la Loi sur les prestations familiales de l’Ontario et de son règlement d’application. Eu égard aux faits, le juge Kempo a conclu que la cession avait pour effet de transférer au gouvernement de l’Ontario [traduction] « [...] les droits légaux et en equity sur les rentrées d’argent découlant de l’ordonnance alimentaire de 1975 et conférait en fait [au MSSC] tous les droits d’action et de recouvrement existants et éventuels que l’appelante pouvait faire valoir contre [son ex‑époux]; [...] » et qu’elle [traduction] « [...] enlevait de fait à l’appelante toute discrétion à l’égard des montants payés ou à payer [au MSSC] aux termes de l’ordonnance »[15]. En tirant cette conclusion, la cour a fait remarquer [traduction] qu’« [i]l [était] particulièrement important de noter que le droit de Mme Bishop de recevoir certaines prestations et certains montants au titre de l’aide sociale ne découlait pas de la cession. Ce droit découlait plutôt de la législation elle‑même de l’Ontario en matière d’aide sociale. La cession effectuée par Mme Bishop était simplement une condition de l’octroi de ces droits »[16].

 

[17]    La question de savoir si, en fait, l’appelante recevait des paiements au titre de la pension alimentaire ou si de tels paiements lui étaient dus était pertinente en vertu de la Loi sur les prestations familiales, pour ce qui est de la détermination du « besoin », du calcul du montant des prestations auxquelles l’appelante était admissible et de l’identification d’une source de fonds provenant d’un tiers et de l’accès à cette source, permettant au MSSC de recouvrer tout paiement en trop des prestations. La question de savoir si les montants que le MSSC a finalement recouvrés de l’ex‑époux doivent être inclus dans le revenu de l’appelante en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu dépend de la question de savoir s’il s’agit d’une « pension alimentaire » selon la définition figurant au paragraphe 56.1(4) [17]. Étant donné que l’appelante n’avait pas discrétion à l’égard de l’utilisation de l’arriéré, et ce, par suite des dispositions de la Loi sur les prestations familiales, je suis convaincue que ces montants n’avaient pas été payés à titre de pension alimentaire. La conclusion que le juge Kempo a tirée dans la décision Bishop s’applique également à la présente espèce :

 

[traduction]

[49] Comme il en a été fait mention, Mme Bishop n’a pas en fait reçu le paiement effectué par M. Bishop et elle n’en a pas indirectement bénéficié. En outre, Mme Bishop n’aurait pas eu la propriété légale ou effective de ces fonds du simple fait qu’ils étaient en sa possession. La simple possession de ces fonds n’aurait pas profité à Mme Bishop et n’aurait pas donné lieu à un revenu entre les mains de celle‑ci. Sur le plan juridique, Mme Bishop n’avait pas qualité pour agir à l’égard de la relation créancier‑débiteur qui existait entre le ministère et M. Bishop au moment du paiement.

 

[18]    Comme il en a ci‑dessus été fait mention, l’intimée s’est fondée sur les décisions Pepper et Mymryk dans lesquelles l’ancien juge en chef Garon a rejeté l’approche qui avait été adoptée dans la décision Bishop :

 

[Passage tiré de Pepper v. Canada] :

 

[10] Bien que j’estime pouvoir me dispenser de tout autre commentaire, je tiens à souligner que les paiements de pension alimentaire ont été faits au ministre des Services sociaux et communautaires par suite de la cession effectuée par Mme Pepper le 1er novembre 1991. Les paiements sont donc faits au ministre des Services sociaux et communautaires conformément à une décision prise par Mme Pepper, qui a été tenue de céder les sommes visées à l’ordonnance alimentaire en question parce qu’elle voulait recevoir des prestations d’aide sociale. De tels paiements sont assujettis aux dispositions de « réception implicite » du paragraphe 56(2) de la Loi. En effet, il est clair que les paiements en question correspondaient à un paiement « fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable [Mme Pepper], à toute autre personne [le ministre des Services sociaux et communautaires] au profit du contribuable [Mme Pepper] ». Un tel paiement doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement avait été fait au contribuable. Il est reconnu que les alinéas 56(1)b) et 60b) de la Loi seraient applicables en l’espèce si de tels paiements avaient été reçus directement par Mme Pepper.

 

[11] En outre, l’économie de la Loi me conforte dans ma conclusion selon laquelle l’appelant est en droit de déduire les paiements faits au ministre des Services sociaux et communautaires. En effet, il semblerait absurde que la personne qui est en droit de recevoir des paiements de pension alimentaire prévus aux alinéas 56(1)b), 56(1)c), 60b) et 60c) de la Loi puisse de son propre chef, c’est-à-dire en cédant simplement à un tiers le droit de recevoir de tels paiements ou en donnant pour instructions que ces paiements soient payés à quelqu’un d’autre, priver l’auteur de ces paiements du droit de se prévaloir des déductions auxquelles il aurait par ailleurs droit en vertu des dispositions des alinéas 60b) et 60c) de la Loi.

 

 

 

[Passage tiré de Mymryk v. Canada] :

 

[27] Je n’ai pas suivi la décision Bishop dans le dossier Pepper v. R., [1997] C.T.C. 2716. Dans la décision Pepper, j’ai dit que je ne comprenais pas comment une personne qui était en droit de recevoir des paiements de pension alimentaire pouvait de son propre chef, c’est-à-dire en faisant simplement une cession à un tiers, priver l’auteur de ces paiements du droit de se prévaloir des déductions auxquelles il aurait par ailleurs droit en vertu des dispositions pertinentes de l’article 60 de la Loi. Dans le même ordre d’idées, en l’espèce, il serait illogique et injuste que l’ex-épouse puisse empêcher l’appelant de traiter comme un montant de pension alimentaire tout montant payé ou à payer au directeur général des services sociaux en vertu des deux cessions susmentionnées. À cet égard, il convient de noter que, dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000, l’appelant a déduit, et le ministre du Revenu national a admis à titre de déduction, le montant de 750 $, qui représentait l’arriéré de pension alimentaire payé par l’appelant au cours de l’année 2000.

 

[28] Aucune restriction figurant dans les deux ordonnances de la Cour en vertu desquelles l’appelant était tenu de payer une pension alimentaire et qui ont été mentionnées dans les cessions de l’arriéré de pension alimentaire n’a été portée à ma connaissance. Compte tenu de la conclusion à laquelle j’ai abouti concernant cette question, je n’ai pas jugé qu’il était nécessaire d’examiner quelle était l’incidence sur les cessions susmentionnées, le cas échéant, de l’ordonnance sur consentement par défaut datée du 10 mai 1999.

 

[29] Par conséquent, je conclus que je ne peux pas accepter le deuxième argument de l’appelant selon lequel son ex-épouse ne pouvait utiliser l’arriéré de pension alimentaire à sa discrétion.

 

[19]    Je ne suis pas convaincue que ces décisions s’appliquent aux faits ici en cause. Puisqu’il s’agit de décisions rendues sous le régime de la procédure informelle, les décisions Pepper et Mymryk n’ont pas valeur de précédent. En outre, dans ces deux affaires, la Cour était saisie de la question de savoir si l’épouse du payeur avait le droit de déduire un montant reçu au titre de la pension alimentaire qui avait été versé à un cessionnaire. Par conséquent, les remarques qui ont été faites au sujet de la question de savoir si de tels montants auraient dû être inclus dans le revenu de l’épouse bénéficiaire sont des remarques incidentes. La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit certes l’application réciproque des dispositions concernant l’inclusion et la déduction, mais la déductibilité de tels paiements ne dépend pas de leur inclusion dans le revenu du bénéficiaire. On arrive à une telle réciprocité en utilisant la définition de l’expression « pension alimentaire » dans les diverses formules de calcul du revenu inclus[18] et des montants déductibles[19]. La question de savoir si un paiement est une « pension alimentaire » dépend des faits propres à la situation d’un contribuable particulier. En l’espèce, l’appelante a démontré que l’arriéré que son ex‑époux avait versé au MSSC n’était pas une « pension alimentaire » et que cet arriéré n’avait donc pas à être inclus dans le revenu en vertu de l’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[20]    Dans les décisions Pepper et Mymryk, la possibilité que l’épouse bénéficiaire « de son propre chef »[20] prive unilatéralement l’époux payeur de sa déduction « en faisant simplement une cession à un tiers »[21] préoccupait la Cour. Il s’agit d’une préoccupation légitime, mais ce n’est pas ce qui s’est produit dans l’affaire Bishop ou dans la présente espèce. L’appelante n’a pas pris l’initiative de céder ses droits au MSSC en vue de priver son ex‑époux de son droit à une déduction. C’est plutôt l’ex‑époux qui a « de son propre chef » choisi, sur une période de sept ans, de ne pas s’acquitter de ses obligations alimentaires aux termes de l’ordonnance judiciaire. C’est lui qui a mis l’appelante dans la situation où, afin d’être admissible aux prestations accordées en vertu de la Loi sur les prestations familiales pour subvenir aux besoins de leurs deux enfants, elle devait céder ses droits aux paiements qu’il aurait dû effectuer. C’est le défaut de l’ex‑époux de l’appelante qui a privé celle‑ci de la discrétion qu’elle aurait par ailleurs eue à l’égard de l’utilisation de l’arriéré; en l’absence d’une telle discrétion, l’arriéré n’est pas une « pension alimentaire » selon la définition de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[21]    Dans les décisions Pepper et Mymryk, la Cour a également tenu compte des dispositions concernant la réception implicite du paragraphe 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette disposition, qui est rédigée en termes généraux, inclut dans le revenu du contribuable « [t]out paiement [...] fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable » ou « à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne [...] ». [Non souligné dans l’original.] Dans la décision Pepper, la Cour a décrit la cession par Mme Pepper de ses droits au MSSC comme étant « une décision prise par Mme Pepper, qui a été tenue de céder les sommes visées à l’ordonnance alimentaire [...] parce qu’elle voulait recevoir des prestations d’aide sociale »[22]. [Non souligné dans l’original.] À l’exception de la mention du fait que l’appelante était « tenue » de faire une cession, la preuve en l’espèce ne justifie pas une conclusion similaire. L’emploi du mot « désirait » au paragraphe 56(2) donne à entendre un degré d’intention qui n’est tout simplement pas présent dans le cas de l’appelante : sa « décision » de renoncer en faveur du MSSC au droit qu’elle possédait sur l’arriéré qui s’était accumulé au cours de la période où elle touchait des prestations était en réalité une obligation que la loi provinciale lui imposait à titre de « condition d’admissibilité »[23] aux prestations par suite du défaut de son ex‑époux.

 

[22]    Il est possible de faire une distinction entre le présent appel et les autres décisions invoquées par l’intimée. Dans la décision Giles v. Canada[24], la cession avait été faite par l’épouse bénéficiaire en faveur de l’organisme du Manitoba correspondant au FRO de l’Ontario. Cela étant, la Cour a conclu que « [m]ême si le paiement de l’arriéré ne lui a[vait] pas été remis en mains propres, l’appelante [était] quand même réputée avoir reçu l’argent »[25]. En l’espèce, l’aspect analogue est le paiement des montants courants que le FRO a effectué en faveur de l’appelante, montants qui ont à juste titre été inclus, comme le reconnaît l’appelante, dans son revenu en 2002, en 2003 et en 2004. Quant aux décisions Gervais c. Canada[26] et Boucher v. Canada[27], ces décisions portaient sur le libellé particulier de la législation du Québec qui, par l’effet de la loi, subrogeait à l’agence provinciale d’aide sociale le droit du bénéficiaire à l’arriéré de la pension alimentaire. Comme dans les affaires Pepper et Mymryk, la question dont la Cour était saisie dans ces affaires n’était pas de savoir si les montants payés devaient être inclus dans le revenu du contribuable.

 

[23]    Pour les motifs énoncés, les appels concernant les années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004 sont accueillis. La nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national à l’égard de l’année d’imposition 2001 est annulée. Les nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 2002, 2003 et 2004 sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’arriéré sur les montants de 9 625 $, de 9 100 $ et de 9 100 $ payé par l’ex‑époux de l’appelante au cours de chacune de ces années ne constituait pas une « pension alimentaire » selon la définition de la Loi de l’impôt sur le revenu et que seuls les montants courants de 5 725 $, de 4 800 $ et de 3 000 $ ont donc été à juste titre inclus dans le revenu de l’appelante pour les années 2002, 2003 et 2004 respectivement.

 

       Signé à Calgary (Alberta), ce 7jour de décembre 2007.

 

 

 

« G.A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de janvier 2008

 

D. Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI708

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-2334(IT)I

 

INTITULÉ :                                       JEAN MCALLISTER

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Timmins (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 16 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G.A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 décembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocate de l’intimée :

Me April Tate

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1] À l’audience, l’avocate de l’intimée a fait savoir que l’intimée reconnaissait que la nouvelle cotisation concernant l’année 2001 avait été établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation; l’appel relatif à l’année 2001 est donc accueilli.

[2] Paragraphe 11 de la réponse à l’avis d’appel.

 

[3] Pièce R-1.

[4] L.R.O. 1990, ch. F. 2.

[5] La cession n’a pas été produite en preuve, mais l’intimée ne conteste pas qu’il y a eu cession. Bien que la chose ne soit pas ici pertinente, disons pour plus de clarté que la cession en faveur du MSSC a par la suite été annulée et qu’il y a eu nouvelle cession en faveur d’une autre agence gouvernementale, le Cochrane District Social Services Administration Board, qui avait, à certains égards, pris en charge le programme en vertu de la nouvelle législation. Pièce A‑2.

 

[6] Pièce A-6 : 5 725 $ en 2002; 4 800 $ en 2003 et 3 000 $ en 2004.

 

[7] [1997] 1 C.T.C. 2716 (C.C.I.).

 

[8] [2004] 1 C.T.C. 2832 (C.C.I.).

 

[9] Article 7 de la Loi sur les prestations familiales, L.R.C. 1990, ch. F. 2.

 

[10] Sous-alinéa 7(1)d)(vi) de la Loi sur les prestations familiales.

 

[11] Article 13 du règlement d’application de la Loi sur les prestations familiales, R.R.O. 1990, Reg. 366 (modifié O. Reg. 382/05).

 

[12] Le paragraphe 13(2)7 inclut dans le revenu [traduction] « tout paiement régulier ou périodique effectué aux fins de l’entretien, reçu aux termes d’une ordonnance rendue par un tribunal compétent ».

 

[13] En vertu du paragraphe 10(5) du Règlement, [traduction] « [l]e montant de la prestation à l’égard duquel l’Ontario a le droit d’être remboursé en vertu de l’entente n’est pas supérieur au montant total de la prestation versée au bénéficiaire au cours de la période pour laquelle le montant est payable ».

 

 

[14] [1993] 1 C.T.C 2333.

 

[15] Bishop, précitée, paragraphe 44.

 

[16] Bishop, précitée, paragraphe 45.

 

[17] La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit l’inclusion dans le revenu de prestations telles que les prestations reçues par l’appelante en vertu de la Loi sur les prestations familiales en vertu de l’alinéa 56(1)u) et la déduction subséquente de ces prestations en vertu de l’alinéa 110(1)f).

 

[18] Alinéa 56(1)b).

 

[19] Alinéa 60b).

 

[20] Pepper, précitée, paragraphe 11.

 

[21] Mymryk, précitée, paragraphe 27.

 

[22] Pepper, précitée, paragraphe 10.

 

[23] Paragraphe 10(1) du règlement d’application de la Loi sur les prestations familiales, précité.

 

[24] [2001] 1 C.T.C. 2619 (C.C.I.).

 

[25] Précitée, paragraphe 7.

 

[26] [1997] A.C.I. no 816.

 

[27] [1998] 3 C.T.C. 3014 (C.C.I.).

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