Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2005-2518(EI)

ENTRE :

LISE ALLARD O/S FRIGOLUK ENR.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

LUC BOUCHARD,

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 24 août 2006, à Chicoutimi (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Mario Bouchard

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

Représentants de l'intervenant :

Jacques Doucet et Guy Fortin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est accueilli et la décision du ministre du Revenu national est modifiée au motif que le travail effectué par monsieur Luc Bouchard, pour Lise Allard a/s Frigoluk enr., lors de la période allant du 20 mai au 19 novembre 2004, l'a été en vertu d'un véritable contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) et que ce travail profitait de l'exception prévue à l'alinéa 5(3)b) étant donné que l'employeur et l'employé auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'octobre 2006.

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

Référence : 2006CCI488

Date : 20061005

Dossier : 2005-2518(EI)

 

ENTRE :

 

LISE ALLARD O/S FRIGOLUK ENR.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

LUC BOUCHARD,

intervenant.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

[1]     Il s'agit d'un appel d'une décision relative au caractère assurable du travail effectué par monsieur Luc Bouchard pour Lise Allard a/s Frigoluk enr. lors de la période allant du 20 mai au 19 novembre 2004.

 

[2]     Pour établir la décision portée en appel, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a tenu pour acquis les faits suivants :

 

a)         de 1995 à 2001, le travailleur a opéré seul différentes entreprises spécialisées en climatisation et réfrigération;

 

b)         il a, entre autre, exploité une entreprise sous la raison sociale Frigoluk du 17 mars 1995 au 8 juin 2000;

 

c)         le 18 mai 2000, son entreprise était constituée en corporation sous le nom de Frigoluk Inc.

 

d)         le travailleur détenait 60 % des actions comportant droit de vote de la société et l'appelante, sa conjointe, détenait 40 % des actions;

 

e)         la société Frigoluk Inc. a été dissoute le 2 mars 2004;

 

f)          le 17 décembre 2003, l'appelante procédait à l'immatriculation de la raison sociale Frigoluk enr.;

 

g)         l'appelante reprenait la raison sociale Frigoluk enr. et, avec le soutien administratif et financier du travailleur, exploitait une entreprise se spécialisant dans l'installation et la réparation de système de climatisation et de réfrigération pour la machinerie lourde et forestière;

 

h)         l'entreprise de l'appelante était de nature saisonnière et exploitée du printemps à l'automne;

 

i)          en 2004, l'appelante a embauché, en vertu d'une entente verbale, le travailleur à plein temps (27 semaines) et occasionnellement M. Daniel Simard;

 

j)          le travailleur rendait des services comme technicien en installation et réparation de système climatisé pour la machinerie lourde et forestière;

 

k)         il devait couvrir un grand territoire incluant le nord du Lac St-Jean, Dolbeau, Chicoutimi, Girardville et Chibougameau;

 

l)          le travailleur travaillait généralement en forêt du lundi au jeudi, entre 7 h et 17 h et le vendredi dans les locaux du payeur et chez certains clients;

 

m)        il travaillait 40 heures par semaine;

 

n)         il complétait lui‑même une feuille de travail qu'il remettait à l'appelante;

 

o)         il ne recevait aucune directive de l'appelante, il supervisait lui‑même son travail car il était celui ayant les connaissances pour exécuter le travail;

 

p)         le travailleur recevait une rémunération fixe de 800 $ par semaine;

 

q)         l'appelante n'avait aucune idée de la valeur de son entreprise et avait investi 15 000 $ pour se lancer en affaires;

 

r)          cet investissement de 15 000 $ provenait d'une part du compte de banque conjoint de l'appelante et du travailleur et d'autre part, de carte de crédit de chacun d'eux;

 

s)         le travailleur a aussi prêté 6 000 $ à l'appelante et ce sans documents de prêt;

 

t)          dans le cadre de son travail, le travailleur utilisait un camion loué par l'appelante (968,32 $ par mois) et dont il était caution auprès du prêteur avec l'appelante;

 

u)         le travailleur a personnellement cautionné, avec l'appelante, tous les emprunts de l'appelante et a encouru des risques financiers dans l'exploitation de l'entreprise;

 

v)         le travailleur était l'âme dirigeante de l'entreprise de l'appelante et son ascendant sur l'entremise est tel qu'il ne pouvait exister de rapport d'indépendance nécessaire à la création d'un véritable lien de subordination entre les parties.

 

 

[3]     La grande majorité des faits tenus pour acquis ont été admis. Il s'agit notamment des faits mentionnés aux alinéas a) à f), h) à n), p), r), t) et u). Les alinéas o), s) et v) ont été niés, l'alinéa g) ignoré et l'alinéa q) précisé.

 

[4]     Madame Allard a expliqué faire partie d'une famille d'entrepreneurs ayant des connaissances en réfrigération. Elle a d'abord participé à une société dans ce domaine lorsque son conjoint exploitait une telle entreprise par le biais d'une société par actions, tel qu'énoncé à l'alinéa d), qu'il y a lieu de reproduire :

 

d)         le travailleur détenait 60 % des actions comportant droit de vote de la société et l'appelante, sa conjointe, détenait 40 % des actions;

 

 

[5]     Les activités de la société par actions se seraient gâtées, notamment à cause de la perte d'un montant important et de l'inconfort de son contrat dans le rôle d'entrepreneur. Le fait qu'ils soient maintenant mariés ce qui n'a évidemment aucun effet dans le dossier.

 

 

[6]     Lors de la période en litige le travailleur était le conjoint de fait de madame Allard.

 

[7]     Selon l'appelante, son conjoint n'avait pas le tempérament nécessaire pour exploiter une entreprise; il était plus à l'aise comme exécutant que comme gestionnaire.

 

[8]     Madame Allard a expliqué que son conjoint n'avait pas les qualités requises pour gérer une entreprise et qu'elle avait constaté qu'il était plus confortable comme salarié.

 

[9]     À la suite de l'arrêt des activités de la société par actions, le conjoint de l'appelante a travaillé pendant deux saisons pour son frère, encore là à titre de salarié spécialiste en réfrigération.

 

[10]    L'appelante a affirmé qu'après une certaine période d'inactivité, elle avait voulu relever le défi de l'entrepreneuriat en créant sa propre entreprise, dans le domaine que connaissaient les membres de sa famille, soit son père et son frère. Elle a donc enregistré la raison sociale et démarré une entreprise de réfrigération.

 

[11]    Étant peu connue des banquiers, elle a dû demander à son conjoint de l'aider lors de la mise de fonds, des emprunts et de la location du camion assurant le bon fonctionnement de l'entreprise.

 

[12]    Elle a décrit les circonstances qui l'avaient amenée à créer l'entreprise et, en second lieu, elle a expliqué comment elle dirigeait l'entreprise.

 

[13]    Elle a aussi décrit la nature de l'entreprise, qui exécutait principalement des contrats dans des chantiers en forêt et, souvent, à des endroits assez éloignés.

 

[14]    Son conjoint effectuait habituellement le travail seul. Il complétait un ordre de travail sur lequel étaient décrits la durée du travail, sa nature et les pièces nécessaires à l'exécution du travail. Le tout était remis à sa conjointe qui, elle, s'occupait de la facturation.

 

[15]    De son côté, le ministre n'a pas fait témoigner la ou les personnes responsables du dossier de l'appelante. Lors de sa plaidoirie, il a essentiellement fait valoir que le dossier avait fait l'objet d'une évaluation judicieuse et irréprochable par la cueillette de tous les faits pertinents et par la suite, lors de l'analyse.

 

[16]    Il a principalement fait valoir qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de travail, étant donné qu'il n'y avait aucun lien de subordination entre l'appelante et son conjoint dans le cadre du travail que ce dernier avait effectué.

 

[17]    Le principal fondement de l'absence de lien de subordination était, aux dires de l'intimé, le fait que l'appelante n'allait généralement pas sur les lieux du travail et avait très peu de connaissances techniques quant à la façon de faire le travail.

 

[18]    Le ministre a cependant identifié certains faits beaucoup plus pertinents quant au bien‑fondé de ses conclusions. Il s'agit notamment de la participation financière du conjoint aux activités de l'entreprise à titre de prêteur et de caution et aussi sur le fait que ce dernier aurait accepté un retard avant de toucher sa rémunération au début de sa période de travail, ce qu'évidemment, aucun tiers n'aurait accepté, selon l'intimé.

 

[19]    Il s'agissait là de faits fort pertinents. De tels constats étaient-ils suffisants pour justifier les conclusions retenues par le ministre?

 

[20]    Si la décision devait reposer sur ces seuls éléments, je devrais, de toute évidence, rejeter l'appel. Toutefois, la preuve a aussi révélé que le conjoint de l'appelant exécutait sensiblement le même travail pour son beau‑frère lors des deux saisons précédentes et qu'il recevait pour ce travail sensiblement la même rémunération.

 

[21]    L'intimé soutient que les relevés d'emploi que le tribunal a demandé ne sont pas pertinents puisqu'ils concernent une période autre que celle en litige. Or, il semble que l'intimé occulte de son analyse un élément fort pertinent soit celui d'apprécier si le contrat de travail intervenu était similaire ou non à celui qui aurait pu être exécuté dans un tout autre contexte.

 

[22]    En outre, le fait que l'intimé soutienne qu'il ne pouvait y avoir de lien de subordination m'apparaît avoir faussé l'analyse du dossier. En effet, il est tout à fait inapproprié de conclure à l'absence de lien de subordination si le payeur n'est pas à l'endroit où le travail est effectué ou s'il s'agit d'un travail spécialisé au sujet duquel le payeur est totalement ou en partie profane.

 

[23]    Il s'agit là, certes, d'éléments qui existent dans bon nombre de dossiers où la présence du lien de subordination n'est pas en cause.

 

[24]    Il peut très bien arriver que le payeur ne connaisse à peu près rien de la façon de faire un travail qu'il rémunère sans devoir pour autant conclure à l'absence d'un lien de subordination.

 

[25]    Une telle théorie aurait pour effet de créer de multiples situations tout à fait loufoques. Il suffit d'imaginer une P.M.E. dans un domaine très spécialisé qui requiert plusieurs dizaines de spécialités différentes. Une telle situation aurait-elle pour effet de rendre non assurable le travail de tous les experts salariés si leur employeur n'avait pas toutes les connaissances liées à chacun des spécialistes? Soulever l'hypothèse suffit pour conclure à la non-recevabilité d'un tel argument.

 

[26]    En l'espèce, l'appelante pouvait très bien prétendre avoir le pouvoir de contrôler les faits et gestes de son conjoint grâce aux comptes rendus détaillés qu'il complétait là où le travail était effectué.

 

[27]    Quant à l'apport et au soutien financier, il s'agit là d'une facette plus sérieuse et surtout beaucoup plus pertinente, tout comme le fait d'avoir travaillé pendant un certain temps sans avoir reçu de paye dans les jours qui ont suivi l'exécution du travail.

 

[28]    Ce sont là deux réalités qui ont le même fondement, à savoir que lors du démarrage de l'entreprise l'appelante, inconnue des banquiers, n'aurait pas pu mettre sur pied son entreprise sans la collaboration financière de son conjoint. Le retard dans la rémunération coïncide avec la période de démarrage.

 

[29]    Je ne peux toutefois pas faire abstraction du fait qu'il s'agissait, de par la nature même du travail, d'un travail saisonnier dont le début et la fin dépendaient de la météo.

 

[30]    Le conjoint de l'appelante avait les connaissances, l'expertise et l'expérience pour faire le travail.

 

[31]    La rémunération qu'il a reçue était comparable à celle qui lui avait été payée lors des deux saisons précédentes, alors qu'il avait travaillé pour son beau‑frère.

 

[32]    Il ne s'agit pas d'un dossier où tous les éléments militent pour une seule et même conclusion. Certains faits auraient mérité une plus grande attention lors de l'analyse ayant conduit à la détermination dont il est fait appel.

 

[33]    Je fais notamment référence au fait qu'un tiers a travaillé plus longtemps que le conjoint de l'appelante, qui était pourtant celui qui validait ou accréditait la compétence de l'entreprise; la durée de la période de travail était‑elle fonction du nombre d'heures requises pour recevoir des prestations d'assurance‑emploi.

 

[34]    Les faits et explications étaient-ils cohérents avec les états financiers. Le conjoint de l'appelante exécutait-il du travail à l'extérieur des périodes décrites aux relevés d'emploi? Toutes les réponses à ces questions auraient pu commander une toute autre conclusion que celle que je retiens, d'où mon étonnement devant l'absence du ou des témoignages des responsables de l'enquête à l'origine de la décision.

 

[35]    Devant disposer de l'appel selon la prépondérance de la preuve, je conclus que cette preuve appuie, non de façon catégorique mais prépondérante, la position de l'appelante.

 

[36]    J'accueille donc l'appel et je détermine que le travail effectué par monsieur Luc Bouchard pour Lise Allard a/s Frigoluk enr., lors de la période allant du 20 mai au 19 novembre 2004, l'a été en vertu d'un véritable contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) et que ce travail profitait de l'exception prévue à l'alinéa 5(3)b) étant donné que l'employeur et l'employé auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'octobre 2006.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI488

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2005-2518(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Lise Allard o/s Frigoluk enr. et Luc Bouchard et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Chicoutimi (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE:                   le 24 août 2006

 

MOTIFS DES JUGEMENT PAR :     l'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DES JUGEMENTS :               le 5 octobre 2006

 

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

 

Me Mario Bouchard

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :                         Me Mario Bouchard

       Ville :                                          Alma (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.