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Dossier : 2002-2945(EI)

ENTRE :

KATY BÉLISLE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 28 juillet 2003 à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé au Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

Référence : 2003CCI788

Date : 20031118

Dossier : 2002-2945(EI)

ENTRE :

KATY BÉLISLE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Savoie,

 

[1]     Cet appel a été entendu à Québec (Québec) le 28 juillet 2003.

 

[2]     Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité d'un emploi qu'occupait l'appelante lors qu'au service de Sylvain Dionne, le payeur au cours des périodes en litige, soit du 19 mars au 12 octobre 1998 et du 26 mars au 1er octobre 1999, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi »).

 

[3]     Le 10 juin 2002, le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a informé l'appelante de sa décision à l'effet que cet emploi, pour les périodes en litige, n'était pas assurable parce qu'un contrat de travail semblable n'aurait pas été conclu s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre l'appelante et le payeur.

 

[4]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes lesquelles ont été admises ou niées par l'appelante :

 

a)         le payeur faisait affaires sous le nom et raison sociale Poissonnerie S. Dionne;  (admis)

 

b)         le payeur est propriétaire unique de la Poissonnerie S. Dionne;  (admis)

 

c)         le commerce a débuté ses opérations en mars 1997;  (admis)

 

d)         le commerce était saisonnier de mars à octobre à chaque année;  (admis)

 

e)         le commerce était ouvert 7 jours par semaine;  (admis)

 

f)          l'appelante est la conjointe de Sylvain Dionne:  (nié)

 

g)         l'appelante travaillait en tant que gérante de la poissonnerie;  (admis)

 

h)         les tâches de l'appelante consistaient à s'occuper de la comptabilité, des employés, des achats, de la vente et du commerce en général;  (admis)

 

i)          l'appelante recevait une rémunération fixe de 400 $ par semaine en 1998 et de 500 $ et de 725 $ par semaine en 1999;  (admis)

 

j)          l'appelante rendait des services au payeur de 40 à 70 heures par semaine;  (nié)

 

k)         l'appelante recevait le même salaire peu importe le nombre d'heures réellement travaillées durant la semaine;  (nié)

 

l)          le 17 août 1998, le payeur remettait un relevé d'emploi à l'appelante, pour la période commençant le 29 mars 1998 et se terminant le 15 août 1998 et qui indiquait 1 000 heures assurables et une rémunération assurable totale de 8 000,00 $;  (admis)

 

m)        le 30 août 1999, le payeur remettait un relevé d'emploi à l'appelante, pour la période commençant le 4 avril 1999 et se terminant le 21 août 1999 et qui indiquait 800 heures assurables et une rémunération assurable totale de 12 700,00 $;  (admis)

 

n)         le 1er décembre 2000, dans une déclaration statutaire signée au DRHC, le payeur déclarait : « Katy s'occupait quand même des achats de poisson du début à la fin des activités du commerce, soit de fin mars au début octobre à chaque année »;  (nié)

 

o)         le 1er décembre 2000, dans une déclaration statutaire signée au DRHC, le payeur déclarait : « Nous nous étions entendus pour lui faire paraître au livre un salaire plus élevé que les autres employés justement pour compenser pour les périodes où elle ne se prenait pas de salaire au début de l'ouverture du commerce et à la fin à quelques mois de la fermeture »;  (nié)

 

p)         les relevés d'emploi ne sont pas conformes à la réalité quant aux périodes travaillées par l'appelante;  (nié)

 

q)         l'appelante rendait des services au payeur sans rémunération déclarée avant et après les dates mentionnées aux relevés d'emploi;  (nié)

 

r)          le journal des salaires du payeur ne reflétait pas la réalité quant aux périodes réellement travaillées par l'appelante;  (nié)

 

s)         les semaines prétendument travaillées par l'appelante ne correspondent pas avec les semaines réellement travaillées.  (nié)

 

[5]     L'appelante a admis toutes les présomptions du Ministre sauf celles exposées aux alinéas f), j), k), n) et o) à s).

 

[6]     L'appelante a nié les alinéas n), o), p) et q), mais le bien-fondé de ces présomptions a été prouvé par le Ministre particulièrement lors du témoignage du payeur, par sa déclaration statutaire datée du 1er décembre 2000 et produite en preuve sous la cote I-16, ainsi que par le tableau produit par l'agent d'enquête, Paul Dessureault produit en preuve sous la cote I-17.

 

[7]     À l'aide de ces pièces produites en preuve par le Ministre, ainsi que les documents examinés lors de l'enquête, l'agent Paul Dessureault a produit un tableau qui illustre la chronologie des tâches exécutées par l'appelante en dehors des périodes de travail. Cet exercice a servi à établir que les relevés d'emploi de l'appelante étaient faux quant aux périodes travaillées et qu'elle rendait des services au payeur sans rémunération avant et après les dates mentionnées aux relevés d'emploi. À cet égard, le même constat s'impose après la lecture de la déclaration statutaire du payeur Sylvain Dionne, produite en preuve sous la cote I-16, dont je reproduis ci-après, un extrait pertinent :

 

[...] J'étais propriétaire unique de la Poissonnerie S. Dionne Enrg. à partir du mois de mars 97 et jusqu'en novembre ou décembre 99. Le commerce a ouvert ses portes le ou vers le 26 mars 97. En passant [...] pour ce qui est de toute la comptabilité, les grands livres, livres de salaires, et tout le reste je ne connais absolument rien là-dedans et Katy Bélisle, mon ex‑conjointe, s'occupait seule de tout ça, sauf pour faire les déclarations de revenus à chaque année qui étaient faites par le comptable Louis Ouellet de la firme Chabott ... etc. de Rivière‑du-Loup. Katy s'occupait des dépôts, de faire la plupart des chèques, de classer les factures, etc. De plus, à chaque année de 1997 à 1999 inclus c'est elle qui opérait le commerce à l'ouverture et vers la fin quand j'avais mes quotas de pêche d'atteints je m'en allais rejoindre Katy à la poissonnerie. Katy s'occupait quand même des achats de poisson du début à la fin des activités du commerce, soit de fin mars à début octobre à chaque année parce que je voulais qu'elle continue à s'en occuper puisque moi je n'étais pas aussi bon qu'elle pour « barginer » les prix avec les fournisseurs. Même si elle était sur place durant des périodes où elle n'est pas au livre de salaires en 1998 et 1999 soit du 26-03-99 au 03-04-99, du 22-08-99 au 01—10-99, du 19‑03‑98 au 28-03-98, du 16-08-98 au 12-10-98, Katy Bélisle n'a reçu aucun argent versé en salaires sous la table ni d'avantage quelconque. L'entente que nous avions étant donné que nous étions très très serrés dans les finances et que l'on n'arrivaient pas à payer tous nos comptes, c'est que Katy débutait le travail à la Poissonnerie à la fin mars et quand elle voyait que les ventes augmentaient avec le travail, elle se versait un salaire et s'entrait au livre de payes et pour un bout elle faisait paraître des salaires à son nom. Katy m'a déjà parlé qu'elle ne se prenait pas de salaires pour telle ou telle semaine et vous me dites que sur un chèque de paye de 1998 on peut voir qu'elle l'a redéposé dans le compte de la Poissonnerie. Il est probable qu'elle a cessé de verser des salaires à son nom en chèques justement parce qu'il n'y avait pas toujours l'argent pour qu'elle se prenne un salaire. Nous nous étions entendus pour lui faire paraître au livre un salaire plus élevé que les autres employés justement pour compenser pour les périodes où elle ne se prenait pas de salaire au début de l'ouverture du commerce et à la fin à quelques mois de la fermeture : les salaires au livre la dédommageraient un peu pour ces heures‑là, donc les seuls salaires qu'elle avait couvraient de fin mars à début octobre de 1998 et 1999. Il est bien certain qu'un employé étranger n'aurait pas accepté ces conditions‑là et le fait de s'occuper de toute la comptabilité en plus sans se faire payer en conséquence mais Katy était ma conjointe jusqu'à la fermeture du commerce en 1999 au début octobre et c'est du fait qu'elle était ma conjointe qu'elle a accepté ces conditions‑là. Je ne peux vous dire si c'est arrivé souvent en 1998 et en 1999 qu'elle s'est entrée des salaires au livre de paye sans qu'elle ne puisse se les verser en entier ou pas du tout car c'est seulement elle qui s'occupait de payer les salaires et qui est au courant de ça mais c'est arrivé, je le sais. En 1997 Katy Bélisle a travaillé durant toute la saison de l'ouverture de la Poissonnerie du 26‑03‑97 au début octobre à plein temps et 7 jours sur 7, la même chose que pour la période d'ouverture du commerce en 1998 et en 1999 mais si elle s'est prise des salaires c'est très peu en 1997 et elle a eu beaucoup de problèmes avec ses cartes de crédit mais il n'y aurait pas de revenu pour qu'elle les paie et elle les a toutes perdues. Les trois années, du fait qu'elle était ma conjointe, elle s'est toujours prise des salaires en considérant l'argent disponible et c'est elle qui pourrait vous dire quel % des salaires qui paraissent aux livres qu'elle s'est vraiment pris, et c'était pas pour se payer du luxe mais pour voir au strict nécessaire de la maison, pour payer nos affaires, électricité, téléphone, etc. [...]

 

[8]     L'appelante a nié la présomption du Ministre énoncée à l'alinéa 5 f), à l'effet qu'elle était la conjointe de Sylvain Dionne. Aussi, dans leur témoignage, l'appelante et le payeur ont prétendu qu'ils n'étaient pas, pendant les périodes en  litige, conjoints de fait. Ils ont fait valoir qu'ils se sont peut-être appelés conjoints au début pour légitimer leur résidence sous un même toit et pour satisfaire la recommandation du comptable pour des raisons fiscales.

 

[9]     Il est pertinent de signaler que leur témoignage à tous les deux sur leur état a été un peu embarrassé, hésitant, réticent et évasif.

 

[10]    L'appelante a affirmé qu'elle est partie en septembre 1999 parce que Sylvain Dionne avait quelqu'un d'autre dans sa vie. Dans sa déclaration statutaire (pièce I-1), l'appelante a déclaré, entre autres :

 

[...] J'ai travaillé pour Poissonnerie S. Dionne en 1998 et 1999. Au moment où j'ai travaillé pour ce commerce je demeurais avec M. Sylvain Dionne en tant que conjoint de fait. Depuis plus d'un an nous sommes séparés et nous avons signé un papier comme quoi moi je me dégageais de toute responsabilité reliée aux papiers de Poissonnerie S. Dionne [...]

 

[11]    Cette déclaration a été signée par l'appelante le 15 novembre 2000. Les propos de Sylvain Dionne sur leur état à tous les deux ont déjà été cités plus haut dans l'extrait de sa déclaration produite en preuve sous la cote I-16.

 

[12]    Par ailleurs, Patricia Dionne, la soeur du payeur, dans sa déclaration statutaire en date du 5 décembre 2000 (pièce I-18) déclarait, entre autres, et je cite :

 

[...] c'est qu'au départ il était entendu avec Sylvain Dionne, mon frère, et sa conjointe dans le temps Katy Bélisle, à l'effet qu'étant donné que cette dernière était pas du tout au courant comment fonctionnait un commerce de vente de poisson [...] je donnerais un 2 à 3 semaines en temps de travail à la Poissonnerie pour apprendre à Katy le roulement de ça. [...]

 

Conjoints de fait

 

[13]    L'enquêteur Paul Dessureault a affirmé que l'appelante et le payeur ont tous deux déclaré qu'ils étaient conjoints de fait jusqu'à la fermeture du commerce. Patricia Dionne, la soeur du payeur, lui aurait dit la même chose. C'est d'ailleurs ce qui a amené cet enquêteur à la décision selon laquelle, après son étude du dossier et ses entrevues avec les parties, l'appelante et le payeur étaient conjoints de fait et c'est d'ailleurs ce qui explique les modalités de l'emploi de l'appelante, c'est-à-dire le même salaire peu importe les heures travaillées, le travail sans salaire en 1997 et le travail exécuté avant et après les périodes en litige et ceci faisait dire à M. Dessureault que cela se produit souvent ainsi chez les conjoints.

 

[14]    Le témoin Dessureault, l'enquêteur qui a préparé le tableau déposé sous la cote I-17, a déclaré lors de son témoignage que le payeur Sylvain Dionne lui avait dit que l'appelante opérait le commerce du début à la fin de la saison, c'est‑à-dire de la fin mars au début octobre de chaque année. Il s'est servi du livre des salaires pour préparer ledit tableau. Il a fait l'exercice pour l'année 1997 alors que l'appelante a travaillé toute la saison sans salaire. Il a été établi également que l'appelante aurait fait la comptabilité du payeur à partir de 1997 jusqu'à 1999.

 

[15]    Il faut signaler que ce qui précède a servi à mettre en doute la véracité des témoignages de l'appelante et du payeur.

 

[16]    Par ailleurs, dans son témoignage, l'appelante a affirmé que sa déclaration à l'enquêteur avait été obtenue sous la menace. En effet, lorsque confrontée à sa déclaration dans laquelle elle déclare, et je cite :

 

[...] Au moment où j'ai travaillé pour ce commerce je demeurais avec Sylvain Dionne en tant que conjoint de fait. [...]

 

elle affirme dans son témoignage :

 

C'est l'enquêteur qui a mis ça, c'est pas moi, sous menace de l'enquêteur ... si je signais pas il m'amènerait en Cour.

 

[17]    Cependant, l'enquêteur Dessureault a nié qu'il avait fait des menaces. Il a expliqué la procédure qu'il suit toujours dans toute enquête qui est sous forme de questions/réponses alors qu'il écrit sa question ainsi que la réponse donnée par la personne questionnée. Par la suite il relit le tout, demande à la personne qu'il interroge d'en faire autant et lui demande si elle a des corrections à apporter. Si la personne apporte des corrections, il corrige le texte puis la déclaration est signée. En l'occurrence, c'était le 15 novembre 2000, il y a presque trois ans. Le Ministre présente l'argument que la mémoire de l'appelante devait être plus fidèle à l'époque que lors de son témoignage à l'audience et que le témoignage de l'enquêteur devrait, en théorie, être plus objectif. Il faut ajouter que le Ministre présentait l'argument à l'effet que Me Carrier, procureur de l'appelante, n'a pas contre-interrogé M. Dessureault sur toute la question des menaces.

 

[18]    Quant au payeur Dionne, il a témoigné qu'aucune promesse ou menace ne lui a été faite pour qu'il signe sa déclaration. En effet, il n'a jamais parlé de menaces. D'ailleurs, le Ministre s'est demandé pourquoi le sujet des menaces n'avait pas été abordé avant la date de l'audition.

 

[19]    À la lumière de ce qui précède, cette Cour doit conclure, comme l'a fait le Ministre, que l'appelante et le payeur, pendant les périodes en litige, étaient conjoints de fait et donc des personnes liées au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cet article précise que des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. La Loi sur l'assurance-emploi prévoit à l'alinéa 5(2)i) que l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance est exclu des emplois assurables. À l'alinéa 5(3)b), il est prévu que l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette Loi, sont réputés ne pas avoir un lien de dépendance si le Ministre est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[20]    Dans la cause sous étude, le Ministre a conclu, après avoir exercé son pouvoir discrétionnaire tel que prévu à l'alinéa 5(3)b) de la Loi, que l'emploi de l'appelante n'était pas assurable en raison du lien de dépendance entre elle et le payeur.

 

[21]    L'appelante demande à cette Cour de casser la décision du Ministre. La compétence et le rôle de cette Cour dans une affaire comme celle-ci ont été décrits par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187. Cette cause, fréquemment citée, représente l'état du droit en la matière. Au paragraphe 29, le juge en chef Isaac posait la question de la façon suivante :

 

[...] La question cruciale qui se pose dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en modifiant la décision discrétionnaire rendue par le ministre en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii). Cette disposition confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de présumer que des « personnes liées » n'ont pas de lien de dépendance pour l'application de la Loi sur l'assurance‑chômage s'il est d'avis que ces personnes liées auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. [...]

 

[22]    Poursuivant son analyse, le juge Isaac s'exprimait en ces termes au paragraphe 31 :

 

            L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, [...] exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, J.C.A., expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

 

            Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l 'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

 

[23]    La Cour d'appel fédérale a tenu des propos similaires, sous la plume du juge Décary, dans l'arrêt Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. M.R.N., [1994] A.C.F. no 1859.

 

[24]    Au paragraphe 33 de l'arrêt Jencan, précité, le juge en chef Isaac continuait son étude et précisait ce qui suit :

 

[...] La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions. [...]

 

[25]    Le juge en chef Isaac, au paragraphe 37 de ce même arrêt décrit le pouvoir de cette Cour en pareilles circonstances en ces termes :

 

            Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous‑alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous‑alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

 

[26]    Il faut reconnaître que cette Cour est liée, selon la doctrine du stare decisis, par l'autorité de la Cour d'appel fédérale. L'arrêt Tignish précise que :

 

[...] la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances [...] a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. [...]

 

[27]    En regard de ce qui précède, en particulier la preuve recueillie, les admissions de l'appelante, les hypothèses de fait du Ministre non réfutées, les contradictions entre la preuve à l'audition et les déclarations précédentes, cette Cour ne voit aucunement le bien-fondé de son intervention.

 

[28]    En outre, cette Cour est d'avis que le Ministre, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, selon les paragraphes 5(3) et 93(3) de la Loi, en a respecté les exigences en tenant compte de toutes les circonstances entourant l'emploi de l'appelante, tel que dicté dans l'arrêt Jencan précité.

 

[29]    L'appelante avait le fardeau de prouver sa cause et pouvait amener d'autres éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le Ministre pour justifier sa décision et elle ne l'a pas fait.

 

[30]    Cette Cour doit donc conclure que, compte tenu de toutes les circonstances, il était raisonnable pour le Ministre de décider que l'appelante et le payeur n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux un lien de dépendance au sens de l'alinéa 5(3)b) de la Loi.

 

[31]    En conséquence, l'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick) ce 18e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI788

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-2945(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Katy Bélisle et M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 28 juillet 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

le 18 novembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

Me Jérôme Carrier

 

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Me Jérôme Carrier

 

Étude :

Rochon, Belzile, Carrier, Auger

Québec (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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